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lA SCIENGE
DU
GOUVERNEMENT,
TéME PREMIER.
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]V03f5 DES ÏJJSRMREsàS'SOCÏJ^
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V J E A N - T H 9 M A s H E R I sis A îï T , rue Saint Jacques. V.J
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Chez/ • * - •* :i ■ \
JBAUÇH.E, Quai des Auguilim, i
y SI MON^Impriméur du. parlement, rue d^jà Harpe.
L D U R A N D , rue du Fôin-Saint Jacques
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• • S • V
LA SCIENCE
D U
GOUVERNEMENT,
Par M. DE RE A If, Grand Sénéchal de Forcalquier^
TOME PREMIER,
CONTENANT UINTRODU CTION:
Ouvrage de Morale, de Droit et de Politique^
qui contient les principes du Commandement & de l^Obéiffance ; où Pon
réduit toutes les matières de Gouvernement en un corps unique , entier
dans chacune de fes parties ; & où Ton explique les droits & les devoirs
des Souverains, ceux des Sujets , ceux de tous les Hommes, en quelque
fituation qu'ils fe trouvent,
Deum timeu ; Rcgcm honorificatt. Petr. Epift. I. Chap. IL "jt^. 17.
A PARIS,
CHEZ LES LIBRAIRES ASSOCIÉS.
M. D C C. L X I I.
^rE€ APPROBATION ET PRiriLECE DU ROI,
DES SOMMAIRES. «
Les Grecs ont été les Difciples de ces trois Peuples.
Les Romains & les autres Peuples de P Europe ont été les
Difciples des Grecs , & les Peuples modernes le font des
Grecs & des Romains. 179
SECTION I I I.
Des Légiflateurs & du Gouvernement des Egyptiens.
Le Royaume d^ Egypte fondé ^ Conquérans partagés y fournis &
détruits. ij^
Quel en étoit le Gouvernement. 181
Les bienfaits & la recofinoiffance étoient des vertus en hon^
neur parmi les Egyptiens.
Jugement que fubifjoit la mémoire des morts , & même celle des
Rois. 182
SECTION IV.
Des Légiflateurs & du Gouvernement des Grecs.
Fondations des Républiques de la Grèce y & caufes de leur élé-
vation & de leur décadence. 1 84
Confeil fupréme de la Grèce appelle les Amphy6tions. 187
Jeux Olympiques.
Confédération particulière des Achéens. 1 9 1
J\dinos Légiflateur de Crete^ Il cuété le pLus juflc des Rois.
Ses Loix. 19 j
Education militaire que les enfans recevoient en Crète. 196
Communauté des repas. 1 97
Vénération que Minos infpiroit pour les Coutumes & les Loix ,
pour les Magiflrats & les perfonnes âgées. i c;8
Proportion exacte entre les fonds de terre , & les Habit ans qui
en étoient les poffeffeurs. 19^
Le Gouvernement de Crète , d'abord Monarchique y devint Ré^
publiquain.
Les Efclaves de Crète étoient traités avec bonté.
Durée ^ corruption & fin du Gouvernement de Crète. 20O
b
X TABLE
Du Gouvernement abfolu des Rois de Sparte jufqti au tems de
Lycurgue.
'Forme de Govemement que Lycurgue établit. %o i
Deux Rois. 101
Un Confeil de Gérontes.
Le Peuple.
Etahliffement du Confeil des Ephores. 203
Attachement extrême des Spartiates pour les Loix» 204
Partage égal des biens.
Loi qui défendait l'entrée du pays aux étrangers . 206
Décri de l'or & de Cargerit. 207
Repas en commun. 208
Style laconique,
pètes des Laccdémoniens.
Police de leurs mariages ^ & communauté de leurs femmes. 209
Education de leurs enfans. i\o
Les Lacédémoniens rieflimoient que les Sciences qui formaient
aux bonnes mœurs y & qui donnaient à leur République des
Magiflrats , des Guerriers y des Politiques. 2 1 1
Travaux & rigoureux efclavage des Hilotes. 212
Occupations guerrières des Lacédémoniens y & leur manière de
faire la guerre. ^ ^ 3
Le Gouvernement de Lacédémone a donné en tout genre des
exemples fingulicrs , 6* il était très^défeSueux. 214
Fin du Gouvernement ^ qui fubfîfle néanmoins encore dans les
Mainates. 216
Athènes eut différentes formes de Gouvernement , & effuya di-
verfes révolutions , jufqiiau tems où elle fut réduite en Pra--
yince Romaine. 217
Des Rais d^ Athènes. 218
Des Arékontes.
De t Aréopage & des autres Tribunaux cT Athènes. 219
Dracon y Légiflateur d! Athènes. 221
Salon y Légiflateur S Athènes.
Salon y fait acquitter les dettes ^ & ne veut pas quon puiffe dé--
D E s s O M M A I R E s. x)
formais engager fa liberté en empruntant. m
Ilfupprime les Loix de Dracon & en fait de nouvelles, 223
Il pourvoit à r éducation des enfans : il fait les fpeclacles à rin--
flru3ion des Athéniens.
Il va voyager^ & de retour defes voyages ^ il fe home à préfîder
à P Aréopage & à expliquer fes Loix. 224
Sénat compofé de cinq cens Sénateurs , tirés des dix Tributs £A^
thenes. 22 j
Aff emblée du Peuple où réfidoit la Souveraineté. 226
Le Gouvernement d! Athènes étoit vicieux. 228
Des Sages de la Grèce qui en ont gouverné les Etats y des Phi^
lofophes politiques ^ & de quelques autres ou Légiflateurs ou
Ecrivains Grecs. 230
Gouvernement de la grande Grèce.
Ses principaux Etats ^ Crotonc , Syharis , Thurium. 231!
Charondas Légiflateur à Thurium : fes Loix. 23 j=
Zaleucus ^ autre Légiflateur de la grande Grèce : fes Loix. 237.
De rOflracifme établi à Athènes & à Ephéfe^ & duPetatifme en
ufage à Syracufe. 240
De r Autonomie de quelques Peuples ou Villes fous la domina^
lion des Grecs & des Romains. 24 J
S E C T I O N V.
Du Gouvernement des Carthaginois.
Fondation du Royaume de Carthage , converti en une RépublU
que après la mort de Didon qui en fut la Fondatrice. 248
Forme de la République de Carthage.
Autorité des Suffetes. 249
Autorité du Sénat
Autorité du Peuple. 25a
Comment les emplois s y diflrïbuoient. 2 j i
Police Militaire. 2 j 2
Colonies que les Carthaginois envoyent en divers lieux.
Union étroite des Carthaginois & des Phéniciens. 253
Les Lettres tiétoient pas cultivées à Carthage , & les Carthagi^
xi] TABLE
nols et oient vicieux & barbares. i j^
Conquêtes & accroijfemens de cette République.
Les trois premiers Traités entre Carthage & Rome. 2 j6
Première Guerre Punique & première paix. 259
Seconde Guerre Punique & féconde paix. 260
Troijîéme Guerre Punique & ruine de Carthage. i6i
Caujes de rajfujettijjement de la République de Carthage à celle
de Rome. 263
SECTION VI.
Du Gouvernement des Romains.
Fondation de Rome ^ Royaitme^ République , Empire & forme
de fon Gouvernement. 268
Caufes de la grandeur dé la République. 270
Caufes de la décadence de la République. 28 j
Caufes de la décadence de F Empire. 287
Conjîdérations fur Padminiflration des finances des Romains ,
fîur celle de butin quils faif oient & des contributions quils
levoient. 291
CHAPITRE III.
Pes diverfes formes de Gouvernement qu'il y a préfentement
dans le monde , confîderées en général.
SECTION PREMIERE.
Carafteres du Defpotifme , du Gouvernement abfolu , & du
pouvoir limité.
La Souveraineté doit être confiderée dans trois points de vue.
Pouvoir arbitraire ou defpo tique. 298
Pouvoir abfolu. 3 04
Pouvoir tempéré» 307
4 • •♦
DES SOMMAIRES- xlij
SECTION IL
Des Gouvememens tant réguliers qu irréguliers.
Différentes idées des Légijlateurs fur les formes de Gouverne^
ment. 308
Du Gouvernement Monarchique. 309
Du Gouvernement Ariflocratique.
Du Gouvernement Démocratique. 310
Toutes les formes de Gouvernement fe rapportent à ces trois là}
& ces trois formes font régulières. 311
Gouvernement compofé. 3 1 z
Gouvernement régulier.
Gouvernement irrégulier. 314
Réfutation de CopirUon qui admet d^ autres formes de Gouver^
nement. 3 1 5
SECTION 1 1 1.
Des défeuts de tous les Gouvememens.
Ce qttily a de défectueux dans un Gouvernement , efl plus aifi
à remarquer que ce que ce même Gouvernement a (Tavanta^
geux ; Ù cefl prefque toujours lapaffîon qui dicte les termes
qiCon employé cancre la forme du Gouvernement & contra
ceux qui gouvernent. 3 20
Les défauts dans le Gouvernement viennent ou du Gouvernement j
ou des perfonnes qui gouvernent , ou de celles qui font gou--
vemées. 322
Toutes les conflitutions JtEtat ont leurs défauts.
Défauts de la Monarchie abfolue. 3 27
Défauts de la Monarcfùe limitée. 328
Défauts du Gouvernement Ariflocratique. 329
Défaiitô du Gouvernent Démocratique. 3J1
Défauts du Gouvernement compofé.
Défauts des GauycmenieiuJrrés^lierSy ^ 335
x\y TABLE DES S O M M A I R E S-
S E C T I O N I V.
Quelle eft la meilleure forme de Gouvernement.
Difficultés à bien réfoudre cette queflion. 3 3,9
Ce que cejl que la liberté ; il nefçauroit y en avoir , ou il ny a
pas de raifon , & cejl fe tromper que de croire quon nejè
point libre fous un Gouvernement. 3 40
Confidérations fur la liberté tant vantée des anciennes & desnou^
velles Républiques. 3 44
On riefl pas moins libre dans une Monarchie que dans une Ré*
publique. 348
Dans quels fens les Républiques font appellées des Etats libres.
La tyrannie efl tout aiijfi à craindre dans les Républiques que
dans les Monarchies. 3 ç j
Le Gouvernement Monarchique , à ne parler quen général y ejl
préférable aux autresjormes de Gouvernement
Les mœurs , les habitans , leur petit nombre , la fituation du
Pays peuvent demander une autre forme de Gouvernement. 366
La Monarchie héréditaire doit être préférée à PéleSive. 3 6^
La Monarchie purement héréditaire doit être préférée à celle oà
téleSion & le droit du fang doivent concourir.
La Monarchie abfolue doit être préférée à la tempérée. 374
Ze Gouvernement des hommes doit être préféré à celui desfem"
mes. jjj
Uindivijibilité des Monarchies efl auffi utile aux Etats que la
trop grande inégalité des fortunes particulières leur efl nui-*
fible. 384
La forme du Gouvernent importe peu aux particuliers , pris
féparément. Le feul intérêt quils ayent^ cefl que cette for^
me telle quelle efl y foit refpeSée. Sous quelque Gouverr
nement que Con vive , il faut obferver les Loix. 3 8ç^
D^^^ approuve toutes les Conflitutions d^Etat , quelle que foit
la Religion quon profeffe y & de quelque manière que U
Gouvernement ait été établi. 3 qq
TABLE
DES SOMMAIRES.
/
Mp ORTANCE de r Education des Princes. Pages j
Cériejlpas ajfe:^ de les bien élever comme hommes ^ il ejl nécef-
faire de leur enfeigner ce quils doiverufçavoir comme Princes,
& de leur donner toutes les connoijfances qui ont rapport au
Gouvememeru. \\
Opinions des Anciens & des Modernes à ce fujet. v
Ufages des Peuples^ vj
Exemples des Rois. ix
autorité de la raifonpour établir la nécejfué £ étudier la Science
du Gouvernement. xj
L* étude de diverses parties de cette Science ejl nécejfairé aux Sur-
jets comme aux Princes. xiv
Cette Science ejl négligée dans quelques Pays y elle Pefl princi'^
paiement dans les Etats Monarchiques y & cette nédigence e(l
portée en France plus loin que par^-tout ailleurs. xvj
l^e moyen défaire cejfer cette négligence , cejl de rajfembler &
de perfectionner les conn^oijfances néceffaires pour gouverner, xx)
Comment le projet de réduire toutes les matières de Gouverne^
ment en unfeul corps de Science a été exécutée xxiijj
«
TABLE
L
D ÈE générale de la Science du Gouvernement.^
Ce que cejl que le Gouvernements
Les hommes étoient nés pour vivre enfociétéy & ils y ont vécu, i
Formation des Sociétés civiles ; variété prodigieufe de conditions y
& commumcation de ces Sociétés entr elles. y
Nous fommes obligés d'être équitables ^ & de nous rendre des
fervices réciproques.
Chaque Particulier y. chaque condition , chaque corps a des dc^
voirs à remplir.. ç
Les dlfférens devoirs tendent à la même fin y ^ font réunis parle
principe unique de lajufiice & de F amour de l^ ordre. y
Les Loix qui ont pour objet de conferver ou de rétablir F ordre
parmi les hommes , contiennent les re^es de notre conduite j.
combien il y a de fortes de Loix.- S^
Ce que les Loix empruntent de la Philo fophie. ^
Ce que cefl que le Droit ; il efi écrit ou non écrit ; caraSere &
différence de Hun & de C autre.. lO
Ce que cefl que la Juflice. i \
Ce que cefl que la Jurifprudence. i r
C£fl à la Politique , maitreffe de toutes les Sciences & de tous
les Arts y à rendre utiles les Lobe. i \
De la connoiffance des Loix & de la Politiquefe forme la Science
du Gouvernement..
Enumération de cinq diverfes Sciences y dont Paffemblage forme
la Science du Gouvernements 1 4.
Le Droit naturel.. r6*
Le Droit Public. lift'
Le Droit Eccléfiafiique:,. l,t
Le Droit des Gens.. %i\
La Politique.. % y
M faut connoitre les difiinclioîis quiféparent les divers Droits^ &'
Us. rapports qui les uniffent.. , aâp
V
DES S O M M A I R E S, iq
Dans toppojition apparente de diverfes Loixi & dans le Jilence
des Loix civiles , on doicfe déterminer par des raifonnemetu
tirés de Péqtdté naturelle. xy
JLe Droit Naturel efi le fondement de tous les autres Droits. 28
Le Droit Public efi fondé fur le Droit Naturel quil explique^
dont il fait l'application , & quil refiraintfans le combattre. 3 o
Le Droit Eccléjîafiique tire fan origine du Droit naturel. 3 ^
Le Droit des Gens a auffi fa fource dans le Droit Naturel.
Divifion des fept Parties dans lef quelles U Auteur a renfermé
toutes les parties du Gouvernement. 36
Première Partie» JntroduSion à la Science du Qou--
vemement^ 37
Partie II. Traité du Droit NatureL
P A R T I E m. Traité du Droit Public. 3 %
Partie IV- Traité du Droit Eccléfiafiique^ 3 9
P A R T I E V. Traité du Droit des Gens.
PaRTIEVI. Traité de la Politique.
Partie VIL Examen des principaux Ouvrages compofés
fur les matières de Gouvernements 40
INTRODUCTION-
CHAPITRE PREMIER,
Formation & avantages des Sociétés civiles.
De Porigine des hommes ; des fignes quils ont eus ; des langues
quils ont parlées ^ & comment ils ont peuplé la terre. 4%
Droit primitif commun à tous les hommes fur toutes les chofes
de la terre ; & manière dont les hommes vécurent. 44
Changemens dans la manière de vivre qui donna lieu à la difiin^
Stion des domaines , & par conféquetit au droit de propriété $
& comment fefit t occupation primitive. 46
Xa difiinâion des Domaines a été indifpenfable , & elle efi très-^
utUe. 47
au
îv TABLE
Bûmes appofées à chaque Domaine particulier •
De cette diJlinSion des Domaines efi né Pufage des conventions s
il y en a de différentes efpeces s & combien elles doivent être '
inviolables^ jq
SECTION IL
Néceffité , caufes , tems & manières de la formation des pre-
mières Sociétés civiles*
Les conventions feules nauroient pu établir le repos des Socié^
tés ; & le repos a un fondement folide dans le Gouvernement
civil. 5 1
Deux caufes de la formation des Sociétés civiles, i^» Le befoin
que chaque homme a eu d^une fureté contre l'injuJHce des au-»
très hommes, i^. La force jointe dans quelques-uns S entre
eux à l'ambition* j j
Tems où le Gouvernement civil a été formé. 6i '
L'Empire paternel efl le premier auquel les hommes ont été
foumis.
Des petits Royaumes furent établis par le confentement des
Peuples } & les forts furent les premiers élevés à la Souve^*
raineté. 67
// s* établit d^ autres Royaumes plus co'nfddrahlés par la voie des
Conquêtes. . • 70
J'ous les Gouv'ememens ont commencé par le Monarchique ^ il y
a eu d^affe:^ bonne heure des efpeces de Républiques y mais ce
* nefè que Pabus de t autorité Monarchique qui a donné lieu à
r établiffemènt des vraies Républiques. 7 j
C efl par la voie des Conquêtes que les quatre grands Empires
fe formèrent & fe fuccederent y que fur les débris du dernier
de ces grands Empires ont été fondées les grandes Monar-^
chies que nous voyons en Europe , en Afie & en Afrique ^ &
que le nouveau mçndfi, à été foumis à l^ ancien^ 76
DES SOMMAIRES; ^
SECTION II L
Àfts qui ont précédé, accompagné , ou fuivi le Gouverne^
ment civil.
La difiinâion du mien & du tien a rendu nécejfairc téchangê
des denrées. fS
L^or & l'argent ont facilité les échanges & en ont tenu lieu.
Le crédit multiplie Por & r argent qui font repréf entés par des
écrits , ù il y a des richejjes réelles & des richejfes Jtopi^
mon. 79
Des Arts en général. 80
An de 1^ Agriculture : comment inventé d^ abord & perfectionné
depuis. 81
Art de r ArchiteBure : comment inventé d'abord y .& perfeSionné
depuis.
Art de la Navigation : comment inventé d'abord & perfeSionné
depuis. 8j^
S E C T I ON IV.
Multitude de Loix, d'ufages & de Droits chez toutes les Na-»
tions ; inégalité dans les conditions des hommes, & biens
que leur procure le Gouvernement civil.
Quelles font les Loix les plus célèbres de t antiquité & les plus
fameufes desfiécles moins reculés. 88
Les divers peuples nont eu ni les mêmes occupations , ni les
mêmes mceurs ,• Ù cejl de la diverfté des inclinations des
hommes & des fréquentes révolutions arrivées dans le monde
Politique , quejl venue la diverjîté des Loix civiles , quifor^
ment aujourd'hui un affemblage irrégulier prefque dans tous
les Etats. ^Q
" Hijloirt du Droit Romain & du Droit François^ ^%,
VI TABLE
Multiplicité étonnante & nuifiblt des Loix dans la Jurifprw-
dence Romaine^
Rome naîjfante litut i autre règle que la volonté defés Rois.
Droit Papirien fous les Rois de Rome. ^g
La République Romaine qui fait d'abord les Loix des dou:^e
Tables , les explique enfuite & les étend.
Conjlitutions des Empereurs {fous le nom de Plébifcites & de
Senatus^Confultes^ & Livres des JurifconfultJ^s Romains.
99
Code Grégorien & Code Hermogenieru
Code Theodofîen & Code JtAlariCm \ oo
Code & Digefle par excellence. i o i
JnJHtutes & NovellesM 102
Au bout de trois Jîécles les BajUiques furent fubflituées au
Droit de Juflinien dans t Orient ^ & le Droit de Jujlinien
devint celui de la plupart des Nations de P Occident. lO}
Quelques-unes de ces Nations fe font fait un Droit différent.
' Idée quibfaut avoir du Droit Romain. 1 04
Du Droit François fous la première Ù fous la féconde Race de
nos Rois , 6* de Cufage qiionfit du Droit Romain fous ces
deux Races. 105
Du Droit François & du Droit Romain fous la troifiéme Race^
& comment Us furent oubliée & convertis en Coutume. 106
On renouvelle t étude du Droit Romain en France & dans
prefque tous les Etats de F Europe^ mais cenejl pas le Droit
contenu dans le Code Théodojien qùon étudie , cejl le Droit
de Juflinien^
Ce que que cétoit que la Loi Royale des Romains. 112
SanBionp 1 20
Itcs Loix de HEtat ne font pas les mêmes dans toutes les So^
ciétés civiles , & quelles font les Loix qu'on appelle de TEtat.
121
Deux points font à conjidererjxar rapport au fonds & par rapm
DES SOMMAIRES. vif
port à la forme. Il ne doit pas être quejlion ici de la forme ,
le fond regarde les Perfonnes & les chofes^
Définition du Droit fur les perfonnes. 1 1 j
Définition du Droit fur les chofes. Elles font mohiliaires ou
immobiliaires , ù le Droit que les hommes y ont réfulte des
engagement ou des fucceffwns.
Deux efpeces £ engagement. 11^,
Trois fortes d! obligations naturelle , civile & mixte • 1 2 y
D obligation & le droit qui en naît font relatifs. 126
Les promeffes font abfolues ou conditionnelles , réciproques ou,
gratuites m 127
Les promeffes & les conventions font invalides^ 1 1^
Des obligations contraBées par Procureur^
Des Donations entre-vifs^
De la Prefcnption^ I JO
Des Succeffions.
Des Donations à caufes de mort. 13 1
Des Tefiamens & des Codiciles^ 132;
Des Subfiitutions.
Les Peuples ont plus ou moins réujji dam Us divtrfes vues
qu'ils ont eues pour ajfurer leur liberté / & les Conquerans
ont été plus ou moins doux , plus ou moins fages. Delà le
partage des hommes en libres & en ferfs , en maîtres & en^
efçlaves,. 1 3 j:
Hinégalité des conditions , des biens , des honneurs , dans les
Sociétés civiles ri a rien d! extrêmement fâcheux ,• elle efi non*
feulemeru utile , mais abfolument indifpenfable. 1 3 7
Les avantages du Gouvernement civil font inefiimables , & les'
hommes riyfont pas ajfe[ di attention^ 1 38?
S E C T I O N V.
Situatioa aftuelle du Monde Politique , commerçant ^
fçavant & religieux.
Combien le monde politique (T aujourd'hui efi différera de ce qilîl
Vîîj ' TABLE
étott autrefois; & jufqu^à quel point la Science du Gouvems^
ment sejl perfectionnée. . -------jAl
Comment fe faif oit anciennement en Europe le commerce <t Orient,
& comment il s y fait à préfent. 145
Progrès des Sciences. 156
Changemens dans la Religion. 157
Evénemens des deux derniers Jiécles & de celui où nous vivons, i j Ç
CHAPITRE II.
Des anciens Légiflateurs & des anciens Gouvememens* 16%
SECTION PREMIERE.
Des Légiflateurs facrés & du Gouvernement du Peuple
de Dieu.
Etat du Peuple de Dieu y trayant pour re^e que ta Loi natu^
relie fous les Patriarches. 1 6 j
Etat du Peuple de Dieu fous tes Rois. 168
Etat du Peuple de Dieu fous les Pontifes qui joignirent dans
ta fuite à leur dignité le titre de Rois. 17O
^Ancien & Nouveau Teflçment.
fnflruSions fatutaires^ des Livres faims. 1 7 1
SECTION IL
Des Légiflateurs profanes en général.
De la terreur que te Paganifme a eu pour les Légiflateurs. i ^
Noms des principaux Légiflateurs , comment ils fe formèrent ;
opinion quil en faut avoir j Ù caractères quils ont imprimé
à leurs nations.
Les Chaldéens y tes Egyptiens & les Perfes ont été les premiers
Légiflateurs^ 1 77
DES SOMMAIRES- xv^
C H A P I T R E I V.
05u Gouvernement aftuel de chaque Peuple de TAfie
confideré en particulier.
SECTION PREMIERE- 1^^*
Gouvernement du Japon*
1. Fondation de F Empire du Japon. 11. Mœurs y Religion
des Habitans. III. Forces de cette Monarchie. IV. Son Gou^
vemement. Y. Du Daïri Puijjance de Religion y & du Cubo- .
Sama Souverain temporel. VI. Découverte du Japon j établiffe--
ment & extinSion du Chrijiianifme dans cet Empire y & Jiles
Japonois ont raifon de fermer Centrée de leur Payi aux
Etrangers^
SECTION M. fa^i\^^
Du Gouvernement de la Chine»
Vn. Fondation de FEmpire de la Chine. VIII. Forme du
Gouvernement. Forces de P Empire 415. IX. Religion des Chin
nais. X. Confucius Législateur de la Chine Ù fa morale^ Xlf
Jdie qu il faut avoir du (Gouvernement de la Chine^
. Fof^i^h'^*
SECTION III
«
IGouvernement du Mogol , principale Monarchie à&% Indes
-"■ ' Orientales.
XII. .Brama Légiflateur des Indiens y partagea les Peuples
fin quatre Cades principales. XIII. Loi générale pour toutes les
Cafies* l^ïVnLQix particulières pour les Brahmanes. XV. Loix
fç^rticulieres pour les Ragepiftes^ 3^VI. Pour les Banianes
ivi TABLE
XVIL IU>ur Us Amfans. X\1IL MoraU des IrJUns. XîX.
Fondation ic {Empire du Mogol. XX* Som Gouvcnumcatm
SECTION IV.
Gouvernement de Perfe.
faj^kk^
é
XXL Gouvcmemcm des anciens Ptrfcs. XXII. MoraU de
Zoroajirc. XXIIL. Gouvcmemcm des Pcrfans modernes.
SECTION V. PjMLjÂiy
Gouvemement de divers autres Etats de TAfie»
XXIV. De la Corée. XXV* De la grande Tartarie foumife
à r Empereur de la Chine. XXVI. De la pente Tartarie trihu^
taire du Grand Seigneur. XXVII. Du Tonquin. XXVIII. De
la Cochinchine. XXIX. Du Laos. XXX. De Siam. XXXL
Du Pegu. XXXII. De risle de Java où ejl le grand établijfe^
ment de la République £ Hollande. - XXXIIL De Goa & des
établijfemens aue les Portugais & les autres Nations Euro^
péennes ont fait dans les Indes Orientales. XXXIV. De ceux
des Français & des Anglois. XXXV* Multitude d Etats
Asiatiques inconnus.,
CHAPITRE V.
Du Gouvernement a6luel de chacpe Peuple de TAfrique
confidcré en particulier.
SECTION PREMIERE. /^A/^
Gouvemement des Côtes Orientales d'Afrique^
L De TripoU. IL De Tunis. IIL D'Algtr, IV. Dt PEm!(
pire, dt Maroc, Y, L'Egypte,
D E s s Ô M M A ï R Ê S* " ivî}-
• SECTION II. (Lm^Jç^
Gouvernement des Côtes Occidentales d'Afrique.
• «
VI. Royaumes & Etats Jîtués au long des Côtes Occidentales
JP Afrique fur la Gambra. VIL Royaumes & Etats fitués /i)
long de ces mêmes Côtes Occidentales fur le Sénégal. VIII. Côte
de Guinée ou Côte d^Or. IX. Côte des Efclaves & autres Co-
tes. X. Royaume de Congo. XI. Royaume d'Angola. XII.
Royaume de Benguela. XIIL Quelques autres Pays.
SECTION III
. «€^l\^<
Gouvernement des Pays qui bordent la Côte Orientale
d'Afrique depuis le Cap de Bonne Efpérance jufqu a
celui de Guardafli.
XIV. Le Cap de Bonne Efpérance. XV. Ijles entre le Cap
de Bonne Efpérance & le Cap de Guardaju. XVI. Empire
de Monomotapa. -
SECTION IV. fi^JjiA'h
■y
Gouvernement de l'intérieur de l'Afrique.
XVII. Liméneur de F Afrique riefi pas connu & pourquoi^
XVIII. Du Royaume de Loango. XIX. de l'Empire de FA^
bijjirùe.
CHAPITRE VI.
xyiu TABLE DES SOMMAIRES,
i
Du Gouvernement aftuel de chaque Peuple de l'Amérique
contideré en particulier.
SECTION^ PREMIE RE, fa^/^ay^
Gouvernement des Indes Occidentales , avant la cqpquêt^
que les Européens en ont faite.
• L Le Mexique. II. Le Pérou.
S E C T I O N I L h^^^^
Gouvernement des Indes Occidentales , fous les Princes
Européens qui les ont conquifes.
IIL Découverte de t Amérique. IV. Conquête de deux ^m^
pires par les Efpagnols, V. Conquête d^ autres Etats du nou--
veau monde par les François & par d! autres Nations Eurç^
péennçs.
Fin de la Table des Sommaires,
LA SCIENCE
DISCOURS PRÉLIMINAIRE,
P5^5^^ 'Éducation n'efl: que la culture des mœurs de importance <!#
} L î rhomme dans les premiers tems de fa vie , elle eft P'«»««*
^^â^jg^ abandonnée aux foins des pères & des mères , mais
4a culture des mœurs des Nations eft réfervée aux Souverains ;
elle embraffe tous les âges, & les qualités de ceux qui gouver-^.
ncnt deviennent les qualités de ceux qui font gouvernés. La
force ou la foibleffe , les profpérités ou les difgraces de chaque
règne, tirent leur origine des vertus ou des vices , des talens
.ou de Tincapacité des Princes, On verroit(dit fur ce fujet un
des plus grands maîtres dans Tart de gouverner ) la nature errer
dans fes opérations , plutôt qu'un Souverain donner à fa Nation
un caradere différent du fien. (a) Ceft aux Souverains aufli
qu'cft réfervée l'éducation des Princes qui doivent leur fuccéder.
Veiller à rinftru£lion de la jeuneffe pour former de bons
fujcts à TEtat , eft fans doute un des devoirs de la Royauté j
mais faire élever avec foin Théritier de la Couronne , pour pré-
parer à la Nation un maître capable de la gouverner , eft une
des plus cflentielles obligations du Monarque, Les particuliers
rfcmbraflent ordinairement une profeflîon que lorfque leur rai*
fon s'eft développée, au lieu que celle de Théricier d'une Cou-?
ronne eft fixée dans le moment de fa naiflance. Ceft une tête
(j) FacUius crrare naturam qudm Prîncipcm reformare RempuhlicamdiJlimiUm. CafEo*
figre (Miniftred'EtatfousThçodoric) liy,}. Van. Ep, /i.
îj DISCOURS FRELÎMINAIRE;
précîeufe qui fera ceinte du diadème; & former le Souverain^
c'eft en quelque forte former tout le Peuple auquel il doit com*
mander , & qui fe réglera fur lui. De fon inftruftion naiffenc
& Pavantage de fon pays ^ & des exemples utiles à toutes les
Nations étrangères. Ces exemples paffent de bouche en bou-î
che , de génération en génération $ tous les peuples ^ tous les
tems y prennent part^ ôc la poftérité la plus éloignée peut en
recueillir le. fruit.
tff les biSver J^ ^Ç^^^ c\\xon a beaucoup écrit fur la manière d'élever les en-
5XéctS"ê f^^s des maîtres du monde. Cent Auteurs (a) ont indiqué les
ÏumIS^^ connoiffances que le Prince doit avoir ^ mais aucun n'a entre-
Icr;7eTurdonI p^îs de Ics lui donncr. Lors même qu on élevé bien les héritiers
Solffances^ront* dcs grands Empires comme hommes, on ne leur enfeigne pas
vcraemcnt,&dê ce qu ils doîvent fçavoir comme Princes. On verfedans leur fein
ces cvançiiTaii- quelques principes de Religion , de juftice & de bonté ; on im-r
prime dans leur efprit quelques, maximes d'honneur ; on leur
donne quelques teintures des Arts & des Sciences ; on les for-
me à des exercices académiques ; mais on ne leur apprend pas à
porter dignement une Couronne, on ne les inftruit point de la
feule fcience qu il ne leur eft pas permis d'ignorer. S'il efl utile
de former Thomme , ne l'eft-il pas plus encore de former le Sou*
verain ? C'eft des vaflcs fondions y c'efl des devoirs infinis de
la Royauté qu'il faut principalement inftruire les Princes.
Toutes leurs fautes dans la vie privée font d'une confcquencc
extrême pour leur Etat. ( 6 ) On ne fçauroit trop eftimer les ver-
tus morales, elles font prefque les feules qui loient à l'ufage des
particuliers , & elles doivent purifier & anoblir les vertus civiles
{a) J'en ai donné la Fifte dans mon Examen , au mot Duguen
. ifi Quo perniciofiàs de Republicâ merentur vitiofi Principes , quod nonfolum vîtia con-^
tipiunt ipjiy fedea infundunt in civitatem , neque folum obfunt quod ipfi corrumpuntur y fed
ttiam quod corrumpunt , plufque cxemplo quant peccato noccm^ Ciçer, de Legd). lib. j.
^ DISCOURS VRELÎMINAIKE: îîj
ëi politiques , par lefquelles on doit juger du vrai mérite dés
Princes en tant que Princes , mais ce ne font pas ordinairement
les vices de Thomme, ce font les défauts du Prince qui Tempê-
chcnt de gouverner heureufement. Il efl: nécejffaire de diftiiir;
guer dans les Rois la vie privée d'avec la vie publique , les ver-
tus domeftiques d*avec les qualités Royales; ils peuvent avoir
toutes les vertus qui honorent les particuliers, fans pofféder au-
cune des qualités qui font les grands Rois, Ne pas connoîtrc
profondément le pays qu'on doit gouverner , n'être pas inftruit
de tous les avantages qu on peut lui procurer , ignorer les
principes de la conduite qu'on doit tenir relativement au cî-^;
toyen & à l'étranger, ne pas bien régler les diverfes parties du
Gouvernement , abufer de la puiffance pour faire quelque înjuf-
ticCi ne prévenir ni ne punir le mal , ne pas faire tout le bien
poffible ; voilà quelles font les fautes de Thomme d'Etkt.
Je dis de Vhomme d'Etat , car ce que j'applique ici aux Sou-^
verains regarde leurs Miniftres, & toutes les perfonnés qui font
employées au Gouvernement. Ce n'eft pas affez que les perfon-
nés qui y participent vivent bien comme hommes , ileft en-
core plus important qu'ils vivent bien comme perfonrieS publi-
ques. Dans les Monarchies, les Mîniftrcs ne répondront pas
moins que leurs maîtres de tout le mal qu'ils auroient pu éviter,
& qu'ils auront commis ou laiffé commettre, & de tout le bien
qu'ils auroient pu faire & qu'ils n'auront pas fait. Dans lés Arif-*
tocfaties & dans les DémArraties , les Sénateurs , ceux qui ont
part aux Délibérations des Républiques , & leurs Officiers , ne
répondront pas moins que les Souverains , des fautes d'omiffîon
ou de commiflîon qui leur ferent perfonnelles.
Comment les Princes éviteront-ils ces fautes^ , s'ils ne con*
noiffent pas tous les devoirs attachés à h Royauté ? Comment
aij
îr VISCOURS PRELIMINAIRE.
feront-ils inflruits de ces devoirs , fi perfonne ne prend foin dfe
les leur expliquer ? Comment enfin foutiendront-ils le faix du
Gouvernement , fi Ton ne leur enfeigne à le connoître & à les
porter.
Cette inftruélion eft indifpcnfable & doit être proportionnée
à l'importance des devoirs du rang fuprême. Plus les hommes
font élevés au-defius des autres hommes y 8c plus leurs démar-
ches entraînent de conféquences , plus ils doivent tendre à h
perfeâion. Si les Scipions & la plupart des illuflres perfonnages
d^ l'ancienne Rome ^ à la vue des images de leurs pères y fu-
rent excités à ces grandes entrcprifes ^ qui portèrent au loin la
réputation de leur patrie , (a) quel motif ne trouvera*t-on pas,
dans réclat de la première maifon du monde , toujours rég-
nante depuis huit fiécles y & toujours régnante fur la plus an-
cienne y la plus illufixe > & la plus puifiante Monarchie de TEu-
rope 1 Que ne doit pas produire un regard jette fur le régne
de tant de Rois.
. Le tems de la jeunefTe, ce tems où la docilité ouvre la porte
aux vertus & tient lieu des qualités dont on manque, efl pref*-
que le feul où la vérité trouve quelques accès auprès des Prin-
ces. Dans tout le refte de leur vie , la flatterie les aflfiége or-
dinairement. Il n'eft par conféquent perfonne à qui la lec-
ture foit auffi néceflaire qu aux Souverains y parce que , fans
bleffer leur délicatefle y elle les inftruit des vérités qu on ofc
rarement leur annoncer , & qu'ils aiment rarement à entendre.
Et que doit-on étudier y fi ce n*eft les devoirs de fon état !
Que doivent apprendre les enfans , fi ce n'efl ce qu ils doi-
vent faire étant hommes ! Que doivent apprendre les jeunes
Princes , fi ce rfeft ce qu'ils doivent faire étant Rois |
k (a) Salufi. in Pmfat. BcUi Jugurtk^
DISCOURS PRELIMINAIRE. t
Si les Arts & les Sciences font la gloire & le bonheur des
Etats ) comme Ton n'en peut douter , de quelle utilité ne fera
pas pour les Princes la fcience du thrône ! Les Souverains ne
doivent être fçavans que dans les connoiflances qui convien-
nent effentieliement à leur état ; c'eft en Rois qu'il faut; les inf-
truire. L'Empereur Conflantin Porphyrogenète, AlphonfeRcrf
d*Arragon ^ Jacques premier Roi d'Angleterre , furent des
Princes très-fçavans ; mais le premier étoit entièrement livré à
Tamour des Belles-Lettres ^ le fécond ^ à la compoAtion des
Tables Aftronomiques appellées Âlphonjines de fon nom 9 &
le troîfiéme fut tantôt Grammairien , tantôt Théologien , ja- >
mais RoL Aucun de ces trois Princes ne fçut ni ne fit fon mév.
tier. Le degré d'eflime dû aux Arts & aux Sciences , ne peut
être mefuré que fur le rapport plus ou moins prochain qu'ils
ont à l'avancement du bonheur de la Société civile. Un Souve-
rain doit connoître ^ aimer ^ encourager toutes les profeilions;
& un Prince deftiné à régner ne doit bien apprendre que la .
fcience de commander aux hommes. Les autres peuvent lui
fervir comme de dégrés pour arriver à ce but 9 mais il ne doit
les eftimer utiles pour lui qu'autant qu elles contribueront à
l'en approcher.
Il eft donc néceffaire de donner aux Princes toutes les con-
noiflances qui ont rapport au Gouvernement , & de les afFecr
tionner à ces connoiflances ; car les grands talens ne fe déve-
loppent qu'à la faveur d'une forte inclination pour tout ce qui a
rapport à leur objet. Eh 1 quelle gloire pour un Prince , lorfque
le defir de remplir des devoirs devient en lui une paflîon !
Qu'il me foit permis d'entrer dans un détail qu'exigent la
îaajcfl:é & l'importance du fujet.
il tf eft point d'Ecrivain , foit paçmi les anciens , foît parmi ^utS^Î^'^'i^^
vj DISCOURS PRELIMINAIRE; !
^j"^^*"^**^^* les modernes , qui , ayant traité de matières de Gouverne-
ment j n'ait prouvé la néceflîté de les étudier , ou au moins
qui rfait fuppofé cette néceffité comme une de ces vérités évi*
denttes auxquelles rcfprit ne peut fe refufer. Tant de Livres
compofés fur des Affaires d*Etat, dans tous les fiécles ^ dans
tous les pays, & fur toutes les parties du Gouvernement ^ ne
montrent-ils pas la néceflîté de les étudier !
CfagesdesPcu- On apprenoit dans les Ecoles des Grecs tout ce qui fait le
bon Citoyen , le grand Capitaine , THomme d'Etat. Ceux qui
inftruifoient la jeuneffe , infpiroient par leurs exemples , ce
qu'ils enfeignoîent par leurs leçons , Tamour de la patrie ; &
ces inftruâions formoient des hommes qui étoient Tornement
du genre humain & qui peuvent en être encore aujourd'hui
le modèle , comme ils en font l'admiration.
Dans les premiers fiécles de Rome > les Sénateurs , pour for-
mer de bonne heure leurs enfans à la fcience du Gouverne-
ment, les introduifoîent au Sénat, avant même qu'ils cuflent
atteint l'âge de puberté ; & cet ufage , changé à l'occafion du
jeune Papirîus dont l'hiftoire eft connue , (a) fut rétabli par
Augufte. {h) Dans tous les tems, dès que les Enfans avoient
pris la Rohc virihy ils ctoicnt introduits folemncilcment dans
la place publique, lieu où les Magiftrats haranguoient le peu-
ple , école des affaires d'Etat qui y étoient difcutées. Un Ro-
main étudioit de bonne heure les intérêts de fa patrie , & il
n'étoit élevé aux emplois publics , qu'après avoir acquis par le
fecours de l'étude , la capacité de gouverner une République
maîtrefle d'une grande partie de la Terre.
Aujourd'hui , les jeunes Gentilshommes de la Chancellerie
de Suéde n'y font reçus^ qu'à la faveur de leurs difpofitions nà-
M Aulugell. L.i. Chap. 3.
(b) Suçtonne»
T)1SC0URS PRELIMINAIRE. vîj
turclles , de leurs voyages ^ de leurs études. Ceft dans cette
Chancellerie qu'on leur communique les AGtes publics y 8c qu'on
les inflruit des affaires de la Nation, (a)
Le Roi de Danemafck vient d'ordonner (b) que des jeunes
Gens de diftinflions affifteront aux Audiences du Tribunal
fuprême de Danemarck , en qualité d'Affeffeurs , afin qu'ils
puilTent fe rendre dignes d'exercer les Magiftraturcs dont par
la fuite ils pourront être revêtus.
Les Nobles Polonois mènent leurs enfans aux Dkttines (c) ;
& les Nonces (d) , les leurs aux Diettes générales ^ pour les ren?
dre capables de fervir un jour la République.
A Venife j où la' politique eft l'affaire capitale de tous les
Citoyens ^ l'inftruélion des Pères rend les enfans capables de
gouverner. Les jeunes Nobles affiftent aux Confultations du
Collèges & aux Délibérarions du Sénat feulement pour écou--
ter. On les inflruit des affaires de l'Etat ^ & on leur fait fen-«
tir chaque jour , qu'ils font nés pour y avoir part. La Chambre
fecrette , où font confervées les Dépêches des Ambaffadeurs avec
lesRegiflres de la République , leur eft ouverte. Quelques jeu-
nes Gentilshommes accompagnent les Miniftres de la Républi-
que dans les Cours Etrangères , pour y faire Tapprentiffage des
emplois auxquels ils afpirent. Enfin y aucun Noble ne parvient
aux grandes Magiftraturcs , qu'après s'être acquitté des moin-
dres , à la fatisfaflion de fes Concitoyens (e).
En Allemagne , la Bulle d'or renferme des difpofitîons fut
r^^ 14* Art. deTEleâion de 1718, confinnée par celles de 1710 & de 1743;
}b) En 1749.
Le) Diettes des Paladnats.
d) Députés aux Diettes générales de Pologne.
[ e) Hift. du Gouvernement de Venife , par Amelot , pag. 24 delTdîtîon de i6jSi
rJLa Ville & la République de Venife , par Saint-Didier ; & C Ambajfadeur &fes fonêlions ^
par Wicqucfort , pp. 176 & 177 du premier Volume ; Edition de la Haye. 1724.
\
viij DISCOURS PRELIMINAIRE.:
la manière d'élever les Héritiers des Elefteurs i les Nobles s*ap^
pliquent à Tétudc , même du Droit privé ; les Comtes & les
Princes de l'Empire ne dédaignent pas des'cninftruire. Tous les
Gentilshommes qui ne fe deftinent pas uniquement aux Armes ^
fouvent même ceux qui s'y deftinent , paffent plufieurs années
aux Univerfitcs , aux Académies ^ pour y apprendre l'Hiftoire &
lesLoix de leur patrie. Il y a dans toutes les grandes Cours du
Corps Germanique , une Chancellerie d'Etat où les jeunes
Gens font une étude réglée des affaires publiques , fous l'int-
peâion générale du Chancelier ^ & fous la direâion particu^
lierc des Référendaires» Les Allemands ne deviennent enfin
Négociateurs ouMiniftres d'Etat que par dégrés, & qu'après
s'être longtems inftruits de l'Hiftoire, du Droit public, desin^i
tércts des Princes, de la Politique.
Cent Ouvrages fur le Gouvernement font publiés continuel-
lement dans les Provinces-Unies , & ce qui s'imprime dans les
autres Pays, eft toujours exaSement réimprimé dans celui-là#
Un HoUandois partage fes foins entre les intérêts de fon com-
merce & ceux de fa République. Il étudie tout ce qui a rapport
au Gouvernement , & comme il eft fouvent Député à l'Affem-
blée des Etats Généraux , il cfl. cummunément fort inftruit.
La connoiffance des principes du Gouvernement eft en An-
gleterre un objet commun à toutes les Profeflîons : Les Dépu-
rations aux Etats Généraux qu'on appelle dans ce pays-là Par^
Icment , mettçnt les perfonnes de tous les Ordres à portée de
prendre part aux Affaires publiques ; & l'intérêt que les An--
glois ont de pofféder des connoiflances dont ils peuvent faire
un ufagc avantageux à leur patrie ou à leur fortune particu*
liere , leur infpire une grande application pour les acquérir. Ils
veulent obtenir des grâces & joiier un grand rôle dans le Par-
lemenK
DISCOURS TKEIIMINAÎRE. îx.
leraent , en fe rendant néceflaires au parti de la Cour , ou en fc
diftinguant dans celui qui lui eft oppofé^ Il y a un fi grapd
nombre de Pairs dans la Chambre haute ^ la Chambre bafle eft
compofée de tant de Députés ^ ces Repréfentans de la Nation
changent fi fouvent , & le defir de paroître avec éclat dans
Tune ou dans l'autre Chambre, agit fi puiffamment fur le cœur
de chaque Membre du Parlement , qu'il eft comme impoffiblç
que les Anglois rfayent en général une grande connoifîance
des matières de Politique. Si l'Angleterre ne fournit pas à
l'Europe des Ouvrages fyftématiques fur Ip Gouvernement,'
comme font l'Allemagne fie la Hollande ^ elle fe fuâît au moins
^ elle-même. Des Feuilles volantes & d'excellentes Brochures
înftruifent tous les Citoyens des droits & des intérêts de la
Nation 9 non pas feulement toutes les années ^ tous les mois ^
xnais toutes les femaines^ tous les jours.
De grands Rois & des hommes mêmes qui commandoîent à j. ?'«*p^«» ^'*
des Rois ^ n'avoient appris que des Philofpphes politiques la
fcience du Gouvernement , & ils y ont excellé. Caffandre fe
faifoit donner des préceptes politiques par Theophrafte , 8ç Sige*
bert par Foytunat. Pompée , (a) qui avpit paffé fa jeuncffe dans
le tumulte des armes , ignoroit le droit public ; il pria Varron de
Juîencompofer unlivre, & il fe rendit auflî ejccellent homme
d'Etat par l'étude 9 qu'il s'étoit rendu grand Capitaine pat
l'exercice des armes. Charles V. qui a reçu de fon fiécle le fur*
nom illuftre de fage 9 ( & , ce qui eft beaucoup plps con/îdé-
irable , à qui la poftéritç l'a confirmé , ) fe faifoit lire chaque
jour quelque ouvrage fur le Goi^vernement. ( & ) Le Qr^qd
Guftave- Aldophe avoir perpétuellement fous les yeux le Traité
ia) Potnp^e {^autres Che& de la République RotnaInç«
^\jf) Voyez le commcncemçot du Somni^m viridaru^
Tçmh i
\
% DISCOURS PRELIMINAIRE.
du Droit dt la Guerre &• de la Paix de Grotîus. ( a)
Dans le dixième fîécle , PEmpereur Conflantin Porphyro-^
genete fit compofer des Pandedles politiques* ( h ) Cctoit une-
grande compilation où l'on voyoit range fous certains titres co-
que Polybe , Nicolas de Damas ^ Denis d!Halicarnafle , Dio-
dore de Sicile , & d^autres Hiftoriens avoîent écrit fur ce fujet ,.
afin que les hommes d'Etat puiflent s'inflruire facilement. Si une^
compilation de cette étendue n'eût pour objet que d'épargner
aux Princes la peine délire ces Hiftoriens y quel fruit ne pourra-
t-on pas efperer de la fciencc du Gouvernement expliquée erv
entier ?
L'hiftoîre nous repréfentele Conquérant M ogol du dernier
fiécle 9 le fameuXrOrang-Zeb y dans un cercle de fçavans ^ don«
nant à fa Cour ua fpeâacle bien digne d'attirer pendant quek
ques momens les regards. Ce Prince déplore l'éducation qu'on
lui a donnée. Il trouve mauvais qu'on l'ait bornée à des minuties
de grammaire & à une légère connoiflance de l'Indouftan de fe»^
Villes,- de fes Provinces , de fes revenus. Il marque un regret
extrême qu'on lui ait lailfé ignorer les mœurs , les Coutumes 8c
les intérêts des Nations Etrangères , les refforts de la politique 9.
l'art de gouverner les Provinces 9 &les tempérammens de dou^
ceur & de'févérité qu'il y faut garder. Le difcours de ce grand.
Prince Ait diftribué dans tous les vaftes Etats de fa' domina*
lion, (c)
■ Ce fiit par Tordre du feu Roi , que le célèbre Evêque dc'
Meaux fit un Ouvrage fur le Gouvernement, pour l'inftruÛion»
de Monfeigneur le Duc de Bourgogne, (d) & ce Monarque
(a) Lettre de JeràmeBinion à Grotîus y du 5 Mars 16^%.-
Jb) Salinas , ProUg. in Jul,
y/ Voyages dcBemier; Hiftoire générale du Mogol , par Catrou. Paris, lyoy,
[/^PgUtique tirée des paroles deJxcritureSainte, par Bofluet, Paris, 1709. /;^4fV'
i
DISCOURS TRELIMJNAÎRE. -xf
avcSt ordonné qu il en fut compofç fur le même fujet un autre
i^a) d'où là flatterie feroit bannie, La vérité devoit y paroître
dans toute fa pureté, & TOuvrage demeurer fecret pour tout
autre que pour les trois enfans de France qui vivoient alors^
Quel poids la lumière naturelle ne peut-elle pas ajouter à ces Autorité de ta
opinions des Anciens & des Modernes^ à ces ulages des peu*' bur^'u^néceni^
ix iiTi*t d'ëtudier la fcien-
f)ies y a ces exemples des Kois ! ce duGouYcme-
Rien n'eft fi digne d'occuper la raîfon que la fcîence du Gou-
yernement. Cette (dence a pour objet le bonheur public, & elle
eft la plus utile comme la plus noble des fciences humaines. Oa
n'y trouve aucun principe dont on jtfapperçoive l'application;
.& la théorie s'y tourne toujours en pratique. Sans cette fcience .
ies Sujets ignorent des vérités & des principes qu'il leur importe
4e fçavoir ; les Souverains ne peuvent appuyer leur conduite^
ni les Mioiflres leurs Coofeils ^ fur des fondemens folides } &
ces mots de vertu 9 deraifon, d'équité qu'ils prononcent fi foib .
îvent , font des noms vuides de fens dans leur bouche.
Nous y apprendrons une vérité effentielle que les bons Roii
«e perdent jamais de vue* Ceft que les fupériorités n^ont point
leur fin en elles-mêmes ; que les Souverainetés n'ont été établies
.que pour Ta vancage des Sujets ; & que la domination de la vo-
lonté d'yn feul hoiQme fur celle des autres hommes y n'eft jufle que
parce qif elle doit procurer leur bonheur. Ceft des veilles du Sou-
îverain que doit naître le bonheur de plufieurs millions d'hom-
mes confiés à fes foins. L'Agriculture 9 le commerce intérieur
j& extérieur ^ la manutention des Loix qui font le fondement
4'un Etat> la difcipline des Armées où réfide toute fa piii^
iance , le Règlement des Finances qui le foutiennent ^ les né^
(a\ Voyez les pages i86, jij & i88 de la Méthode tenue pour l'Education de
Mefleigneurs les Ducs de Bourgogne, d'Anjou &de Beriy, imprimée à la (uite df
fiQiiYrage énoncé 4an$ la précédante iu>te«
xij î)ISCOVRS PRELIMINAIRE.
goeiations étrangères qui le fortifient , doivent partager tour I
tour Tattention du Prince. Il ne peut fe relâcher fur aucuns de
ces foins , fans fe refufer à la jufticc qu'il doit à fcs Sujets. Il
cft un double lien entre les Maîtres & les Citoyens des Etats ;
Tun de proteâion y unit le Prince à fon Sujet ; l'autre de dé-
pendance , lie le Sujet à fonPrince* Les Rois font la plus vive
image de Dieu fur la terre , ils y montrent fa grandeur y ils j
exercent fon autorité , TEcriture Sainte les appelle des Dieux à) ;
mais ce nom n'eft pas moins pour les Princes une leçon de
juftice , de vigilance , de bonté , que pour les Peuples une le-
çon de refpeâ: , d'obéiflance > d'amour i & c'eft principalement
par la juftice que les Souverains doivent reffembler à Dieu.
C'eft être Dieu à l'homme , que de fecourir l'homme > faire
xegner la juftice , c'eft être la caufe univerfelle du bien y & mé-
riter en quelque forte par reiTemblanceimnom qui appartient
à Dieu par nature*
Quel eft le moyen de remplir de fi grands devoirs l Les
hommes ont dans Tame les principes de toutes les vertus mo-
rales 8c politiques ; mais ces femences demeurent ftériles fi elles
ne font cultivées , Se ce n'eft que par l'étude & par l'expérience
qu'un Prince peut fe rendre capable de régner. On f<gait quels
peuvent êfre les fruits de l'une & de l'autre , & il s'en fauc
bien que l'expérience nous fourniffe les mêmes reftburces que
l'étude. L'intervalle qui fépare le commencement 6c la fin de la
vie. eft fi court y qu'il femble que ces deux extrémités fe tou-
chent ; une expérience de fi peu de jours ne fçauroit fournir
qu'une inftruâion médiocre. L'étude y par un chemin plus facile
€c plus abrégé^ donne des connoiffances plus étendues & plus
parfaites ; on n'eft jamais à portée de tout voir y mais la leâure
{a) Efp dixi : Du efiis 90s, PÉJm. 8i, t, f *
DISCOURS TRELÎMINAIRÊ. xiij
peut tout enfeigner. Quelque long que foit fon règne , un Sou-
verain n a prefque jamais à conduire deux grandes aff^res qui
fe teflcmblent parfaitement. Cefl par la connoiflance des éve-
nemens qui ont précédé , qu'on doit fe précautionner contre
ceux qui peuvent fuivre* Si Ton n'eft d'avancé inftruitdes prin-
cipes , on fait de faufles démarches qu'on n'a pas toujours le
tems de réparer. N'cft^il pas plus fage & plus utile de s'inftruire
par les fautes des autres dans l'étude 6t la fcience du Gouverne-
ment 9 que par celles qu'on feroit foi-^même dans la pratique ^
fi cette étude n'avoit précédé /
Les perfonnes qui fervent les Princes dans leurs afl&ires ^
ne font tant de fautes ^ que parce que n'y ayant ni règle pofî-
tivc 9 ni principes écrits qui ferviroient ou à redreffer leurs
\ûes, ou à leur donner celles qu'ils doivent avoir. De-là vient
qu'on arrive fî tard au but qu'on devroit fe propofer , & que
très-fouvent on le manque. Aucune Société ne fçauroit fubfif-
tcr longtems , qu'avec le fecours d'une régie d'inftitut toujours
préfente à ceux qui la conduifent. Comment l'état j qui ren-«
ferme toutes les Communautés ^ aufli bien que tous lesParticu*
liers I pourroit-il s'en paiïer ? Comment y ceux qui fuccédent
aux places 6c aux emplois ^ feront-ils au fait de ce que lescon-
^onûures changent aux principes qu'ils voyent qu'ont fuivî
leurs prédéceffeurs ? Faute de cette règle permanente , une
bonne idée qui q'a pu s^exécuter j périt avec l'inventeur ; &
une infinité de mauvaifes ^ adoptées par vivacité ^ par igno-*
xance ^ fe perpétuent*
Chique emploi demande une étude particulière ^ tous les
Arts s'apprennent , & les plus faciles y les moindres ont leurs
•principes ^ leur méthode ^ leur tcms d'apprentiffage. Celui de
conduire le genre humain n'aura*c-il pas fes r^les ï Gouvçr^
jâr DISCOURS PRELIMINAIRE.
nera-t-on le monde à Pavanture ? Il efl moralement impoffible
que le Qouvernement exerce fans théorie , foit long-tems heu-
reux. La perfeûion d'un art demeure toujours inconnue à ceux
qui ne fe conduifent que par routine » (a) & une longue ex-
périence qui rfeft pas foutenue par un fond réel de connoif-
fances y n'efl: fouvent qu une longue habitude d'erreur. Il fau;
joindre les exemples des fiécles pafTcs à Fexpérience , la fpé-
culation à la pratique ^ la raifon à Tufage.
Ce. n'eft qu'en exerçant fans ceffe fon intelligence , qu'ont
lui donne de l'étendue. Ce qu'on apprend par Tétude ne fuf-
fît pas y il efl vrai ^ pour former un grand homme d'Etat ^
mais on y acquiert des connoiflances abiblument néceffaires ^
des principes fondamentaux , une théorie qui ouvre l'efprit ,
qui fournit des idées y Se qui contribue par des réflexions à af-
furcr & à étendre les vues de la pratique. Les connoîfFances
fpéculatives & celles de l'ufage s'entr'aident, l'exercice perfec-
tionne ce que la méditation a enfeigné ^ & achevé l'homme
d'Etat que l'étude a commencé*
Si l'on a vu des hommes gouverner avec fiiccès (ans le fe-
cours de l'étude , c'étoient des efprits fupérieurs > & il n'eft
donné qu'à des Génies du premier ordre de tirer tout de leur
propre fonds. Peu de gens peuvent fe flatter d'être nés avec
cette pénétration & cette étendue d*efprit qui fuppléent à Pé-
tude , & quelquefois même à l'expérience» D'ailleurs , ces
hommes extraordinaires ont été bien rares & feroient allés plus
loin y fi une bonne éducation pût augmenté les avantages qu'Us
avoient reçus dç la nature.
vcrfes^lTrrics de ^^ ' 4^'^^ ^^ cToye point que l'étude des diverfes parties
Sic" ffaircaSSiwï de \sL (cicncQ du Gouvernement foit inutile auxSujçtSf Qui pour^
J'ets comme aux
'^^^^ {^a) Cic^. Acad. fuiJI, Ub. 4;
DISCOURS PRPLÎMINAIKE. jcr
f oit penfer que Técude du Droit naturel y laquelle nous dt>nne
écs principes qui s'étendent à tout ^ & qui font de tous les tems
& de tous les lieux ^ foit inutile à des hommes l Tous les partW
culiers font obliges de bien vivre , & doivent par conféquent
connoître le Droit naturel* Qui pourroit penfer que la connoif-
lance du Droit dans fes plus nobles portions ^ foit inutile à des
Citoyens l Nous avons à vivre avec nos Concitoyens , & à
communiquer avec les Etrangers ^ & il importe que nous rfig-
notions pas les régies de ces diverfes Sociétés. Tout le monde
n*efl pas appelle à la conduite des Peuples ; mais puifque les
particuliers & les Sociétés entières vivent fous des régies ^ ils
doivent s'en former des idées aufli nettes & aufli juiles qu'il
efl poflible; La fcierKe d'obéir Ss de commander , prife dans
toute fon étendue ^ ne peut être indifférente à perfonne. Elle
efl , à divers égards y nécefikire à tout le monde ; aux uns y
abfolument^ pour bien gouverner ; aux autres y jufqu à un cer--
tain point ^ pour fe gouverner eux-mêmes y 6c pour obéir aux
Loix fous lefquelles ils vivent.^
Loin de nous ce rafinement de certains Politiques y qui pla-^
cent TefTentiel du Gouvernement dans unmyflére impénétrable
au peuple* Il importe fans doute aux Princes de ne pas mann*
fefler les délibérations du cabinet ^ les entreprifes qui pour-
roient échouer fi elles étoient découvertes , les négociations
fujettes à «re traverfées , les reffources qu'ils fe font ména-
gées pour cenains événemens , l'état de leur^ finances ; mais
ils ne doivent pas vouloir cacher les principes généraux du^
Gouvernement 9 ils ne le veulent point ^ 8c ils le voudroient
- inutilement»
Ce ne font point les lumières dès Sujets que le PrirKe doit
(Craindre ^ c'eilleur igiiorance» Celle de^ Lettres eil touj,ouc»
xvj DISCOURS FRELIMINÂIRE.
fuivie de celle des Loix , comme celle-ci Tefl: de celle des de-J
voirs. Le fçavoir rend tranquille , fournit une douce occupa-
tion , & éclaire fur les fuites de Tindociliré ; mais les gens peu
inftruits^& les gensoifîfs font également dangereux dans un
Etat. Le Gouvernement n'a d'autre objet que de rendre les
peuples heureux ; & il eft fi utile aux hommes 9 que tous les
avantages dont ils jouiffent fur la terre , leur fortune , leur hon^
neur , leur vie en dépendent.
Les Souverains mêmes doivent defirer que les régies du coro-
mandemtent & de Pobéiffance foient connues. Cette connoif^
fatxre difpofe à faire par amour ce que fans elle on ne feroi^
que par contrainte. L'un de ces moyens ell plus fur que Taur
tre, mais réunis 9 ils ne laiffent rien à defirer. Une foumifiioa
éclairée n'en efl: que plus prompte & plus fincere. Quand la
régie efl; bien connue , le Prince règne félon les Loix , le Ma-
giftrat fait un ufage raifonnable de fon pouvoir ^ le Sujet rend
une ôbéifTance dont il connoît & Tucilité & la nécefilté y toutes
les voycs qui nous inftruifent de notre devoir nous le font
aimer , & nous ne fçàurîons étudier les principes de Gouver-
nement 9 fans être convaincus que les Loix font la fource de
la félicité publique , & que chaque Citoyen a intérêt d'obéir
cxaâement au Souverain , foit que le pouvoir fuprême réfîde
dans un feul , foit qu'il réfide dans plufieurs , ou dans tous.
Cette fdence L'étude de la fcience du Gouvernement 9 cette étude fi né-
«{oeiaues Pays ; ccflaire à la Socîété • fi importante « fi fort en honneur en Hol-
^tt"M^«^ lande, en Angleterre , en Allemagne , & dans le Nord, efl:
EcVtft'po'!^ néanmoins abandonnée en quelques lieux : Négligence déplo-
E^'^tfôS "^^^ • S'i^ ^'^ft P^ii^t d'Art plus relevé que celui de gouver-
•»"«»^ ner , il n'en eft point aufli où les erreurs foient d'une fi dan-
gsrçufe conféqHcncet Dans ks autres Ar^ , Pignoraçcc ne peut
DISCOURS PRÊ'LIMIN^IRE. xvîj
iivke qu à peu de gens : Ici , elle porte un préjudice capital à
tous les Citoyens ; & la mifére publique marche à la fuite de»
différentes efpéces de fautes des Princes Se de leurs Miniftres-'
L^homme eft naturellement porté à négliger la connoifTance
des chofes qui Tenvironnent , ou il croit les fçavoîr , ou il
fuppofe qu'il iera toujours à tems de les apprendre. Il réfervc
^n attention pour celles que la diftance des. tems & dès lieux
a mifes hors de fa portée (a). Il néglige ce qui le regarde per»
fonnellement, & s attache à des objets étrangers. Par cette bî*
2are difpofition d'el'prit , on ignore affez fouvent les chofes qu*on
a intérêt de connoître ^ & Ton ne s'applique qu'à acquérir la
connoiflancede celles qu'on pourroit ignorer fans danger. De-là
vient , que peu de perfonnes connoiffent les principes de Gou^p
vernement & les fondemens du repos public ^ qui font la fur
xeté des Princes & le bonheur des Sujets.
On découvre fans peine ^ pourquoi quelques pays font fés-
^onds , & quelques autres ftériles , en fujets propres à manier
les affaires publiques. Ceft fuivant le goût de chaque Nation ^
la forme de chaque Etat , & à proportion de Paftention de
chaque Souverain , que la fcience du Gouvernement efl plus
ou moins cultivée , félon, que la difcipline nationale eft bonne
ou mauvaife, les Nations font bien ou mal élevées,
La négligence à étudier les principes de Gouvernement fc
manifefte furtout dans les Monarchies , qui n'admettent dans
les myftéres d'Etat qu'un petit nombre de pcrfonaes. Les par-
ticuliers y négligent cette étude , dans la penfée qu ils ne par-
viendront jamais aux grands emplois ; & ceux mêmes à qui
une nailTance illuftre & une fortune confidérable font çonce-^
Yoir des efpérances plus relevées , ne font pas exemts de cçtte
^a) Vttera extoUimus , retcntium incuriojî, T^QiU Annal. LIb» i^ •
Tpmçff c
xvîij DISCOURS PRELIMINAIRE.
négligence , parce qu'ils doutent fi leur ambition fera jamais
fatisfaite. Les Miniflres ^ que d- heurcufes circonflances ont mis
jcn place ^ font plus occupés des ufages reçus ^ qu'attentifs à
connoître la régie. Les Princes mêmes ne font pas toujours
allez de réflexions j ni fur les principes qui fondent le fage
iîouvernement , ni fur les conféquences qui en réfultent.
Louis le jufte & Louis le Grand ont établi des Académies célè-
bres , leurs Règnes ont été fertiles en grands hommes dans pref-
que tous les genres , & le dernier fiécle a été le ficelé des Arts &
des Sciences ; mille produdlions de Tefprit humain ont illuftré
la France , & par une heureufe influence , inftruit toute TEu-
xope. Le lîoifoutîentles anciens établiflemens & en fait de nou-
veaux ; mais , fous aucun de ces trois grands Monarques , per-
fonne n'a perfcvSlionné la fcience du Gouvernement ! perfonne
n'a traite d'aucune des parties de cette Science , avec quelque
forte d'ordre , & dans une jufte étendue.
Qu'il eft peu d'hommes parmi nous qui s'inftruifent des Loix
& des intérêts de leur pays y des mœurs' & des maximes des
autres peuples ! Les François femblent réferver leur eftime pour
les honneurs qui s'acquièrent par la profeflion des armes ; & ^
comme fi la valeur éroit la feule vertu néceflTaire à la guerre ,
ils négligent encore en ce point , cette étude du Cabinet qui
feule prépare des grands hommes aux Nations. L'art de la
guerre eft malheureufement regardé par beaucoup d'Officiers
François , comme un art méchanique , où les yeux du corps ^
l'exercice , & la pratique fuflSfent , & où le génie fupérieur ,
Tefprit pénétrant & cultivé , & l'habitude de penfer femblent
inutiles. Auffi , qu'il me foit permis de le dire , cette Monar-
chie a-t-elle peu d'Officiers généraux en qui les qualités ac-
quifes éclatent .au même dégrc que les talens naturels» Dieu
DISCOURS PRFLIMINJIRE. xi|c
veuille que trois bons Ouvrages (a) qu'on a publiés ^ il n'y a
pas longtems , contribuent à déprendre nos Guerriers de cette
erreur. Ciceron rapporte que Lucullus , ayant employé tout
le tems du trajet de Rome en Afie , à lire les avions des grands
Capitaines , & à interroger les gens du métier , arriva dans
ce pays-là Général tout formé, quoiqu'il fût parti de Rome fans
aucune expérience militaire. Le Marquis Spinola , fi célèbre
dans les guerres des Pays-Bas , le plus grand Général de fpn
fiécle après le Prince Maurice de NafTau , fçut faire la guerre ^
donner des Batailles , prendre des Villes , conduire des Ar-
JDées , avant que d'avoir fervi.
Les Sujets du Roi font réduits à la facheufe alternative , Ou
d'ignorer tout ce qui a rapport au Gouvernement, ou de n'en
être inftruits qu'imparfaitement par les Auteurs étrangers. Il
n'y a dans cette Monarchie ni Académie de Politique , (b) nî
.Cabinet d'Etat (c) , ni chaire de Droit public , ni Profeffeurs
de Droit des Gens, ni régie certaine , pour élever de bons Su-
jets dans les connoifTances que demandent les emplois du Gou-
vernement. Le principe d'une inftruSion univerfelle , par rap-
port au Gouvernement a£lif & palïif, manque à ce Royaume^
& un parallèle , aifé à faire entre nos ufages & ceux de quel-
ques autres Peuples , nous montreroit avec évidence , pour-
quoi nous fommes communément moins inftruits à cet égard
que nos voifins.
(a) Les Mémoires de Feuquîeres ; les Commentaires fur Polybe, par Folard ; 1 Art
-de la Guerre par règles 6c principes j par Puyfegur.
{b) Henri VIII , Roi d'Angleterre , avoit établi dans fes Etats , & le feu Roi dans
les fiens , une Académie de jeunes gens qu^ils ^dfoient inftruire , & qu'ils deftinoiènt
aux Négociations. -^
( c ) On ne peut lire dans les Mémoires de Sully , ( pag. 89 jufqu'à 103 du 3* vol. ) le
projet d'un Cabinet d'Ëtat fait entre Henri IV & fon Miniftre , fans regretter que ce
, Cabinet n'ait pas été formé. Il eût été utile au Roi, aux Miniftres , à tous les Citoyens j^
pourvu qu'on n'y eût pa$ fait entrer les idées Lacedémoniennes du Duc de Sully.
XX DISCOURS PRELIMINAIRE.
Ccrfeft pas d^aujourd'huî qu*on fc plaint que nous ncgligeons
cette étude* Un de nos anciens Auteurs a remarqué que les
François ne confervoient pas avec Texaftitude qu'on avoit dans
les autres pays , les a£lcs de la paix , de la guerre , des négo-
ciations ; & que moins informés de leurs affaires qu aucun au-
tre Peuple , ils croient comme étrangers dans leur propre
pays (a). Un autre Ecrivain nous apprend que de fon tems 9
les Ambaffadeurs des autres Nations ctoient beaucoup mieux
înftruits que ceux de France ^6). Il y a près de deux ficelés
que le premier de ces reproches nous a été fait , nous n'y avons
remédié qu'en partie (c) ; & s'il faot dire la vérité , à ne par-
ler qu en général > le fécond fubfifte dans toute fon étendue*
Nos François font naturellement ingénieux , mais quelle
funefle alliance que celle de l'ignorance & de Tefprit ! Nous
n'avons point d'autre principe que la mode , elle décide de nos
études comme de nos ajuftemens, & la mode n'eft pas de travail-
ler à fe rendre utile à la Monarchie , en étudiant fes intérêts &
nous mettant en état de lervir à fes befoins. Les jeunes gens
qui, dans le cours de leurs premières études , tcms fi précieux
& ordinairement fi mal employé , ne voyent rien qui ait rap-
port à la fcience du Gouvernement , ne s'avifcnt point de s'y
appliquer , lorfqu'ils font livrés à toutes les partions , à tous
les emportemens de Vâge. Cette négligence influe fur la conduite
du refle de la vie de cette Jeunefle peu înflruite ; & c'eft de-là
que vient l'ignorance qui , en même tems qu'elle rend inca-
pable de remplir les emplois publics ^ femble augmenter le de-
fir ambitieux de les pofiféder.
(aS Budé , dans fes Notes fur les Pandeftes , p. 89.
\b\ Villiers-Hotman , dans TEpitre qui ed à b tête du Livre intitulé : De la charge &
Jignité de tAmhaJjadeur. Il" édition ^ Paris , 1604. in-i%.
(tf) Les papiers qui regardent les négociations Etrangères font confervés à préfent
4asis un appartemem au Palais des Tuileries \ nuds à rioftruâioo de q^iferyent-ils i
DISCOURS PRELIMINAIRE. xxj '
En voilà affurément plus qu'il ne faut , pour prouver qu'il faiîiV^crcette
cft indifpenfable que les Princes foient inftruits des principes Sc^rfirêmbîer &
de Gouvernement , & qu ils connoiffent tous les décails de i/s ?onnoifl^ncc$
k , 11 •! r ' nëceOaires pour
Science pour laquelle ils iont nés. gouverner.
Un Traité complet de Gouvernement , a été , en divers
tems & en différens pays , Tobjet des vœux des trois fçavans ^
Jurifconfultes (a) , dont le dernier fut plus habile que ne Tont
été la plupart des Légiflateurs. Mais comment rafTembler tous
les matériaux qui doivent former cet Ouvrage ! Où trouver
toutes les connoiffances , pour donner une inflrudion fi utile
fi néceflaire 9 fi indifpenfable ! Pour inftruire toutes les per-
fonnes qui pourront dans ,1a fuite être employées dans les di-
verfes parties de Tadminiflration publique ! Pour éclairer les
peuples !
Sera-ce dans Tantiquité ? Peu de régies anciennes de Gou-
vernement font venues jufqu à nous , foit qu elles rfayent pas
été écrites dans tous les Etats , foit que , plus occupés du pré-
fent que de Ta venir y les Sçavans ayent négligé de les tranf-
mettre à la poftérité y foit enfin qu'elles n'ayent pu échapper
aux outrages du tems y ou que les ravages des guerres nous
les ayent enlevées. Dans quelques fragmens que les Grecs nous
ont confervés des Loix des Orientaux , tout marque Tigno-
rance & la grofliéreté qui accompagnent toujours ks premiers
âges des Nations. Nous n'avons prefque rien des Grecs eux-
mêmes, quoique ce Peuple s'appliquât beaucoup à la fcience
du Gouvernement. Les Romains , ces hommes fi habiles , ne
nous ont laifie à cet égard aucun précepte.. Leurs Succeffeurs
{a) Louis le Roy , dont je fais menfion dans mon Examen ; Vincent Cabota à qui j^ai
au{E donné un article ; 8c Hugues Grotius. Voyez le Difcours préliminaire qui eft à b|
^te du Traité Dt Jure htlU & pacis^
xxîj DISCOURS TRELIMINAIRE:
n'ont pas eu plus d'attention à faire pafler jufqu à nous des ré-
gies que nous puffions confulter. Si quelques-unes des Loîx de
ces Nations célèbres , fi quelques-unes de leurs régies y fi quel-
ques-uns de leurs préceptes pour le Gouvernement , ont fran-
chi la barrière de tant de fiécles 9 ils ne nous ont été confer-
vés que dans un état d'imperfeâion qui nous les rend prefque
inutiles. Aufli éloignés des mœurs des anciens que de leurs
fiécles 9 nous chercherions envain dans leurs Ouvrages toutes
les régies de Gouvernement qui nous font néceffaires*
Sera-ce dans les Auteurs modernes qu'il faudra les chercher ?
Nous avons des avantages qui manquoient à nos pères. Les
Sociétés ont pris une forme fiable , & les droits des hommes
font par conféquent mieux connus ^ & plus aifés à diflinguer.
Le monde efl: plus âgé, & c'eft le tems qui perfe£lionne les
Sciences. Nous fommes inftruits par les découvertes de ceux
qui* font venus avant nous ; & les premiers Inventeurs nous ai-
dent eux-mêmes à les furpaffer. La fcience du Gouvernement
n'a pas fait cependant tout le progrès que tant d'avantages
fembloient nous promettre. Elle n'eft pas au point de perfec-
tion où le genre humain a intérêt qu'elle foit portée. Les con-
noifTances néceffaires pour régir les Etats font difperfées 9 au-
cun Ecrivain n'a pris foin de les raffembler , aucun même n'a
indiqué les fources où l'on peut les puifer. Il y a des Auteurs
qui ne font pas une diftindlion nécefTaire entre la Politique &
les Négociations ; il y en a qui ne difl:inguent pas non plus
^ntre le Droit & la Politique ; il en eft enfin qui parlent fur
^le même ton , de la Politique ^ de la Science du Gouverne-
ment. Tous prefque confondent la caufe & l'effet , l'efpèce &
le genre 9 les efpèces entr'elles. Les Ecrivains des Souveraine-
tés qui partagent aujourd'hui l'Europe , rfont d'aUlewrs eu poyr
TUSCOURS PRELIMINAIRE, xxîîj
objet que le bien des Etats où ils vivoîent j leurs Ouvrages fc
rapportent au Droit reçu , aux Coutumes établies , à la Religion
profeflee dans leur pays ; aucun n'a expliqué la fcience du Gou- ^
vernement avec méthode , & rfa montré le tout avec fes par-
ties. On peut traiter ce grand fujet avec plus de préçifion qu'ils
n'ont fait , & ainfi le mettre dans un plus grand jour , en
mcroe tems qu'on lui donnera plus d'étendue^ Ce feroit affu*
rément fe tromper , que de penfcr qu'un homme d'Etat puiffc
trouver dans les Auteurs modernes toutes les lumières dont il
a befoin»
Sera-^e dans la lefture affidue des anciens & des modernes f
mêlés 8c confondus ^ qu'on trouvera ces lumières ? Oui ^ fans
doute , en reûifiant les anciens , & en perfectionnant les mo-
dernes.
Il ell néceffaire de raffembler dans le même Livre toute la
Doctrine du Gouvernement , de réunir fous un même point de
vue , les connoifTances éparfes ^ de les mettre au degré de per-
feûion où elles peuvent être portées , & d'en faire un corps
de Science unique & entier dans toutes fes parties « pour le comment le
1 11 n P''®)*^ ^® réduire
bonheur des Peuples fie pour la gloire des Souverains qui en cft toutes les matie-
* * ^ -*■ res de Gouverne-
inféparable. ™«n* «" "" ^^^
* corps de fcience »
Ce Livre ne doit être borné ni au Gouvernement d'une Pro-*^^«*^^^^»
vince , ni à celui d'un Royaume , ni à celui d'une partie du
monde. Il doit embrafTer le Gouvernement de toute la terre
policée , & intéreffer tous les pays.
Pour rendre cet Ouvrage digne de Peflîme & de l'amour
des hommes , l'Auteur libre dans fes jugemens & affranchi de
toute prévention de lieu & de naîffance , doit écrire non pas
en homme uniquement zélé pour la gloire de fon Roi & pour
l'avantage de fa patrie ^ mais en homme qui écrit pour tous les
xxîv DISCOURS PRE'LIMINAIRE;
hommes ^ en Habicans du monde qui cherche la vérité & qui
aîme fes femblables 9 fous quelque climat qu'ils vivent , quel-
que Religion qu'ils profeffent , & par quelque conftitution
d'Etat qu'ils foient gouvernés. Le feul lieu où il lui foit per-
mis de paroître Catholique , c'efl dans le Traité du Droit Ec-
défiaftique qui doit néceffairement entrer dans la compofition
de la Science du Gouvernement pour la rendre complette.
J'ai ofé travailler fur ce plan à réduire toutes les matières de
Gouvernement en un feul corps de Science , & fans doute qu'en
cela j'ai plus confulté mon zélé que mes forces. Pendant pi es
de quarante ans ^ je me fuis continuellement occupé du foin de
le compofer , & ce n'eft point trop de tems pour Icxécution
d'un Ouvrage d'une fi grande étendue. Heureux , fi j'ai pu
élever^un édifice qui foit de quelque utilité & qui foit jugé digngt
d^une main plus habile {
tA
oo©oo©o©o©oooo
LA SCIENCE
D U
GOUVERNEMENT.
IDÉE GÉNÉRALE
DE LA SCIENCE *
DU GOUVERNEMENT.
UcuNB Société ne peut fubfifler fans un ordre i.ccquec-dè
^ * que le Gouverne?
cenain. S'il n'y en avoir point dans les fociétés "^"'^
civiles , les droits ne feroient point diflingués ,
les prétentions demeureroient indécifes , leurs
pofleffcurs feroient expolés aux infultes impunies du plus
fort , tout feroit dansla confufîon. Le Gouvernement éta-
blit Tordre Se le conferve dans les focictés civiles.
Tout Gouvernement a pour objet de mettre ceux qui luî
font foumis dans la néceflîté de remplir, les uns envers les
autres , leurs engagemens naturels ou contractés. La fin
du Gouvernement eft l'avantage de ceux quifont gouvernés ,
& le bonheur des fujets* Le falut du peuple eft la loi fu*
prcme de chaque Etat {a).
Nous fommcs nés pour vivre en focîété , & nous y fom- «.tcsiKmmief
/ 1 t . . r X !• étoiem néj pour
mes portes par le penchant qui umt un lexe a 1 autre , & par ^«^re en fodété ,
tous nos bcfoins. Les autres animaux , deftinés à une vie
(a) Salus populifuprma Ux ejlo, Qceu de Legib. L 3^n.8,
Tome l A
i SCIENCE
errante 6c foUtaîre , naiflent avec des armes propres à leuf
dcfenfe ; mais Thomme , dénué de tout quand il vient au
monde , ne peut fc pafler de fecours étrangers. La qualité
de fociable ne lui ell pas moins eflentielle que celle de rai-
fonnable ; & c'eft pour remplir ce devoir, qui convient pro-
prement & particulièrement à Tefpece humaine, que Fhom-
me a reçu Tufnge de la parole* Il n'y auroit point de fo-
ciété entre les hommes , s'ils ne pouvoient fe donner , les
uns aux autres , des fignes fenfibles de ce qu'ils penfent &
de ce qu'ils veulent ; & il n'y a rien , ni dans l'homme , nî
hors de l'homme , qui ne marque fa deftination à la fociété.
. Dans l'homme: Le Créateur, par une union inexpliqua-
ble de l'efprit & de la matière , nous a formés pour faire , de
notre corps uni à l'ame , Tindrument de deux ufages effen-
tîels à la fociété humaine : l'un , de lier les efprits & les
cœurs des hommes entr'eux : l'autre d'appliquer leurs corps
aux différens travaux que Dieu a rendus néceflaires pour
leurs befoins mutuels.
Hors de l'homme : Mille & mille objets utiles Se agréa-*
blés , toutes les choies que la terre produit , ^toutes celles
que la mer renferme dans fon fein , font à notre commun
ùfage , mais de telle forte , que prefque rien ne peut fervir à
un feul que par les travaux réunis de plufieurs.
Aucun homme ne peut fe rendre heureux indépendam»
ment des autres hommes , il ne peut fe procurer fon bon-
heur qu'en contribuant au leur. Le travail d'un feul eft utile
à plufieurs , & il n'y a perfonne qui n'ait befoin de tous.
L'impuiffance où eft chaque homme de fe fuffire à lui-même ,
rend la fociété abfolument néccffaire ; & lefprit de fociété
forme , pour l'agriculture & le commerce , pour les fciences
•DU GOUVERNEMENT. 3
& les arts y toutes les liaifons qu'exigent nos différens be*
foins» Ce n'efl pas fimplement le bonheur de quelques par-
ticuliers que la Providence s'eft propolc , c'efl celui de tous
les hommes : tout ce qui efl: néceflaire pour maintenir la fo-
ciétc efl: dans Tordre de Dieu : Dieu nous le fait connoî-
tre , en quelque forte , par ce penchant naturel , où la réfle-
xion n'a aucune part ^ & qui porte chaque partie de notre
corps à la confervation de fon tout,
C eft de cette defl;ination des hommes ^à vivre enfemble,
que font venues les premières fociétés humaines. Nous naif-
fons tous liés les uns aux autres , & ces fociétés primitives
qu'il y a eu fur la terre entre les maris & les femmes , les
pères & les enfans ^ fc font formées tout naturellement. On
ctoit enfemble , on y eft demeuré ; on s'eft abandonné au
penchant invincible d'un fexe pour l'autre, les fociétés qu'on
appelle civiles , ont fuivi de près les fociétés humaines :
mais celles-là ont été Touvrage du tems , des circonftances
Bc de la réflexion.
La nature qui comprend tous les hommes fous une même 3. Formado*
■ * *• des fociétés civi-
cfpece , ne met point de différence entre eux lorfqu'elle leur ic$ , variété pro-
* "^ * * digieufe de con-
donne l'être ; la Providence, qui la conduit dans l'ordre de di"ons,&com-
^ ' ^ municauon de
fes produâions , ne contraint point fes mouvemcns ; Se de- «5f|>"^^^scniic
puis lanaiffance du monde elle a fuivi une même route. Nous
naiflbns libres & égaux ; mais depuis la multiplication dv
genre humain , l'ambition & la crainte, ont donné des maî-
tres aux hommes. Les befoins mutuels , les paflîons , & h
foibleflc de nos fens qui ne peuvent s'accorder dans un même
point , ont formé fur la terre des fociétés civiles & une pro-
digieufe diverfité de conditions , des compagnies fubordon-
nées à ces corps politiques , la communication même de ces
fociétés civiles entre elles» A ij ^
4 SCIENCE
Pour étendre la liberté publique , nous avons reflérré la
particulière ; $c afin de n'être pas efclavcs de nos ennemis ^
nous avons été contraints de recevoir des maîtres. Les Roisf
dans leur inftitution font les Juges & les défenfeurs du peu-
ple. Juger les fujets (a) entre eux, & les défendre contre les
étrangers , voilà les fondlîons du Souverain. Pour former
ces corps politiques que nous appelions Efats , il a fallu que
chaque membre fut foumis à la domination du corps , & que
la volonté d'un leul être , phyfîque ou moral , fit la règle de
tous les citoyens. DeJà les Monarchies , les Ariftocraties j
les Démocraties. On a confié aux Princes ou à des Magiftrats
la fuprême puifTance ou Texercice de la fuprcme puiffance^
afin qu'ils en fiffent un ufage utile aux hommes qui , pour
l'avantage commun , renonçoient en quelque forte à une
partie de leur liberté & à l'égalité où la nature les fait naître..
Dans ces fociétés civiles , chacun embraffe une condition-
félon que l'inclination l'y porte , que le hazard l'y conduit ^
ou que la néceffité l'y contraint. L'un eft Eccléfiaftique ,
l'autre Laïque ; Pun prend le parti des armes , l'autre celui
de b robe ; quelques-uns fe vouent aux fciences, quelques-
autres aux arts ; celui-ci eft marchand ^ un autre artifan ; les-
uns font fupérieurs f d'autres inférieurs ; l'un eft maître y
l'autre ferviteur ; l'un eft deftiné à commander ^ l'autre à
obéir*
Dans le feîn même de ces fbcictcs , quelques perfonnes-
compofent des corps particuliers au milieu du corps général
de la fociété commune.. Il eft des Compagnies Eccléfiafti-
ques^il en eft de Religieufcs , ileneftdejudicature,ilen eft::
de Finance , il en dl de Commerce , il en eft de cent efpe-
(a) Selon rEcxiturc > Hoxnese ; Hérodote &tou» les Hiftgri^ns*.
\
^ DU GOUVERNEMENT. 5
ces différentes , & elles dépendent toutes des Etats où ellcg
font formées*
Enfin, les fodétés civiles ortt établi entre çllês une com-
munication univerfelle , afin que chaque nation échangeât
les produûions de fon pays , avec les biens dont elle man-
que & que la nature a accordés à d*autres climats. La Pro-
• Vidence femble en effet n'avoir diverfîfié les fruits des diffé-
i*ens pays , les talens & leâ inclinations des peuples qui les
habitent , qu'afin de mettre parmi les nations cette même
dépendance réciproque qu'elle a pris foin d'établir entre les
particuliers.
Les Familles , les Villes , les États , & la République uni-
verfelle du monde , font ^mme quatre cercles de différentes
grandeurs renfermés l'un dans l'autre*
Ce principe înconteftable « que les hommes font dcftinés 4- n«'« ^«t-
àlafocicté , nous découvre rofîffînede nos devoirs mutuels. ^"i«w«& àe
^ - o nous rendre des
Dès-là que l'homme efl né pour vivre en fociété , & que la ^^^"* '^"^'^
Providence l'y attache par le double lien deTamour & du
befoîn ^ il efl né pour y vivre d*une manière équitable ; car
on ne peut fuppofer de lociété où il n'y û point de juflïce.
Liés par une nécelfité commune de foins , les hommes fen-
tent le befoin qu'ils ont de fe fecourir réciproquement , & ils *
en tirent cette cortfequertce : quils doivent fe rendre des
offices mutuels & agir avec feurs fembïables auffi équirable-r
ment qu'ils veulent que leurs fembïables agiffent avec eux.
Cette maxime du droit naturel , que les Loix pofitives ap-
puyent de toute leur autorité ^ efl la règle de tous les devoirs
& la bafe de l'union & de la paix de toutes lesfociétés.
Nous fommes tous membres d'une focicté qui nous donne "<^«5r TcK'qlî^
les mêmes droits & nous impofe les mêmes obligations^ Il ^°'i^* ^ ^» 2!*
<j SCIENCE
n'efl point de citoyen qui n'ait des engagemens à remplir ,
& dans les fondions publiques & dans les affaires particu-
lieras ; dans ce qu il ne fait , pour ainfi dire , qu avec lui-
mcme , & dont il ne doit rendre compte à perfonne , auflî-
bien ^quc dans ce qu'il fait avec les autres , & dont il efl
comptable à la fociété. Si la Religion autorife des Commu*
Hautes de Solitaires , elle ne les difpenfe ni de la loi de la
juftice ni de celle de la charité , & elle leur laiflc par -là un
rapport eflentiel avec le prochain. Tous les hommes en par*
ticulier, tous les corps en général font foumis à des devoirs.
Les fociétcs civiles (c'efl une vérité qu'on ne fçauroit trop
répéter ) n'ont pu être formées que pour l'avantage des hom-
mes, afin qu'ils fuffent gouvernés équitablement , & que les
foins des Conducteurs de l'Etat f n fiflent le bonheur ; 8c
comme tous participent à fes avantages , tous auffi doivent
contribuer à fes charges , tous doivent contribuer au bon-
heur public.
La confervation & le bonheur de chaque particulier dé-
pend néceffairemcnt de la confervation & du bonheur de
tous en général. L'intérêt perfonnel fe trouve dans l'intérêt
commun : fi l'Etat impofe des obligations aux hommes , il
leur donne en même tems des droits & des fecours mille fois
plus utiles que leurs devoirs ne leur font onéreux. Dépen-
dans les uns des autres par leur foiblefle & leurs befoins ,
oppofés en même tems par leurs defirs & par leurs paffions ,
que deviendroient'-ils fans l'équilibre que la Patrie main-
tient perpétuellement entre leurs différens intérêts , en les
foumettant conftamment au bien général ? De cette harmo-
nie établie entre tous les hommes réfultent la confervation ^
la fureté & la félicite de chaque homme en particulier^
DU GOUVERNEMENT, 7
Tous les devoirs dépendent d'un même principe : c'eft la 6. Lcsdiffércns
é rt n 1 r 1 r \ --i/j devoirs icndem à
lufticc qui en eu la lource & le fondement : mais ils le di- la même fin, &
' * font réunis par le
verfifient en autant de manières qu'il y a de divcrfes rcla- Se^a^^Pî^i^^^^^'^jç
rions entre les hommes. Il eft des devoirs généraux , dont 5^°*" ^^ ^**"*
on eft tenu envers tous les hommes , &c dont Tobfervation
cft perpétuelle. Il en eft de particuliers , dont on n'eft tenu
qu envers certaines perlonnes , & qui varient avec les cir-
conftanccs dont ils naiflent*
Le refpcft pour Tordre rend ces devoirs également invio-»
îables y & nous fommes plus ou moins criminels en les négli-
geant , félon que nous nous éloignons plus ou moins de Tor-
dre. Les devoirs de la Religion , de la morale & de la po-»
litique tendent à la même fin , fe foutiennent & fe fortifient
mutuellement. Toutes les vertus humaines , chrétiennes 8c
ttviles , ne font que des conféquences de Tamour de Tordre*
Loi univerfclle & éternelle de tous les êtres intelligens ^
règle fondamentale du Droit , fource de la vraie politique ,
attaché à tous les objets , Tordre fe manifefte de toutes
parts. Les Souverains & les fujets y lifent également leurs
devoirs marqués par des carafteres intelligibles à tous les
hommes : tous peuvent trouver également leur bonheur dans
la pratique des devoirs que Tordre leur prefcrit. Qu eft - ce
que le bon citoyen ? Thomme dans Tordre : celui qui rem-
plit les devoirs de fon état* Ceft le Laboureur induftrieux
& vigilant ; TArtifan laborieux & défîntérefle ; le Marchand
a£lif & fidèle ; le Solitaire recueilli ôc tranquille j Thomme
de Lettres cultivant la raifon , s'appliquant à en infpirer Ta-
mour , cherchant à en faire valoir les droits , éclairant les
autres hommes ; TOflScier brave & intelligent ; le Magiftrac
inftruit & équitable j IcMiniftre éclairé & animé par Tamour
«qui
8 SCIENCE
du bien publîc ; c'eft le Souverain jufle , tendre ^ & gouver-
nant fagement fes peuples.
.lîon^Jo^o^ Nos devoirs doivent être reconnus à des marques certaî-
iu liVTeabuï nés : or toutes les Loix ont pour objet de conferver ou de
hommcr,""con! rétablir Tordre parmi les hommes , elles font faites pour les
tiennent les re- i i ta i i
jicsde notre con- gouvcmer , & nous y trouvons des règles lures de conduite.
^Jj^^'*^^^'- Dans quelque fituation que nous foyons , il eft des Loix qui
nous indiquent clairement ce que nous devons faire & ce
que nous devons éviter^
Les unes font nommées divines , parce qu'elles ont Dieu
même pour Auteur ; les autres humaines , parce que ce font
les hommes qui les ont faites^
Les Loix divines fe fubdivifçnt en révélées & en non-ré-
vélées. Mon fujet ne m'engage pas à traiter dçs Loix révé-
lées , parce qu'elles n'ont rapport qu à la Religion ; mais je
traiterai des Loix naturelles qui fe confondent avec les Loix
divines non-révélées ^ attendu que la raifon qui nous les en-
feigne eft une émanation de la divinitét
Pour la fciencedu commandement & dé Tobéiflancè nous^
avons deux fortes de Loix , les naturelles & les pofitives.
Les Loix naturelles exiftent indépendamment de tout éta-
bliffement humain. Ce font des Loix morales qui comman-
dent des chofes louables , & qui en défendent d autres mau-
vaifes par elles-mcmes. Ces Loix font invariables & perpé-
tuelles , & elles font appçllces naturelles , parce qu'elles
peuvent être connues par la Ipmiçre feule de la raifon.
Les Loix pofitives font celles qui n exifteroient point fi
on ne les avoit faites , & qui ont leur origine dans la vo-^
lonté dei Légiflateurs , lefquels les ont accommodées awç
befoins des foçiçtés particulicreSt
L'Orateur
DU GOUVERNEMENT. p
L'Orateur Romain , dont refont éroit auffi grand que TEm- k ce (^c ;«
pire où il ctoit ne , & qui! gouverna, fut pçrluade dans.tous de wpbuoiopww
les tems de fa vie , & il nous Ta appris lui-même (^) , que
c'cfl dans la philofophic comme dans une école de fagefle ^
de vertu & de juftice, qu il cft aéceffairc d'apprendre à gou-
verner les Etats , auffi-bien qu'à fe gouverner for- même^
Cell la philofophic qui a infpiré Famoutdeis vertus^ Idhaïne
des vices , qui a lié les^ hommes , produit lés mariages , in*-'
venté les Loix , adouci Içs mœurs (b). Les Philofophes lesr
plus célèbres ont regirdé la fcience du. Gouvernement com^-
me la principale branche de la philofophic (^).
Marc- Antonin , Tua des plus éclairés & des meiHéurs Em*
pereurs Romains , & dont le nom feuleft un éloge ,-avoit tou-^
jours dans la bouche le mot de Platon (d) , tout Monarque
abfolu qu'il éroit y Que les peuples ne peuvent être heureux Ji
les Philofophes ne font Rois ^ au files Rois ne font Fhilofophesm
Ce n*eft pas que ce Prince ait prétehdiiiquc la philôfaphie où/
Fonr difpute des principcs^ de la jhaticre. prepiierc:^ de k ha--
cure des élémens,' dû mouvement ou de Tinfini j? doive faire'
Tctude des Souverains ; it n'a entendu» parler que de la phi-
lofophic qui traite du jufle , du commode & de Tutile , & •
qui dégageant Tefprit de Thomme des faufles opinions 'diTT
vulgaire , &c de toutes affçaigns populaires, enfeignciâux
Souverains Tart de bien goijyerner, à l'exemple 6c fur le-
modèle de la divinité.
Apres avoir défini les Loix , il refte quelques défiiiitions
à donner des chofesqui tiennent aux LoiXt
(a) Off, lib. 2, cap. ;. lib. 14. cjp./^
ib) TuJcuLqueJi,.lib.y- * •
(c) Cumtertia pars PhUofophU prdcepta quareret y nonfohm aàprïvjtd vitét
TOîionem , jed etiam ad rerufn puH-carum reâionm rç^ucu^ C/ct. definibuf. lib. 5.
U)DeRepubLlib.i,
iome l. B
lo SCIENCE
i. ccq^çc^cft Le Droit eft le principe du jufte & de Tinjude : il eft une
Si'^'rif^'noî! Loi , une conftitutiôn , une règle prefcrite à des gens libres,
sc'dkéTe^c d^ c'eft-à-dire capables de connoître la règle ^obligés de s'y con-
former , & dilpoles de telle manière que , comme ils peuvent
ne la pas fuivre aûuellement , ils peuvent auflî la fuivre, &
la fuivent toutes les fois qu'ils agiflent félon la raifon.
Le Droit public de chaque peuple eft ou écrit, ou non
écrit. Le Droit écrit eft celui que les nations , ou les Souve-
rains qui les gouvernent , ont fait écrire & publier. Le Droit
civil non écrit réfulte des ufages qui fe font inlenfiblement
introduits , & qui ont acquis force de Loi par la volonté
des peuples , & par le confcntement , au moins préfumé ,
des Souverains. La République d'Athènes mettoit toutes
fes Loix en écrit , &: créoit fes Magiftrats pour la garde de
fes Ordonnances , comme pour celle de fes tréfors j mais
la République de Lacédémone ne confervoît les fiennes que
dans la mémoire de fes Citoyens. Rome imita & Athènes
& Lacédémone , elle eut des Loix écrites , elle en eut qui
ne letoient pas..
L'écriture n'eft pas de reffcnce des Loîx. Un long ufage
imite la Loi , & en a la force ( ^ ) > & quoique la Loi femble plus
puiffante que la Coutume y fa difpofition n'eft pas néanmoins
fi auftcre. La Loi plie quelquefcis , & fléchit dans les cas que
le Légîflateur n'a pas clairement expliqués , & ou l'équité
feroit bleflee ; aulieu que la Coutume , qui paroît inférieure
à. la Loi , doit toujours être & eft toujours prife dans toute
fa rigueur. Sa Jurifdiûion s'étend fur tout droit pofitif ; elle
(a) Eaqud longi confuetuâine compTobatafunt ^ac per annos plurimos objervatat
veluti tacita civium conventio f non minus quam ea qu£ fcripca funt 9 jura fer^
vantur. l 3s. ff. de legibus. Diuturni mores , confenfu utentium comprobati > Legeok
kmtonxur, Infiiu de jure nat.genu &• nV. n. j..
DU GOUVERNEMENT. u
altère les Loix , y déroge , & fouvenc les détruit. Cepen-
dant les Coutumes , jufqu'à ce qu'elles ayent été écrites ,
font toujours incertaines ; mais lorfqu'elles ont été rédigées
par écrit , elles ont cet avantage fur la Loi , qu'étant effen-
tiellement fondées fur l'engagement unanime des peuples ,
elles font libres dans leur origine y & tirçnt leur force d'une
pratique volontaire. Elles font l'ouvrage delà nation , & les
derniers defcendans de ceux qui les ont introduites ne fe
croyent pas mpîns intérelTés à les maintenir , que Tétoienc
leurs premiers Auteurs ; car la nation tient à tous les tems ^
& le peuple d'aujourd'hui eft moralement le même que celui
d'autrefois. Il n'en eft pas aiofi de la Loi , çUe émane de la
pleine puiflance du Prince , & elle emporte toujours quel-
que cjiofe d^odieux , parce qu'elle reftraînt la libené , de
manière qu'elle fuît ordinairement Iç fort de I9 Puiflance
d'où elle émane , plus ou moins religîeufem.ent obfervée ^
félon Je dégrç de refpe^ qu'on pprtp à cettp Puiflance > &
quelquefois abrogée par le non ufage (ii ) , ïorfque le vœu
commun s'écarte des vues du Légiflateur , dépofitaîre dç la
Puiflance Souveraine. Comme la Coutume acquiert force d«
Loi , par l'approbation formelle oju tacite du Légiflateur , la
Loi elle-même perd fa force par un long ufage contraire^
toléré par le Légiflateur. •
La juftice (pour la définir comme îa définîflbîent les w.cciiuecvft
JRomains ) eft une volonté ferme 8ç cpnftantç de ren- '***''*^*^"'
ijre à chacun ce qui lui appartient (^). Nç faire tort à per-
fonne , uniquement pour ne pas blefler la juflice , c'eft
(a) ReSiffime illui receptum tfl , itf Leges^ nçti folo fujfragio Legkktorîs yfei
êthm tacito confénfu hominum per defuetudinem étbrogentur , /. iSM.Jf. de legibus.
(i) Ju[litia ejl confions Çr perpétua voluntas mfuum Qukue trjbucniiilnfikm^
4e Juji. (r jure^ r- f
Bi]
12 SCIENCE
être jufle ; maïs ce n'eft pas Têtre dans le fond, que de ne
s'abflenir de faire du mal que parce que le Légillateur la
défendu , & qu'à caufe des peines qu'il a attachées à la con-
travention a fes Loix. AufTi les Jurifconfultes de Tancienne
Rome cnt-ilè établi pour principe fondamental , que ce n'efl
point dans la règle qu'il faut prendre le droit , mais que c'cft
fur ce qui eft de droit qu'il fauc.faire la règle (d). Juftinien
^a confirmé cette idée , en adoptant le fentiment de Celfe &
d'Ulpicn , qui difent que le droiteft l'art du bon 6c du jufte ,
& que l'en pourroit avec raifon en regarder les Jurifconfultes
comme les Prêtres, puifqu'ils aiment & pratiquent la juftice,
qu'ils font profeffion du bon & du jufte, féparant le jufte d'à*
yeç rinjufte , difcernant ce qui eft jpermis ^'axec ce qui ne
l'eft pas ^ deljraqt de rcpçlrc les hpmmes bons , non-leule-
mem par la crainte des peines , mais auilî par l'attrait des
récompenfes , enfin , fuivant en tout , autant qu'il eft en eux,
la vraie philofophie ( /> ) .
II. ccquc c'cft , La jurifprudence çft .la connqiflance des droits des hom*
3"nci! •^""*'"' mes , des chofes , & de ce qui eft jufte ou injufte (r).
ii.Divcrfcscf. Les Scolaftiques divifent la Morale en Momjtique^ en
SfurtoutX'ceuc Econowique & en F oL tique , parce qu'elle a trois objets y
p!îiitfqu"&^uitc les particuliers ,. les familles & les Etats. La Morale Monaf-
puiitiiiuc, tique regarde l'homme en général , ou chacun par abftraç-
tion., comme ^'il. étpit. ieul > VEtanomique Tenvifage comme
{(t) Non ex régula jus fumatur , fei ex jure quoi efi , régula fiat. l i.Jf. de ii^
yerjis Regulis juris anxiquL
(b) Jus ejl ars boni & dqui^ cnjùs merito quis nos fcicerdotes appellet. Jufiitiam
namque colvîMS 9 &* bcni ^ équi nozitiam profit emur y aquum àb iniquo feparantes ,
licitum ab iHicitc difarncmes , bonos non fclum metu picnarum , verùm enampra-
viicTum quoque exhcrtatknc efficere^cupentes , veraniy niji failor y Pkilofopliiam ncn
flmuîàtam affc âl.intes. l i, Jf, de Jùptm & jiiré.
*. (^). Jurïfprudcntij. (Jl diy inarum arque hum^ncifuvi rtrum hotida ,jujli atque in--
JÛjlî^féienîia. InJti:ut.'àè'JuJl.Crjure.
DU GOUVERNEMFNT. 13
père de famille , & la Politique le confidere comme vivant
dans une fociété civile. La première fait les gens de bien ,
en foumettant les paffions à la raifon ; la féconde fait les f agcs
économes , en travaillant pour la félicité domeîliquc ; la
troifi'ime tend au bien public , qui renferme tous les biens
particuliers. La Politique , qui conduit les Etats , eft donc la
partie la plus confidcrable de la morale.
Il eft néceflaîre de connoître Thomme pour le gouverner
& pour le rendre heureux , & la Politique ne l'çauroit ai ri-
ver à la perfection fans la morale qui fe propoie de régler
les mœurs. Socrate , qui le premier fit defcendre la Philofo- ^
phie du Ciel dans les Villes , qui Tintroduifit même dans les
mr.ifons, & la familiarifa avec les particuliers, en leur don-
nant des préceptes fur la conduite de la vie , Socrate , dis-
je , ne la borna pas au foin des particuliers (4). Le Gou-
vernement des Etats fit toujours le principal objet des réfle-
xions des plus célèbres Philofophes {b). Ceft cette partie
de la Morale qui s'appelle Politique ; & c'eft dans la Morale
qu'il faut puifer une Politique fublime.
De Tobligation de former & d'entretenir la fociété , dé- ^^^^ ^ ^
rivent , comme de leur fource , les devoirs des hommes ; {^'j^X^ilt«î«
des Loix , règles de ces devoirs , émanent tous les droits [ouT^S am fl
naturels ou acquis que chaque homme , chaque corps , cha- lÔ^'^ " ^ «•
que nation peut exercer. Mais un Souverain auroit beaucon*
noîtrc les diverfes Loix , les divers droits , il auroit beau
être inftruit des règles de la juftice , il auroit beau vouloir y
conformer fa volonté , il feroit incapable de gouverner fes
. [h"] Socrates primus Philofophiam devocavit à Calo , O in urhihus collocavit , G*
in doni'js enam inrroduxit , & coegit de vita O moribus , rebufque bonis &* malis^
quai ère, Tufcul, quaft. L 3. n, 8,
[c ] Tout le monde connoît les Traités qu'ont faits fur cette matière Platon f
Arillote y Grotius , Puâèndorf y de tant d'autres Philofophes.
»4 SCIENCE
peuples , s'il îgnoroit Tufage qu'il peut faire de ces diverfes
connoiflances , pour le bonheur public, C*eft ce qu'il ne
peut apprendre que des règles de la Politique. Tous les
arts lui font fubordonncs ; elle préfide à quelques - uns im-
médiatement , & c'eft par le moyen de ceux-là qu'elle étend
fon empire fur tous les autres. Il n'eft ni profeffion fi noble ,
ni métier fi bas , qui ne foit plus o.u moins dans cette dé-
pendance. G efl à la politique qu'il appartient de détermi-
ner jufqu où ils doivent être admis ou rejettes. Elle conferve
toutes les fcicnces , tous les arts libéraux , tous les arts mé-
chaniques , comme elle conferve l'Etat. Les fciences & les
arts périflent tous avec l'Etat. La Religion même y nécef-
fairement liée à l'ordre public , tombe ou s'affoiblit avec lui ,
& a befoin ^ pour la confervation des autels ,, que l'Etat
fubfîfte.
M.Deiacon. La fcicncc du Gouvernement fe forme donc de la con^
j^«|^^c upo-nomance desLoix & de la politique. Ceux qui gouvernent
ewaïawLiu*^" & ceux qui font gouvernés doivent obferver rcligieufemcnt
les Loix divines ; toutes les Loix humaines ont rapport au
Gouvernement & en dépendent ; & la politique cft Tartdo
rendre le gouvernement utile au peuple. Si Ton eft bien infc
truit de ces diverfes matières ^ on tient le fil de toutes les
affaires de l'univers ^ & l'on fçait tout ce qu'il faut fçavoir
pour gouverner les hommes , pour fe conduire avec eux ,
pour fe gouverner foi-même»
M. Enurn^* De U laifon & des Loix découlent les règles de ce que
Tc'ïïes fciJncci nous fommes tenus de faire comme légitime ou jufte , & d'é->
dont rafTemblage ,. .i.-/ï>^i i i«
forme la fcience vitcr commte crmunel ou miufte. Ces règles ont leur appli-
du Gouîcrnf- ^ % «-, ^
j»^»» cation propre a cinq différentes fituations ou nous pouvonç
nous trouver , & qui doivent fixer ici notre arçcntion»
DU GOUVERNEMENT. 15
!• Nous naiffons hommes , & nous avons , en tant qu hom-
mes ) notre propre raifon pour règle*
II. Nous devenons citoyens, & nos devoirs envers nos
concitoyens nous font montrés par les règles 'établies dans la
fociété civile où nous vivons. Nous devons refpeder Tordre
général de cette fociété , & obéir aux Loix du Souverain
qui le maintient.
III» Nous profeflbns une Religion autorifée par TEtat ,
& qui a des rapports effentiels avec l'Etat. Comme membres
de TEglife , indépendament des devoirs intérieurs qui n ont
rapport qu'à notre falut particulier , nous en avons d'exté-
rieurs à remplir, & envers TEglife, & envers TEtatdans le-
quel TEglife fe trouve,
I V. Nous appartenons à tout le genre humain , & il eft
des devoirs réciproques entre les fociétés civiles.
V. La fociété dont nous fommes les membres eft enfin
un corps politique qui a fes befoins généraux , toujours pré-
férables aux befoins particuliers. Les Loix elles-mêmes doi-
vent , dans certaines occafions , garder le filence ; & les
intérêts particuliers , céder toujours à la raifon fuprême du
tien public.
De -là , cinq fcîences diftinûes dont Taffemblage forme
la fcience du Gouvernement.
I. Le Droit naturel , qui eft le même partout , 8c quj
cft commun à tous les hommes.
II. Le Droit public , qui eft ou peut être différent dans
chaque pays , 6c qui eft commun à tous les citoyens du mê-
me Etat.
III. Le Droit Eccléfiaftique , qui eft fondé fur la Relî-
ligion & autorifé par l'Etat , & qui règle la conduite de touç
les membres de TEtat , comme fidéles«
namrc
i6 SCIENCE
IV. Le Droit des Gens , qui efl le même pour toutes les
nations , & qui fixe les devoirs d'un peuple envers un autre
peuple , & confcquemmcnt ceux des particuliers d'un pays
envers les membres des autres Etats.
V. La politique , c'eft-à-dire la connoiflance des intérêts
de l'Etat , & cette prudence qui règle les démarches du Sou-
verain & les dirige vers le bonheur commun des fujets.
Telle cft l'idée générale des fources où l'on peut puilbr la
connoiflance des devoirs des hommes , & celle des règles *
du commandement & de lobciflance. Prenons d'abord une
notion particulière de chacune de ces fciences dont la réu-
nion forme la fciencc du Gouvernement,
1^. Le Droit Le Droit naturel efl fondé fur la convenance & le rapport
de toutes les chofes qui exiftent ; il renferme le difcernement
du bien & du mal , commande Tun & défend l'autre ; il ap;-
prend à l'homme à être jufle ^ à régler fa conduite fur fes de*
voirs , à vivre en homme. C'eft la panie pratique de la Plii*
lofophie j cette partie importante que nous connoiflbns fous
le nom de morale humaine, qui , par les connoiflances qu'on
y acquiert , donne les moyens d'agir & devient pratique ;
c'eft la fcience des mœurs. C*eft un état où , faifant abftrac-
tion de tout engagement volontaire , l'on confidere les hom-
mes Amplement comme hommes , qui n'ont de dépendance
les uns envers les autres , que celle que la raifon leur mon-
tre à tous.
Ce Droit naturel rcfulte de la lumière naturelle qui dé-
couvre à tous les hommes leurs obligations envers Dieu, en-
vers eux-mcmes, & envers les autres hommes. L'amour de
Dieu , l'amour de foi^même , l'amour du prochain , font les
trois devoirs eiîc miels que la Loi naturelle nous prefcrit.
Cet
DU GOUVERNEMENT. 17
Cet amour ^ toujours eflenticllemcnt le même , fe partage
en ces trois objets > & forme les engagemens qui nous lient
à Dieu , à nous-mêmes > à notre prochain.
Ce Droit n'eft point une partie de la fcience du Gouver-
nement , mais il eft le fondement fur lequel cette Icience doit
ctre établie.
Les hommes rfeurent d'abord pour fe conduire que les
Loix naturelles, c'eft-à-dire les Loix que le Créateur
avoit pris plaifir de graver dans leurs cœurs , & que leur
propre raifon leur montroit : mais à mefure qu'ils fe multi-
plièrent , qu un feul pays ne fut plus capable de les nourrir ,
qu'ils fe répandirent dans les diverfes parties de la terre ,
qu'ils occupèrent ces grands efpaces qui attendoient des
habitans , & qu'ils formèrent des fociétés nombreufes , il
fallut donner à ces corps politiques naiflans des règles ac-
commodées à leurs mœurs.
Chaque peuple eft gouverné par le Droit qu^il s^eft formé
eu qu'il a adopté ; il y a par conféquent eu autant de fortes
de Droits civils que d'Etats. Mats les Jurifconfultes Ro-
mains {a) j dont Içrreur eft tous les jours adoptée par les
Jurifconfultes niodernes , placent fous le Droit des Gens les
laiStcs de mariage , de dépôt , de vente , de prêt , & tous les
lautres contrats dont les befoins de la vie ont établi l'ufage
parmi toutes les nations ; & ils ne rapportent au Droit ci-
Vil que les contrats particuliers à quelques peuples , c'eft-à-
dire que les Romains cntendoient par le Droit des Gens , 1^
Proit qui a pour matière les chofes qui doivent être com-
munes à tous les hommes , à la différence des Droits qui
#3nt paniculicrs aux Citoyens. C'eft fous le Droit civil qu'il
ici) L.i. i.^ ff.de Juftit, G* jure.
Tome U C -
i8 SCIENCE
faut ranger ces fortes d'a£les , parce que c'eft le Droit crvîl
qui en règle la forme & qui en autorife Texccution dans cha-
que pays. Les Loix qui règlent la forme & la force des con--
trats en ufage partout , ne font pas les mêmes chez toutes les
nations , & quand cela feroit , qu*en rcfulferoir-il , fi ce n'eft
que plufieurs peuples auroient chacun en particulier un Droit
femblable ? Jamais le Droit de Tun ne pourroit être appelle
celui de Pautre , parce qu'ils n^émaneroient pas tous deux de
Tautoritc du même Lcgiflateur , & que c'eft de la puiffance du
Lcgiflatcur que chaque Droit civil tire fa force & fa dénomi-
nation. Dans rhypothcle que nous fuppofons y & dont nôtre-
Europe ne fournit point d'exemple , il ne faudroit pas rap-
porter cette forme & cette force des contrats au Droit des-
Gens , puifqu elles ne feroient pas l'effet de la conftitutioa
générale du genre humain ; il faudroit les rapporter au Droit:
civil comme émanées de la volonté particulière du Légifla-
teur de chaque Etat , qui les auroient établies. Les Loix d'un
Etat n'ont aucune autorité au-delà de fes frontières , & il eft
libre à chaque nation de changer fcs Ordonnances fans con-
fulter les autres peuples : or rien de ce qui établit aucune
forte de Droit ni aucune force de convention d'un peuple à
un autre , ne pût paffer pour être du Droit des Gens. La
di(l:in£tion qui eut toujours lieu entre les divers Droits civils
fubfifte encore aujourd'hui , & fubfiftera éternellement.
17. Le Droit pu- Le Droit civil eft donc celui que la puiffance publique a.
formé dans chaque Etat. On l'appelle civil , parce qu'il eft
propre à une nation , à une multitude d'hommes qui forment
une fociétc , que les Latins défignent par un mot qui fignifie
affemblage de citoyens (^i). Chaque foeiété civile eft en
(a) Gvitas I quafi civium unitau,
Mie
DU GOUVERNEMENT/ i^
effet une foclctc d'hommes unis par les mjmcs Loix Se p^r
ic même Gouvernement. G ei une fituation où Ton confi-
dere les hommes comme ayant renoncé à la liberté indéfinie
de TEtat naturel , & contraûé des engâgemcns volontaires
ies uns envers les autres.
Le Droit civil fe divife en deux efpeces , dont Tune , qui
s'appelle Droit privé , fe rapporte à Futilité des particuliers
pris féparement ; &, l'autre qu'on nomme' Droit public, règle
i'ordre général de TEtat (4).
La première defcend aux affaires des particuliers , & fcrt
à régler les conteftations qu'ils ont les uns avec les autres.
Elle a trois objets , les perfonncs , les chofes , & les aûions
{^); les perfonnes entre lefqucUes s'élèvent les procès ; les
/chofes pour lefquelles on les fait ; & les avions par lefquelles
on les intente. Ccft de ce Droit privé qu'on apprend ce que
les Citoyens font tenus de faire les uns envers les autres.
Ceft dans ce Droit qu'on trouve les règles des prétentions
yefpeftîves des hommes , pris féparement & en tant que vi*
yant fous une Loi commune. De-Ià les règles de la conduite
4e chaque particulier confidéré à part.
La féconde embraffe tout ce qui intéreflc Tordre général
de la fociécé , & par conféquent l'exécution des reglemens
généraux & la manutention des Loix paniculieres. Elle a
pour objet la fortune publique ^ & regarde la nation en gé-
néral & tout ce qui tend à conferver l'Etat. C'eft au Droit
public qu'eftfubordonnée la puiffance économique & domef-
tiquc que donne le mariage au mari fur la femme , la naif-
<fl) Uu]u$ fludii du£ funt pojitîones 9 publicum (r privatum. Publicum jus ejl
quod ad fi 2tum Tel Romand fpt&at j privatum quoi ai finguloTum utilitatem, Infiit.
fie Jufi. èf Jure. $. 4.
ib) Omne autem jus > quo utimur , vel ad perjpnas peninet > vel ad r«, vel ad CCr
fiones. Injl. de Jure nat. gent. &* ciy. J. i ;?. ^ ,.
2» S C I Ê N C! Ê
fance aux pères fur les enfans 9 la convention aux maître^
fur les domeftiques. Ceft à ce Droit que fe rapportent les
diverfes fondions de la Souveraineté , & les Loix apellées
par excellence y Loix de r Etat. De -là les règles de la
conduite de chaque citoyen confidéré par relation au bien
général de la République entière.
L'objet du Droit civil eft d'obliger les citoyens à garder
les Loix naturelles , & de faire régner dans la fociété Tor-
dre & la paix , en terminant avec juftice & avec prompti"*
tude les différends qui s'élèvent entre eux*
Ce que les cas particuliers font au Droit privé 9 les événe-
mens généraux le font au Droit public. La fureté & la tran-
quillité de chaque membre de l'Etat eft y dans tous les Gou-
vernemens , l'objet du Droit privé ; la fureté & la tranquil-*
lité du Souverain , & des divers corps qui compofent l'Etat,
eft le but du Droit public.
L'adminiftration aduelle de la juftice par des Officiers ,
ne fait point partie du Gouvernement, mais elle eft foumifc
au Légiflateur ; & il eft aufli eflentiel que le Souverain veille
à l'adminiftration de la juftice quand il ne la rend pas lui-»
même , qu'il eft important que y par l'ordre qu'il établit dan»
fes Etats y fes lujets reçoivent les fecours dont ils ont befoin
dans leurs makdies y que les terres foient cultivées , & que
les fciences , les arts , & le commerce fleuriflent. Llnfpec*
tion fuprême fur les diverfes charges , fur les divers emplois^
fur les diverfes fondions publiques y fait une partie inté-
grante de la Souveraineté*
Je ne dois point traiter du Droit privé y en tant qu'il ne
fait que régler les fortunes particulières ; mais il eft indifpen-
fable que je difcute tout ce qui appartient au Droit public j
DU GOUVERNEMENT. ii
or le Droit public fe fubdivile en deux parties , dont Tune
regarde les affaires temporelles , & Tautre celles de la Reli-
gion , qui eft une portion précieufc des affaires de TEtat.
Le Droit canonique eft la jurifprudenceEcclcfiaftiquefon- is. lc Droit
dée fur l'Ecriture ; fur la tradition qui fe conferve dans les
Conciles généraux & particuliers , dans les fentimens des
faints Pères, dans les Conftitutions des Papes & Ordon-
nances des Evêques^ & dans les ufages particuliers des Egli-
fes ; & fur les L^ix des Princes : c'eft le recueil des règles
que , pour la confervation de la foi & de la morale , & pour
la difcipline de TEglife, Jcfus-Chrift lui-même a pofées ,
que fes Apôtres , fes Difciples, & leurs fucceflcurs ont éta-
blies avec le confentement de ies membres : & auxquelles'
les Princes tempoirels , qui tous font ou fes membres , ou
invités à en devenir les membres , doivent leur protedîon.
Les mœurs fouffrent toujours de la foiblefTe des Loix :
Toblervation des Loix de l'Etat doit faciliter les voyes à
celle de l'Evangile. La Religion & le Gouvernement , qui
fe propofent tous deux la plus grande utilité du genre hu-
main j ont enfemble une écroitc alliance. La Religion unie
les cœurs des hommes & leurs volontés > & cette union eft le
moyen principal de la confervation des Etats : le Gouver-
nement , defon côté, protège la Religion : membre lui-mê-
me de TEglife, il en connoît les Loix; il en dirige , par fa
feule autorité, la police extérieure; il contraint à leur ob-
fcrvatioh par l'impoiïtion des peines ; & il empêche que les
hommes , qui ne font que trop portés à corrompre ce qu'il y
a do plus facré , ne prennent des armes dans le Ciel pour
commettre des injuftices fur la terre, & ne fafTént fervir la
Religion à une fin abfoiument.oppolée àccile d'un ctablilTe*
ment tout divin,
-ak SCIENCE
Lorfqu'on cfl obligé à la fin , on eft obligé aux moyens
(ans leiquels on ne peut y parvenir. Tout ce qui contribue
néccflairement au but de la fociété pour laquelle nous fom-
mes nés , doit par conféquent être' tenu poiir prcfcrit par le
Droit naturel ; & tout ce qui la trouble , réputé défendu par
le même Droit. Il n'eft pas befoin d'être Théologien de pro-
fcflîon , pour Içavoir que TEvangile n autorile rien de con«»
traire à Tordre des fociétés civiles; le bonheur des peuples
n'eft pas moins cher à la Religion qu'au Gouvernement.
Sçavoir ce qui convient ou ne convient pas au bien de TEtat,
c'efl fçavoir ce qui eft , à cet égard , autorifé ou défendu
par TEvangile. Admettre & protéger les Canons , mainte»*
nir la difcipline de TEglife , régler tout ce cju'clle a d'ext^
rîcur , eft l'objet du Gouvernement civiK
19. Le Droit S'il importe à chaquç fociété civile que les citoyens m
^"^^ foient point troublés dans la poffeflîon de leurs héritages 9
il n'importe pas moins à la fociété générale des nations , que
les Etats pofledent tranquillement les terres de leur domi-r
nation. Les Juges de chaque fociété civile doivent la juftice
de citoyen à citoyen; & chaque peuple la doit rendre de lui
à un autre peuple. Le but général du Droit civil , c'cft de
prévenir ou de terminer les procès ruineux des particuliers.
Celui du Droit des Gens y dont la fin eft plus relevée , &
dont les conféqucnccs font plus étendues, c'eft de terminer
les guerres fanglantes' dçs nationi .
Le Droit des Gens renferme les règles de la conduite des
hommes , conftdérés de peuple à peuple , en tant que for-r
mant la fociété générale des nations y 6c une République
dans laquelle chaque peuple n'eft que comme une grande fa-
mille. C eft Je Droit des hçmmcs qui ne rcconnoill'cnt pas les
DUGÔUVERNEMENT. 23
mêmes Loix civiles; des Souverains qui jouiffcnt les uns
envers les autres de la liberté indéfinie de TEtat naturel ;
des nations qui font dans la même indépendance les unes à
regard des autres ; des fujcts confîdérés uniquement comme
membres des différens Etats. Il s'appelle le Droit des Gensj
ou , ce qui eft la même chofe , le Droit des nations ; & il
unit par des liens facrés , ceux que féparent la diftance des
lieux & la différence des Religions , des mœurs , des lan-
gues , des Gouvernemens.
Ici fe rapportent les conventions faites & les ufages reçus
de nation à nation , les droits de la guerre & de la paix y les
règles des alliances & des traites : la fureté & la tranquillité
de tous les Etats policés de l'univers efl l'objet du Droit des
Gens.
Le Droit des Gens , dont je parle ici , a fes règles parti-
culières comme les autres Droits , & il faut bien fe garder
de le confondre avec celui qui eft purement naturel , ainfî
que le font pluûcurs Auteurs , qui les regardent comme un
feul & même Droit > par une erreur que je démontrerai dans
le volume même du Droit des Gens.
Le commandement a£luel des armes tCcR. pas une partie
du Gouvernement , lorfqu il eft confié à des Généraux , &
que le Souverain ne fait point la guerre en pcrfonne ; mais
les ordres à donner aux Généraux y l'art de mouvoir les ar-^
mecs , le tems & le lieu de leur a£lîon , ne peuvent non plus
être féparés du Gouvernement que les motifs de faire la guerre
& le foin de fortifier l'Etat par des alliances.
L'art de policer les Etats, d'y former les bonnes mœurs, io.LaPciiAriiw
d'y faire régner l'ordre, d'en maintenir la fureté, d'en faire
le bonheur, eft ce qu'on appelle la politique % Je parle de la
14 SCIENCE
Yraie, car il eft efl: une faufle qui > écartant la vérité pouf
courir au devant des objets , ne voit que ceux que Timagî-.
nation enfante ; qui s'occupe beaucoup plus de la fortune
des Princes , que du bonheur des peuples dont elle eft infé-
parable ; qui ne règne que dans des efprits médiocres & fur
des cœurs corrompus ; & qui eft auffi nuifible que peu ho-
norable.
Là fage Politique infpîrée par PEfprît Saint , eft louée
même dans les Gentils (4). Né de Pexpérience , ce grand
un s*eft formé des oblervations qu'on a faites fur ce qui avoit
été ou utile ou nuifible au Gouvernement , & s'eft perfeftion^
né par les conféquences qu'on a tirées de ces obfervations ^
& par les règles que la juftefle d'efprit & la philofophic y
ont ajoutées.
Le Droit & l'hiftoire font les gHÎdes de la Politique. Le
Droit inftruit un homme d'Etat de ce qui eft jufte ou in*
jufte, & l'hiftoire lui fourniflant des exemples , lui préfente
des moyens de conduite dont il peut faire un très -grand
iifage j pourvu qu'il les employé avec difcernement. Lort
qu'il eft queftion de porter une Loi ou de prendre un parti,
l'Hiftorien rapporte des faits ; le Jurifconiulte fait des rai-»
fonnemens fur la juftice ; le Politique péfe les exemples de
Tun & les raifons de Tautre , en examine les avantages & les
înconvcnicns , & fe détermine tantôt par l'exemple , tantôt
par le raifonnemcnc, quelquefois par l'un & par l'autre touç
^nfemble.
La Politique & le Droit > diftinéls par leur nature , diffé^
rent aufli dans leurs vues. Le Droit a pour objet de faire
(a) Dans Tanden Teftament , à Foccafion des Madiabéei ; dao$ le nouveau , au
Hijec des Romains ; 6c dans plufieurs autrçs pafTages,
jouir
l!]
DU GOUVERNEMENT; ai
^ouîr chaque citoyen de ce qui lui appartient ^ & d*étd>lîr en t \
toute forte d'adminiftration ce qui eft jufte ; le but de la Po-
litique eft d*aflurer le bonheur public , de porter des Loîx
convenables au bien de la fociété, & de procurer ce qui eft
«tile* L'un fe propofe 1 équité des actions , par rapport aux
Loix î l'autre Ja dire£tion des avions , relativement à Futi-
lité publi(ii^et Celui-là cjoit être confulté avec Texa^litude la -
plus fcruppleufe dans les ajflf^es des citoyens : celle-ci s'çlevp
au- defliis dç Tintérêt de chaque homme confidéré à part >
mais c'çft fans blefler la juftice , que la Politique fait fou-
vçnt taire Içs Lojx qui règlent les fortunes privées. Si elle
perd de vue la juftice particulière due au citoyen , ce n'eft
^ue pour rendre la juftice générale due à tout l'Etat. Si elle
s'écarte , pour m'exprimer ainfî , des fentiers de la juftice ,
par les petits maux qu'elle fait à quelques membres d'une
(ociété , elle y rentre par les dédommagen>en$ qu'elle ac-
corde à ces membres , & par les grands avantages qu'elle
jprocure au corps entier.
Heureux les peuples gouvernés par des Rois qui conful-
>^ent tour à tQur le Droit & la Politique ainfi entendus y quî
ne trouvent jamais utile pour l'Etat ce qui n'eft pas jufte de
la part de l'Etat, qui eftjment que le parti le plus équitable
eft auflî le meilleur , & qui regardent comme impoffible ce
xjui n'eft pas légitime ! Des Monarque? fi religieux font hon-
neur à Thumanité. Leur Politique , accommodée aux plus
pures maximes de la raifon y dç la Religion & du Droit ,
fait bénir leur Gouvernement ; elle leur conciliç , avec l'a-
mour de toutes les nations , la confiance de cous les Souve-
rains , & rend , par un heureux retour , leurs maximes aufli
ptiles pour eiuf-mêmcs^ que pour Icç peuples foumis à leuj
Tçm^ L D -
i6' SCIENCE
domination. Il fiait auffipourfcs intérêts que le Politîqur
foit vertueux , mais il faut encore que fa vertu foit une verti»
éclairée & prudente , qui ne foit le jouet , ni de l'impodure ^
t.ntatcon-^idelafurprife.
Snaion.ïifé^;li: Il eft néceffaire de connoître les diftinaions qui feparenr
Drohs&icfra^' les divers Droits ^ parce que chaque Droit prouve fes maxi-
r>mqmie»uwr- ^^^ ^ d'une manière qui répond àibn principe fondamental ,.
& n'a de force qu'autant qifc Ton objet a d'ctcnducr II im-
porte d'appliquer chaque fcience à fon propre objet , & de
là reflcrrer dans fes juftes bornes , pour diftinguer les diffé-
rens Droits & les différentes fources d'où ils émanent , &
pour parvenir , par la difl:in£tïon des Droits , à celle des de-
voirs des hommes confidérés dans les diverfes fituations où.
ils fe trouvent*
La connoîflance des rapports qui uniflent ces mcmes'
Droits n'eft pas' moins néceffaire. Les Loîx de la guerre font
du Droit des Gens', niais la police militaire de chaque Etat
cft du Droit public ; & les différends qui arrivent entre les*
particuliers du même pays , par une fuite des guerres, des re-
préfailles , des trêves , des Traités , font du Droit privé»
Les Droits des Couronnés & les libertés dèe Eglifes des dif-
férens Etats , font en même tems du Droit public & du Droit
Eccléfiaftique*. Pour bien juger de toutes ces chofes , il eft
néceffaire de puifcr dafis ces diverfes fources. Ce n'eft que
par une connoiflfance exa£le des diftin£tions qui fcparcnt, &
des rapports qui uniffent les divers Droits , qu'on peut ne
point mettre de confufion dans les principes qui doivent
•> H Kouverner'leshômiîiés*
fti. Dansrop- ex .... 4 '
JTiîl^ai^^îfciL^^^ ^^ ^^^^ toujours diftinguer les reglemens que les hommes
font , d'avec ce que la nature fait elle-même. Les Loix na-
Dtj gouvernement; 57
turelîcs font fermes & immuables comme la volonté de leur &dans icTiierce
-,-,, ^ . , A iin/v- dcsLoi^: civiles,
auteur: leur jultice cit toujours la même, & elle eit eflen- on doit ledéu:-
11 V 1 1 11 miner pardesra:-
tielle a ions les cngagemens « dans tous les lieux & dans lonncmcns ures
tous les tcms , parce que ces Loix font fuffifamment con- '^"^•
nues par la feule lumière naturelle , & qu'on ne les ignore que
lorfqu'on eft dépourvu de la raifon qui les enfeigne. Les
. Loix que les hommes ont établies , font au contraire périfla-
i)les & mortelles comme eux ; leur jufticc^, toujours dépcn-
idante de rutilité particulière qu'on: trouve aies faire ou à les
iupprimcr , change félon que les circonftànces variient. El-
hs n'obligent qu'après qu'elles ont été publiées , & n'obli-
gent que pour l'avenir , parce quelles. font, ou des confé-
,quences plus éloignées de principes nttturelîemcnt connus. ,
X)u des déterminations arbitraires y qui ne commencent d'ê-
tre que lorfqu'elles font faites ; d'où il fuit qu'on peut ignorer
^'elles exiftent , Ci elles n'ont pas été publiées.
De cette diftinûion entre les Loix naturelles & les Loix
civiles , réfulte une différence entre ks chofes permifei ou. j -•
' défendues par le Droit naturel , & celles qui ne font bonnes
ou mauvaifes , que parce qu'elles font pcrmifes ou défeçiduês
par le Droit pofîtif. Les chofes défendues par la Loi natu-
relle font effentiellement 8ç immuablement mauvalles. Il n'en
cft pas ainfi de ce qui n'cft défendu que par des Loix pofi-»
tives , qui eft indifférent en lui- même , & que la défenfe
feule peut rendre mauvais. Celui qui, ignorant que certaines
chofes font défendues par Iç Droit pofitif , les approuve ,
n'a pas une volonté contraire à la juftice. Il peut , à Fa vé-
rité , être coupable de ne s'être point inftruit des Loix pofi-
tives qui ont défendu ces chofes ; mais il ne fçauroit l'être
de ne pas juger ces chpfes'jiaturcllemcnt mauvaifes en elles-j
t% se lE N CE
mêmes , parce qu'en effet elles ne le font point.
La juftice univerfelle de toutes les Loix confille dan»
leur rapport à Tordre de la focicté dont elles font les règles*
hc^ maximes d'un Droit n'ont jamais rien de contraire à
celles d un autre Droit , elles fe prêtent un mutuel feccurs*
Les queftions qui naiifent de foppofition apparente de deux
Loix naturelles ou de deux Loix arbitraires , ou d'une Loi na- *
turelle & d'une Loi arbitraire, doivent être décidées par de»
jraifonnemens tirés des Loix naturelles , parce que ce n'eft
•que par les principes de l'équité naturelle y qu'on peut con-
noître fi une chofe eft en elle-même ou légitime ou illicite^
Il faut auffi, dans le filence des Loix civiles, confulter la
JLoi naturelle, Loi dont l'étendue embraffe toute la terre ,
Loi dont l'évidence eft au-deffus de toute preuve , & la du-
rée au-delà de toutç prefcription , Loi aufli ancienne que le
monde , & qui , ayant commencé avec lui , ne finira qu'avec
lui.
%î. te Droit fia- 1 Lôs âutTcs Drolts ne font qu*un écoulement du Droit rla^
Hird eft le fonde- * , ,
^s^^^^^^o-^siM.turel; ils s'y rapportent tous ou directement ou par reduc-*
tioh', comme on parle dans l'école; ils ont tous leur prin-
cipe dans le Droit naturel appliqué aux hommes avec les
ftiodificatidhs convenables à leur état (a). Les hommes ajou-
tent divers engagemens particuliers aux obligations généra-
les qui réfultent de la Loi primitive. Ces engagemens parti-
culiers , qui naiifent ou de quelque convention ou de quel-
que Loi pofitive , entrent dans l'objet de la Loi naturelle ,
en tant qu'elle peut y être appliquée. Les Loix Grecques ,
Romaines , Françoifes, Efpagnoles , ne font que l'image &
l'cxpreffion de la Loi naturelle ; elles ne font que des ccn-
: (û) Jusnaturale^ prç ccTt$ rerumjlatu. Gwius , de princip. Jur. natur. cap. 3.
DU GOUVER x\ E.M E N T. 2p
Séquences qui ont été tirées & qui ont été accommodées aux
diverfes fituations & aux divers befoins des Romains , des
François , des Efpagnols.
La Loi naturelle eft la plus ancienne de toutes les Loix ,
puifque la lumière précède toutes fortes de Loix. Elle eft la
plus générale , car quoique la connoiffance & la tradition de
la Divinité fe foient répandues partout ^ il y a eu beaucoup
d'hommes qui n ont point entendu parler du Droit révélé Ça) ;
mais il n'en cft aucun qui foit venu au monde fans la lumière
naturelle. Elle eft la plus eflcnticlle , car ce n'eft point ici
la Loi du Juif ni la Loi du Chrétien fimplement , c'cft la
Loi de riiomme , elle appartient non-feulement à TEvan-
gile j mais à la nature, dans quelque Etat qu'elle fe trouve.
Comme la raifon eft le grand & le premier fondement de
toutes fortes de Droits , la Loi naturelle eft le fondement, la
règle primitive, la fourcedc toutes les autres Loix.
Les Loix civiles font ainfî appellées ou relativement à
leur origine , ou par rapport à leur autorité.
Celles qui ont cette dénomination par rapport a leur ori-
gine , renferment des maximes du Droit naturel , & ne font \-
appellées civiles , qUé parce que c eft de la puiffance civile
qu'elles tirent leur force. Les maximes du Droit naturel mon-
trent aux hommes les fources pures de la raifon , & celles
de la Religion ; elles élèvent l'ame à la connoiffance des vé-
rités primitives qui doivent régler notre conduite , indépen-
damment de tout établiflèment humain , mais elles ne déter-
minent pas les peines dont le violcment de leurs préceptes
doit être puni. Elles laiftent cette détermination aux Puif-
(a) Il eft écrit que Dieu n'a pas rëvélé fes Jugemen» aux Gentils ; qu'il Ici a j.**^
faiffés errer dans leurs voycs , ^ qu'ils ooc ixi ab^dooiA^S d^f Içs lén^bra^ ^
4iinii 'ombre delà mox u
30 SCIENCE
fances à qui elles prefcrivent cette règle , que les peines doî-
v^nt être proportionnées à Tutilitc des corps politiques pour
lefquels elles font établies. C'efl aux Souverains à détermî-r
ner les obligations naturelles pour lefquelles on puiffe avoir
a£lion en Juftice , & celles dont raccompliflement eft aban^
donné à l'honneur & à la confcience de chacun. La feule
puiflance publique a pu donner à ces obligations force de
Loi ; ce font , par rapport à cette puiflance qu'on appelle G--
t'ile 9 les Loix naturelles que le Légillateur a fortifiées de
fon autorité.
Les Loix civiles , ainfi appellées par rapport à leur auto-?
rite , portent leur nom a double titre , & parce que c'eft lo
Souverain qui les autorife , & parce qu'il leur donne l'être»
Elles ont uniquement pour principe la volonté du Prince à
qui elles on« paru néceflaires pour le bien particulier de TE?
tat , & elles deviennent comme des fupplemens du Droit
naturel dont elles fonç l'application à des cas fixes ou acci-?
dentels.
Le Droit pu- Chaquc nation a une forme de Gouvernement différente,
k%foifn;i^rd' ^ccommodée à fes mœurs ; mais toutes les fociétés civiles
3"nt ir&aji font foumifes au Droit naturel , qui eft le droit commun de
nrr?3m^ffnî"ic tous les peuples ; & c'eft du Droit naturel que chaque Droit
Civil tire Ion origine.
n
Les maximes générales du Droit civil de chaque peuple ,
le rapportent à ces grands préceptes du Droit naturel : vivrç
honnêtement : ne faire tort à perfonne ; rendre à chacun ce
qui lui appartient {a). Le premier nous montre une reg^e
pour nous mêmes ; les deux derniers , qui femblent renfer-
[a\ Juris pr£ceptafunthdc : honejle vivcTC : alterum non Udcfe ^fuum cui^ui
thùuerc. Injiif. deJuft. Çtjure. }. j.
DU GOUVERNEMENT. jr
mes Tun dans Pautre j nous enfeignent nos devoirs envers
les autres ; les trois comprennent entièrement & le bien que
nous devons faire & le mal que nous devons éviter , & peu-
vent encore être réduits à cette belle règle qui efl le fonde-
ment de toute juflice , de ne pas faire aux autres ce que nous
ne voudrions pas qui nous fût fait (a).
Ces trois préceptes du Droit naturel font le plan de Pc-
tabliffement de chaque fociété civile ; & plus les règles d'un
peuple y font conformes , plus le droit de ce peuple appro-
che de la perfedionr Comme chaque Loi arbitraire a deux
caractères y 8c qu'une partie de ce qu elle ordonne eft de Droit
naturel & l'autre de Droit arbitraire , il eft évident que le
Droit civil doit tirer fa gloire du Droit naturel , & que les
Loix arbitraires font plus ou moins parfaites , lelon qu'elles
font plus ou moins conformes aux Loix naturelles , dont el-
ks doivent avoir les juftes conféquences pour objet.
Les deux caraâeres =qu*a chaque Loi arbitraire font aifés
à reconnoître. Les reglemens du Droit purement civil ne*
confiftent qu à fixer certains points que le Droit naturel , qui
n'indique beaucoup de chofes que d'une manière générale &
indéterminée j a laiiTés à la difpofition des Légillateurs de
chaque Etat ; qu'à prefcrire en général certaines formalités ,
que les citoyens doivent obferver^ pour rendre valables dans
les Tribunaux dejudicature les engagemens qu'ils prenncn
les uns envers les autres j qu'à marquer les procédures par
lefquelles ils doivent pourfuivre leur droit en juftice j & qu'à
déterminer le tems , la forme , le lieu, l'application aux per-
fonnes. Tout le relie des Loix civiles ne renferme que des
principes de Droit naturel , aufquels les Légiflateurs don-
[ff] Quoi tibiferi non vis dteri nefecerisw
32 SCIENCE •
nent force de Loi , ainfi proprement noqfimée y en prônon^
çant fouverainement fur le fonds des chofes y fur leurs pro*
priétés , & fur leurs différences. Par exemple , la Loi qui
règle la légitime des enfans fur les biens de leur père , ren-
ferme deux difpofitions. L'une ordonne que les enfans ayent
une part dans la fucceflion paternelle;& celle-là eft de Droit
naturel y car les biens des pères doivent paffer naturellement
aux enfans , parce que la nature , en les fubftituant à leurs
pères , les appelle à la pofleflion de leurs biens. L'autre fixe
cette portion à un tiers , à une moitié j aux trois quarts ; &
celle-ci eft de Droit arbitraire , puifque le Légiflateur pou-
voir ordonner qu'elle fut plus ou moins grande. La première
partie eft jufte ^ d'une juftîce naturelle ; la féconde n eft jufte
que d'une juftiçe dépendante des Loix pofitives.
De ce principe du Droit naturel y il ne faut tromper fer-^
[onney le Droit civil 4 tiré celui-ci , tout vendeur doit ga^-i
rantir ce quil d vendu. De cet autre principe du Droit na-!
turel y il faut rendre k chacun ce quil lui appartient y le Droit
civil prononce que celui qui a emprunté une fomme doit la payer*
De ce que fuivant la Loi naturelle y on doit être fidèle k fes
engagemens , les Loix civiles ont établi que chaque Affocié eft
iomptable des effets de la fociêté quil a adminifirés y & doi^
Participer k fes pertes comme k fes avantages.
Les Loix civiles y pour le dire en un mot y expliquent ^
étendent , appliquent aux cas particuliers les maximes géné-
rales du Droit naturel y elles marquent l'étendue & les bor-
nes des Droits des citoyens y elles font les regîemens que
demande le bien de l'Etat ; & elles modifient & reftraignenc
auffi quelquefois le Droit naturel , par une fuite néceflaire de
la formation dcsfoci.'tés ciy |-S c'ont -e donneraiicif 1 ^fenrs
exemples. Cette
DU G O ?J V E Tl ^ ET M E N T.. ^j
- Cette lueur de raiforï que la'ftature 'a'jrriprîmée dâtis tous
iès hommes /s'appelle équité. Cette équité haturelte efl: le
fonds de ta Tahî^^jurifiJnidén'ée (d|&'t6ù^ léi TribuhaW de Ju-
dicature^; niais' cette 'lueût j)l)ùyaht dégéhéret eiî illiifion'^i
& fouvent même devénînirbîtraîre,'àu pé du. caprice ou
de Pintérct des hommes , les Légiflâteurs eft' ofît fagem^
îîxé lés régies paf '^es'd&iTA^fhs t^fléchîe^ & méditeçs /& ces
Téglés^ lis lesorita^ï/eH^e^"^^^^^^^^ ^'i^^
4iotls> dîaë: qiië' toïft pbffcïfôii 3^ fi^irfîdfé' d*àii^ruî'y do^^^^^
tenir là- ptopri&Bé-dei'tfKxifes'^^^ fuf|xèns', âfe
f)« côJnféquerit troùbîèy^^Iàf^fdfc^ ^^^Ônc été oéceflai'rc
-d'y apporter ce tempérament:, qu*au bout d\iri certain, nom-
-bre d^ànnees ^ le- pôflefleur ' rie J)ût être inquiété à ce fujet.
©e-1àî font ' veriués les f èglésf de la* prefcription que lés Loîx
civilesiontétablîe!?.^' " ^ ,i • ':. a -J r; :i '—^y^'^^^ 'y^ï; ^'
: . - Gîs" 'Loix orit'^ . interdît' MiërtatidÀ dû ' certains biens , la
:^énte "de* fonds dotaux , les donatiofts entre mari & femme.
-Ce font dei reglemens qui tendent feulement à empêcher
: qu'on ne puiffe regarder comme fienne une.chofe qu'on n'a
'pu acquérir , & étendre Poblîgatiôn naturelle à une conven-
:tion , qui n'en eft plus fttfceptible depuis la défcnle portée
j)ar les Loix pofitives.
Rien n'eft plus recommandé par la Loi de nature, que de
garder la foi promife , & d'exécuter les conventions qu'on
a faites. Mais cela fuppofe un confentemént & un confen-
tement libre ; car où il y a de la force & du dol , il n'y a
pas de vraie volonté. Il faut dire la même chofe des pro-
TomeL £
54 n ' . S-tCJ en C E
méfies faites p^ erreur ,>jt«;ndu qu'un confentemenc erroné
n'ert pas un véritable CQnfentçmçn.t. .JL.es Loix civiles inva-
lident ces J^pv^çs, de, çrpuipffes.. Elles iny^lident .auffi celle*
des furieyx &.de?iinbéâUe?,,pa^^ç!,jque.lçscitoy 911
ont eu le malheur 'de tomber .dans cet ét>at« ne fbntpoinç
cenfes avoir dj;,y6lQpte^ , ,.i .,,-^^ . .
y Ùji.ienfant parye^ipîi Tâgç^jîç-çi^ ^ pourroit ufer de
îâ liperté naturel|e j^xj^ç^r s'^çta^ les hen?^
du 'inarîage ; mais à^ jnift|iîsj q^'il .p?ait ^ confentement d§ fes
pafcns^ lès Loix civiles ne lui permet;«u: rexerciçede cette
îil^erté , que d^s Tâgp pu .ki raifem ^ tjttjL, dqit nous éclairer
Tiïr un choix de ceçte importance , eft formée & cefle -d'êcir
obfcurcie fie captivée par.ia fQ^^.ldfc <^^9^ org^esr Elb»
hc laiilent pas non plus , ai^ mifieivs. ;la Jib^rtc d^^
dé leur" fortune^ ÎG ce n'eft,.4yec,ceri;ajtnes.ibrH[ialit€s ^-quôî^
que chacun ait droit naturellement d'acheter ;ou d'emprunter
le bien d'autrui > de ven^pe, ou dp prêter le>fiei)»:Ç<îftrpaiWfe
qu^il ne convient ni à la nation, m par confëqusnt. aiW:|)ài>
qculiers qui. la cpmpo^çjat ^ qwej ceux,4 q^ 1%^ A'a point
encore donné la maturii;é du jugement ^ puiiïem ccintraûer
des engagemcns dont ils ne connoiffent pas les conféquen*-
ces. Il eft > à la vérité ^ des génies heureux qui préviennent
le tems ordinaire de la prudence ;; maiS; tous les mineurs ne ^
font pas en état de fe pafler jdesXefX)urs que kur raifon doit
trouver , par la fuite , dans lé fçavoir ou dans rcxpérienccr
On n'a pas pu faire une Lot particulière pour chacun ; &
Ton en a fait une commune qui fixe poiiar tous le moment de
Tâge où le Droit civil permet de prendre des engagemeos.
On a attaché les règles de la majorité qui donne la capacité
d'agir à rage & non aux perfonnesit. ' . -
DU G OU V E R ]vr>SîM E N T. ^ç
De ces exemples 6c de mille autres:. qui Teftraignenr la H-
Jberté natureljiéi^ gardoiasrnous Heii de3Conclprèque*le;Droît
civil foit contraire au Droit naturci; LesXiOix divilesfuWent
h nmaSA& né k combattent jamais', elles perfeÛibrinent le
Droit naturel, & le rendent, pour airifi dire', praticable ,
bien loin de le détruire. Soit qu'elles invitent à Tobéilïance
par Tattrait fédtiilant des promefTes ,. foit qu'elles y obligent
|)âr la crainte fervile des menaces, elles onD* toujours pouir
•^bjet Tùcilité des citoyens : or ceux qui^fohtentrds^ansyne
ù>ciécé ont promis , ou exprefTcment , ou par un engagement
lacite que la nature de la chofe fait prélumer , d'acquiefcer à
ire qui ieroîi: réglé , pour Tintérêt commun , par la plus gran-
jde panie du corps ou par le Prince qui lui donne des Loix.
;La neceiSté de fe conformer à xme défenfe qui paroît con-
traire m DrioitJiatureI,n'eft donc dans le fonds qu'une fuite
4o cette Loi naturelle , qui veut que chacun remplifle les
^gagemens qu'il a pris^
J^ DroixEorlëfiafliquécircluÎT^même^^^^ »5.LcDro£tEc-
^turel. Il cft une.appUcatida partioi^iere de ce l>oit di- fof^^^^ellî
vin , faite par les Canonp fcpar les Loix civiles aux fidèles, """"^ •
«ntant quenfans de l'Eglife 8c fujetsde l'Etat.
fjnj&q le Droit xles Gens , qui a -lieu de peuple à peuple , i^.LcDroîtdcs
dans la guerre ainft que dans la paix ,.& qui aftraint la vie- foS?cc*<bi« \t
ioire fous des Loix ^xomme il entionoe à toutes les aftions ^*'""^"'
|)acifiques, trouve aufli fa fource dans le Droit naturel. Le
Droit des Gens n'eft que le Droit civil des nations, formant
jupe foçiçté générale; c'eft^ fi l'on veut, le Droit public uni-
i/çrfoj des peuples. Il eft le Droit propre de la focieté gcr-
nérale des nations , comme le Droit privé & le Droit public
font les Droits propres des fociétés particulières ,.& comme
le Droit EccMfiaftkjurt^fl: cks fociétds Chrctiennes ; ëi îl
n'eftipar confcquentjqiie le Droit naturel appliqué à. cette ib-
.çiéi;4 géoërale desoiatioM/:. ': ' ^ i ^
Le. Droit des; Gens xi'â pas toujours refpeacle Droit ïia-
turel , & la fervitude qu'il avoit établie à la guerre ^ y ctoit
abfolliment bien contraire (a). Mais cette barbarie a dif^
paru de rEurope>mieu^ pic^licée. Aujourd'hui. Je Droit des
Gens , quLa:fcs règles çonmie le Droit civil a les (lennes ,
expUqueies maxinlés du Droit naturel ^ & en fait Tapplica-
tion à fa manière p comme 4e Droit civil à la Tienne. Il les
étend auffi > & c'efl ce que Ton peut voir dans ce fcul exem-
ple. La Loi naturelle défend de faire du mal à autrui, 8t
ordonne qu'on réparie celui qu'on a fait ; mais pour tirer rai-
fon du domage qu'un homme a fouffert , & de l'injure qu'îl
a. reçue dun autre horimie., vivant dans une fociété civile
différente , la Loi naturelle ne permet pas qu'on s'en prenne
à l'un de fes parens , de fes amis , de. fes compatriotes , qui
n'a eu téerllement aucune pàrtàraâiQn; d'aii.eft- venu le do-
inage caufé, ou l'injuré faite^. Ce qu'on ne peut à cet égard
en vertu du Droit naturel , on.le peut très-légitimement en
vertu du Droit des Gens y. qui a établi l'ufage des repréfail-
Ics , par une conféqucnce qui réfulte nècefTairement de la
diftindion des fociétés civiles^
î7.t)îvî«onrfcs Après avoir donné ime idée générale de la Politique 6k
X^iiclrÂu^^^^ ^^5 différens Droits , il ne me refte qu'à expliquer le plan
«renfermé toute s *•» • r • • ai j n n» 1 ' rr
ks matières de que j ai luivi > pour tachct de perfectionner la connomance
des matières de Gouvernement , & pour les réduire en un
feul corps de fcience. L'ordre le plus naturel m'a paru être
(a) SeTvitus efl conjlitutîo Juris Gentîum , qui quis dominio alieno contra naturam
JubjicituT. IfiHit. de Jureferforuirunu J. Pe .
du Gouverne-
DU GOUVERNEMENT. 37
de divifer TOuvrage en fcpt parties , dont chacune coni-
pofe un volume,& efl: fubdiviféc en Chapitres & en Scdions.
Annoncer un Ouvrage dogmatique de fept volumes , c'cfl
fans doute annoncer un Ouvrage bien long ; mais ne puis-je
pas , avec plus de fondement encore , employer la raifon
dont rOrateur Romain fe fervit , en écrivant fur Tun des
fujets que j'ai traitvfs? » Si Ton mefure (difoit-il) mon dif-
» cours à la grandeur de mon cntrcprife , peut-être le trou-
ât^ vcra-t-on trop court {a).n
Dans ce premier volume , qui doit fervîr dUîntroducfion à PwM.fMiTit;
tous les autres, j'explique , en remontant jufqu'à la naiflance ûoh il"f«fncc
des fiécles , comment de ces premières fociétés humaines , que ^^*
Famour conjugal & la paternité ont formées , font forties ces
fociétés plus nombreufcs qu'on appelle civiles ; quelle a été
l'origine des arts , & quels progrès ils ont fait. J'expofe les
plans des anciens Légiflateurs & les formes des anciens
Gouvernemens , dont je marque & les avantages & les dé-
fauts. J'entre dans un grand détail au fujet des nouvelles
conftitutions d'Etat qui fe trouvent dans les quatre parties
du monde. Je rapporte furtout les mœurs , les Loix tant
fondamentales que civiles , la force ou la foihlefle des na-
tions de notre Europe. Enfin , après avoir montré quelle eft
aftuellement la fituation politique de cette panîe de la terre,
qui femble être un monde féparé & différent des trois au-
tres', je traite la queflion de la meilleure forme de Gouver-
nement : queflion toujours mal agitée & toujours mal enten-
due. Ce premier volume contient Thifloire , & efl comme
le tableau de tout \z monde politique ; il renferme des con-
(.î) Qua filonga fuerit Orâtio , cum magniiudine comparetur , ita fortajjis erioMi
ireyior vidtbituT. Cicer. Ojf.
3» SCIENCE
noiflances prclîminaires , importantes en elles-mêmes , & né-
ceflaires à rintelligcnce des volumes qui fuivenc.
pakttciî. Le fécond traite du Droit naturel. J*en montre Tulàge
piltt^I^*** pour les Souverains comme pour les fujets« J'en explique
les grandes maximes , ces maximes qui élèvent l'homme à
Dieu y qui fixent l'attention de Thomme fiir lui-même , fiç
qui , du culte divin & de Tamour propre bien réglé , font
paflcr rhommc à l'exercice des devoirs de la fociété. Ce
Droit naturel dont je traite ici ^ tige des autres Droits , ré»
paroîr aflcz fouvent dans les volumes qui fuivent , où des
raifonnemens y qui ont un rappon tout particulier à ces au»
très volumes y le ramènent nécefTairement.
Partie III. Le troîfiéme, du Droit public. Je difcute d'abord ce qui
picû puww. a rapport au Gouvernement économique. Je confidére ea-
fuitc la fouveraineté par rapport à fon origine , à fes objets ,
à fes caractères ^ à fes modifications , à fes effets. J'établis les
divers pouvoirs qui la conftituent ^ les diverles manières de
l'acquérir & de la perdre ^ les dif^rens ordres de fucceflion,
les droits des charges ^ les fonctions des Compagnies ^ U
Police militaire, les Loix fondamentales des Etats , ks droits
& les devoirs refpedifs des Souverains & des fujcts , tous les
grands principes de Gouvernement»
p A R T I E I V. Le quatrième , du Droit Eccléfîaftique. Il n'a pas été quef-
urlu Ewîl&ifai tion de faire ici un Ttaité général de ce Droit pour expliquer
*^"" la conduite qui doit être tenue , & les motifs de décifion qui
peuvent erre fui vis dans les affaires particulières de fa dépens
dance. La partie que j'ai & traitée & approfondie, c'eft celle
qui a rapport aux Princes , aux Minifbres, & aux Magiflrats,
pour l'ufage qu'ils doivent faire , à cet égard , du pouvoir
fouvcrain ; les uns , parce qu'ils en font revêtus j les autres ,
DU GOUVERNEMENT. 39
parce qu'ils en fonc les dépofîtaires. Je me luis borné à la
Police extérieure & générale de TEglife ^ Police dont le foin
-entre dans le corps des matières de Gouvernement , comme
■la pahie dans fon tout. J*ai dît de la difcîpline Eccléfiaftîquc
tout ce que j*ai cru néceffaîre d'en conhoître pour TadminiUra-
tien civile. Ce quatrième volume difcute tous les rapports
-du Droit Eccicfiaftique au Gouvernement , fôn autprité^fon
Rendue , & f&s bornes ; les droits de la puiflance temporelle
■for Pe*ercrce extérieur de f autorité Eccléfiafliqifc ^ la part
que les Princes doivent prendre au Gouvernement , à la dif-
cipline , à la Police de TEglife , les libertés & les ufages de
tous les pays Catholiques,
Le cinquième , du Droit des Gen*l J'y explique Torigine , partie v.
les différens ufages , & les règles des Ambaflades , les privi- Drwid« Gum
léges des Miniflres publics des nations , le Droit & les Loix
de la guerre , les principes des Traités y les qucftions qui ont
rapport à ces différens objets , & les maximes qui doivent
être obfervées de peuple à peuple ^ ou entre les particuliers
qui vivent dans différens pays , & qui font , les uns envers
les autres , dans un état d'égalité naturelle.
Le fixiémc , de la Politique y ainfi proprement nommée, parti- vt.
Ici y je marque les foljdes principes & les vrayes maximes uFoUtJucf *^'
d'une faine Politique. J'en montre le légitime ufage. Je pré-
fente fes préceptes dans une étendue y non-feulement par
rapport au dedans de l'Etat, mais par rapport au dehors. Je
dévélope les intérêts refpedifs des diverfes nations de l'Eu-
rope. Il paroît difficile , mais il n'a pas été impofTible de
donner une liaifon & une fuite à cette multitude d'axiomes j
de raifonnemens , & de faits qui doivent néceffaircment en-
trer dans la coippoûtion d'un Traité particulier de Politique,
40 SCIENCE
propre à conduire les Princes 8c les hommes d'Etat dans
les routes de ce labyrinthe.
Parti» vn. Lc dernier volume contient Pexamen des prîncipayx Ou-
prmcii^r^^o^* vrages compofés fur les matières de Gouvernement. On, ap-
iurtesmadcresdc peTçoit d'abord quel en pourra être le fruit. Il fera connoî-
GuHverncineiK»
tre les livres politiques ^ fixera Tidée qu'on doit avoir de ces
livres , & aidera les hommes d'Etat , & ceux qui afpircnt à
le devenir, à confulter , quand ilslefouhaiteront, les divers
ouvrages , à en faire un jufle difcernement > & à puiierdanas
les meilleures fources»
0000
0
INTRODUCTION.
DU GOUVERNEMENT. 41
INTRODUCTION.
CHAPITRE PREMIER.
Formation à* avantages des Sociétés Civiles %
Section P RE M 1ER i.
Du Droit primitif qui fut d^ abord commun k tous les hommes
fur toutes les chofes de la terre j & de celui réfultant des
conventions qui lui fut dans la fuite fubflitué ^^ & qt^i établit
la diflin^ion des domaines. »
IL faut ncceflairement remonter jufqu'à Tenfance du inonde ^ 1. ï>« l'orisînc
pour connoître la manière dont les premières focictés ci- figntrq'îî^s'ont
• •% c r r f eus: des langue*
Viles le lont formées. ou-iisom pariées;
Dieu parle ; & Tunivers fort du néant. II forme Thomme , oni^j^irp'î^''u ic'r-
& imprime en lui le caradere de la divinité ; mais cette créa-
ture défobéit & perd fon innocence. La défobéiflance d'A-
dam fut fuivie de la révolte du premier fils qui lui naquît
d'Eve. Caïn montra au monde naiflant la première injuftice,
fa poflérité imita l'exemple de méchanceté qu'elle en avoit
reçu , la terre fut couvene de crimes -j & Dieu extermina ,
par un déluge univerfel , le genre humain cju'il 'aVoît créé.
Noé feul trouva grâce devant le Seigneur; &c'eft fa famille,
divifée en trois branches, qui a donné des chefs à toutes
les nations. Ce font des vérités révélées que perfonne n'i-
gnore , & dont il fuffit de rappeller ici l'idée pour le deffein
de cet Ouvrage.
TomeL F *
42 SCIENCE
Les hommes , déchus de l'état heureux dans lequel Dieu
les avoit créés , fentirent des befoins 8t cherchèrent ^ chacun
dans fes femblables^ des fecours que Texcellence de leur na-
ture leur fît imaginer , & fe communiquer refpeaivement,
. Ces befoins formèrent entre eux la focîété à laquelle ils étoient
deftinés. Les fignes étoient ce qu'il y avoit de plus propre à
l'entretenir. Il y en avoit de naturels ; l'aurore efl le"fignc
naturel du lever du foleil ; la fumée ^ le figne naturel qu'il y
â du feu î la cendre , le figne naturel qu'il y en a eu ; &c*
A ces fignes naturels , les hommes en ajouteront d'autres.
Les fanaux allumés la nuit dans des lieux élevés , pour gui-
der les vaifleaux ; les balizes qui fervent à en diriger la na*
vigation pendant le jour ; les poteaux qu'on met fur les grands
chemins , pour indiquer aux voyageurs leur route ; les ca-
drans ; les enfeignes ; le fon des cloches ; & mille autres
ufagcs font parmi les hommes des fignçs d'inflitution. De
tous ces fignes arbitraires , le plus général & le plus utile ,
cft celui des mots prononcés ou écrits, à caufe de l'attache
qui y a été faite des idées & des penfées. Par des fons arti-
culés & par des fignes fenfibles à la vue, & tracés fur un
corps folide , l'homme fait connoîtrc à l'homme les idées de
fon cfprit & les fentimens de fon cœur. Le don de la pa-
role & l'invention de l'écriture font deu^t avantages particu-
liers que le Créateur a bien voulu accorder à Fhomme , en le
deftinant à la fociété ; mais la liaifon des fons, des carafte-
res , avec certaines idées , ne vient que de l'inftitution des
hommes qui les y ont attachées (4). Fondés fur l'autorité
inconteftable de l'Ecriture fainte , nous croyons que nos pre-
miers pcrcs reçurent par infufion la première langue , immç.
DU GOUVERNEMENT. 43
dîatement de Dieu même. Les defccndans de ces premiers
hommes l'apprirent par Tufage ; & il y a lieu de croire qu'elle
demeura fans mêlangç & lans altération jufqu'au déluge. Si
la confufion des langues arrivée à Babylone fut Teffet de la
divifion qui fe mit parmi les hommes & de leur difperiîon ,
ou fi le Seigneur confondit leur langage , lorfqu'ils voulu-
rent bâtir la Tour de Babel contre fa volonté , c'eft ce qu'on
peut apprendre ailleurs (a). La plupart des langues ont été ,
dans leurs commencemens , groflîeres y imparfaites 9 pauvres ;
elles n'ont été enrichies & perfeâionnées qu'avec le tems ;
elles ont eflliyé de grandes révolutions , & leur mélange a
formé , dans ces derniers fiécles , plufieurs langues nouvel-
les 9 auxquelles dans la fuite d'autres pourront fuccéder :
elles fuiyent d'ordinaire la fortune des Etats. Chaque langue
s'eft confervée plus ou moins exempte du mélange d'une au-
tre y fuivant le degré de commerce que le peuple qui la pgr-
loit a eu avec les autres nations. Elle s'eft pareillement plus
ou moins répandue parmi les autres peuples , félon que cha-^
que nation y a étendu plus ou moins fon commerce , fon
goût pour les ans & pour les fciences , fa Religion , fon
Empire.
Les enfans qui fortirent des trois branches de la famille
de Noé , fe multiplièrent en plufieurs familles , fe répandi-
rent fur la terre , la partagèrent entre eux , & devinrent cha-
cun père d'une nation différente. La poflérité de Sem peu-
pla l'Afie ; celle de Cham, F Afrique ; celle de Japhet , 1 Eu-
rope. C'eft ce que nous trouvons dansMoyfe, Hiftcrien fa-
cré, qui , indépendamment de la foi qu'on ne peut refufer à
(a) DifTertatîon de Calmée danifei Prol^gomènei de rFcritvre; Scelle de
Lamy , dam & Rhétorique , depuis la page ^y jidqu'à U page ^3 édition de Paris»
Fij
44 * SCIENCE
TEcriture faintc , eft le plus ancien des Hiflorîens ^ comme
le plus fage des Légiflateurs, Les Grecs nous donnent la
même idée que Moyfe , de Torigine des nations & de la
propagation du genre humain. Il impone peu d'examiner
par laquelle des trois parties du monde que je viens de nom-
mer , TAmérique nouvellement découvene a été peuplée.
C'eft un point abandonné aux conjeâurcs des Ecrivains , &
il nous fuffit de fçavoir , par les Hiftoriens de tous les tcms
& de tous les pays , que les difFérens peuples font defcendus
de divers enfans d un même père , & que toutes les nations
fc font formées de la multiplication d'un même tronc en plu-
fîeurs branches.
1. Droit primi- . Immédiatement après la création du monde. Dieu donna
liftonimunàtoui ' - . i«//ir iirii
ks honiiiics lur ^u ffcnrc humaui un droit général iur toutes les choies de la
' nues les chofes ^ ^
aciatcrrc;&ma- fcrrc , & il renouvclla cette concellion , en renouvellant le
' nicrc dont les prc- '
l'ic "cm?''*'^' déluge. Croijfez, , multipliez, , ér remplijfez, U terre , dit le
Seigneur à tous les hommes (4). Il leur donna à tous indif-
tinâement toute herbe qui porte fon germe fur la terre, &
tous les bois qui y naiflent {b).
jf , De droit naturel > tout étoit pour les hommes dans une.
communauté négative. Rien n'appartenoit à Tun plutôt qu à
l'autre. Chaque homme pouvoit prendre ce qu'il vouloit ,
s*en fcrvir , & même confumer ce qui étoit de nature à 1 erre.
Dès qu'il s'étoit emparé d une chofo, perfonne ne pouvoit la
lui ôter fans injuftice , s'il en refloit affez pour les autres.
On jouifFoit en commun de tous les biens , comme du foleil
& des élémens. La terre , aujourd'hui le fujet des guerres
entre les Princes 8c des procès entre les particuliers , étoit
(a)Genef. 1.28. 7* 9.
(i) Gcacf. I. 2p,
DU GOUVERNEMENT; ijj
le patrimoine univerfel des hommes , tous y avoient un droit
égal , chacun y avoit part. Les fruits fauvages firent la nour-
riture des premiers habitans du monde ; le creux des arbres
& des rochers , leur habitation ; les peaux des bctes ou les
écorces des arbres , leur habillement (4).
L'ufage que chaque homme faifoit du droit commun à tous
les hommes , lui tenoit lieu de propriété. Ceft ainfi qu'au-,
jourd'hui un théâtre eft commun , & que chaque place appar-
tient à celui qui la remplit- Ceft ainfi que les lieux deftincs
à l'exercice des fondions publiques font communs à toutes '
les perfonnes propofées à ces fondions , & que néanmoins '
chaque place eft à celui qui l'occupe , tant qu'il l'occupe*
Des Tartares deTAne , des Sauvages de l'Afrique & de l'A-
mérique , vivent encore à préfent dans une communauté qui,
toute imparfaite qu'elle eft 9 nous retrace l'image de celle qui
a été parmi les premiers, habitans de la terre. Nos fociétés
religieufes nous en donnent auflî quelque idée. Qui pourroit
fe pppcller fans horreur ces tems & ces lieux où les hommes
vivoient féparcs les uns des autres , ennemis de la dépendan- '
ce y ilsneconnoifToient d'autre vertu qu'une brutalité féroce j
ni d'autres moyens de fubfiftcr que la fraude, la trahifon,
la violence , les meurtres ! Eh combien devoient-ils fe livrer
à ces crimes af&eux , puifqu'ils y avoient attaché la néceflîtc
même de vivre ! II n'y avoit parmi eux nimaîtres , ni fujets ,
ni bienfcances , ni devoirs y ni fentimcns. Chacun d'eux
jérrangcr parmi fes femblables , l'étoit pcut-ctre aufiTi au mi-
lieu même de fes proches. Pour tout dire en un mot , il n en
étoit peut-ccre point qui ne parut erre né pour détruire toute
l'efpece humaine.
<ii) Lucien,
4tf SCIENCE
i.chMeniem A mcfure que les premiers hommes fe multiplièrent > la
4ans la manière - i//^ ii/* i* ' i ••• «ri
de vivre, quiaon- plupart dégénérèrent de la iimplicite primitive. Ils vou-
tinaion des do- lurent vivre d'une manière plus commode & plus agréable :
mnincs , & pat * * o
ronféquem au jij commencèrent à pcrfedionner leur culture & leur nour-
droit de propné- *
feîi1U^7!Iîu>n riture,à filer la laine pour fe vêtir, & à bâtir des maifons
f fimiûfc p^yj. fg iQgej.^ Le changement dans la manière de vivre des
hommes demanda du travail & de Tinduflrie ; & il n'y eut
plus moyen alors , ni de partager le travail également , ni de
mettre en commun les récoltes*
De-là vint Tintrodudion des propriétés particulières ,fourcc
duDroitparticulier.il eft premièrement des chofes qui, fe
confumant par le boire & le manger , font converties en la
fubftance de celui qui s'en fert ; Tufage de ces chofes donna
peu à peu des idées de propriété. En fécond lieu, il y en a
d'autres qui, par Tufage commun , de viennent moins propres
à leur première deftination , comme les habits & certains meu-
bles ; il réfuka auflî une efpece de propriété de la jouifïance
qu'on en avoit. Enfin , fi les chofes immobiliaires ne fe con-
lument point par l'ufage , oh ne les cultive que pour en tirer
ce qui fe confume ; les bleds des terres, les fruits des arbres^
les pâturages ppur les animaux , dont les peaux fervoient à
vêtir les hommes , toutes ces chofes , quand elles fervoient
aux uns, ne pouvoient fervir aux autres ; l'ufage qu'on en fit,
introduifit encore un droit de propriété. Voilà les trois four-
ces de l'acquiiîtion primitive , ou de la diftindion du mie»
6c du tie^i.
Les hommes entrèrent infenfiblement dans les vues d'un
parcage que leur multiplication ^ leur éioignement de la
première fimplicité , avoient rendu abfolument néceflaire.
Les terres ne furent d'abord divifées que par nations j on en
DV GOUVERNEMENT. 47
afligna dans la fuite une portion à chaque famille ; & pour
cette propriété nouvellement trouvée , il fallut établir une
Loi qui imita la nature. Comme Puiage s'acquéroit dans les
commencemens par une application perfonnelle qui produî*
foit la propriété y on voulut que toutes les chofes devinffent
propres par une pareille application j & c eft ce qu'on ap-
pelle Occufdtion.CcWe des chofes mobilîaires fc fit par la Am-
ple appréhenfion ; & celle des immobiliaires , par la cul-
ture, par la pofition des bornes^ par la conftruftion desmai-
fons.
Il feroît difficile de juftifier le fentîment des Ecrivains qui ^ j^ ^j^.^^.
ont prétendu que ces termes mien 8c tien ont été la four ce „« a'^^é'^iS
des xraaux publics. Cette idée eft bonne dans des plans de Jûuà*-u^. ^
Républiques imaginaires , telles que celles de Platon , de
Morus , de Campanella j dans la bouche d'un Déclamateur
qui n'employé que des mots , dans celle d'un Poëte qui veut
répandre du merveilleux (if) ; partout ailleurs , elle ne vaut
rien. Dans la forme qu'ont prife les focictés civiles , & au
point que le genre hymain s'eft multiplié, la communauté
des biens eft devenue une de o^^ belles chimères nées de l'i*
magînation des Poctes.
Ils ont feint que le premier âge du monde , fous les Loix
4eSatuj:neoud'Aftrée, avoitétéun âge d'or. Ils ont ajouté que
/'^j;^^4r^^»/avoitfuccédé à l'âge d'or , c'eft- à-dire que, dans
le fécond âge du monde, les hommes vivaient avec moins de
juftice , & étoient p^r confçquent moins heureux que dans
le pf emier, IJs ont dir que Page d'airain , moins heureux en-
core , avoit fuccédé à l'âge d'argent. Le dernier âge où ces
Poètes ont vécu, ils l'ont appelle Uge de fer , c'eft-àdire le
( a ) Ovid. Mécamorph. U U
4» SCIENCE
tems où regnoîent rinjûftice & la pauvreté (a) . Quelles idées l
Imaginer des fiécles où les hommes ont uni la félicité à Tirt-
nocencc ! Cet âge d'or dont on fe forme des idées fi riantes ,
n'a jamais exifté que dans ces courts momens deFinnoccnce
de notre premier père ; depuis la chute d'Adam , il n'exîfle
que dans la fable : le premier homme qui naquit au monde y
tua le fécond. Si Ton veut entrer dans ces diftinûions chi-
mériques, il faut fuppofer au contraire que les premiers hom-
mes qui n'eurent ni connoiflance des arts , ni fureté contre
rinjûftice , vécurent dans \eJ/ccU de fer : les nations un peu
plus policées ont vu hjiécle d'airain : plus induftrieux , nous
vivons dans le (iécle d'argent : qu'on inftruife les hommes des
grands principes de la Religion ; qu'on les éclaire fur tous
leurs devoirs ; qu'on les forme infenfiblement à l'habitude
d'un culte fincere envers Dieu, & à des principes d'équité &
de bonne foi ^ntre eux , l'on verra naître Xzfiécle d'or.
Ce n'eft point la divifion des domaines particuliers qui efl
la caufe des querelles àts hommes. Cette divifion a été né-
ceflaire au contraire pour les éviter ; & elle eft utile à fa
manière , comme les fociétés civiles le font à la leur. Il a
fallu que la diftindion du mien 8c du tien fût lune des bafes
du Gouvernement civil ; & il n'y a pas plus de raifon de nous
renvoyer à l'ancienne communauté des biens, qu'il y en au-
roitàêtre aflez amoureux de l'antiquité, pour entreprendre
de nous ramener aux glands de nos premiers pères.
Seroit-il poffible que, fans avoir de difcuffîons infinies ,
tant de millions d'hommes fe ferviflTent aujourd'hui égale-
ment & en même tems des chofes qui leur feroîent communes?
(a) Mtas parentunij pejor avis , tulit nos nequîores , mox daturos progâniem
vitiûfioTem. Horat. Quotidii efi deterior poprior dits. Publius Sirus.
L accord
DU GOUVERNEMENT; ^^ '
L'accord qu on remarque entre les membres de quelques
Communautés particulières , ne tire pas à conféquence , je
ne dis pas feulement pour la fociété de tout un peuple, je dis
même pour la fociété d'une feule ville , d'un feul bourg.
Par quel canal l'abondance couleroit-elle dans un Etat oà
les biens feroient communs ? Tous les habitans fuiroient le
travail , perfonne ne prendront foin des biens publics , les re-
venus communs négligés dépériroient , & Ton manqueroic
alors non-feulement des chofes utiles , mais des néceflaires^
Les arts & les fciences difparoîtroient ; l'égalité dans les
conditions , fuite néceflaire de la communauté des biens >
banniflant toute fiibordination , priveroit les hommes des
fecours qu'ils reçoivent les uns des autres ; Se rendant les
Loix inutiles , entraîneroit une anarchie univerfelle , &
attireroit , avec l'impunité des injures y toutes fortes de vio-
lences.
Les hommes n'auroient pu vivre en commun qu'autant
qu'ils auroïent été fociables, défintérefles , pleins d'amitié
les uns pour les autres , & qu'il aurôient habité le même pays.
Confidérons-les ce qu'ils font : les hommes y tels qu'ils r^
font , multipliés au point qu'ils le font , habitans difFcrens . -'^^
pays , & voulant vivre d'une manière plus agréable y ont dû ';^|
nécefTairement introduire la propriété. Elle leur a été indif- '|
penfable, tant par le défaut déquité qui eût fait un obftaclefe
à l'égalité du travail & à celle de la confommation des fruits ,
qu'à caule de la diftance des lieux. Elle leur a été utile en ce
qu'elle a donné à chacun la connoiflance de ce qui^lui appar-
tenoit y a fait régner la paix entre eux , & a animé leur induf^
trie, en les réduifant tous à la néceflité de travailler pour
leur fubfiftancei
Tome L G
■'■'ie.
p • ^^^ E N C E
^. Bornes appc. r i J^fiîi qu6 chacuii jfe coiitentât de fôn bien, fans ufurper
waincpJucuUer. cêli»i d'auttui , Numa ordonna à fes fujets d'arpenter leurs
terres & d'y planter des pierres qui fuffcnt confacrées à Ju-
piter Terminal* Jls dévoient tous s'aflcmbler chaque année,
un certain jour ^ pour lui d&ïr des facrifices; & iî quelqu'un
ôtoit ou 4:ranfportoit ces porres, fa tête étoit dévouée au
Dieu des bornes : enfoixe que le premier venu pouvoit le tuer
impunémerït -, comme coupable de facriléges. Les bornes qui
R'parent les ^héritages , & qui étoient ainfi un point de re-
ligion parmi tes Romains ,'ont toujours été regardées comme
lacrées dans toutes les fociétés civiles.
6.Deccttedif- Le mien & le //V» ont introduit néceffairement les con-
lï»^nM eft né r^ vendons. Dh^ que ce droit primitif de propriété a été connu
tio^ns;"/ena^dc pampti Ics hommcs , il a fallu qu'ils aycnt pu acquérir des
différentes efpé- \ r, ^i
ces ; & combien droîts patticulicrs les lïns fur les autres. Ce que les uns pou-
elles doivent être •' * "^
innoiaWcs, voiciit faire , les autres n'avoient pas droit de l'exiger , & il
eft des oflices qu'on ne pouvoit efperer fans un retour aftucL
L'intérêt commun a donc demandé qu^on fixât les cas où l'on
fe rendroit des fervices réciproques j qu'on rétablit les rela-^
tionsque les querelles particulières avoient interrompues ; &
qu'enfin on pût faire cefler les engagemqns par la même A^oye
qu'on les auroït contraâés. Tous ces motifs ont. porté les
hommes à convenir dos chofcs qui dévoient entrer dans le
commerce , ils ont pris des engagemens volontaires. Ceft
de la diftin£lion du mien 8c du tien 8c des conventions , que
dérive tout droit acquis , & par coniéqucnt l'injuftice oppo-
fée à ce droit. Il eft évidem que lorfqu'il n'y a point de pro-
priété d'un côté , il ne fçaufoit y avoir d'injuftice de l'autre*
- Ceft fur la foi des conventions que roulent toutes les af-
faires humaines , publiques & particulières. Ne pas Icsexé-^
%
DU G O U V E R N E M E N T. 51
cuter, ce feroit violer la Loi naturelle qui oblige de tenir
les paroles qu'on a données , ce feroit rompre tpus les, liens
de la fociété. Les conventions doivent donc être inviola-*
blés , & rien n'eft plus propre à le prouver que la coutume
où font les peuples barbares d'en conclure & de les obferver
exaûement. Il n'y a pas jufqu'aux brigands qui n'en recon- '
noiffent la néceffité , qui n'en faflent entre eux , & qui ne
les obfervent ^ pour maintenir leurs infâmes fociétés.
S. E c T I O N I I>
Nécejfite y càufes ^ tems ^ ér mmiere de U formation des pre^
miercs fociiiis civiles.
Si les particuliers qid prennent des engagemens n'étoient %\Jttt^Htti->
P ^ A dons feules n'au-
pas. fournis à un Juge commun « revêtu de la force de tous • ^^^"^^ p? ^abur
* . ^ }D ^ . * le repos des focié-
les conventions laifferoient , parmi ceux qui les font , cette [fnjbndcmcm'c^
égalité de puifTance qui fe trouve naturellement entre tous les vcmt^cnu^^^
hommes , & par conféquent une pleine liberté à chacun de
fe conduire au gré de fes paffions. Quelle fureté auroir-oa • ■
contre la mauvaife foi ? L'offenfé fe rendroit l'adminiflratcur
de la Loi naturelle , & le même principe qui porteroit l'ag-
grefleur à l'enfreindre , engageroit fouvent l'offenfé à en fran-
chir les bornes dans la réparation qui lui feroit due. À le
fuppofer même équitable ^ il n'auroit pas toujours le pouvoir
néceflaire , pour mettre la Loi naturelle en exécution. Des
hommes qui ne ie feroient liés que par des conventions d'é-
gal à égal , n'auroient vêcii en bonne intelligence qu'autant de
tems qu'ils les auroient religiëufement oblêrvées. Dès qu'un
feul auroit manqué de. parole, l'alliance auroit été rompue^
& Tinfidélité auroit doinné lieu à la. guerre, Envain auroic-^
Gij
j2 SCIENCE
on mis dans la convention cette claufe : qu'aufîîtôt que quef-
qu'un vîoleroit fcs engagemens , tous les autres feraient obli-
gés de fe liguer contre lui. Cette condition eût ctc inutile^
lorfque plufieurs aurotent' en. même tems enfreint Taccord.
Il auroit fallu une autre convention qui réglât la manière de
punir ceux qui refiifer'oient de réprimer les infradeurs de
raccord, & une autre encore , pour appuyer celle-ci ; 8c
puis encore un autre, & il y auroit eu un progrès à Pinfinia
Dire qu*on auroit pu convenir d'arbitres pour juger les diffé-
rends de ceux qui n'iauroient été liés que par de fimples a£les ,
ce n'eft rien imaginer qui eût rendu les contrats efficaces ,
parce que Tune des parties auroit pu , ou rejetter la voye des
arbitres , ou rcfufer de fe foumettre au jugement arbitral. Les
conventions feules auroient donc été impuiflantes pour établir
le repos des fociétés^ & il a fallu néceffairement que ce repos
fut établi par le Gouvernement civil , où la volonté d'un fcul
efl la règle de tous*
Le Gouvernement civil forme une liaifon plus forte & plus
ftablé que celle qui réfulte des conventions , parce que ceux
qui font gouvernés ne demeurent pas égaux à celui qui gou-
verne. Le Souverain , avec le droit de commander , a le pou-
voir de punir , & chaque fujet eft dans la nécertîté de fe con-
tenir dans Tordre de fes engagemens. On ne peut fe fouftraire
à l'autorité publique , & la fcumiffion eft un devoir dont oa
n'ofe s'écarter.
Si les hommes avoîent toujours fuivi Timpreffion des Loix'
naturelles , liés par l'unité du culte divin , ils n'auroient for-
mé qu'une feule nation , parlé qu'une même langue , obfervc
que les mêmes Loix , ils auroient fait , par l'amour de la ver-
tu , ce qu'ils font par crainte ou par intérêt ; mais on n'clt
DU GOÙVERN E M E N T. Jj
pas attentif à cette voix intérieure qui fe fait entendre au
fond du coeur; 6c Ton trouve peu de ces momens tranquillei
où lame y Vil -eft permis de s'exprimer airifi , fe rend compte
à elle-même , & s'écoute* dans lè filencè des paffiôhs. Les
efpritâ , lès goûtJs, lès fentirncns , lés inclinations dès^ honl-^
mes font différens ; on honore lespafïîpns du nom delà rai-
fon y & Pon eft ingénieux à les faire fervir à juftlfîer le parti
de Tinclinatlon. Ghaqiié homme voudroît êtte lé maître de?
tous les autres hommes ; i& comme il èft împoffiblequetoust
rcuffîflent dans èé deffein-, il à fdhi m que- la raîfoii'com-^
mune apportât quelque ordre, ou que la force le fît ; que
l'autorité du Gouvernement appuyât Texcciltion de toutes*
les conventions; & que les offerifes faites aux- particuliers^
puffent être punies comme des crimes contré ï^tât. C'éft^
par Taurorité dû -Gotiverhement^ civil , qui armé les foibW
de toute la force ptiblîque contre leurs oppréffeursf ,- que Tu-^
nion eft établie parmi les hommes y que les entreprifes font-
r^itrtées, & qiîe'^e repo^>abfcc èft-aff^^ •- . «•
qui
fur la terre , fe Têtre partagée , & avoir introduit: Tùfagé des^"/^*^j*^^^«^^^
conventibhs , lés Tiommes parvinrent "à •Tétablifréinent des [u^cracTaJ^M
fociétés civiles'.' Eés Ecrivains'' àtit eudiflférentes ojnnions wj^Jn^/kaS
for les caufes qui ont eonctlurii^ a former les corps politiqùes^3"en^^^^^^
• Quelques Ecrivains ont <:hérëhë4es caufes de là forriiatîon- *"^'*'
des fociétés "civiles y dans là nature mêmfe '4e Phéikmé', dans '
fon penchant pour là fociété , dans les avantages qu*îl trouve '
(a) ........ Abfifierebello^ '
Oppida capermtmunirefO'ponèréLegeSp ^ r
ife quis fur ejfet p ncu Uuro ^ neu .quis adulter^
5^ se I E N C E
à communiquer avec Tes femblables. Cette opinion n*a aucun
fondemenç. X-hpmme , il efl vrai , eft deftiné par fa nature
à vivre en focicté avec fes femblables : Futilité & les agré-
inens qu il y trouve , juftifient pleinement le penchant qui
Xy porte.; mtais il n^e faut pas conclure de là qu'il eût eu une
inclination naturelle pour le Gouvernement civil. Ce Droit
naturel 4e focicté qui eft en lui eut pu être rempli par le
rooyenxip cç^fe^^é^^s primitives que le lien conjugal & la.
gaf crnixç étal^li^ de ces liaifons d'amitié que
Unaturcjfonçfe çntr-e> ies; égaux., L'homme eft encore plus
fait pour le mariage que. pour la fociété civile ; & la première
de ces liaifons çft bien plus ancienne > plus naturelle , & plus
facile que Tauuç-!. L'éducation^ il faut Tavouer, nous rend
propres à laiôcijçté civilç; elle a pû^ dans tous les tems, eh
i^e çonnpîtrç «les ayanf^gÇS^ comme elle leQ a fait fentir la
néccffké ) depuis la multiplication du genre humain ; mais il
ne faut pas eo corjcluro que la naçure toute feule falTeune Loi
à Thomme de çeite fçrjDe, d'twipA : ellp le difpofe feulement.
1 à, recevoir y ^ar j^^ducatipp; y ç^lrtaines perfeâions dont Ja na-
! ' îtwrgle pjppcrfe^de^lîp^ç^hir^i 0U;;qu eU^ lui
' 'étant convenables^ n- ; •
! D'autres Auteurs .prétendent que Tamour .conjugal ayant
[produit rie genrç hjurpfi^ , la^ tçndrefle paternelle forma une
' ;autrç Haifpny;qMç-dec€;tt€,ppuyelleîUàifo^^ des fa-
• ^ n^illesïîorol^jeqfesî dç cçB Gpiwlles,rde?-çolo^ & de ces
colonie§a:4€?focié4:és<:ivilçs» L'ioflinatio/i que les hommes
ont pour' la fociété^ fut augmentée (dit-on) par celle que
les proches parensqui vivoient enfemble ^ ayoient les uns
pour les autres ; & les fociét-és civiles formées uniquement
par cet enchaînement n^tticd»; Cette féconde opinion qui
DU GOUVERNEMENT. 55
rapporte , comme Ton voit , Torigine des focictés civiles à
une longue gradation de caufes & de fuites naturelles , rie
paroît pas avoir plus de fondement que la première. Elle eft
vicieufe , en ce qu'elle exclut les motifs des fociétés civiles ,
les conventions qu'elles fuppofent & les Loix qui les ont
formées. Comment concevoir que d'un feul homme & d'une
feule femme, ou fi Ton veut , de trois branches de la même
famille qui refterent après le déluge. Ton ait vu fortir des
fociétés civiles , fans aucune raifon qui obligeât les hommes
à en faire rétabliffement , fans qu'il y intervînt aucune con-
vention , fans qu'on donnât des règles à la fociété que l'on
formoit ? Les enfans demeiiroient fous la puiffance paternelle
jufqu'à l'âge de raifon; mais dans les premiers fiécles, l'agri-
culture & la vie paftorale étoient prefque les feuls arts d où
l'on tirât, de quoi fubfifter, & par conféquent rien n'obli-
geoit les pères de garder auprès d'eux leurs enfans après les
avoir mariés. Il paroît , par l'Hiftoire Sainte, que lès enfans:,
furtout ceux qui étoient frères de pères, alloient chercher
fortune hors de la maifon paternelle , lo'rfqu'lis fe trcuvoierit
en état de faire eux-mêmes les fondions de pères de famille^
Ils s y portoient avec d'autant moins de répugnance , qu'ils
trouvoient partout des terres inhabitées , & que les pays
éloignés étoient fouvent plus agréaibles que ceux où ils avoieht
reçu le jour ( /x )• Voilà d'abord une première Icparation des
enfans d'avec leurs percs. Il a pu. y avoir d'ailleurs bien des
fujets de divifion entré les frères. L'amitié eft rare parmi
eux, & l'intérêt en rompt- aifémcht lès nœuds, il dcfuhît
prefque toujours ce que la nature a voulu joindre. Plus les
hommes font liés p^- à&s Woeuds étroits & fdcrés > plus les
(aj Genef. ij. ^, & fuiv.
:^6 r^ ^ 'S'C lE N'C E • :
/haines deviennent violentes ,' lorfque ces nœuds- font ûhë
fois rompus. Les.liâifons de familles ont formé les fociétés
humaines primitive^ , mais ce n'étoît pas un lien durable, &
ces liaifohs n'ont pas été le motif de la formation des fociétcs
civiles. La multiplication du genre humain toute feule étoit
plus propre à difperfer les familles en divers endroits , qu'à
former des focictésnombrcufes.
Quelques autres Ecrivains ont crû trouver la fource des
fociétés civiles dans, les befoins de la vie & dans le defir de
la rendre plus agréable. Ceft encore une opinion erronée.
Un grand homme , parmi les anciens , a foutenu qu'il n'eft
tpas vrai que les hommes ne foient entrés en fociétc , que
-parce que y preffés par leurs befoins , ils fentoient que, fan$
:1e fecours les uns des autres , ils ne pou voient venir à bout,
ni d'avoir ni de fabriquer les chofes qui leur étoient néccflai-
res (4). Les hommes n'ont penfc aux commodités de la vie,
.qu'après l'établiffeinefit des fociétés civiles. L'art del'agri-
^culture, celui de la vie paflorale , celui dé la vigne, celui de
Je vctir ,ces arts, dis- je, fuffifoient à nos premiers parens ,
.& ils les a voient. Nos pères ne fongerent à rendre leur vie
,<loucc , qu'après avoir pourvu à leurs befoins indifpenfables ,
augmentés par la multiplication des hommes. Ils n'ont cher^
:ché le néceffaire , l'utile,. & Tagréable, que dans l'ordre où
tout cela fe piréfcnte encore tous les jours au cœur humain;
Ce n'efl que par degrés que nous allons de defir en defir. Si
<haque homme ,. content du fien, eût pu s'abftenir du. bien
de fes voifins^tous les. hommes euffent vraifcmblablement
.^êcu. dans là Jibené de l'JEtat naturel. La perfedion des arts
^ dçs fcienices. qu'on ne pQUVoic trouver que dans hs fociétés
(i) Cic. OJf. îib. i. cap. 4+ ..
civiles ,
DU GOUVERNEMENT. 57
civiles , la fplendeur & ragrandiffement des Etats y mille corn*
modités qui en font les fuites , ne feroient fe pas préfentées
à Timagination des hommes , ou les hommes ne fe feroient
pas portés à les rechercher. Il falloit quelque chofe de plus ,
c'étoit la néceffité qui devoit le faire trouver. Nous fommes
froids , lorfqu'il n'y a que la raifon.qui nous pouffe ; & de
la manière que nous fommes faits y nous ne fommes conduits
que par voye de fcntiment à inventer, à établir, à perfec-
tionner.
Ces trois opinions fur les motifs de la formation des fo-
ciétés civiles , font encore vicieufes , en ce que chacune fup-
pofe une caufe unique de cette formation. Rapporter l'ori-
gine des focictés civiles à un principe feul , général , & uni-
forme , c'eft démentir les monumens que Thifloire nous a
confervés , & les connoiffances que l'expérience commune
nous fournit.
La crainte dans les uns & l'ambition dans les autres ont
également contribué à fonder les fociétés civiles. Chaque
homme a appréhendé d'être opprimé , & a fcnti le befoifi
qu'il avoit d'une fureté contre les injuflices des autres hom-
mes. Voilà la première caufe de la formation de ces fociétés.
La force jointe à l'ambition a été la féconde ; & c'eft ce qu'il
faut expliquer par ordre.
Tout homme aime la domination , mais il aime encore
plus la vie , & le defîr de dominer a cédé à la crainte de la
mort. Chacun a vu clairement que les autres étoient beau-
coup plus portés à lui ôter les biens qu'il aime le plus , que
difpofés à fe laiffer dominer ; chacun a reconnu fon impuit
fance à réuflîr par la force dans les deffeins que fon ambi-
tion lui fuggéroit, parce que le pouvoir qu'un feul a de
Tqwc I. • H
5« SCIENCE
nuire aux autiw , cft furpafTé de beaucoup par celui que tous
ou plufîeurs auroient de s'en venger ; & chacun a appré-
hendé de perdre par la violence , les biens effentiels qu il
poffédoir. On a cherdié dans Tunion un fecours qu'on ne
pouvoir trouver en particulier ; 8c pour retenir chaque hom-
me dans fon devoir, on a montré à tous les hommes un ven-
geur armé de toutes les formes de la fociété ; on a fait des
Loix , & Ton a ordonné des châtimens contre ceux qui les
violeroient. Par les précautions qu on a prifes en commun ,
on a réprimé les deffeins tyranniques de chaque particulier :
ainfi j les paffions déréglées des hommes qui faifoient leur
union , font devenues la fource de leur bonheur , en jettant
les premiers fondemens de la fubordination,
C'eft afin que chacun fut en état de conferver ce qui lui
appartenoit , & afin que la juftice régnât parmi les hommes
que les fociétés civiles ont été formées. L'hiftoire (^) le dit
clairement des Médes.
Le grand homme que j'ai déjà cité (^) penfe auffi que ce
fut Tobjet de ceux qui fondèrent TEtat Romain. Il conjefture
que 9 dans les premiers tems , la multitude, foible 8c pauvre,
fc trouvant opprimée par la puiflance des riches , recouroit
à quelque homme diftingué par fa vertu , qui faifant régner
l'équité , garantiffbit les foibles de finjuilice & de la vio-
lence , contenoît les grands & les petits , 8c faifoit fubir à
tous la même Loi.
Si vous voulez ( dît un auprc Romain ) parcourir les an-
nales du ponde & remonter aux premiers fiécles , vous ferez
forcé d'avouer que les Loix n'ont été inventées que pour
(a) Herodot.
(*) Gcer. Of. /. a. Citp. i2i
DU GOUVERNEMENT, 5^
garantir les hommes contre une injufte violence (4).
La crainte a été dans le Paganifme la première fource du
culte des faux Dieux ; mais ce que Ton a fait dans les fauffes
Religions (^) , ce qu'on nefçauroit dire du vrai Dieu fans
impiété , on peut le dire des Rois, c'eft la crainte qui a fait
les premiers Rois & qui a établi les premiers Gouvernemens*
Elle a infpiré le defir de fe mettre en fureté fous la protec-
tion d'un maître. L'image du bien public , d'où devoit naître
le bonheur particulier , frappa l'efprit & détermina la vo-
lonté des hommes qui entrèrent dans ce deflein.
A ce premier motif de la formation des fociétés civiles i
s'en cfl joint un autre. L'ambition qui ,. appuyée de la force ,
a fait des Conquérans , a été une féconde caiife de la forma-
tion de ces fociétés. C'efl/ le fentiment de prefque tous les
Ecrivains (c) & un point .qu'on ne peut révoquer en doute.
Quelque effort d'imagination qu'on faffe ^•on ne retrou-
vera point d'autres caufes de l'établiflbment de la Souverai-
neté que les deux^que je viens de rapporter ; & de ces deux
caufes uniques, nous apprenons que toute Souveraineté vient
immédiatement du peuple. Il n'en efl point qui ne remonte
à Tune de ces deux caufes , la violence de celui qui s'en efl
emparé ou le confemement de ceux qui s'y font foumis par
un contrat fait ou fuppofé entre eux , celui en qui ils ont
4éféré la puiflance»
L'autorité qui s'acquiert par la violence n'efl qu'une ufur-
fa) Jura inventa metu înjujli fatearê necejje ejl ,
Temporaji fafios que velis tvolvire mundù H orat. Satyr,
(&) Primus in tH-le Dios fiât timor , arduncœla.
Fulmina dum caàertnt • .Petron.
(f ) Hobbes; Machiavel 1. 1. c. i. des Difcours ; Bt)dîn I. i. c. tf. de fa RépU»
blique ; Caboc 1. 1. c. i. de la Politique; Bayle 5c sûUc: autres Auteurs.
Hij
(Î6 SCIENCE
pation , & ne dure qu'autant que la force de celui qui com-
mande,remporte fur celle de ceux qui obéiffent , enforte que
fï CCS derniers deviennent à leur tour les plus forts & qu'ils
fccouent le joug , ils le font avec plus de droit & de juflicc
que celui qui le leur avoir impofé j mais quelquefois la puif-
fance qui s'efl établie par la violence change de nature , c'eil
lorfqu'elle continue & fe maintient du confentement ex-
près ou tacite de ceux qu'on avoit fournis. Elle rentre par-là
dans la féconde efpèce dont je vais parler»
La puifTance qui vient de réleftion des peuples , fuppofe
néceffairement des conditions qui en rendent Tufage légi-
time , utile à la fociété & avantageux à la République. C'efl
à cet engagement primitif des Souverains que fe rapporte le
ferment que les plus abfolus font à leurs fujets lorfqu'ils font
facrés ou couronnés. Dans les deux cas , le Prince tient donc
de fes Sujets ra^me Tautorité qu'il a fur eux, & cette autorité
eft bornée par les Loix de la nature & de l'Etat. C'eft à la
condition fous laquelle le peuple s'eft foumis ou eft cenfé
s'être foumis à fon Gouvernement. Chaque nation a un droit
inné de fe gouverner elle-même, elle a pu le céder , & lors-
qu'elle l'a fait , c'eft fans retour , mais dans les conditions 8c
dans l'étendue qu'elle même a donné à fon élection ou à foa
confentement.
Ces deux caufes , la crainte & l'ambition , qui ont donné
des maîtres aux hommes , ont concouru prefque dans le
même tems ; & nous allons tâcher de découvrir , fi c'eft le
plus fage qui a été le premier élevé à la Souveraineté , par
le confentement des hommes agités de crainte , ou fi c'eft le
plus fort qui a été le premier Roi , en fubjuguant les autres
hommes par les armes>
DU GOUVERN E M É N T. ^i
Il n'y a aucune force d'apparence qu avant le déluge, les ç-Tems oùîc
^ r^ Gouvernement
foriécés fe foient réunies fous un Gouvernement public. Un civiiaéiéfoimd.
Père de TEglife {a) dit précifément que le barbarifme , c'eft-
à-dire TEtat où les hommes ont vécu fans compofer une
Eglife & fans former des corps politiques ( foit que ceux
qui vi voient ainfi dans les premiers tems & avant Noé , re-
connuflcnt & adoraflent le vrai Dieu , foit qu'ils fuffent ido-
lâtres ) a duré depuis Adam jufqu'à Noé. On ne trouve rien
en effet dans Thiftoire ancienne , qui puiffe faire conjefturer
qu'il y ait eu aucune forte de Souveraineté dans le monde
avant le déluge. Il eft évident que la terre n'eût point été
couverte de crimes, & qu'il n'eût pas été néceffaire que Dieu
la fubmergeât , fi les hommes avoient vécu fous des Loix
communes ; l'autorité du Gouvernement les eût contenus ;
mais tout cédoit à la violence & à l'injuftice. S'il a été com-
mis moins de brigandages dans la fuite j ce n'eft pas qu'il
n'y ait eu & qu'il n'y ait encore le même fonds de corrup-
tion , c'eft qu'il y a fur la terre un ordre qui n'y étoit pas au-
paravant , un frein qui retient , une Puiffance à laquelle tous
les Citoyens fontfoumis. La divifion des domaines particu-
liers commença vraifemblablement bientôt après le déluge.
Les Souverainetés ne s'introduifirent pas tout-â-fait fitôt ; &
il efl: probable qu'il n'y en eut qu'environ cent ans après ,
vers le tems où Nemrod jetta les premiers fondemens de
l'Empire des Affyriens.
Le Créateur a trouvé dans fa fagefTe un moyen pour main- ,^. vEmpitç
tenir l'ordre parmi les hommes y malgré leur égalité natu- S^r^luq^/ei^S
relie, C'eft de les foumcttre les uns aux autres ^ par la voye fi2^? ^^^ ^
la plus douce , la plus forte , & la plus facile à reconnoître y
(fi) s. Jean Damafcèna
62 SCIENCE
celle du fang & du fentimenc. Les hommes ne vécurent af-
furcmcnt pas dans une pure anarchie , ni avant le déluge ,
ni d abord après y ni durant le petit intervalle qu'il y eut
entre rétabliffement des domaines paniculiers & la forma-
tion des fociétés civiles. Chaque père ctoit le chef de fa fa-
mille , le Juge des différends qui y naiflbient , le Lcgifla-
teur de la petite fociétc qui lui ctoit foumife , le proteûeur
de ceux que la naiflance , Téducation , & leur foiblefle met-
toient fous fa fauvegarde , & dont fa tendreffe lui rendoit
les intérêts aufli chers que les fiens propres.
Peu jaloux de leur autorité , ces chefs de famille ne fon-
geoient fans doute pas à dominer avec hauteur , ni à déci-
der avec empire ; ils n'en ufoient qu'en pères , c'efl-à-dirc
avec modération. Comme ils avoient befoin d'être aidés dans
leurs travaux domeftiques parleurs enfans,ils les aflbcioient
aufli à leurs délibérations , & les confultoient dans leurs af-
faires ; & néanmoins ils en décidoient en maîtres. Les Loix
que la vigilance paternelle établiflbit dans ce petit Sénat do-
ineftique , diûées par le feul motif de l'utilité commune ,
concertées avec les enfans les plus âgés , acceptées avec joie
par les inférieurs , étoient gardées religieufement & fe confer-
voient dans les familles, comme une police héréditaire qui
en faifoit la paix & la fureté.
Ce n'cft qu'aux pères de famille qu'il pouvoit appartenir
de gouverner leurs enfans & leurs domeftiques , & de châ-
tier les malfaiteurs. Comment imaginer que les familles ayent
pu être gouvernées autrement que par l'autorité de ceux qui
en étoient les chefs ! Le premier Empire parmi les hommes
a donc inconteftablement été l'Empire paternel. On ne peut
douter que pendant tous le tems qu'Adam vécut , Scth que
DU GOUVERNEMENT. 6^
Dieu lui donna à la place d'Abd , ne lui rendit avec toute
fa famille une entière obéiflance. Gain , qui viola le premier
!a fraternité par un meurtre , fut auffi le premier à fe fouf-
traire à Tempire paternel. Haï de tous les hommes & ^con-
traint de chercher un afile , il bâtit la première Ville , &
lui donna le nom de fon fils Henoch (a). Les autres hom-
mes vivoient à la campagne dans la première fimplicité ; ils
avoîent pour règle la volonté de leurs parens 8c les coutu**
mes anciennes.
Telle fut encore après le déluge , la conduite de pluficurs
familles , furtout parmi les enfans de Sem qui conferverent
plus long-tems les anciennes traditions du genre humain :
ainfi Abraham, Ifaac & Jacob, menèrent toujours une vie
fimple & pafloralc. Ils étoient avec leurs familles, libres &
indépendans, & traitoient avec les Rois d'égal à égal. Abî-
melec , Roi de Gerare , vint trouver Abraham , & ils firent
un Traité enïemble (h). Il fe fit un pareil Traité avec un
autre Abimelec fils de celui-ci, & Ifaac fils d'Abraham. Nous
avons va (dit Abimelec (r) ) que le Seigneur et oit avec vous ,
& four cela nous avons dit : Qjiil y ait un accord entre nous
confirmé par ferment. Abraham fit la guerre de fon chef aux
Rois qui avoient pillé Sodome , & les défit {d).
L'autorité paternelle ne doit fon origine ni aux conven-
tions , ni au droit de la guerre : elle les a précédées , & elle
a fon fondement dans la nature. Chaque père de famille, fe
faififlant d'abord d'une portion de terre qui n'étoit encore à
perfonne , la diftribuoit à fes enfans ^ & ks enfans s'emparant
(a) Genef. 4. 17.
(b) Ibid, 21. 2)1. 1%,
(r) Ikid. z6. 28.
\d) Ibid, 14. 8c fui V.
4^ SCIENCE
de nouvelles poffeffions , à mefure que la famille fe multî-
plioit , acqucroient de nouvelles pofleflîons , avec Tâge fur
leur pofleritc , & la même autorité par laquelle leur père les
avoit gouvernés , & tous les pères étoient fournis au perc
commun. Un grand nombre de familles fe voyoient, parce
moyen , réunies fous Tautorité d'un feul ayeul.
Les avantages attachés à Taînefle portèrent Jacob à en
acheter le droit d'Efaii (4). L'une des fuites de cette aîneffc
fut la domination promife aux enfans de Jacob neveux d'Efaii
(h). Le Patriarche Ruben , étant déchu de fon droit par fa
violence & par fa mauvaife foi à Tégard de ceux de Sichcm ,
les privilèges de TaînefTe furent transférés à Juda fon frère
(c). L'autorité demeura attachée pour toujours dans la fa-
mille de Juda , fes defcendans dominèrent ceux de Ruben
& ceux de tous les autres fils de Jacob puînés de Juda & de
Ruben,
Les enfans de Heth avec qui Abraham avoit fait un accord,
l'appellent Seigneur , & le traitent de Prince. Ecoùtez-nousy
Seigneur , lui difent - ils , vous êtes parmi nous un Prince de
Dieu^ c'eft-à dire qu il ne relevoit que de Dieu (^),
Un Roi pouvant être comparé à un père , on peut réci-
proquement comparer un père à un Roi , & déterminer ainfi
les devoirs du Monarque par ceux du Chef de famille & les
obligations d'un père par celles d'un Souverain. Aimer,
gouverner , récompenfer &: punir , voilà tout ce qu'ont à
faire un père & un Roi. Un père qui n'aime point fes enfans,
ell un monflre : un Roi qui n'aime point fes fujets , eft un
(a) Genef. ^j*. 31. (4.
\h) Ibid. 17. 2p.
(r) Ibid. 4p. 3. lO.
{d) Ibid. 23. tf,
Tiran.
DU GOUVERNEMENT. 6^
Tiran. Le perc & le Roi font 4\in 8c Pautre des images vi-
vantes de Dieu , dont TEmpire eft fondé fur Tamour. La na-
ture a fait les pères pour l'avantage des enfans : la Police a
fait les Rois pour la félicité des peuples. De même que
l'homme, dans fon enfance , ignore fes véritables intérêts,
& ne fçauroit pourvoir lui-même à fon bonheur ou à fa fan-
té ; ainfi le peuple aveugle , téméraire & turbulent , ne for-
me , quand il eil fans Chef, que des projets vains & bizar-
res , n'a que des vues confufes, ne fçait ni ce qu'il doit vou-
loir , ni ce qu'il doit aimer ou craindre ; & quelques mefu-
rcs qu'il prenne , il n'en prend jamais guère aucunes qui
ne tournent à fa ruine. Il faut donc néccffairement un Chef
dans une famille & dans un Etat , comme il faut au faîte
d'une voûte une pierre principale , qui dominant fur les au-
très , termine le centre , & en affermiffe l'aflemblage. Mais
fi ce Chef eft indifférent pour les membres, ce qui ne peut
venir que d'un amour ex ceflîf pour lui-même, il rapportera
tout à lui ; leur avantage fera toujours facrific au fien ; par
leurs travaux , par leurs fueurs, il accroîtra fon opulence ;
pour aflurer fon defpotifme , il les tiendra dans Tefclavage ;
ils ne feront autre chofe à fes yeux , que des inftrumens faits
pour fervir à le rendre heureux. Lorsqu'au contraire ce font
la bienveillance & l'amour qui règlent les volontés du Chef
& diâentfes ordonnances, il fe fait entre lui & les membres
une circulation libre & volontaire , qui porte à tous égale-
ment la fanté , la vigueur & l'embonpoint : tout alors concourt
avec zèle au bien commun du corps entier. Le Chef lui-mê-
me y trouve un folide avantage. Traiter avec bonté un Père,
fa famille, un Prince, fes fujets, c'eft pourvoir à fon intérêt
propre. Quoique fiége principal de la vie &. dufentimenti^
Tome L X
66 SCIENCE
la tcte efl toujours mal aflifc fur un tronc maîgre & déchar-
né. Il y a même parité entre le Gouvernemenc d'un Etat &
celui d'une famii.c : le maître qu rJg.t l'une ou Tautrc , a
deux objets à remplir: Tua d'y faire régner les bonnes mœurs,
la vertu & la piété: Tautre d'en écarter le trouble, les défor-
dres & l'indigence. C'efl l'amour de l'ordre qui le doit con-
duire , & non pas . cette fureur de dominer qui fe plaît à
pouffer à bout la docilité la mieux éprouvée. L'enfant & le
fujet ont des vues trop bornées pour fe gouverner par eux-
mêmes 5 mais ils font affez clairvoyans pour découvrir les
fautes de ceux qui les gouvernent mal.
Platon cft de ce fentiment, que chaque Chef de famille en
étoit le Roi. S. Jérôme , appliquant un paffage de la Ge-
nefe (^a) , dit que le premier né de la famille des anciens Pa-
triarches , en étoit tout enfemble & le Roi & le Prêtre ; &
Nicolas de Damas , curieux obfervateur des anciennes Cou-
tumes, traite auffi Abraham de Roi (^). Noé, Abraham ,
Ifaac & Jacob furent tout enfemble les Prêtres , les Princes ,
les Seigneurs de leur nombrcufc famille ; mais il ne faut pas
leur donner les titres de Rois & de Souverains proprement
dits , ils ne l'ont pas été. Abraham n'avoit ni peuples , ni
Sujets , il ne voyoit fous fon obéiffance que fa femme , fes
en&ns , & fes efclaves ; & la multitude des enfans ou des ef-
clâves ne change pas la nature du pouvoir. Les 318 hom-
mes qui le fuivirent dans fon expédition contre les Rois ,
qui âvoient pillé Sodome, ou étoient des efclaves achetés
lelon la coutume de c^ tems*lâ y bu étoient les enfans de fes
lenriteurs nés dans fa m^ifon» Sa vie étoit paflorale , il étoic
(a) Ce verfrc i du quarante^ neuvième Chapitre de la Genèfe: Ruben primée»
nitus meus,
^ ib) l^koL Dmu^fn 4ifuà Jofiglu Aaxiq. UL i, cap. j.
DU GOUVERNEMENT^ ^7
étranger & voya eur , il ne pofledoit pas un pouce de ter-
re , & il fut olligé d'acheter un champ pour y enterrer fes
morts. Abraham n'étoît donc pas Roi ; fes pavillons & fes
tentes étoient fes Palais ; fes pâturages y fes Etats ; & fa fa-
mille ) fon Royaume. Il exercoit fimplcment Pempire pater-
nel & domeftique , à Texemplc des premiers hommes.
L'autorité paternelle avoit donné la première idée du rj,^J;^^,^^^Î
pouvoir fuprême, elle n'en a pas été la fource, mais locca- ^J^J^î^^^ei
fion ; c'eft le premier canal par où il a découlé. Quelle ap- ^s%icm leî
parence n'y a-t-il pas que les pères conferverent l'autorité usS^v"raiS«é.
qu'ils avoient déjà , lorfqu'on forma volontairement ces fo-
cictés plus nombreufes qu'on a appellées Etats ! L'habitude
d obéifTance où étoient les enfans , les porta fans doute à
quelques foins , pour faire paffer le Gouvernement civil en-
tre les mains des pères. C'eft ainfi qu'Abimelec , fils de
Gedeon , fit confentir ceux de Sîchem à le prendre pour leur
Souverain. » Lequel aimez-vous mieux ( leur dit41 ) d'avoir
» pour maîtres foixante-dix hommes enfans de Jeroboal , ou
*> de n'en avoir qu'un feul , qui eft encore de votre Ville &
7> de votre parenté ? Et ceux de Sichem tournèrent leur
» cœur vers Abimelec (a).
L'autorité des pères n'eft pas pareille à celle des Souve-
rains y cela eft certain ; mais la diftance n'eft pas infinie ^ 8c
le paffagç a pu être prefque infenfible (è). Si nous fuppo-
fions y par exemple y qu'un père de famille y ayant un grand
nombre d'enfens & d'efclaves y eût émancipé , pour parler
ainfi , les premiers & affranchi les autres y leur permettaftt
de vivf e déformais en leur particulier & de former des fe-
(a) Jud.$. 2. S-j.
(5) Rkgia potejlas êjl gentis unius quajî im^ica fuêjiam gukrnatio* Aqfl*
voliu 2.
^8 'SCIENCE
milles fcparées y à condition qu elles feroîent foumifes à fon
Gouvernement, & quil donneroic des Loix à toutes les fa-
milles fcparccs & ne formant néanmoins qu'un corps : qu au-
roit-il manqué à un tel homme pour avoir le rang & l'auto-
rite de Souverain, pourvu quil eût eu en main les forces né-
celfaires pour le but des fociétcs civiles ? Quoiqu ilen foit
de cette fuppofîtion , tout nous doit porter à recormoître que
les pères ont été les premiers hommes élevés à la Souverai-
neté,
A mefure que les familles augmentoient , leur petit do-
maine devenoit plus confîdérable. Elles formèrent peu à peu
des bourgs & des villes. Plus nombreufcs encore , les familles
fe partagèrent en diverfes branches , qui avoient chacune
fon Chef. Les intérêts & les caraderes n croient pas les mê-
mes ; rinjuftice & les paflions particulières troublèrent Tor-
dre public j il fut néceflaire de confier le Gouvernement à un
feul pour réunir tous les Chefs de famille fous une même au-
torité , & pour maintenir le repos public par une conduite
uniforme. On fe donna des Princes , mais des Princes dont
l'autorité étoit très-bornée»
L'idée qu'on avoir du Gouvernement paternel & Theureufe
expérience qu'on en avoir faite , infpirerent fans doute de
choifir , dans chaque canton , & parmi les plus gens de bien
& les plus fages^ celui en qui l'on reconnut davantage Tefprît
& les fentimens de père. Pour relever l'éclat de leur place ,
& pour les mettre en état de garantir la fociété , & des crimes
des Citoyens , & des infultes des Etrangers , on leur donna
le nom de Roi, on leur érigea un trône , on leur aflîgna des
Officiers , on leur accorda des tributs, on leur confia le pou-
voir d'adminiftrer la jullice, &on lesanna du glaive, il
DU GOUVERNEMENT. 6^
paroît par rEcriture {a) , que prelque chaque Ville & chaque
Contrée avoit fon Roi (^). La même chofe fe voit danq rnnc
les Auteurs anciens {c) qui rapportent la tradition commune
du genre humain.
Ce ne furent ni les faâions ni les brigues qui élevèrent
d'abord les Rois fur le trône. La probité feule & la réputa-
tion de vertu & Téquité en décidoient & faifoient donner la
préférence aux plus dignes {£). Suivant la tradition com*
mune , il n'y avoit au commencement que de petits Rois ,
chaque Ville avoit le fien qui > plus attentif à conferver fon
domaine qu à l'étendre , renfermoit fon ambition dans les
bornes du pays qui l'avoit vy naître {e). Gouvernement heu-
reux, établi avec douceur , à l'exemple de celui des pères,
imité lui-même de celui de Dieu qui, conduifant les hommes
par fon amour , ne laiffe pas de fe les attacher encore par les
motifs de Tefperance & de la crainte (/).
C'eft ainfi que les Juifs tranfmirent toute l'autorité de la
nation à Simon & à fa poftérité (g). L'aûe en fut dreflc au
nom de tout le peuple qui confentit à le faire Prince, Déjo*
ces fut fait Roi des Médes, de la même manière {h). On
voit, du tems d'Abraham , c'eft-à-dire environ quatre cens
ans après le déluge, des Royaumes formés & établis depuis
(a) Cenef. 14. 3c en plufîeurs autres endroits*
(3) Jofué , 12. 2. 4. 7. 14.
(lO Juilin 9 Homère, & autres.
(d) Principio rerum 9 gentium 9 nationum que imperium ftnè^ RegiS erât. Quos
Md fajiigium hujus majejiatis non ambitio popularis 9 fed fptÛaza inter bonos modt*
ratio provehebat : populus nuUis legibus ttntbatuT : arhima Principum pro legibus
tranu Jufiin. lïb. 1. cap. i.
(0 Fines imptrii tuerimagis quam proferre mos trot, intrajuamcuiquepatrkm
régna fixabantur, Jujlin. lib. i. cap, i.
(/)Reg.8.J-
(g) Machab. 14% 27. 41^
{h) Herodoc*
70 SCIENCE
long-tems (a); quatre Rois faire la guerre contre cinq , Mel.
cVûfadech Pontife du Dieu Très-Haut ^ être appelle Roi de
Salem , Pharaon régner en Egypte , & Abimelec du tems
dlfaac, régner à Gerare (^)* Tous ces Rois ont des Offi-
cîers réglés , une Cour qui les environne , une armée y 8c un
Général pour la commander. Qui touchera , dit Abimelec y
lu. femme de cet homme y mourra, de mort (f). Audi le peuple
de Dieu , de fon propre mouvement , demanda-t-îl dans la
fuite des tems , à Samuel , un Roi pour le juger & pour mar-
cher à la tête des armées, à Texempledes Rois des autres
nations.
Les hommes qui avoient vu une image de Royaume dans
l'union de plufieurs familles , fous la conduite d un père com-
mun , & qui avoient trouvé de la douceur dans ce genre de
vie, fe poncrcnt aifément à faire des fcciétés de familles
fous des Rois qui leur tinflent lieu de pères , lorfque les in-
juftices qu'ils foufFroient leur eurent fait fentir que Tautorité
purement paternelle n'étoit ni affez étendue , ni affez auto-
rifée pour les en mettre à couvert. Ceft pour cela apparem-
ment que les anciens peuples de la Palefline appelloient leurs
Rois Abimelec , ceft-à-dire dans la langue Hébraïque, mon
ferc & mon Roi. L'on donnoir ce nom à tous les Rois de
Gerare , comme Ton donnoit celui de Pharaon à tous les
Rois d'Egypte.
,1. Il s'Atbiu A cette manière légitime de régner par le confentement
m«pTu8con2dé-du pcuple , TambitioD en ajouta une autre , fi ce ne fut pas
dcj conquêies. dans Ic même tems , ce fut bientôt après. Elle enfanta des
Conquerans»
(a) Genef. 14. ta. p. Ibîi. x8. 20. tbïi. !»• Ijf. 20. 2*
(fi) Gcnef. II. If. M* %i. ii»
(c) Ibii* ». 6. !•
DU GOUVERNEMENT. 71
Les conquêtes font très-anciennes ; & cette voie de donr
ner des Rois à la terre a dû fuivre de près celle de Télec-r
tion. Il femble que Ton doive pcnfcr que le pouvoir fouve-
rain ne doit pas fon origine aux guerres , parce que les guer-
res fuppolent les focictcs civiles déjà établies ; mais les pè-
res qui ne vivoient dans aucune fociété,aidés de leur famille,
ont pu s*en foumettrc d'autres , & peu à peu former un
Etat : Un feul homme même , aj)puyé par ceux qu'il auroît
intimides , auroit pu fc faire infenfiblement une Souve-
raineté.
Quoiqu'il en foit , dès que les fociétés civiles eurent été
établies , les démêlés prefqu inévitables entie des voifins , la
jaloufie contre un Prince plus puiflant , un efprit remuant y
des inclinations Martiales & le défîr de s'aggrandir , don-
nèrent occafion à des guerres qui fe terminoient fouvent par
l'entier affujettiffement des vaincus , dont les villes paflbient
fous le pouvoir du Conquérant , & grofliflbient peu à peu
fon domaine. De cette forte , une première vidoirc fer-
vant de degré à la féconde, & rendant le vainqueur plus
entreprenant , plufiëurs Provinces réunies fous un feul Mo-
narque y formèrent des Royaumes plus ou moins étendus ,
félon que le vainqueur avoir pouffé fes conquêtes avec plus
ou moins de fuccès (a).
La preuve des Empires fondés par des conquêtes eft bien
plus certaine^que celle des Etats établis parle confentement
libre des hommes. Ce qui s'efl pafTé dans des tems fi reculés,
n'eft venu à notre connoiffancc , qu'à proportion de Téclac
(a) Domitis proxbnb càm accejîone virium fortior ai (dios tTanJiTet ^tf jToxïma
quétcpit viâioTkinfirumcmumfequentUeJpn^totiuiOTientiifpfuksfobt^^ JuJt,U
f. C» K
72 SCIENCE
qu'il a eu dans le inonde : or les Traités par lefquels les
peuples fe font choifîs des maîtres , ont cté ou des conven-
tions verbales ou des écrits obfeurs y qui , n'intéreffant qu'un
petit nombre d'hommes , ont pu former fans bruit de petits
Etats ; au lieu que tous les grands Empires anciens & mo-
' dernes ont été formés par des guerres fanglantes y qui ont
attiré l'attention du monde entier.
Nemrod fut le premier qui foumit les hommes par la voie
des armes ; l'Ecriture en parle comme du premier conqué-
rant & comme d'un ardent chafleur devant le Seigneur (a) .
Cet homme ambitieux eut apparement deux vues , en s'ap-
pliquantau pénible & dangereux exercice de la chaffe.L'une,
de s'attirer l'afFeâion des peuples en les délivrant de la crain* •
te des bêtes féroces: l'autre, d'endurcir à la fatigue & d'ac*
coûtumer à une efpece de difcipline beaucoup de jeunes
gens , en les exerçant à la chafTe , pour les employer à des
dcffeins plus férieux , après les avoir aguerris & accoutumés
à lui obéir. C'eft ainfi que cet homme féroce , qui avoir ar-
mé un grand nombre de fes fçrviteurs , fous prétexte de la
chafle y fît des armes du fer qui avoit fervi au labourage ,
tourna contre les hommes les armes qu'ils avoient préparées
contre les bêtes , & jetta les premiers fondemens de l'Em-^
pire des Affyriens } car Belus , fondateur de cet Empire , cft '
le même horome que ce Nejhrodt Telle eft l'origine du droit
de conquête.
Les Royaumes fondés par les conquêtes , font anciens ,
puifqu ils ont commencé fî près du déluge fous Nçmrod
fixiéme fils de Chus, petit fils de Cham , le plus jeune des fils
(«' ^pfi cœ^t effepotifj in terra , robujlus venaxor corûm Domino, Geoef. xq«
Noe
DU GOUVERNEMENT. 73
Noé 9 & celui qu'il avoir maudit. Ce Tyran commença à être
puiflant fur la terre,il y établit fon autorité , il y bâtit de grandes
villes (je dis de grandes villes ,, car il y eut des villes avant le
déluge, & TEcriture nous parle (a) d'une ville bâtie par lui
depuis fon fratricide) ilfubjuguafesvoifms les plus proches ,
il les réunit fous une Loi commune , & il forma un Etat de
quatre villes qu'il avoit conquifes : il régna fur Babylone ,
Erech , Arcal , & Calnc, dans le pays deSchinhard.
On ne peut chercher dans Thiftoire l'origine des fociétés ,j. ^^ ,^
civiles , fans reconnoître qu'au commencement tout a été ^Tommc!!^é
foumis au Gouvernement d'un feul. Des Auteurs , favorables aue;i\yl7x!à'2
d'ailleurs au Gouvernement Républicain, le reconnoif-dwcfpé^csdc'R^
^ , . publiques ; maif
lent (oj9 cen*eikqucrabui
^ ' de PautoriiéMo^
Dès que les hommes eurent fenti la néceffité de fe don- n*Khiquc qui a
A donné lieu à lét j«
ner des maîtres , les pères , accoutumés à un Gouvernement ^i^iJ^r Répuâ"
domellique qui avoit montré le premier modèle de la Sou- ^"**'
veraineté , voulurent en avoir un plus étendu. Ces Monar-
chies furent plus ou moins informes , félon le tems & félon
l'habileté des Fondateurs. Un tel corps politique ayant été
une fois formé , ceux qui avoient vécu jufques-Ià hors des
fociétés civiles , & à qui cette forme de Gouvernement étoic
préfente , en établirent de femblables , pour n être pas op-
primés par ces petits Etats naiflans.
Les premiers Gouvernemens furent Monarchiques , cela
paroît inconteftable ; & ce que dit Juftin , que dès le com-
mencement du monde , les Rois ont commandé aux peuples
& aux nations , eft exadlement vrai (c). Que la Monarchie
foit la forme de Gouvernement la plus naturelle , cela paroîc
(à) Genef. 4. 17.
(b) Paruta » noble Vénitien , de la perfeAioa de la vie Politique » lir. |.
(i ) Voyez le paflàge de cet Auteur que je viens de rapporter.
Tome L K
74 SCIENCE
encore aujourd'hui réfulter de ces fociétés naiflantes de TA-
friquc & de TAmcrique , où Ton remarque prefque partout
de petites Monarchies , & bien rarement des Ariftocraties
& des Démocraties. L'Empire paternel qui avoit accoutumé
les hommes à obéir , les avoit en m^me tems accoutumés à
n'avoir qu'un Chef. Il eft vraifemblabic que, lorfque les fa-
milles s'unirent pour former un Corps d'Etat , elles fe ran-
gèrent comme d'elles-mêmes à un Gouvernement qui leur
étoit propre , & dont la forme ctoit expofée à leur yeux ; &
nous venons de voir que les Ambitieux , favôrifés par les
circonftances , élevèrent leur autorité fur la ruine de la liber-
té des autres hommes : ainH , le choix des peuples & la voie
des conquêtes établirent également le Gouvernement Mo-
narchique.
Ce n*eft pas qu'il n*y ait eu d'aifez bonne heure quelques
efpéces de Répub^ques. On voit , en quelques endroits de
l'Ecriture, l'autorité réfider dans une Communauté. Abraham
demande le droit de fépulture à tout le peuple , & c'ert: l'af-
femblée qui l'accorde (a). Il paroît qu'au commencement les
Ifraclites vivoientdans une forte de'République : fur quelque
fujet de plainte arrivée du tems de Jofué contre ceux deRu-
ben & de Gad , /âs enfuns d*lfraél s/iJfembUrent tous fout
les combattre ; mais ils envoyèrent dupar avant dix Anthajfa^
deurs four écouter leurs raifons , ceux de Rulen & de Gad don-
nerent fatisfailion^ ér tout le peuple d*Ifracl sappaifa {b). La
femme d'un Lévite ayant été violée par quelques Scélérats de
la Tribu de Benjamin , fans qu on eut fait aucune juftice ,
toutes les Tribus s'affcmblerent pour punir cet attentat , &
(fl) Genef. 25. 5. jr.
{b) Jof. 2,%* 11. la. 13.. 14. %i^
DU GOUVERNEMENT. 75
les Ifraêlitcs fe difoîent l'uni l'autre dans cette affemblce :
jântAÎs il ne sefi fdt telle chofe en Ifraél y jugez, ^ ordonnez, in
commun ce qu il faut faire {a). C etoit en effet une efpéce de
République , mais qui avoit Dieu pour Roi.
Ce ne fut que par la fuccclÏÏon des fiécles que les Repu*
bliques fe formèrent. L'origine des Etats qui ont une vraie
forme de République eft connue. L'abus feul que les Rois fi-
rent du pouvoir Monarchique , introduifît le Gouvernement
Républicain. L on n en peut prefquc pas douter, à confîdé-
rer la manière dont les Gouvernemcns Monarchiques ont pu
setablir. Cette voie fe préfente naturellement à Tefprit , &
cen'eft que l'abus qu'on a fait du pouvoir Monarchique, qui
a pu faire chercher d'autres voies plus éloignées. On en dou-
tera encore moins , fi Ton confidere la fondation des plus
anciennes Republiques dont l'établiflcment foit connu. La
Çréce ayant été lubmergée par le déluge de Deucalion , de
nouveaux Habitans vinrent la peupler. Elle tira prefque des
colonies d'Egypte & des contrées de l' Afie les plus voifines ;
& comme tous ces pays étoient gouvernés par des Rois , les
peuples qui en fortirent , furent gouvernés de même. Mais
ces Princes ayant abufé de leur puiflance , en fecouerent le
Joug ; & des débris de tant de Royaumes , s elévereni
ces Républiques , qui firent fi fort fleurîr^a Grèce , feule
polie au milieu des Barbares. Il y auroit eu moins de Répu-
bliques , peut-être même n'y en auroit-il jamais eu , s'il y
avoit eu plus d'hommes dignes d'être Rois.
L'humeur ambitieufe & violente qui -avoit agité Nemrod, ^ ^^ ^
(e répandit bientôt parmi les hommes. Moyfe rapporte {h) "^^^^^^^i^^^
grands Empires
(a) Jiid. ip. %0.
\h) Gcnçf. ly. r. 2.
Kij
^6 SCIENCE
fc formèrent &fc quc , du tcms d'Annaphcl Roi de Babylone ^ Chedorlaho-
fnr ks dcbm du mcr % Roi d'Elam , c eft-à-dire de Pcrfe « accompagné de
éeruiif de CCS ' ^ i t^ . r> f i
Emmrtrs oni été ^jrois autics Roîs , marcha contre les Rois deSodome, de
fondées les gran- * '
^?c n^T^oN^^nî Gomorrhe , d'Adma , de Theboïn , & de Bêla qui lui étoient
Afief STen Àfr" iouiTiis , & qu il vainquit : par où il paroît que le Roi de
SouvUu mimdea Pcffc ctoit Ic plus puiffant dc tous , puifqu il avoit des Rois
cknr"^ *"' à fa fuite & des fujcts affcz loin des bords Occidentaux de
TEuphrate. L'ambition des Conquerans fe trouvant trop ref-
ferrée dans les limites d'une Monarchie , fe répandit partout
comme un torrent , engloutit les Royaumes , & fit confifter
Li gloire à dépouiller de leurs Etats , des Princes qui ne leur
avoicnt fait aucun tort , à porter au loin les ravages & les in-
cendies , &: à laifler partout des traces fanglantes de leur
paflage. Tel a été le fondement de ces fameux Empires qui
embraflbient une grande partie du monde.
Le lieu où les premiers hommes avoient pris naiffance ,
devoir être naturellement celui où fe devoit formerle premier &
le plus puiffant Empire, Audi T Afie en a-t-elle été le riége,par-
ce que cette contrée qui renfermoit la demeure délicieule de
nos premiers parens , étoit remplie de tout ce qui peut flatter
Tambition de Conquerans, L'Affyrien , le Babylonien , le
Méde , & le Perle pcfféderent tour à tour des richeffes im-
menfes de cette Ptrtie du monde.
Comme dans Tordre des chofes naturelles , la deftruftion
dc Tune fert à la produftion d'une ou de plufieurs autres , de
même la décadence d'un Empire donne la naiffance à d'autres
Etats {a). Sans parler de l'ancien & premier Royaume d'E-
gypte & quelques Etats féparés des autres & comme ifolés,
(^) Sic omnh rertu
Cernimus , atque alias in celfum ajjurgere gentes:
Concidere h(u. Perf.
DU GOUVERNEMENT. ^j
quatre grands Empires fe fuccéderent, fe ruinèrent , & dit
parurent tour à tour : TEmpire des Aflyriens & des Babylo*
niens : TEmpire des Mcdes & des Perfes : TEmpire des Ma-
cédoniens & des Princes Grecs fucceffeurs d'Alexandre :
enfin TEmpire des Romains.
Ce dernier Empire , après avoir tout foumis à fon pouvoir
par la force des armes & par fa Politique , fiit comme déchiré
en difFcrens morceaux, & ce démembrement donna lieu à
Fétabliffement de prefque tous les Royaumes qui partagent
maintenant l'Europe , T Afie , & T Afrique. Le defpotifme
fut établi dans prefque toutes les Contrées deTAfie & de TA-,
frique j & un Gouvernement modéré dans la plupart des Etats,
de notre Europe. C'efl ce qu'on verra par les détails où j'en-.
trerai> lorfque j'expliquerai l'Etat des Gouvernemens qu'il y
a a£luellement fur la terre.
Des Royaumes qui fe font élevés dans notre Europe, à
mefure que les parties de l'Empire d'Occident les plus éloi-
gnées s'en dctachoient, le plus ancien de tous eft celui qui
fut fondé dans les Gaules par les Francs , &dans lequel nous
avons le bonheur de vivre. Cela eft inconteftable , puifque fa
naiffance concourt avec la huitième année de l'Empire d'Ho-
norius.
C'eft des débris (Je l'Empire d'Orient que s'étoît auffi for-
mé l'Empire fondé par Mahomet, lequel, après s'être élevé
dans l'efpace d'enviroQ 8 1 ans , à un degré éminent de gloi-
re & de grandeur , fut détruit -j mais fes débris ont formé
trois puiffantes Monarchies qui fubfiftent encore aujourd'hui,
le Mogol , la Perfe & la Turquie.
C*&ft encore par la même voie des conquêtes que le. morv^
7» SCIENCE
de nouvellement découveit a été fournis à Tancien , comme
je l'expliquerai ailleurs (a).
Section II L
Arts qui ont précède y dccompAgnê , ou fuivi le Gouvernement
Civil.
M.udiftinc- L^s produÔîons de U terre' font les feuk biens réels, elles
du TiEM r"nd^ fuffifent à tous nos befoins. L'induflrîe humaine rend ces
J^g^dc. dcn- produ£lions propres à tous les ufages ; mais toute terre ne
produit pas tout ; & il fallut , depuis la diftinâion du Mien
& du Tien , que chaque homme fe procurât ce qui lui man-
quoit pair des échanges , avec le fuperflu de ce qu'il récueil-
foît* Les échanges introduits furent le grand mobile de Ta-
b$mdance ) & ils ne purent fe faire entre les premiers hom-
mes que de denrée à denrée* C eft ainfi qu'ils fe font encore
aujourd'hui chez les Sauvages , mais les Nations policées ont
fenti & reparé les défauts de cette forte d'échange.
i«,L*or&ra^ Le commerce, par la voie des échanges , étôit embaraffant
'^k'hMgc"^& & fujet à mille incônvéniens. Chacun n'avoit pas précifement
ce qui pouvoit accommoder celui avec lequel il vouloit faire
l'échange. La valeur des denrées n'eft pas ftabîc , on ne peut
les tranfporter fans dépenfc , les diftribuer fans peine , nr
les coflferver longtems fans altér^on. A mefure que les fo-
cîétés font devenues plus nombreufes & plus peuplées , les
befoins de détail ont augmenté , &: les» incommodités de ces
premiers échanges fe font multipliées,
L Pour éviter ces incommodités & poui: faciliter les échan-
ges , on a eu befoin d'un gage. ou dtin^ équivalent général*
*(tf> ban< cette même IntrodudlioA , Ch. VI. SeA. première & féconde.
CCI
«aoiuceouJicu,
D U G O U,V E R N E M E N T. 7^ '
dont le prix fut certain, qui fut aifc à tranfporter, & qui de-
vînt la mefure commune des effets , de rinduflrie,& detout
ce qui peut entrfer daris le commerce. Les métaux parurent
propres à cet ufage. On y employa fans, doute d'abord les.
pièces de cuivïe j mais la conflitution de Tor & de l'argent ,
Iblide , malléable, flexible , fufceptibles de toutes fortes d'im-
prelfions, fidèle à les confèrver avec la derrière exa£litude ,
ècj pour le dire en un mot, dégagée de toutes les imjperfeçr
tions des autres métaux , qui font ou trop durs pu trop mois ,
ou d'un maniement dcfàgréàble & neme dangereux , déter-
mina enfuite toutes les nations à leur donner la préférence.
Au moyen de cette convention générale des hoirvmjf s^.çjçs
deux fôfFilès font devenus la 'mèfurê commune des*' echafisés :
mefure fixe , incoitûp'tible , portative , diVl/^blè en pluIieurS
parties , & par conféquèû* p A)près à tous te's'détâils du com-'*
merce.
L'or & Pargent circulant prpduifent dans, lé corps polîti-.
que le même efifet que là circulation diilangaans le corps ^
Humain. Lefang,pàr un niouvênient réjgulier , vivifie tous
lès membres du corps humain ; Tor & rargeht par un iembïa-
ble mouvement , animent toutes les parties du commerce.
L^augmcntatîon continuelle du comimerce ,& celle des i-^: j.e eré^h
beloms qui en a cte la iuite, ont cte caule que ces métaux^ ivrgtm qui (bm
qu'on appelle monnoye , jTohp devenus inluïïilans. On y.a rc-|<*«""^^; ^^ »^y
medié. Il fe fait de ces métaux iitic efpece de hiultiplication % .«^«"^ & ^^
^ ^* ^.richcflcs d'on-
par la confiance des particuliers qui a établi le prêt & le cré-.""**»'
dit. Tandis que Tor & Targènç qui repréfentent les.prcducr/
tions de- la tèfre, continuent îe cïrdiïer aTuîâgé du çom-"
merce, ils font reprcfentés par dé§ fetrfes dé ch'aiïgé & par
des billets. Un morceau de papier de deux doi^ tient licb
io SCIENCE
d'une fomme confidérable d'argent qui fe trouve , je ne dîJ
pas feulement dans le même lieu , dans la même Province ^
dans le même Royaume, mais au bout de la terre habitable.
De-là y deux fortes de richeffes parmi les hommes , les
r/elUs , Çc celles àiofinion.
Les richeffes réelles font les fonds de terre , les denrées ^
les marchandifes , les bâtimens ^ les meubles.
Lès richeffes ai opinion font Tor , l'argent , les lettres de
change , & les autres écrits que la confiance a introduits.
enVénSS. ^^ ' Ce ne fiit d'abord que par quelques effais foibles & impar-
faits y que les premiers arts prirent naiffance y mais dans la
fuite , chacun profitant des, idées de ceux qui lavoient pré-
cédé*, 5ç les fucceffeurs de ces premiers inventeurs des arts y
a^oûtân^ leurs propres lumières aux connoiffances qui leur
avoient été tranfinifes , les ont portées au point où nous les
voyons préfentement.
JLes hommes apprirent d'abord , & apparemment de leur
Créateur , Tagriçulture {a) ^ l'art paftoral {b) , celui de fe
vêtir {c) y .& peut-être celui de fe loger. Avec le genre hu-
main y Noé avoît confervé les arts , tant ceux qui fervoient
de fondement à la vie humaine & que les hommes fçavoicnt
dès leur origine , que ceux qu'ils avoient inventés depuis ;
mais le terris qui avoit perfedionné beaucoup de chofes , de-
voit au(E en faire oi4:)lier d'autres y du moins à la plupart des
hommes. Ces premiers arts que Noé avoit confervés & qu'on
vit auffi toujours en vigueur dans les Contrées où fe fit le
premier établiffement du genre humain , fe perdirent à mefure
qu*on s'éloigna de ces piays. Il ÊiUut ou qu'on les apprît de
(c) Geaeir. i. ij« 17, iZ. tg* 4. a.
ic) Uid }. %U
nouveau
DU GOUVERNEMENT. St
tîouveau avec le tems , ou que ceux qui les avoient confer-
vés y les reportaffent aux autres. Ceft pourquoi on a vu ve-
nir toutes les connoiflances de ces terres toujours habitées ^
eu les fondemens demeurèrent en leur entier*
L'Agriculture a , fur tous les autres arts , l'avantage & de ï«.irtJcPA«
l'antiquité & de l'utilité. L'on peut dire qu'elle eft auflî an- ment S^Htédî.
cienne que le monde , puifque c'eft dans le Paradis terreftre ^omi <icpw«i ^
même qu'elle a pris naiflance , lorfqu'Adam > forti tout ré-
cemment des mains de fon Créateur , poffédoit encore le
précieux , mais fragile tréfor de fon innocence. Dieu l'ayant
placé dans ce jardin de délices , lui en ordonna la culture (a) ^
non une culture pénible & laborieufe , mais facile & agréa-
ble , qui devoit lui tenir lieu d'amufement , & lui faire con-
templer de plus près , dans les produdions de la terre , la fa-
geflc & la libéralité du Maître de l'Univers.
Adam ayant été condamné ^ pour fa defobéiffancc , à man-
ger fon pain à la fueur de fon vifâge , Dieu l'affujettit à ce
travail qu'il n'eût jamais connu > s'il avoît toujours ignoré le ,^
mal. La terre , devenue rebelle aux ordres du premier hom-
me y en punition de fa révolte contre Dieu , fe couvrit de
ronces & d'épines. Il fallut lui faire violence pour la con-
traindre de payer à l'homme un tribut dont fon ingratitude
Tavoit rendu indigne ^ & la forcer , par h labourage {b) ^ à
lui fournir tous les ans une nourriture qui lui étoit aupara-
vant donnée gratuitement & fans peine.
Telle eft l'origine de l'agriculture qui , de punition qu'elle
(tf) Ut operaretur Ulum. Genef. II , i ç.
(^) Primas ardtra manu folertifecU Ofiris^
Et terieram fcrro follicitavit humum.
TibuU, Lib. L Eleg. S.
Tome L h
Si SCIENCE
étoit au commencement , efl devenue , par un fihgulîer Bîen^
fait de Dieu ^ comme la mère & la^ nourricière du genre hu--
snain. Elle eft en effet la fource des véritables biens , des ri-
ehefles qui ont un prix rcel & qui font indépendantes de To*-
pinion des hommes..
L'art de F Agriculture s'eft perfedîonné comme tous les-,
autres dont les progrès ont toujours été proportionnés à la
police des Etats. Il n'eft à préfent^fur la furfacc du globe
i^e nous habitons^^ aucun terroir aiTcz ingrat y ou donc la
nature foitafTezpeu connue, pour être infru6hieux entre les
mains d'un maître attentif & intelligent. Il fort > pour ainfi
dire ,, du fein des cailloux & des pierres , des plantes d'un-
ufage univerfel ; les meilleurs vins viennent dans le gravier;
et le fàinfoin , dans des terres à peine capables de produire
du gazon. Dans plufieurs pays y on fait même rapporter fuc-
ccffivement aux terres différentes fortes de fruits , fans qu ij;
foît béfoin de. multipliep les travaux , à proportion du pro-
duit.
if^AftdePAr. Le foin de bâtir dès maifons a fuivî de près celui de cul-
mcntiiure^tédv tiveT lès ferfes > & rArchîtedure n*eft pas de beaucoup ,pof-'
tiwuildcpuu* térîcure à T Agriculture, Les chaleurs exceflives de Tété , les-
rigueurs de Thyver , ^incommodité des pluyes , la violence^
des vents ' avertirent bien-tôt ITiomme de fe procurer desro:
tfaîtes qui lui fèrviffent d'afile contre les injures de Tair»
Ce n'étôit d'abord que de fimples cabanes ^ conflruite»-
fôrt grofliércment de branchages d'arbres & affez mal couver--
tes. Du tems de Vîtruve ( j) > on montroit encore à Athe'»«'
neSi comme une chofe curieufë pour fon antiquité ^ les tCHts^
de r Aréopage faits de terres grafles ; & à Rome ^ dans Irr
(tf) Fîtmv. Lib. J. Cap. L
DU GOUVERNEMENT. «j
ITcmple du Capicole , la cabane de Romulus couverte 4e
çhaume«
On vit enfuite des bâtimens de bois ^ qui donnèrent Pidée
tdcs colonnes & des architraves. De jour en jour ^ à force de
travailler aux bâtimens ^ les ouvriers deviprent plus induf-
trieux , & leurs mains plus habiles. Au lieu de ces frêles ca«
;banes dont on s'écoit d'abord contenté j ils commencèrent à
^élever , fur des fondemens folidcs ^ des murailles de pierre de
brique ; & ils les couvrirent de bois & de tuile. Leurs réfle-
xions 9 fondées fur l'expérience ^ les conduisent alors à U
^onnoilfance des règles cenaines de la proportion , dont le
jgoût eft naturel à Thomme.
Ceft donc par degrés que TArchitedure eft parvenue à ce
point de perfedion où les maîtres de Part Tont conduite* Elle
fe renferma d'abord dans ce qui étoit néceflaîre à Thomme
pour Tufage de la vie 9 ne cherchant dans les bâtimens que
Ja folidité , la falubrité , la commodité. Elle travailla enfuite
À Tornement & à la décoration des édifices , & appella pour
.cela d'autres profeflîons à fon fe<:ours. Enfin , font venues U
pompe j la grandeur , la magnificence^
J'ai déjà dit que l'Ecriture fainte avoit {a) parlé d'une \ille
bâtie par Gain depuis fon fratricide ; c'eft la première fois qu'il
eft fait mention d'édifices dans l'hiftoire. Par-là , nous appre-
nons le tems & le lieu où l'Architeâure a pris fon origine*
Les Defccndans de Caïn , à qui la même Ecriture attribue
l'invention de prefquc tous les arts , portèrent fans doute ce-
lui-ci à une affez grande perfeûion. Ce qui eft certain , c^eft
qu'après le déluge , les hommes , avant que de #s féparer les
nns des autres , pour fe difperfer en diflférens pays ^ voulu-
ia) Gtfief.IV. 17.
«4 SCIENCE
rent fe fîgnaler par un fuperbe bâtiment qui attira* encore fur
eux la colère de Dieu. Il eft donc vrai que TAfic fut comme^
le berceau de rArchitefliure ; que c'eft-là qu elle s'cft répandue-
dans les autres parties de la terre.
Babylonc & Ninive , les plus vaftes & les plus magnifi--î
ques Villes dont il foit parlé dans THiftoire facrée & pro-
fane y furent Touvrage de Nemrod. Vraifcmblablement , elles
ne furent pas portées d'abord à cette prodrgieule magnificence
qui fit depuis l'admiration de l'Univers , mais elles ctoient
fort grandes & fort étendues dès-lors y comme le témoignent
les noms desautres Villes (a) bâties en même tems fur le modèle
de la Capitale.
La con{lru£Uon du labyrinthe , des fàmeufcs pyramides,
de ce nombre prefque infini de tombeaux , de Palais répan-
dus dans l'Egypte y de ces obélifquos dont les ruines font en*
cote l'étonnemcnt des^ voyageurs , marque avec quelle ar-
deur & avec quel fuccès les Egyptiens s'étoient appliqués à
TArchitedlure ; mais après avoir lu tout ce qui acte écrit poup
exciter, l'admiration au fujet de ces ouvrages fiiperbes > on de-*
meure perfuadé que la- plupart /de ces monumens avoient au
moins, le défaut d'^étaler une magnificence abfolument vaine.
Ce ne font que des fpeftacles de luxe , de vanité , & de fo-
Ke (&). Les grands Princes n'ornent que ce qui eft utile , & ud
homme fenfé fera plus de cas de THôtel Royal des Invalides
de Paris , que de toutes les pyramides d'Egypte.
Ce n^eft cependant ni à TAfie , ni a rEgypte , que l'Archî-
teâure eft redevable de ce degré de perfeûion où elle eft par-
Tenue. Il y^ lieu de douter ^ fi les bâiimens renommés da
f<2^ Cenef. X , verf. ii , & la.
{^) Rcgum pecunia otioja acftuUa ojléntatio. Plin, Hift. Nat... Lib, XXX^
DUGOUVERNEMENT 8^
Tune & de Tautre croient autant eftimablcs par la juftefle
& par la régularité , que par l'énorme grandeur qui en faifoit
peut-être le principal mérite. Les deffeins que nous avons
des ruines de Perfepolis , font voir que les Rois de Perfe j
dont THiftoire ancienne nous vante fi fort Topulence , n'a-
voient à leurs gages que des ouvriers d'une habileté médio-
cre. Quoiqu'il en foit , il paroît , par les noms même des
trois principaux ordres qui compofent rArchite£ture , que
*^c*efl la Grèce qui en a prefcrit Iqs règles & fourni Iqs mo-
dèles«
Les mers , les fleuves , les rivières qui mettoient un grand ao. Art <îe la
empêchement au commerce, le facilitèrent, dès que Part de mentinvcnîéd'a-
1 Ct / / ,/ , bord , & peiicc-
la Navigation eut etc découvert. Les premiers peuples fe fu- ûonnédcpuu.
renr à peine formés ^ qu^ils eflayerent de traverfer les rivier
res qui s'oppofoîent à leur parfTage. Les hommes fe fervirent
d'abord de lîmples radeaux , avec lefquels ils fe laifToient
couler groflîérement fur les rivières & le long des côtes.
Cette navigation lente & incommode fe faifoit , en fondant
avec des perches armées de fer la profondeur de Peau à cha-
que inftant (a). La navigation ayant par-là commencé d*être
connue , bientôt les hommes oferent tenter de s'cxpofcr à la
fortune des mers ( & ) , & ils en vinrent , par fucceffion de
tems , à les parcourir , à fonder des colonies fur leurs rivages ,
à y bâtir des villes , à leur donner des Loix. La célèbre ville
de Tyr , prife & faccagée par Alexandre , fe vantoit d'avoir
la première inventé la Navigation , & enfeigné aux hommes
Part d'affronter les vagues & les tempêtes > par le fccours
d'un frêle vaifïeau j & le Poète Latin donne un cœur de
(a) Fejius.
(b) Si ncmo plus tffiscijfet eo qwm fiqiubatur ^ ratibus adhuc nayi§€rcmusu QuintU^.
S6 SCIENCE
bronze à Thomme audacieux qui s'abandonna le premier a la
merci des flots (a). Lqs routes de ces premiers Navigateurs
font peu connues j parce qu ils n'ont eu pour Hiftoriens que
des Poètes qui ont converti en merveilles inutiles , des na-
vigations dont le détail le plus fimple feroit aujourd'hui in-
finiment précieux. Nous trouvons dans THiftoire Grecque .&
Romaine des détails d'expéditions maritimes aflcz bien cir-
conftanciés ; mais l'idée que les anciens nous donnent de
leur marine , efl fi obfcure , qu il faut deviner aujourd'hui juf-^
gu'à la forme de leurs vaiffeaux , & que Ton n'eft pas même
d'accord fur la fimple difpofition de leur« rames-
La Navigation a eu des fuccès merveilleux. La marine des
peuples modernes çft fort fupérieure à celle des anciens^ C'eft
la fcience que nous avons le plus perfeûionnée.
Les Anciens qui n'avoient ^fiShh bouITole , ne pouvoient
guères naviguer que le long des côtes. Auflî ne fe fervoient-
îls que de bâtimens à rames , petits & plats^ Prefque toutes
les rades étoient pour eux des ports. La manœuvre des Pi<-
lotes étoit très - peu de chofe , & leur art fi imparfait ,
qu'ils ne faifoient pas avec mille rames ce qu'on fait à pré»»
fent avec cent. Les grands vaiffeaux > aujourd'hui fi utiles ,
létoient alors défavantageux , en ce qu'étant difficilement mus
par la chlourme ^ ils ne pouvoient pas faire les évolutions né"
cefTaires. Antoine en fit à A£lium une funefle expérience*
Ses navires ne pouvoient fe remuer , pendant que ceux d*Auf
gufle plus légers les attaquoient de tous les côtés. Les vaif^
(eaux étant à rames ^ les plus légers brifoient aifément les
(tf) im rohitr 6» éts triplex
firca pcéius crat , quifragUem truci
Commifit pclagp ratent. Horat. Od*
DU GOUVERNEMENT. 87
Jïmes des plus grands, qui devenoient les machines immo-
biles , comme font nos vaifleaux démâtés.
Depuis Tinvention de la bouflble ^on a changé de manière,
on a quitté Tufage des rames , on s'éft éloigné des côtes , on a
conftruit de gros vaifleaux , la machine eft devenue plus corn-
pofée , & les manœuvres fe font multipliées ; & en cela , Ton
lieut juger de Timperfcdion de la marine des Anciens, puifque
nous avons abandonné une pratique > dans laquelle nous aurions
tant de fupériorité fur eux.
L'invention même de la poudre , qqi fembloit devoir rcn*^
dre Tart moins néceflaire , a plus que jamais fait confifler la
force des armées navales dans l'art. Pour réfifter à la violence
du canon > & pour ne pas effuyer un feu fupérieur > il a fallu
conftruire de gros navires , & proportionner la puiiTance de
Part à la grandeur de la machine. Les petits vaifleaux des An--
ciens alloient d'abord à Tabordage ; on mettoit fur une flotte
toute une grande armée de terrre , & les foldats décidoient
pendant que les matelots étoicnt prefque inutiles. Aujourd'hui
les foldats fervent peu , ce font les gens de Tart qui décident
prefque entièrement.
- La viâx>ire que gagna te Conful Dùillius efl: une grande
preuve de la différence de la marine des Anciens & de la'
nôtre. Les Romains n'avoient aucune connoiflainre fur la Na--
Vigation , un vaifleau Carthaginois échoua fur leurs côtes > il y
leur fervit de modèle. En trois mois les matelots furent
drefles, leur flotte fut conftruit^ & équipée^ elle mit à la
mer , trouva Tarmée navale des Carthaginois y & la battit*
Aujourd'hui , la vie d'un Prince fufiit à peine pour former
une armée navale capable de paroître devant ^une Puiflfance
i)ul a déjà TEmpire de la mer^ Ceft peut-être la feule chofe
88 SCIENCE
que l'argent ne fçauroit faire. Le feu Roî, il eft vraî> réuffîc
dans fort peu d'années , mais cet exemple eft unique. Ni le
Czar Pierre Premier , qui a fait de fi grandes chofes dans le
commencement de ce fiecle , nifes fucccffeurs » n'ont pu jufqu'à
préfent former une bonne marine, UEfpagne Ta entrepris plu*-
fieurs fois inutilement,
La réputation des Egyptiens , le degré de puiflance où
parvinrent tout d'un coup les Phéniciens , la magnificence de
Salomon , & la prodigieufe quantité d'or qu'il raflembla , le'
luxe & la fierté de Canhage , laccompliffement de la puiflance
Romaine , la décadence de l'Empire d'Orient , & le mépris &
la fervitude où tombèrent peu à peu les Grecs , & tant d'autres
grands événemens n'ont été parmi les Anciens que les tScts
d'une marine cultivée dififcremment.
Section IV.
Multitude de Loix y dHUfages 6* de Droits cliei toutes les Na^
tions ; inégalités dans les conditions des hommes ^ &• biens qus
leur procure le Gouvernement Civil
ai. Quelles font. Lcs Loîx les plus célébres de Tantlquîté font celles de
les Loix les plus * *
célèbres de laii- Lvcurgue ) de Dracon • deSolon , des douze Tables.
oquité^ôc les plqs / O ^ y ^
Êimeufes des fié- £)ans les tcms moins éloignés , les Loix fameufes font les
.ele% mous reçu- O '
^ Loix des Angliens , Wermes ou Thuvingiens ; la Loi des
Allemands ; les Loix Angloifes î la Loi des Boyens ou Bava-
rois ; les Loix Bourguignones ; la Loi des Danois ou Nor-
végiens ; les Loix des Francs j celles des Frifons ; les Loîx
Gothiques s celles des Lombards ; la Loix Mariane ou des Mur*
ciens i la L<ji Molionitine , la Loi d'Oleron , les Loix Rî^
puaires ; la Loi Salique; la Loi des Saxons ^ des Scots ou
des
DU GOUVERNEMENT.
des Ecoffois, des Siciliens , des Vifigoths, la Loi Gombette.
La Loi Gombette étoit dans Tancien Royaume de Bour-
gogne ce qu'étoit la Loi Salique parmi les Francs, elle fut
ainfi appellée de Gombaut , mot abrégé de Gondebaut Roi
de Bourgogne. Cefl en effet Gondebaut qui la porta au com-
mencement du fixicme fiécle ; elle fut exécutée dans la Bour-
gogne , devenue Province de France , & maintenue par les
Rois François qui y commandèrent , comme les Loix Ro-
maines fubfifterent dans le pays où les Rois Vifigoths avoient
régné & dont il furent chaiïes» ^
Les Loix Ripuaircs (a) durent leur origine , comme plu-
fieurs le penfent,à Thcodoric fils de Clovis ; le nom de
Ripuaires a été donné à ces peuples qui habitoient entre le
Rhin , la Mofelle & la Meufe , & fur le bord de ces fleuves*
Quelques Auteurs croyent que les Ripuaires font les anciens
Francs , ainfi nommés parce qu'ils habitoient les rivages du
Sol & du Main. D'autres difent enfin qu'on appelloit ainfi
les peuples qui habitoient en deçà derrière du Rhin de TEf-
caut & de la Meufe.
Aucun peuple n'a été renommé par fes Loix que les Lom«
bards , qui fondèrent en Italie (i) une puiflante Monarchie
que Charlcmagne détruifit (c). Les Loix Lombardes étoient
équitables^ claires & précifes ,& elles furent toujours exac-
tement exécutées p^ les Rois & par les fujets. C'eft Rothe-
ric , Roi des liombards , Arien , Prince jufte , d*une pru-
dence confommée & d'une valeur extraordinaire ^ qui le pre-
mier donna des Loix écrites aux Lombards (/). Ses fucceC-
(a) Ripuarius à ripa y tlyc y bord d^unttïyïcTe.
(i) En f6B y fous leur chef Alboin.
(c) En 774 , qui eft l'année que Charlemagne prît Didier , Roi Lombard» qu*jl
emmena en France»
Cl) V.n 66.^, ■ .
jo SCIENCE
leurs rimîterent , & de leurs Edits fe forma înfenfiblement
un volume qu'on appella les Loix Lombardes. Les droits des
fiefs en lulie prirent naiifance dans ces Loix que quelques
Villes de cette belle région ^ & principalement le Royaume
de Naples , fuivent encore aujourd'hui préférablement aux
Loix Romaines ; on en a même inféré quelques-unes dans le
Droit canonique. C'eft vers la fin du quinzième fiécle que le
Droit féodal des Lombards s'introduifit en Allemagne ; &
depuis ce tems-làîl a été regarde dans le Corps Germanique
comme un Droit coûtumier pour les Fiefs.
Aujourd'hui les Souverains font les feuls Légiflateurs de
leurs Etats, & chaque Prince fait ou abroge les Loix , adopte
des Loix étrangères ^ ou en donne à fes peuples y qui leur
font propres.
34. Lcf divers Les terres ne font pas propres aux mêmes chofes, tous
peuples n*om eu ia .1.. ,
fii Ici mêmes oc- les climats ne donncnt pas les mêmes mchnations, & les
•upaiions ni les * *
"viiTe'Sdwcr* P^^P'^s tfcurent auffi ni les mêmes occupations ni les mêmes
def"ommcV'°& ^^œurs. Lcs uns s^adonnerent à Tagriculture ; les autres , à
ToLdoïTttTriî^ 1^ navigation & au commerce ; d*autres , aux armes ou à Té-
uri^lTqîv^^t^ ^^àQ. Quélques-i ns furent groffiers & fidèles , quelques au-
aesLois civiles, ttes fubtils & trorr^curs ; il y en eût de vaillans & d'orgueil*
qui ibriHtm au- r ' / «?
jUird'hui un af. leux ; il y. en eut d'efféminés & de pareffeux. Ilfiit néceflfaire
lembUge irrégu- ' * ^^ r
-SSLïïtout**** 4^ chaque nation eût des Loix propres , ou pour régler les
occupations aufquelles elle fe livroit , ou pour réprimer les
vices pour fefquels elle âvoit pîus de penchant.
Parmi les particuliers , Pun , fenfible à ta joie de la naifTance
d'un premier fils, fongea à le diflinguer de fes frères ^ par
ime portion plus confîdérable dans fes biens ^ 8c par uneaUf
torité plus grande dans fa famille ; un autre, attentif aux
térêts d'une fille tendrement aimée qu'il vouloit établir ^s*oc-
DU GOUVERNEMENT. 87
james des plus grands , qui devenoîent les machines immo-
biles , comme font nos vaifleaux démâtés.
Depuis rinvention de la bouflble ^on a changé de manière,
on a quitté lufage des rames y, on s'éft éloigné des côtes, on a
conftruit de gros vaifleaux , la machine cft devenue plus corn-
pofée , & les manœuvres fe font multipliées ; & en cela , Ton
peut juger de Timperfcdion de la marine des Anciens, puifque
nous avons abandonné une pratique y dans laquelle nous aurions
tant de fupériorité fur eux.
L'invention même de la poud^re , qui {embloit devoir rcn*^
dre Part moins néceflaire , a plus que jamais fait confifter la
force des armées navales dans l'art. Pour réfifter à la violence
du canon, & pour ne pas effuyer un feu fapérieur\, il a fallu
conftruire de gros navires , & proportionner la puifTance de
Tart à la grandeur de la machine. Les petits vaifleaux des An-^-
dens alloient d'abord à Tabordage ; on mettoit fur une flotte
toute une grande armée de terrre , & les foldats décidoient
pendant que les matelots étoicnt prefque inutiles. Aujourd'hui
les foldats fervent peu , ce font les gens de l'art qMÎ décident
prefque entièrement.
• La viâoire que gagna le Conful Duillius efl: une grande
preuve de la diflerence de la marine des Anciens Se de la'
nôtre. Les Romains n'avoient aucune connoiflance fur la Na--
Vigation y un vaifleau Carthaginois échoua fur leurs côtes y il
leur fervit de modèle. En trois mois les matelots furent
drefles, leur flotte fut conftruitc & équipée^ elle mit à la
mer y trouva l'armée navale des Carthaginois > & la battit»
Aujourd'hui , la vie d'un Prince fufiit à peine pour former
une armée navale capable de paroître devant ^une Puiflfance
i)jil a déjà TEmpire de la mer^ Ceft peut-être la feule chofe
jo SCIENCE
feurs riiiiîterent , & de leurs Edits fe forma înfenfiblement
un volume qu'on appella les Loix Lombardes. Les droits des
fiefs en Itdie prirent naiifance dans ces Loix que quelques
Villes de cette belle région , & principalement le Royaume
de Naples , fuivent encore aujourd*liui préférablement aux
Loix Romaines ; on en a même inféré quelques-unes dans le
Droit canonique. Ceft vers la fin du quinzième fiécle que le
Droit féodal des Lombards s'introduifit en Allemagne ; &
depuis ce tems-làil a été regarde dans le Corps Germanique
comme un Droit coûtumier pour les Fiefs.
Aujourd'hui les Souverains font les feuls Légiflateurs de
leurs Etats, & chaque Prince fait ou abroge les Loix , adopte
des Loix étrangères ^ ou en donne à fes peuples y qui leur
font propres.
,4. Lcfdîvcrt Les terres ne font pas propres aux mêmes chofes, tous
peuples n*oiu eu 1 a
fii icf mêmes oc- les cumats ne donnent pas les mêmes inclinations, & les
•upations ni les * * ^
^TltT^l^Ê- P^^P^^^ n'eurent aufli ni les mêmes occupations ni les mêmes
£s"ommeV'°& ^o^uts. Lcs uns s^adonncrcnt à Tagriculture ; les autres , à
ToLdoSlTr" la navigation & au commerce ; d'autres , aux armes ou à Té-
u^?rqi?ctt^ tude. Quèlques-i ns furent groffiers & fidèles , quelques au*
aesLoix civiles, trcs fubtils & tronr: peurs ; il y en eût de vaillans & d'orgueil*
qui ibr.mni au- ■ 1: ^ / ^ «?
jourd'hui un af. leux ; il v en eut d'efféminés & de parefTeux. Il fut néceffaire
•SSIiCTiLt'***^^ chaque nation eût des Loix propres , ou pour régler les
occupations aufquellçs elle fe livroit , ou pour réprimer les
vices pour fefquels elle âvôit plus de penchant.
Parmi les particuliers, Tun , fenfîble à ta ^oie de h naifTance
d'un premier fils , fongea à le diflinguer de fes frères , par
âme portion plus confidérable dans fes biens , 8c par une au*
torité plus grande dans fa famille ; un autre, attentif aux in-
térêts d'une fille tendrement aimée qu'il vouloit établir ^s'oc-
DU GOUVERNEMENT- ^i
cupa du foin d'augmenter les droits. Uabandon d^uneépoufe
chérie qui pou voit devenir veuve ^ toucha davantage un troî-
fiéme ; & il pourvût de loin à (a fubfiftance Se au repos d'une
perfonne qui faifoit le bonheur de fa vie. De ces différentes
vues & d'autres pareilles y font nées diverfes Coutumes. Les
Loix pour la confervation des biens des Mineurs^ les fubfli*^
tutions , les Droits féodaux , les fervitudes des terres , tous
CCS ùfages doivent leur naiffance à des vues ou a des circonf^
tances particulières.
Les mœurs ont changé ^ & dans quelques Etats , les Loix
font demeurées les mêmes. En d'autres pays ^ dont les fron-
tières ont été ou rapprochées ou reculées ^ les révolutions
dans l'Etat en ont produit dans les Loix. Prefqu'en tous ^
on a adopté des Loix étrangères. La fîtuation d'un pays y
les révolutions qui y font arrivées , les changemens dans la
conftitution de l'Etat , les divers befoins ont varié les Loix
& les Coutumes à l'infini ; & tout cela a fait avec le tems un
affemblage irrégulier & une lifte trop nombreufe de Statuts >
d^'Ordonnances & de Reglemens. Il en eft de la plupart des
Loix civiles introduites dans les divers Etats de l'Europe ^
comme de ces grands bâtimens élevés, à différentes reprifes ^
fur les ruines de plufieurs petites maifons. Les mœurs & les
ufages des Provinces & des Royaumes ^ ont fervi de fonde-
ment à l'édifiice des Loix ; & les Grecs & les Romains ont
fourni la plupart des matériaux dont chaque Jurifconfulte a
fait une difpofition particulière. Tout le corps , affujetti tour
à tour à différentes idées , & gêné d'ailleurs par les fonde-
mens placés d'une manière bifarre ^ eft devenu informe &
fcmblable à un labyrinthe qui n'offre d'ordinaire que des
routes obfcures , où il n'eft pas aifé de marcher fans rifquer
de s'égarer. M ij
.^2 SCIENCE
Il ne faut porter qu'une main tremblante aux grands chan-
gemens ; mais les Princes habiles faififfent des circoijftances
favorables pour fimplificr les Loix, & s'en faire de propres,
accommodées aux mœurs préfentes > à la forme de Gouver-
nement , & aux befoins des peuples. Cette grande entreprife,
commencée en France, en Piémont, & enPruffe, fera vrai-
femblablemènt portée un jour plus loin dans tous les Etats.
îç.Hiftoîredtt Ici , je dois quelques détails au Leâeur fur les Loix Ro-
dJ'^DioTFiV maincs fie fur les Loix Franççifcs ; de celles-là, parce qu'el-
^'*' les font célèbres dans toute TEurope 8c fuivies prefque par-
tout} de celles-ci, parce qu'elles nous intér^rUent paràcu-
lierement. L'hiftoire des unes 8c des autres doit d'ailleurs
trouver fa place dans les récits que je fuis cbligé de tracer.
îé.Muitipiîdté' La multiplicité des Loix Romaines eft bien moins une
«M^dîsuixdSSl preuve de la félicite , que des malheurs du Gouvernement
Romïntr* "^* Romain. Pour connoître l'origine de ces Loix , & pour en
avoir une idée générale , écoutons d'abord ce qu'en rapporte
un Hillorien célèbre , qui ne poùvoit point n'en être pas
inftruît.
'> Les premiers hommes [ dit cet Hiftorien ] vivant fans
y> ambition & fans en vie, n'avoient que faire de Loix ni de
>>.Magifl:rats pour erre contenus dans le devoir, ils fe por-
» toient naturellement au bien, & n'avoient pas befoin d'y
" » être excités par des réccmpenfes. Comme ils ne defiroient
» rien qui ne fut permis , rien ne leur étoit défendu ; mais à
» la fin l'égalité étant bannie , l'orgueil & la violence prirent
, » la place de h modcftie & de la pudeur. Il s'éleva des Em-
"» pires , dont quelques-^oins durèrent plufieurs fiécles. Ily eut
* » des peuples qui aimèrent mieux d'abord le Gouvernement
» des Loix , ou qui y curent recours après une longne domî-
DU GOUVERNEMENT. ^3
» nation. Elles écoienc fimples au commencement ^ & fem«
» blâbles à celles que la renommée a rendues célèbres y com-
» me les Loix de Crète 9 de Sparte ^ d'Athènes , établies par
» Minos^ par Lycurgue & par Solon ; celles-ci néanmoins
» étoient plus fubtiles & en plus grand nombre. Rome ^ foui
» le Gouvernement de Romulus, n'eut point d*autres Loix
1^ que la volonté du Prince. Numa en établit pour la Reli-
» gion. Tullus & Ancus firent quelques Reglemens politi-
» ques ; mais notre grand Légiflateur eft Servius Tullius ^
» qui foumit même le Prince à fes Loix. Depuis le bannifle-
>> ment des Tarquins ^ le peuple en inventa quelques-unes
» pour fe défendre de Toppreffion des Grands , & maintenir
» la concorde & la liberté. Enfuite les Decemvirs furent
*> créés & les différentes Loix de la Grèce compilées. On en
» compofa douze tables , & ce fut la fin des bpnnes Loix ^
» car ) quoiqu'on ait fait depuis quelques Reglemens ^ à me-
9> furc que les vices qu'ils dévoient réformer , fc font mani-
» feflcs 9 la plupart ont été fruits des diffenfions du peuple
3> & du Sénat , ou même ont été faites pour Tétabliflement
» violent de quelques perfonnes dans les dignités ou pour le
» baniflfement de quelques têtes illuftres , & par d'autres Re-
» glemens femblables. De-là ont pris naififance les Loix fér
» ditieufes de Gracchus & de Saturninus y & les largeffes de
» Drufus au nom du Sénat 9 après avoir corrompu les uns par
» d'ambitieufes efpérances ^ & arrêté les autres par Toppofi-
» tion des Magiftrats. D'abord les guerres dltalie & enfuîte
» les guerres civiles produifirent diverfes Ordonnances qui
» fe détruifoient réciproquement ; mais à la fin le Diélateur
» Sylla changea ou abolit les précédentes , afin d'établir les
» ficnnes. Elles ne furent pas d'une plus longue durée ^ quoi*
j>4 SCIENCE
» qu*elles fuflent en plus grand nombre, car auffitôt le peu-
n pie fiit agité comme auparavant par les Loix turbulentes
» de Lepîdus & par la licence effrénée des Tribuns. Ce ne
1^ furent depuis que nouveaux Reglemens fur chaque crime,
•> fe la République étant corrompue , le nombre des Loix^
i> devint infini. Enfin Pompée, éiûpour Réformateur des
» mœurs , après avoir înv«ité pendant fon troifiéme Confu--
•> lat , des remèdes pires que les maux , & changé diverfes
» fois les premiers établiffemens , perdit par les armes ce qu'il
n avoit confervé avec les armes , & vit périr fes Loix avec
» lui. Enfuite , pendant Tefpace de vingt-cinq ans que du-
» rerent les guerres civiles , il n'y eut ni Droit ni Coutume,
» les vices fiircnt autorifés publiquement & pluficurs bonnes
» aftions condamnées. Mais Augufte voyant dans fon fi*
• xiéme Corfulat fa domination établie , abolit les Loix qu il
» âvoit faîtes pendant une puiflanceillcgitimejil nousen donna
» d'autres pour vivre en paix fous fon Empire ; & curieux de
» les faire obferver , il invita les déclamateùrs par des ré*
»> compenfes. Parmi ces Loix , il établit celle du mariage qui
» donnoit au peuple Romain , comme à un père commun ,
» les legs qu*on faifoit à ceux qui n'avoient point d'enfans j
» mais cela alloit plus avant , & troubloit toute ritalie& les
a> Provinces ; plufieurs familles en étoient ruinées , & tout le
» monde étoit épouvanté , lorfque Tibère , jaloux du repos
» de TEmpire fous fon règne , abandonna au fort la nomî»
j> nation de vingt Sénateurs , dont cinq étoient Prétoriens
» & cinq Confulaires , par le foin defquels plufieurs articles
i> de là Loi forent adoucis , & la République foulagée pour
>> quelque tcms (^) »•
C*)Tacit.hiil.L5.
DU GOUVERNEMENT. 55
Ce portrait n'eft pas avantageux ; mais de cette idée gé-
nérale , defccndons dans le détail.
La puiflance Légiflative a dû nécefTairement exifter avant ^r-Romenair-
les Loix. Rome naiilante n'eût point de Loix fixes ^ elle treJregi^ quc"â
n'eût d'autres règles que la volonté de fes Princes, Les Rois ^^"*
de Rome prononçoient ce qu'ils eftimoient jufte fur chaque
cas qui fe prcfentoit (a). Auffi les anciens Hifloriens (^)
ont-ils obfervé que dans les premiers tems j la Loi n'ctoit
que le jugement prononcé par le Souverain ; mais, peu à peu
il fe forma des Coutumes à Rome ^ & cette Ville eût auffi
des Loix écrites.
Romulus fit des Loix fur la puiflance paternelle, fur les
mariages , & fur la manière dont les Patrons doivent traiter
leurs cliens.
Numa jetta les fondemens du Droit que les Romains dé-
voient obferver avec les nations voifines ; il fit des Règle-
mens fur les cérémonies de la Religion ^ fur les funérailles ^
& fur les bornes des terres ; & il en publia d'autres pour faire
régner la frugalité & la tempérance , & pour infpirer Ta-
mour de la juftice.
Les trois Rois fuccefleurs de Numa publièrent peu de
Loix. Le règne guerrier de Tullus Hoftilius fit même né-
gliger plufîeurs de celles qui avoient été faites ; mais Ancus
Martius , marchant fur les traces de Numa, rétablit les Loix
fur la culture des terres , & blâma avec févérité , comme
mauvais Citoyens , les perfonnes qui les négligeoient. Il fit
graver ces Loix fur des tables , & les expofa dans la place
publique , afin que chacun pût les lire.
• ( fl ) Inith cmtatis noJlr£ populus ^Jine Lege cm A y fine Jure certo > prbnum agere
injihuitj omnia que manu à Regibus gubernahmiuT. h^n2^ i* i»ff. de Origvu Jun
(A) Juilinl. I. Denis d'Halicanaflè 1.101
j>4 SCIENCE
» qu*elles fuflent en plus grand nombre, car auffitôt le peu-
» pie fiit agité comme auparavant par les Loix turbulentes
» de Lepidus & par la licence effrénée des Tribuns. Ce ne
1^ furent depuis que nouveaux Reglemens fur chaque crime,
•> fe la République étant corrompue y le nombre des Loix^
i> devint infini. Enfin Pompée , éiû pour Réformateur des
» mœurs , après avoir inventé pendant fon troifiéme Confu--
•> lat j des remèdes pires que les maux , & changé diverfes
B fois les premiers établiffemens , perdit par les armes ce qu'il
M avoit confervé avec les armes , & vit périr fes Loix avec
» lui. Enfuite , pendant Tefpace de vingt-cinq ans que du-
» rerent les guerres civiles , il n'y eut ni Droit ni Coutume,
» les vices fiircnt autorifés publiquement & pluficurs bonnes
» aftions condamnées. Mais Augufte voyant dans fon fi*
• xiéme Corfulat fa domination établie , abolit les Loix qu'il
» avoit faites pendant une puiflance illcgitimejil nous en donna
i> d'autres pour vivre en paix fous fon Empire ; & curieux de
»> les faire obferver , il invita les déclamateùrs par des ré*
j> compenfes. Parmi ces Loix , il établit celle du mariage qui
a» donnoit au peuple Romain , comme à un père commun ,
» les legs qu*on faifoit à ceux qui n'avoient point d'enfans j
» mais cela alloit plus avant, & troubloit toute l'Italie & les
a> Provinces ; plufieurs familles en étoient ruinées , & tout le
» monde étoit épouvanté , lorfque Tibère , jaloux du repos
» de l'Empire fous fon règne , abandonna au fort la nomi*
j> nation de vingt Sénateurs , dont cinq étoient Prétoriens
i> & cinq Confulaires , par le foin defqucls plufieurs articles
7} de là Loi forent adoucis , & la République foulagée pour
» quelque tcms (a) »•
C*)Tacit.hiil.L5.
DU GOUVERNEMENT. 55
Ce portrait n'eft pas avantageux ; mais de cette idée gé-
nérale , defcendons dans le détail.
La puiflance Légiflative a dû nécefTairement exifter avant ^r-Romenair-
les Loix. Rome naiilante n'eût point de Loix fixes ^ elle tr^s^gi^ que "I
n'eût d'autres règles que la volonté de fes Princes. Les Rois ^^"*
de Rome prononçoient ce qu'ils eflimoient jufle fur chaque
cas qui fe prcfentoit (a). Auffi les anciens Hifloriens (^)
ont-ils obfervé que dans les premiers tems y la Loi n'ctoit
que le jugement prononcé par le Souverain ; mais, peu à peu
il fe forma des Coutumes à Rome ^ & cette Ville eût auffi
des Loix écrites.
Romulus fit des Loix fur la puiflance paternelle ^ fur les
mariages ^ & fur la manière dont les Patrons doivent traiter
leurs cliens.
Numa jetta les fondemens du Droit que les Romains dé-
voient obferver avec les nations voifînes ; il fit des Regle-
mens fur les cérémonies de la Religion ^ fur les funérailles ,
& fur les bornes des terres ; & il en publia d'autres pour faire
régner la frugalité & la tempérance ^ & pour infpirer l'a-
mour de la juflice.
Les trois Rois fucceffeurs de Numa publièrent peu de
Loix. Le règne guerrier de Tullus Hoftilius Ht même né-
gliger plufieurs de celles qui avoient été faites ; mais Ancus
Martius , marchant fur les traces de Numa^ rétablit les Loix
fur la culture des terres , & blâma avec févérité , comme
mauvais Citoyens y les perfonnes qui les négligeoient. Il fit
graver ces Loix fur des tables j 8c les expofa dans la place
publique , afin que chacun pût les lire.
m
^8 SCIE N*C E
Servîus Tullius regardé avec raifon comme le principal
Auteur du Droit civil chez les Romains (a) , fit une collec-
tion de Loix , dont la plupart n'étoient que les anciennes
Loix deRomulus & de Numa, qu'on avoit négligées & qu'il
remit en vigueur. Il y en ajouta enfuite cinquante autres tou-
tes nouvelles, fur les dettes , les vivres , les contrat^^ , & les
injuftices ; & elles furent confirmées dans un^ affemblée
des Dccurics y gravées fur des tables , 8c affichées ..ans la place
publique,
^s. Droit pap!- Les Jugemcns , les Ordonnances, le' Reglemcns, les
^''r<^/* " Loix de Rome , furent dans la fuite raffemblés par Papirius,
& Ton appclla Droit Papirien, la compilation quil fit des
Loix que ces Princes avoient portées iufqu'à fon tems. Quel-
ques Auteurs ont prétendu que le Droit Papiricn ne fut pas
• long-tcms en ufage , ils ont fuppofé que les Loix Royales fu-
rent abolies avec la Royauté , & ne furvêcurent pas àTarquin
le Superbe. Il eft vrai que , depuis la révolution qui fit de la
Monarchie Romaine une République , les Loix qui favorî-
foient TEtat Monarchique , furent abolies , mais celles qui
avoient policé Rome , furent toujours en vigueur. Les Loix
de Romulus , de Numa , de Servius Tullius , 8c des autres
Rois y ne ceflerent pas d'être refpedées (^) j & fijrent dans
tous les tems une partie du Droit Romain.
59. La R^ ^^ tyrannie de Tarquin le Superbe fit chaffer les Rois ,
J]L^"feit^rf ^^^^ le Gouvernement dura deujc cens quarante-fept ans ;
Swcf.lSex^^na^^ leur expulfion , la concorde des Patriciens & des
Hséi^T^' Plébéiens fut.hientôt troublée. L'anifnofité de deux partis
qui avoit commencé .fous Jes Rois , fe renouvela , & Iqs
(a) Pr4cip\vsSertijujTuUim.fanchorLegumfuk. Tacît. annale h^,
{h) Denis d'Hilicarnairci. J,& ;• . .
CXCCS
DU GOUVERNEMENT. yj
'excès où Ton fe porta de part & d'autre , font une grande
partie de ThiUpire Romaine. Les Patriciens ^ en créant des
Confuls 9 n*avoient pas prétendu abolir ce qu'il y avoit de
réel dans le pouvoir des Rois , ils ne vouloient en retrancher
que ce qui pouvoic paroître odieux au peuple , 1 extérieur
de la Royauté , le fceptre ^ la couronne d'or , & d'autres
omemens (4). Ils demandèrent que la République n'eût pour
Loi que l'équité des Magiflrats qui la gouverneroient ; mais
le peuple voulut avoir des Loix écrites dont les Magiflrats
ne flifTent que les Miniflres.
La réputation de la Grèce , plus célèbre encore par fon
Gouvernement que par fes viâoires^ porta les Romiains à
confulter fes Loix. Ils y envoyèrent (^) trois Députés {c)
pour rechercher & extraire les Loix les plus célèbres d'A-
thènes 9 & pour s'informer exaâement des Loix ^ des Re-
glemens, & des Coutumes des autres Villes Grecques , afin
qu'on pût accommoder aux mœurs Romaines celles qu'on
jugeroit à propos d'adopter.
Au retour de leurs Députés ^ les Romains créèrent (^
dix Magiftrats abfolus , fous le nom de Décemvîrs , les trois
Députés ) & fept autres Patriciens. On leur laiffa la difpofî-
tion des Coutumes & des Loix Romaines , & on leur con«
fia celles qui avoient été apportées de la Grèce , pour en
partager les matières entre eux, & pour rapporter à certains
chefs ce qui concernoit le droit des familles particulières &
ce qui appartenoit aux rits de la Religion & au culte des
<a) Ubertatis autem $riginem inie mugis quia anmium Imperium ConfularefaSum
ejl 9 quant quod deminutum quicquamjit ex Regii poteftate numerts. Tir* Liy, décade
I. L 2.
(b) L'an de Rome )00»
<r) Spurius Pofthumius Albus , Aulus Manlius , & S. Sulpidus CaflierinuSt; i
id) L'an de Romt 30X pour entrer em exercice en jo). ,
Tome L N
^8 SCIENCE
pieux. On ordonna que toute autre autorité que celle de ces
dix Légiflateurs cefferoit dans Rome ; que la République
feroit fans Confuls , fans Tribuns , fans Ediles , fans Qtief-
teurs } & que pendant leur adminiftration , les Décemviri
feroient les feuls arbitres de la paix , de la guerre ^ & de la
juflice. Les Dccemyirs gouvernèrent Rome avec une autorité
Souveraine ^ rendirent la juflice avec promptitude & inté-
grité , & compoferent de nouvelles Loix prifes tant des
mœurs antiques & des Coutumes des Romains , que des LoIx
de Lycurgue & de Solon, Ils gravèrent ces Loix fur dix
tables d airain qu ils expoferent en public , afin que chacun
pût les lire & fût en état de propofer fes difficultés, avant
qu'on les confirmât. Aux dix tables , dont chacune étoit
Touvrage d un Décemvir , ces Magiflrats en ajoutèrent Tan-
née fûivante deux' autres, dont ils avoient dreffé les articles
en commun j Se c'eft ce qui compofales douze Tables R célè-
bres chez les Anciens , & qui dans cette multitude immcnfe
de Loix entafTccs les unes fur les autres qu'eurent les Ro-
mains ,. furent la fource , la bafe , & le fondement de toute
la Jurifprudcnce tant publique que particulière (a).
Ravi de Téquité avec laquelle les Déccmvirs les avoient
compofées , le peuple leur laiffa le pouvoir fuprême ; mais
bientôt ils en uferent tyranniquement & ils furent chaffés
(h). Comme le crime qui avoir forcé Lucrèce à fe poignarder
elle-même , pour ne pas furvivre à la perte de fon honneur »
avoit fait fubflituer des Confuls aux Rois , les rufes qu'Ap-»
pius , Tun des Décemvirs , mit en pratique pour fe rendre
(^) Nunçquoque in hoc4mmeriJoaliaTumfuper alias aceTvatarumtegumcumulo^
fons Qmni$ puùiici privatique ç/ï Juris, lïr. Liv, Dccad. i.L 3. >
(3) L'an de Roi»;? 3 oj-
X
DU GOUVERNEMENT. ^p
!e maître de la jeune Virginie , firent rétablir les Confuls à
la place des Décemvirs (a).
Sous les Confuls ^ les Loîx des douze Tables trouvées
dures & conçues en termes obfcurs , furent adoucies & ex-
pliquées par de nouvelles Loix accommodées à la fituation
aûuelle des Romains , propofées au Sénat par les Confuls ,
& autorifées par Taflemblée générale du peuple, félon Tufagc
obfervé fous les Rois mêmes. Cette Coutume dura jufqu'à la
fin de la République (h) & au commencement du règne
d'Augufte.
Cet Empereur fit publier fes nouvelles Loix dans les af- ^g con/un»;
femblées du peuble , pour conferver , par cette formalité , fers(fo«^"SS;
quelque image de la République ; les Loix de ce Prince paf- de ^^m"!co^
ferent pour des Flebifcites. Tibère abolit ces affemblées , acr/urifcoiiluS
fous prétexte que le grand nombre de peuple les rendoit
trop difficiles ; mais il propofoit fes Ordonnances au Sénat
qui ne manquoit pas de les confirmer. Ses fucceffeurs gar-
dèrent les mêmes mefures avec cette Compagnie , enfortc
que les Loix des Empereurs pafTerent pour des ScnAtm-Con^
fuites y comjne elles avoient pafle auparavant pour des P/r-
bifches.
Des hommes qui faifoient profeflîon de Tétude du Droit ^
tinterprétoient & répondoient à toutes les confultations
qu'on leur faifoit fur les divers fens des Loix. Papirius fiit
le premier de ces Jurifconfultes après Texpulfion des Rois ^
& Modeflinus a été le dernier , c'étoit de fimples avis & con-
feils qu'ils donnoient. Les Magiftrats .& furtout le Préteur ,
(«) Voyez THifloire des Décemvirs & les Loix des douze Ta))Ies que de I^ur
nom on appelle Décemvirales , dans Tite-Livè > première Décad. 1. 5. dans De<
Dis d'Halica^nafle U.10. daosFlorus L /• ch« a^dans Ckeron.l. i* de Finibus..
{b) L'an de Rome/ip,
Nij
,02 SCIENCE
dence Romaine, & il en confia le foin à Trîbonîen Ton
Chancelier. Il fit recueillir un grand nombre de Loix , de
Conflitutions, &de refcrits des Empereurs Romains fes pré-
deceffeurs , depuis Adrien jufqu'à fon tems, C*eft ce qu'on
appelle le Code par excellence {a).
Il fit compiler divers firagmens d'ouvrages de Jurifconful*
tes Romains dont les écrits compofoient deux mille volumes,
& il donna à ces firagmens fi^rce de Loi , parTEpître quieft
au-devant de Fouvrage. C'eft ce qu'on appelle le Di^
gefte{h).
Content d'avoir dépofé dans le Code & dans le Dîgefte ,
les Loix félon lefquelles les peuples foumis à fa domination
dévoient être jugés , Juftinien en avoit négligé abfolument
.Tordre , & il avoit néanmoins défendu de commenter ni l'un
ni l'autre de ces Recueils. Ses défenfes fiirent mal gardées :
le monde fut inondé d'un fi grand nombre d'ouvrages fur le
Droit Romain, que l'étude de ce Droit a été dans tous les
tems extrêmement longue & diflicile.
itwîkSf^**^ Juftinien fit faire tout de fuite un abrégé du Code & du
Digefte qui contient les premiers principes , les premiers élé-
jnens de la Jurifprudence* Il le publia ( ^ ) fous le titrç
éilnJUtutes.
Le même Empereur fit dans la fuite cent ioixante - trois
.Conftitutions & treize Edits qui changèrent beaucoup la Ju-
rifprudence fur des points peu effentiels : variation qui ne
fait pas honneur à ce Prince , & qui eft caufe qu'on eft tenté
d'ajouter foi à l'hiftoirc fecrette que Procope a faite des déi-
Xordres de fon règne. Ce font là les dernières Loix que
( a ) Publié en j-iS. corrigé , je publié de nouveau c» 5 J4»
(3)Enj3j.
(c )/«(/.
D U G OU V E R N E M E N T. loj
Juftinîen ait portées (i^). On les appcUa Novell es.
Le Code , le Digefte , les Inftitutcs , & les Novelles for- j,. au boutde
merent donc le corps du Droit Romain compofé par les or- Srmqu«^ ftienî
dres de Juftinien. Pendant trois cens ans , il fut obfervé fans Droitdej^S'cn
. f ^ n. . , <iansrOricnt;&
aucune innovation ; mais les Conuitutions des Empereurs *'^.^'^." ^^ J»^-
* "* nicn devint celui
ayant apporté quelque changement, FEmpereur Bafile & fon NattotS^n'oH
fils l'Empereur Léon , furnommé le Philofophe , refondirent "^"^
toutes les Loix Romaines & en firent une nouvelle compi- [ •
lation qui fiit écrite en Grec en foixante Livres , & depuis
traduite en Latin. On les appella les BafiUques (^ ) ; & il
nous en refte la plus grande partie. Depuis ce tems - là, le
Droit de Juftinien n'eut plus de cours dans FOrient , & les
feuls Livres des Bafîliques y fiirent en ufage. Il a eu une meil?
leure fortune en Occident.
Les peuples de l'Europe font la première étude de la Ju-
rifprudence dans les Livres du Droit Romain. Il fert de
Droit civil à plufieurs d'entre ces peuples. J'expliquerai dans
un moment l'événement fingulier qui en a été la caufc. C'eft
. ainfî que ces anciens maîtres du monde inftruifent encore au-
jourd'hui par leurs Loix la plupart des peuples qu'ils avoient
foumis par leurs armes ; que vaincus à leiïr tour , ils difpofent
•des biens & de la vie des peuples vainqueurs ; & qu'ils ré-
gnent encore par leur Jurifprudence où ils ne régnent plus
par leur force.
D'autres Nations décident • félon les principes de ce me- u- Q«ciqii«.
* * * unes de ces Na-
me Droit, les cas qui ne font pas décidés par leurs Loix par- ;j°"*jj^°"^'
ticulieres : déférence libre qui a fon origine , non dans l'au- ««•
torité du Droit Romain qui n'en a aucune (r), fi le pays ne
(«) En ;î4.
(4) Publiées vers l'an 877.
(c) Voyez dans le Traité du Droit des Gens l'idée d« ce Droit au Sommaire.
104 SCIENCE-
Ta adopté pour fou Droit propre ou pour fon Droit com*
mun ; mais dans Tautorité de la raifon dont on croit que les
anciens Romains avoient recueilli les règles.
Quelques autres enfin fe font établis un Droit particulier |
différent de celui des Romains.
Le tems 9 juge fevere des établiffemens , n'a pu affoiblir la
jj. Idée qu*îl ' *^ .
fiMuanrwduDroit féputation des Loix Romaines , & la prévention pour ce
Droit a été fi grande, qu'il eft encore aujourd'hui appelle dans
toute TEurope le Droit par excellence. Les Livres du Droit
Romain renferment les Loix les plus faines de la fçavante
Antiquité, parce que ceux qui les ont faites, ont perfeûionné
les ufages des Grecs. C'eft la raifon écrite. Ceft Tunique dé-
pôt des Loix naturelles que Rome, pour former un corps
de Droit à fes peuples , confulta , autant que la Philofophie
de ces tems-là put le découvrir , & que les troubles qui agi-
tèrent fi fouvent cette ville célèbre purent le permettre. Les
morceaux que nous avons du Droit Romain , nous font re-
gretter les ouvrages d'où ils font tirés , & où ils avoient fans
doute plus de beauté qu ils n'en ont , déplacés , tronqués , 8c
peutêtre détournes de leur vrai fens. Mais au fond ce n'efl:
qu'un ouvrage de hazard compofé en différens tems , à di^
verfcs occafions , & par diverfes mains. Il fait gémir la juf-
tice fous le joug des formalités. Auflî a-t-on reproché aux
Romains que leurs Loix tendoient plus de pièges aux gens
de bien , qu'elles ne leur procuroient de fecours (^r). Lts
divers Droits y font mal diftingués , & de vaines fubtilités y
occupent fouvent la place de la raifon. Les Anciens n'avoîent
ni autant de connoiflance que les Modernes , ni cet efprît
d'ordre , de difcernement , de critique qui apprend à rai-r
(J) Aucupio Syllabarum infidiantUm
fonner
laciceiit
DU GOUVERENMENT. 105
fonner jufte. A dire vrai, la méthode de pofer des principes,
d'en tirer des conféqucnces , & de marcher cnfuite de con-
fcquence en conféquence 9 n'cft due qu*au dernier fiécle*
Le Droit Romain avoît fuivi la fortune de TEmpire , ^^^^çS'^^^'t^
était obfervé dans les Gaules avant que les Francs en euffent C^^ ^
fait la conquête ; mais ce Droit Romain n'étoit point celui de a^iS!iîï?okft
Juftinien , car celui-ci n'avoit Ueu que dans les pays où cet cm m
Empereur commandoit , & il n'avoit été fait qu'environ cent
ans après l'entrée des Francs.
Celui qui fiit reçu dans les Gaules , étoît contenu dans le*
Conftitutions des Empereurs Romains prédcceffeurs de Juf-
tinien , recueillies dans les Codes Grégorien ^ Hermogenien &
^héodofien , dans les Novelles de Théodofe le Jeune & deg
Princes qui avoient régné après lui , 8c dans les Livres des
Jurifconfultes que le même Théodofe avoit autorifés. Le Drpic
renfermé dans ces divers écrits continua d'être obfervé en
France , fous les Rois de la première & de la féconde race ,
avec les Loix barbares des Francs , des Bourguignêns , & les
Ordonnances des Rois qu'on appella CdfituUires , & qui ne
portent le nom d'Ordonnances que fous les Rois de la troî-
iîéme race. Les François les ont encore, ces Ordonnances,
ibus le titre de Loix antiques , recueillies en un feul volume
qui contient les Loix des Vifigoths , un Edit de Théodoric ^
Roi d'Italie, les Loix des Bourguignons, les Loix Saliques,:
& les Loix des Ripuariens , la Loi dés Allemands , cVft-^
dire des peuples d' Alface & du haut Falatinat , les Loix dc^
Bavarois, des Saxons , des Anglois , & des Frifons, la Loi
des Lombards beaucoup plus confîdéràble ique les précéden-
tes , les Capitulaires de Charlemagne , & les ConffituâOnaF
des Rois de jNaples Se de Sicile» . '
Ton: l. ' O
lo^ -SCIENCE
X.es dcfordres du dixième fiécle confondirent toutes les
Loix 9 enibrce qu «lu commencement de la troificme race , il
n'y avoit gueres d'autre Droit en France qu'un ufage incer-
- tain. Tout étoît redevenu Coutume»
37* iou Droit Lesulkges & les décifions des fçavans, qui s'appliquèrent
ÏZ\ trô?âémc ^ 1'^^^ d" Droit Romain , mêlces avec ces ufages , forme—
S*'fi£^t*'ïïrw!2è ^^^^ ^^^ Coutumes fous la troificme race^& nos Rois établi-
0)u^ilîSi'c?" *^" ï?^^ plufieurs Droits nouveaux par leurs Ordonnarces. If
faut entrer dans quelque détail pour connoître Tulage que
(los pères firent du Droit Romain dans ce tems-là.
Sur la fin de la féconde race des Rois de France , & vers
le commencement de la troifiéme , Tltalie & les Gaulea
croient tombées dans une anarchie univerfelle par la divifion
des enfans. de Louis le Débonnaire , par le ravage des Hon-
grois & des Normands , & par les ferres particulières. L'i-^
gnorance & la violence abolirent infenfiblement ces ancien-
nes Loix , & les François retombèrent peu à peu dans urt
état approchant de celui des Barbares qui n*ont ni. Loi nï
Police. L'ancien Droit cefla d'ctre étudié, & continua ^tou-
tefois d'être pratiqué. On ne diftinguoit plus entre les dif-
f^érentes Loix , parce qu'il n'y avoit plus de diilinftion entre
les peuples.. Cet ancien Droit reçut un grand changement
par les nouvea(ux Droits qui- s'établirent , principalement en
cequiregardoit la piiiffance publique y. '8c par l'étendue de:
U; Jurifdiaion EccléHaftique! qui s'accrut confidérablement-
Ce cbangemeçit augmenta avec le tcms, & l'ulage fut L'uni-
que, Droif.
«8. On renonce • tj.Françeîctcît dans cet état ,.Jorfqu'on recommença d'é-
Sit îb^nc" ^^^P^ le Droit Romain , mais ce ne fut pas le Droit contenu
fl^vl ^** kî dans le Code Théodofien qyi,; ayant le tqras des délbrdres ^
D U G O U V E R N s M E N T. 107
étoît appelle le t)roit Romain dans les Gaules & dans les Etattiieï»Eiiroi h
T-r Ti t> . j/- 1 1 1 ^ . maîf ce n*cft pas
rLlpagnes. Il necoit déjà plus connu que de quelques Sça- i^^ron comcnn
vans , & il demeura dans l'oubli jufqu'au commencement du ^jj;^"'^"!^^ ,^
feiziéme fiécle. On Timprima (a) fur trois Manufcrits tr<>u-|^J ^^ ^"^*
vis en Allemagne. Cette édition eft celle de Charlemagne ,
Ou pour mieux dire celle d'Alaric. On a trouve depuis une
partie de ce Code telle que Théodofe Tavoit fait.
Le Droit Romain qu'on commença d'étudier au teins donc
7e parlt, que l'on étudie encore aujourd'hui ert France , &
fur lequel on prend des degréis* dans les Univerfités , pour
entrer au Barreau , ou pour être reçu dans les Offices de
Judicature , eft le Droit de Juftinien qui avoir été jufques-là
peu connu en Occident , car dan^ le tems que cet Empereut
4e fît publier (ty^ H n'étoitobfervé que dans les deux Pro-
vinces de l'Europe qui lui obéîffbient paifiblement , la Grèce
-& la plus grande partie de l'Illyrie, & dans la partie de l'I-
xalie où les Romains fe maintenoient encore par les armes.
Cette partie eft ce qtfon appelle aujourd'hui la Romagrie^,
ravec lerefte des terres de l'Eglife , le Royaumfe-de Naples
&: la Sicile-
Il eft aflez ordinaire que le peuplé conquérant donne des
I.0ÎX au peuple vaincu y il ne l'eft pas qu'il en reçoive ^ &
c'eft Ain grand fujet d'étonrteiftent ^ue ces Livres de Jufti-
nien compofés , il y avoir dix (îécles y à Conftaritinople où
ils n'étoient point fuivîs , ayent été reçus dans des pays où
cet Empereur rfavoit jamais commandé , tels que font la
France , l'Efpagnê , l'Allemagne , & l'Angleterre. Ils n'y
pou voient pas être d'un grand ufage| vu la différence dès
la) En i;i8. , ' ' •
<y Vejsraî;j^
io8 SCIENCE^
Gottvemenens, du Droit des perfonncs ^ de la nature &de
la qualité des chofes » & de la manière même d'enfcîgner»
Tout cela n'empêcha pas qu'ils ne fiiffent reçus avec vénéra-
tion j fans que les PuiJQlances les autorifaflent par aucune
Conilitutlon. On s'accoutuma à les nommer le Droit ^it ^
U Droit civil ^ ou Amplement le Droite Voici quelle en fut
rcccafion.
Un Auteur que lës^ uns difent Allemand y 8c que d'autres
font Mtlanc:a> nommé Irnier ou Wurnier y Irnerius ou Wdr*
^erius y qui avoit étudié à * Conflantinople y enfeignoit a
Ravenne. Il s'émut entre lui & fes confrères une difpute fur
le mot As y (mot qui fignifîe une livre Romaine de douze
onces y une monnoye de cuivre valant un foû y un tout qu'on
divife en douze parties ou en douze onces» ) Il en chercha la
(ignification dans les Livres du Droit Romain > & y ayant
fris goût , ^ s'apliqua à l'étudier. Il l'enfeîgna publiquement
à Bologne (4). Il eut beaucoup de difciples^ & devint le
j)€re de tous les Gloffateurs {b). Dc-là > l'étudié du Droit
Romain de Juflinien paifa dans la fuite en France» On l'en-
feigna d'abord à Montpellier & à Touloufe y 8c peu après
dans plufîeurs autres Villes de cette Monarchie. Barthok en
fit des Leçons publiques à Pife 8c à Peroufe y Balde fon difci-
-pie ^ à Bologne 8c à Favie ; Auguftin 8c Covarruvias y en
Efpiagne ; Z^ius > Lichardius y Vigilius y en Allemagne»
Plufîeurs autres ProMêurs Penfei^oerent y tant dans ces
pay&-Ià que dans \at pli^»» t des autres Etats de TEurope*
Les François 8t les autres peuples vainqueurs avoient
alors un grand mépris pou; cew^qui ie difoknt Romains^
(<>Eii iiiS.
ib) Ob Tappella Luctrna Juriu
DU GOUVERNEMENT. lop
c'eft-à-dire pour les fujets de TEmpereûr de Conflantînople.
Il refioit néanmoins dans les efprits une idce avantageufe
des chofes que les Romains avoient faites autrefois , & Ton
étoit perfuadé en général que les loîx qu'ils avoient établies,
étoîent fort fages , quoique les Livres de ces Loix fuflent
rares & peu connus. A la faveur de cette idée , le Droit de
Juftinien fat bien reçu comme s'il eût été l'ancien Droit Roî
main , car les plus doôes de Ce tems-là n'étoieht pas aflcz
habiles pour le diftinguer d'avec leur véritable Droit Ro-
main, qui étoit le Code Théodofien , ni pour fçavoir où &
en quel tems Juftinien avoit commandé , & de quelle auto-
rité étoicnt fes Conftitutions. Le nom d'Empereur Romain
les induifît en erreur.
Les paniculiers trouvoient ^ fur la plupart des cas ^ des
principes de décifion dans ces Loix, dont l'efprit tendoit à
rendre les hommes plus doux , plus fociables , plus foumis
aux Puiffances , & à réunir les Coutumes injuftes & tyranni-
ques que la barbarie avoit introduite parmi eux. Les Prin-
ces , de leur côté, penfoient que ces Loix étoient avantageu-
fes à leurs intérêts , parce qu'ils y voyoient l'idée de la Puif-
fance Souveraine dans fa fplendeur , exempte des atteintes
mortelles qu'elle avoit reçues dans les derniers fiécles. Quel-
ques Dodeurs applîquoient à l'Empereur d'Allemagne tout
ce qui étoit écrit de la puiffance dès Empereurs Romains ,
& fembloient vouloir lui donner un droit à la Monarchie
Univerfelle. Quelqaes autres difoient aux Rois qu'ils étoient
Empereurs dans leurs Royaumes. Ceft ainfi que le Droit de
Juftinien , mis d'abord au jour par la curiofité de quelques
paniculiers , s'établit infenfiblement, par l'intérêt des Frin^
ces 8c par le confencement des peuples»
iio SCIENCE
Les rtalîens rembrafferent avec ardeur , des qu'il parut ,
dans un tems où laflcs de la domination des Allemands qu ils
appelloient barbares, ils s'efforçoient de rétablir le nom Ro-
main, & de rappeller la mémoire de leurs Ancêtres , ou plu-
tôt des anciens Italiens. Ils ne craignoient plus , en deve-
nant Romains , de devenir fujets de l'Empereur de Conflaa-
tinople , parce que vers ce tems-là , ^cette Ville^ avoir été
' prife par les .François^
Les deux Empires d'Orient & d'Occident fc trouvoîent
alors entre les mains de ceux qu'on appelloit du nom géné-
ral Francs ou Latins , pour les diilinguer d^s Levantins &
des Grecs. Ce fut un puiflant motif pour étendre le Droit
Romain dans tous les Etats qui compofoient les deux Em-
pires,
Cette Jurifprudence ne s'introduîfit pourtant en Allemagne
que vers le quinzième fiécle. Les Empereurs de ce pays-là
fuivirent dans cet intervalle les Loix desLombards. Frédéric
Premier furnommé BarberouflTe (4), Frédéric II (^), & quel-
ques autres Empereurs publièrent divcrfes Loix des Lom-
bards ; mais la Jurifprudence Romaine n'eut pas plutôt pé-
nétré en Allemagne , que le nom de TEmpire y répandit
univerfellementfon autorité. Tacite, qui connoiflbit bien les
Germains de fon tems, & qui nous en a laiffé un fi beau por-
trait, nous apprend que parmi eux les exemples avoient plus
de force que Içs meilleures Loix chez les autres peuples.
L on ne connoiflbit en Allemagne avant Lothaire , ni Inf-
titutes , ni Code , ni Digefle , & Ton ignoroit jufqu au nom
de Doflçur^ dç Procufcur &ç de Notaire. La République
ift) QiiT régna dî ni5s 1 1 f i jufqu*cn T Tpo.
ib) Qui fut fur le trône dfpuîi 1218 juf^u'oi ItfW^
DU GOUVERNEMENT. m
d'Allemagne n'avoir bclcin que de très-peu de Loix% & fe
paffoit aifément de tout ce que Ton appelle GcnsTde Judica*
ture. Il Te formoic peu de procès entre les particuliers. La
foi publique étoit inviolable , tout le monde aimoit la liber-
té , & chacun s'appliquoit uniquement à la conferver ; mais
dès que Ton eût porté en Allemagne les Ordonnances & les
collerions de Juilinien , & que les Jurifccnfultes s'y furent
introduits j. peu content de n'avoir à travailler qu'aux pro-
cès des particuliers , ils fe mêlèrent des affaires publiques ,
ils s'introduifirent dans les Confeils > & l'Allemagne fe trou*
va bientôt moins fouillée de crimes qu'embarraflce de Loix
& de Jurifconfultes, Tout cela ne fervit qu'à difpofer tous
les Allemands à fe foumettre infenfiblement à l'autorité des^
Empereurs. Ce font les JurifconfuWïs qui ont introduit dans
les affaires publiques d'Allemagne , Içs formules des An-
ciens, les claufes, les exceptions, les défenfes,les répli-
ques , les dupliques , les proteftations , les appellations , &
une infinité d'autres formalités également nuifibles aux inté-
rêts du public & à ceux des particuliers. Toutes les fois qu'il
s'agit des droits de l'Empereur , ils citent l'autorité de Bar-
thole ^ de Balde , & de quelques autres Jurifconfultes étran-
gers f qui n'ont aucune connoiffance des affaires d'Allema-
gne ; & ils croyent devoir donner à l'Empereur & appli-
quer à l'Empire tout ce qu'ils trouvent dans les Loix Romai-
nes de favorable à l'un & de contraire à l'autre , fans pren-»
dre garde que les Loix qu'ils citent ont été faites pour un
Etat purement Monarchique y & que le Corps Germanique
compofe uniquement une République dont il faut juger par
ks ConfVitutîons modernes de ce Corps.
En France > au contraire y le Droit Rofflsin ne fut confî-
na SCI EN C E
déré comme Loi qui oblige , qu en Languedoc , en Proven-
ce, & dans le Lyonnois« Ces pays qui avoient été fournis
les premiers à TEmpire Romain , furent les dernières con-
quêtes des François ; la plus grande partie de ces Erovinces.
reconnoiflbit alors le Corps Germanique comme Souverain
direâ , & le voifinage d'Italie facilitoit aux François l'étude
du Droit Romain. De là vient qu encore que dans ces Pro-
vinces il foit relié beaucoup de courûmes différentes de ce
Droit , elles ont peu d'ctendue. Les ufages ont prévalu dans
les autres Provinces de France , & le Droit Romain n'y efl
obfcrvé dans les cas où la coutume cfl contraire à ces Loix.
Dans ceux mêmes où la coutume n'e^ pas contraire, le Droit
Romain n'a d'autorité qu'autant que lai'ageflé de fes difpofî*
rions lui en donne, au liH qu'il a force de loi dans la plupart
des Etats de TEutope.
îç.cequcc'^ Je placerai ici la Loi que les Romains appelloient Royétb
Roya?c"%cj r2 OU dc V Empire ^ Il importe que cette loi foit bien connue ^
parce qu'elle eft dans le Droit public une fource fikronde
d argumens fur la queftion des Droits <k Prince êc de ceux
du peuple.
Par la loi Royale de Romains^ il fiuit entendre une Or*
donnance , un Ecrit , un A£le public , comenant h% condi-
tions auxquelles quelquXin établi Roi , par délibération du
Sénat & avec Tapprobation du peuple, de forte que l'épi-
thete de Royale étoit tirée de ce qui faifoit la matière de là
Loi , au même, fens que les Jurifconfukes & les Hiftoriens
Romains xjnt dit : U Loi Ann^U {a) , U Loi dt Location (}) ^
(a) Ltx A nnalîs ou. Aunqfia. c'eft-i-^peULoicimr^lQit Tige fù^onderoif
aveîr pour pr<f cendre aux Charges.
Xb) Lxx Lvctttiçnk 9 V-fA-tHèm les^ceodîtiooc 4c cette f<»r(e4eCoatr«c.
/4
suins.
DU GOUVERNEMENT* in
td Loi des hnfots (d) j id Loi Commijfoire {})%
Il y a eu diverfes opinions fur la Loi Royale*
Un Jurîfconfulte François {c) s*eft vanté de Tavoir décoiH
verte dans Tite-Live (rf) , mds la Loi dont parle cet Hiflo-i
rien eft une Loi faite par un Roi de Rome y Se non pas une
Loi qui établiffe le pouvoir Royal y au lieu que le Jurifcon-
fuite Ulpien (e) & l'Empereur Juftinien (/} difent formelle-
ment que la Loi Royale roulpit fur Tautorîté du Prince > 8e
que c'eft en vertu de cette Loi que le pouvoir Souveraiiï
paffa entre les mains des Céfars. Elle efl appellée Loi de
rEmpiredan$ un Refcrit d* Alexandre Sévère (^).
Quelques Jurifconfultes (h) ont remarqué que ni parmi
les Auteurs qui ont écrit ou THiftoire Univerfelle ou les vies
des Empereurs , ni parmi ceux qui ont traité foit exprefle--
ment y foit par occafion , des Loix y des mœurs , & des Coû-^
tûmes remarquables du peuple Romain , aucun n^a fait men-
tion de la Loi Royale y quoique la plupart ayent parlé avec
étendue fur des chofes d'une bien moindre importante. Ces
Jurifconfultes ont inféré de-là que la Loi Royale n'avoir ja-
mais çxifté ; ils ont foupçonné Ulpien ou Tribonien dVn
(a) Lix cujufque publici : ExprdEon de Tadce en fes Annal, pour juftifier l€
Tarif des Droits que pouvoiçnc exercer les Fermiers de la République.
(i) Lex Commijforia > c'eft-à-dire une condition mife dans un Contrat » fanS
l'exécutioû de laquelle le Contrat devenoit Inutile: conditiojine qui non* Ua
Traité entier du Digefte & du Code, traite de LigeCrnnmiJfonf,.
(r) François Hptman dans iês No(e« fur leslnftitutes de ^uHinieft-L i. tit* lii
Se dans fesAnûq-Rom* L /»
(d) Lib, SA' cap' ^* ^^t^ 7«
ie) L. 1. tit. 4.ff. d&ConJlitutionib. Princip,
(/) Sed & quodPrincipiplacuity Legis hahet vigorfm ^ cuniljtge Regii qud dû
ijus Imperio hua efi , populus ti & in eum , omne mperiumjpmm & pot^axem côn*.
çedat, Infiit. l* f, tit. à. f. ft .'-i
(g) Licet enim Lex Impcriifolemnïbus Juris Imperatorem folverit. Ex imperfeSo^
h j. Cod, de Tenant.
(h) Tel eft François de Conan , Jurifconfulte François du fci^^me fiécle daa#
fts Commentaire^ ^uffs Civilis lib. /. caj. /ft
ÏQmel t
na SCI EN C E
déré comme Loi qui oblîge , qu en Languedoc , en Proven-
ce, & dans le Lyonnois* Ces pays qui avoient été fournis
les premiers à TErapire Romain , furent les dernières con-
quêtes des François ; la plus grande partie de cq$ Erovinces
reconnoilToit alors le Corps Germanique comme Souverain
direû , & le voifinage d'Italie facilitoit aux François Tétudc
du Droit Romain. De là vient qu encore que dans ces Pro-
vinces il foit reftê beaucoup de coutumes différentes de ce
Droit , elles ont peu dVtendue, Les ufagcs ont prévalu dans
les autres Provinces de France , & le Droit Romain n'y eft
obfervé dans les cas où la coutume cft contraire à ces Loix,
Dans ceux mêmes où la coutume n'e^ pas contraire, le Droit
Romain n'a d'autorité qu'autant que lai'agefle de lès difpofi-
rions lui en donne, au liH qu'il a force de loi dans la plupart
des Etats de l'Europe.
îç.cequcc'^ Je placerai ici la Loi que les Romains appelloîent RoydU
Ro>a?c"%cj Roi ou de YEmj^tre^ Il importe que cette loi foit bien connue,
parce quelle eft dans le Droit public une fource féconde
• d'argumens fur la queftion des Droits du Prince & de ceux
du peuple.
Par la loi Royale de Romains, il fiuit entendre une Or*
donnance , im Ecrit , un A£le public , contenant les condî-
tions auxquelles quelquXin établi Roi , par délibération du
Sénat & avec Tapprobation du peuple, de forte que Yépi^
thete de Royale étoit tirée de ce qui faifoit la matière de la
Loi , au même, fens que les Jurifconfultes & les Hifloriens
Romains xjnt dit : U Loi Annalt {d) , U Loi dt Location (t) ,
{a) Lex Annalisou Auntffia. c'eft-i-^dmULoi^r^loit Tige fû^onderoif
avoir .pour précendre aux Charges.
xf) ixx Lvaithnky i:*-fA-lHlmlefi<eiKiîtioo(^cencf<»r(e4eComr»c,
U
DU GOUVERNEMENT* in
td Loi des hnfots (d) j U Loi Commijfoire {})%
Il y a eu diverfes opinions fur la Loi Royale*
Un Jurîfconfulte François {c) s*eft vanté de l'avoir décoiH
verte dans Tite-Live (^ , mais la Loi dont parle cet Hiflo-i
rien eft une Loi faite par un Roi de Rome » & non pas une
Loi qui établifle le pouvoir Royal y au lieu que le Jurifcon-.
fiilte Ulpien {e) & TEmpereur Juftinien (/} difent formelle-
ment que la Loi Royale rouloit fur Tautorîté du Prince, Se
que c'eft en vertu de cette Loi que le pouvoir Souveraiiï
pafTa entre les mains des Céfars. Elle eft appellée Loi de
f Empire dan$ un Refcrit d'Alexandre Sévère (^).
Quelques Jurifconfultes (h) ont remarqué que ni parmi
les Auteurs qui ont écrit ou THiftoire Univerfelle ou les vies
des Empereurs , ni parmi ceux qui ont traité foit exprefle--
ment , foit par occafîon y des Loix, des mœurs , & des Cou-
tumes remarquables du peuple Romain , aucun n^a fait men-
tion de la Loi Royale j quoique la plupart ayent parlé avec
étendue fur des chofes d'une bien moindre importante. Ces*
Jurifconfultes ont inféré de-là que la Loi Royale n'avoir ja-
mais çxifté ; ils ont foupçonné Ulpien ou Tribonien dVn
(a) Lix cujufque publici : Expreffion de Tadce en fes Annal, pour juilifier l€
Tarifées Droits ^ue pouvoiçnc exercer les Fermiers de la République.
(i) Lex Commijforia > c'eft-à-dire une condition mife d^ns un Contrat » fani
Texécutioû de laquelle le Contrat devenoit iwtïLezconditioJine qui non. Ua
Traité entier du Digefte & du Code traite de LigeCmmifforifi.
{c) François Hptman dans U^ Notes fur les Inftitutes de ^uftinleiV-L i. tit* / /j
Se dans fes An(iq« Rom. 1. /»
(d) Lib, 54. cap. 6. nunu 7.
ie) L. 1. rit. ^.ff. d&CônJlitutionib. Princip,
(/) Sed & quodPrincipiplacuity Legis hahet vigorfm ^ cwnLfgt Regii qud dû
ijus Imperio lata efi , popmus ti & in eum , omne mperiumfuum & pot^axem ccin"*.
çedat. Infiit. L h tit. 2. j. ft ..5
{g) Licet enim Lex Impenifolemnibus Juris Imperatorem folveriuBx imperfeSo^
h j. Cod. de Tenant»
{h) Tel eft François de Conan ^ Jurifconfulte François dufcméme fiécie daaH
fes Commentaire^ /ar?J Civilislib. t.çap. /ft
Tçmcl, ?•
<i4 S.C I E N C E
avoir fait mention pour faire leur Cour à Alexandre Sévère
ou à Juflinien, & ils ont prétendu que ce que ces Auteurs
eii ont dit, avoit eu pour but de faire cohfidérer Tautoritë de
ces Princes comme fondée , non pas feulement fur la force ,
mais fur les Loix & fur un établiffement légitime. La Loi
Royale n'a pas été faite tout d'un coup , & ce qu'on appelle
de ce nom , ne Ta reçu que longrtems après Texiflence de la
diofe ; ainfl on a eu beau porter des regards curieux de
t»us les côtés j il étoit impoflîble qu on trouvât une Loi for-
melle. Si Ton eût cherché , non pas le nom y mais la chofe
elle-même , non pas la chofe établie en un feul infiant , mais
k chofe établie infenfiblement , on Teût trouvée dans tous
les Livres.
.. P'autres Auteurs (a) s^accordant entr'eux en ce point que
la Loi Royale a exifté ^ fe font partagés en differens fenti-
mens fur fon origine & fur ce qui en faifoît le fujet. Leurs
diverfcs opinions ont été réfutées par un Sçavant (h) qui le
prejtnièi^a établi & développé un fyflême raifonnable fur la
Loi Royale.
Lorfque la puiffance des Empereurs commença à fe for-
mer , on ne fit aucune Loi en un inftant , par laquelle le
peuple fe dépouillant expreflement de tout le Droit qu il
àvoît fur lui-même , le transférât folemnellement au Prince»
Les Romains qui avoient chaflTé leurs Rois , ne croyoient pas
que la liberté des peuples pût fubfifter avec la Royauté. Plein
d'horreur pour te ut ce qu'on nommoit Roi y Royaume y Ro-
y si y le peupe n'auroit pas voulu alors entendre parler
d'une telle loi en faveur d'un Romain , & les Princes n'au-
(a) Manuce , dans fon Traité des Loix Romaines ; Cujas y dans fes Notes fur les
loftitutes; Gifanius, dans tes Notes fur le Corps de Droit Civil; de plufieurs autres.
(b) Gronovius. Voyez la mention de fon ouvrage dans mon Examen , à TArticle
dcBarbey/ac^
DU GOUVERNEMENT. ny
roient ofé la propofer. Les termes de Royal , de Royaume ^ de
Roij étoient également évités, & par ceux qui avoient ufurpé
la domination , & par ceux qui en fubiflbient pcUiemioenc
le joug* Les premiers Empereurs eurent un foin extrême de
cacher au peuple que la puifTance qu'ils exerçoient , étoîc
royale ; ils fe firent conférer fucceflîvement divers titres , &
s'emparèrent ainfi de toute Tautorité. Les peuples libres s'ao
coûtument aifémentà la fervitude , pourvu qu'on ne la nom-
me pas ainfi ; & dès que la flatterie a donné atteinte à leurs
libertés , il efl bien difficile que les flatteurs gardçnt quel--»
ques mefures & qu'ils trouvent où s'arrêter. Les Empereurs
laiflbient une image de liberté dans la République , par les
charges de Confuls , par la continuation du Sénat , & par
d'autres Tribunaux {a). Mais & les Confuls , & le Sénat ,
& les Tribunaux n'avoient aucune puiflance réelle, ils n'é-
toicnt en effet que les exécuteurs de la volonté des £mpe«
reurs. Les divers pouvoirs donnés , les divers honneurs dé-
férés ^ les diverfes diflindions accordées à Jules-Céfar de-
puis la bataille de Pharfale , les difFerenjj titres de la puiflan-
ce confiée à Augufte , toutes ces chofes prifes féparémenc
n'étoient pas la loi Royale , mais prifes colleûivement , el-
les la renfermoient fi bien qu'il n'eft point dç prérogative
dont Jules-Céfar & Augufte n'ayentjoui , à la faveur ^des di-
Verfes conceffions faites 4 ces Princes par le peuple Romain^
Les noms changent- ils la nature dé la chofe ?
Jules-Céfar regnaTi bien en Monarque , qu'il difpofoît du
Confulat & de tous les autres emplois en maître ahfolu ,
qu'il fut nommé Didateurperpétuel , que le Sénat ordoM»
(d) PToprimiiTihriofuUfcelnanuferrqmàpTi^^^^ Tocîfi
Pij
ii6 SCIENCE
que le mot â^Imfcrator y non plus comme iurnom , mais com-
me prénom & comme un titre d'autorité ^ pafTerok à lui ^ à
fes fils, & à fes petit-fils à perpétuité. N'en eft-ce pas aflez ?
Céfar fiit mis au rang des Dieux (/) , & une loi infâme prête
à être portée, lorfqu'il fut tué, devoit ordonner que toutes
les femmes dont il voudroit dvoir lignée , lui feraient foumifes ^
f^ qu aucune nefourroitfe refufer ufes déÇirs (t).
Augufle , fous le titre d'Empereur , écoit fi bien le Roi &
le Souverain de Rome, qull avoir même été élevé au-deflus
des loix , & que fa feule volonté étoit un moyen légitime
d'étouffer leur voix. Il avoir été debarafle de tous les liens
^uî gênoieht les Magiftrats dont il avoit rafîemblé les char-
ges & les emplois fur fa tête (r). Sous le nom d'Empereur,
Augufle avoit droit de guerre & de paix , étoit le Général
de toutes les armées , & jouiffoit de tous les privilèges de
kDiâature dont le nom étoit devenu odieux. Comme Cen-
fcur , il n'y avoit aucun Citoyen qui ne lui fut foumis , & il
étoit auflî puiffant fur la Noblcffe que fur le peuple. Initié à
tous les Sacerdoces , il avoit l'intendance de la Religion*
Son titre de Tribun du peuple le rendoit inviolable. L'alFem*
blage de toutes les Magiflratures donnoit à Augufle une
puiSàncc ahfolue*
' (aj Cétôît bién'ane Coficume^es peuples de h Grèce Se deTASCf de bfitirdef
Teàplei aiix Rob & même aux Proconfuls qui les avoienc gouvernés. Voyez les
Lettres à Atcicusl. 5. On leur faifoit faire cesoiofes f comme le témoignage le
]dus fort qalh pulTent donner de leur fervitude« Les Romains même avoient la
liberté de rendre à^s honneurs divins à leurs Ancêtres dans des Laraires ouTem»
pies paniculiers ; mais depuis Romulus jufqu'â Cé&r , aucun Romain n*avoit été
fiis au pombre des Divinités publiques. Dion > liv. 47 f dit que les Triumvirs qui
efpéroient tous d!av.oir quelque jour la place de Céfàr , firent tout ce qù^Is purent
^ur mpaenter If sfionnéun qi^on lus rendoir.
(A) nelvius Cnnxy Triiunus pUbis ^ jlerifque confejfîis ejl habuijfe fe/criptam
fotacmque LepM qoâm CMfarferr^fuJfiJfetiqtturn.ipft âhefftî, uti uxores, fifc-
roruTi qudm crom caujà^ quoai &• quod vtllet ducerf lictret, Suet. U 1. cap* 51.
(0 Dion Caffiui»
DU GOUVERNE M EN T. 117
Tout ce que Jules - Céfar & Augufle avoîent obtenu de
prérogatiyes Royales j infenfiblement & à diverfes reprifes >
tantôt par la confidération de leurs fervices ^ quelquefois par
une impreflîon de crainte , Tibère & leurs autres fuccef-
feurs j jufqu'à Romulus-^Auguflule le dernier des Empereurs^'
lobtinrcnt tout à la fois par un fcul Arrêt du Sénat. Il n'y
eût que quelques Icgeres différences , & elles ne roulaient
que fur les divers titres dont on honoroit les Empereurs ^
litres que les uns prirent un peu plutôt & les autres un peu
plus tard. Se que quelques Empereurs ne voulurent même
jamais prendre ; mais tous s'emparèrent delautorité que ces
titres défignoient. Les Livres font pleins des titres , des
droits , Se des honneurs attribués aux Empereurs par le Sé-
nat. On voit partout que ce corps déféra aux fucceffeurs
d' Augufle tout ce qu'on avoit accoutumé de déférer aux
Chefs de TEtat.Le même ferment de fidélité que Rome avoit
prêté à Romulus 8c à fes fucceffeurs Rois , Rome le prêta à
Augufle^à Tibère, & à leurs fucceffeurs Empereurs» Jufqua
Tibère , Tufage avoit été qu'un feul Sénateur , au nom & en
prélence de la Compagnie entière , jurât fur les aûes du
Souverain , c'efl-à-dire qu'elle s'engageât à recevoir & à
exécuter tous fes ordres , & c'efl ainfi que le Sénat en ufa
avec Tibère même , dès le commencement de fon règne ;
mais dans la fuite , les Sénateurs , l'un après l'autre , compa-
rurent fucceflivement devant ce troifiéme Empereur de
Rome , & prêtèrent ferment d'acquiefcer à toutes fes volon*
tés. Dion Caflîus énonce fonnellement qu'on donna à Ti-
bère , avec les autres noms , celui d'Empereur. Le même
Auteur parle encore plus nettement de Caligula. Il dit que
ce Prince , en un feul jour ^ fe ùif"- He tous les titres donc
ii8 SCIENCE
on s'étoît avifé pour honorer Augufte , peu à peu , en divers
tems , & pendant un long règne. Il nous apprend auffi , à
regard de Claude , que les Confuls fe voyant contraints
d'entrer dans le fentiment des Soldats qui Pavoient élu Em-
pereur , lui firent décerner les honneurs & les droits qu'on
dvoit accoutume de donner aux Chefs de l'Etat. Tacite (a) ,
parlant du commencement du règne de Néron , raconte que
l'avis des Soldats fiit fuivi de délibérations du Sénat. Sué-
tone (h) dit que ce Prince étant allé dans le Scnat, après
s'être fait reconnoître par les Soldats, accepta les honneurs
les plus relevés dont on le combloit , à la referve du titre
de pcre de la patrie , qu'il reflifa à caufe de fa jeuncfle. Dion
rapporte à peu près les mêmes chofes de Galba (c) ; Tacite ,
d'Othon (//) & de Vîtellius (/). Le même Tacite aflure pré-
cifement que le Sénat décerna à Vefpafien tout ce qu'on avoit
accoutumé de déférer aux Chefs de l'Etat (/).
Ce que Tacite a dit à l'occafion de Vefpafien eft pleine-
ment juftifié par une Table de cuivre qui a été trouvée à Ro-»
me , dans l'endroit où ctoit autrefois le Capitole & qui eft
encore aujourd'hui confer .ce dans la Bafilique de S. Jean de
Latran. Ce monument hiftorique, modèle de l'inveftiture
des Empereurs , a fait pafler jufqu'à nous la manière dont le
Sénat élifoit celui qui étoit élevé à l'Empire de l'Univers , 8c
(a) Sententiaip miluumffcutj. Patrum confulta. Annal Lih li. Cap. €$. n. 64^
( J) Et inàè raptum appellatis militibus in Curiam delatus ejl... ex immenjis quibui
cumulabatur kênoribuSf tantum patris patriét ncmine recujato propter ataxm. AnnaU
Çap* B»
(c) Dans r Abrégé de Xiphilhi in fine vit et Neronis.
(i) Accurrunt Patres » dccernicur Otkoni tiibunhia potejlas , O fwmen Augujti »
& omnium Principum honores. Tacit. Hi^. 1 ib. i . Cap. 47- .
ie) In Stnatu 'ciinôd longis aliorum Principatibus ccmpofita > fiatm iecernuntuv.
Hifi. Lib. Cap. 55. , rr n r J ' tJ/l T 'ï. ^
" (/) -4. Kom^i; Senatus cunua Principibus fohta Vnjpajiano afcermt. tiijU Lio. ft
Cap. 3,
DU GOUVERNEMENT. 119
à qui Ton formoît un manteau Royal fait , pour aînfî dire ,
de pièces rapportées y & compofé de difFcrens morceaux de
la pourpre des Céfars que Ton avoir peu à peu coufus enfem-
ble. L'injure des tems a détruit ce qui étoit gravé au com-
mencement de cette Table. Voici ce qu'on lit dans ce qui
nousenrefl:e(^).
» Qu'il lui foit permis ( à Vefpafien ) de faire alliance avec
» qui il voudra , comme il a été permis à Augufte , à Tibère ^
& à Claude.
» Qu'il lui foit permis de convoquer le Sénat , d'y propo-
»fer ce qu'il voudra, de le congédier, & de faire des Or-
^ donnances du Sénat , en propofant les affaires & deman-
» dant les fuffrages , comme il a été permis à Augufte , à
» Tibère , & à Claude.
»Que lorfque le Sénat fe tiendra à fa volonté ou par îbh
» ordre 8c en fa préfence , tout ce qui s'y paffera , ait la me-
» me force & foit obfervé comme fi le Sénat avoit été con-
» voqué & fe tenoit félon les Loix.
» Que lorfqu'il aura recommandé au Sénat & au peuple
» Romain quelques-uns de ceux qui demandent une charge,
» une dignité , un commandement, l'adminiftration de quel-
» que chofe que ce foit , ou qu'il leur aura donné ou promis
» fon fuffrage , on y ait égard extraordinairement dans tou-
» tes les affemblées.
» Qu'il lui foit permis d'étendre les bornes de l'enceinte de
(a) Francifcus de Albertinis eft le premier qui a publié ce morceau dans TOu-
vrage qui a pour titre : De mirandis vel urb, Roniét Lib. 2. Ed. de Rom. i|io^
Plufîeurs autres Ecrivains Font auffi rapporté tout au long, comme Anton. Au-
guilin de Legibus ^ & Setis au mot Regia, On le trouve dans l'Ouvrage de Martin
Schoocejus de Lige Regia Cap. 14. Num. i. Dans le Recueil des Infcriptîons de
Gruter , pag. 242. Dans Gronovîus , dont on peut voir Tarticle dans mon £xa«
men. Dans le Recueil des anciens Traités fait par Baibeyrac ^ pag. 17» de la fe-*
conde partie , & dans plufieurs autres LiYres«
120 SCIENCE
7> la ville , aufli loin qu'il le trouvera à propos pour le bien
» de la République y comme il a été permis à Claude.
» Qu il ait le pouvoir & Fautorité de faire tout ce qu'il ju-
» géra avantageux à la République & convenable à la majefté
«des chofes divines & humaines, publiques & particulier
» res j comme l'ont eu Augufte, Tibère & Claude.
» Que l'Empereur Vefpafien foit exempt de fe conformer
» aux Loix & aux Ordonnances du peuple dont il a été or-
» donné qu'Augufte, Tibère 9 & Claude ,feroient difpenfés,
» & qu il foit permis à Velpafien de faire tout ce qu' Augufte,
» Tibère & Claude ont pu faire en vertu de quelque Loi.
» Que tout ce qui aura été fait j exécuté , ordonné , com*
» mandé par Vefparien,& que tout ce que quelqu'un aura fait
>> par fon ordre avant Tétabliffement de la préfente Loi, foit
» cenS^ dûement & légitimement fait, tout comme û cela avoit
» été fait par ordre du peuple,
SANCTION (O-
» Si quelqu'un , pour fatisfaire à cette Loi , fait quelque
(a) Du mot Grec qui veut dire Negotium , font venus les mots Pratique fiç
Praticien , le mot Latin Prugmatium qui fignifie un Edit de l'Empereur , le mot
Efpagnol Pragmacion qui veut dire Ordonnance > fie notre mot François Pragma^
tique. On conçoit dans toute Loi deux parties. L*une , qui détermine ce qu'il faut
ou faire ou ne pas faire. C'eft ce qu'on appelle le Règlement. L'autre y qui dé-
clare la peine qu'on s'attirera en ne faifant pas ce que la Loi ordonne » ou ea
faifant ce qu'elle défend. C'efl ce qui s'appelle la Sanâtion. Aînfî , la Pragmatique
& la Sandlion font deux parties d'une même Loi , & non pas deux différentes
fortes de Loix. L une & l'autre de ces parties font également néceflaires. Il ne
ferviroit de rien de dire : Faites cela j ft Ton n'ajoutoit autre chofe. Il ne feroit pas
moins déraifonnable de dire y Vous fubire^ une telle peine , fi cette menace n'étoil
précédée de la raifon pourquoi on fera foumis à un tel châtiment. En France » nous
appelions du nom de Pragmatique Sanâion , les Edits faits par le |lpi fur les Re^
montrances des peuples , ou les Arrêtés faits par les peuples ôc qui font auiorifés
par le Roi , fous le bon plaifir de qui ils avoient été faits. Cette dénomination
dillingue ces fortes d'Edits , de ceux faits par le Pyince de fcn propre mouvet*
ment. Pragmatique ^Sanâîion de S. Louist Pragmatique^ SanSion de Bourges , ou
¥ragmAtiqne^S§nSion paj excellence » Pra^natique^San^ion de Vicnnet
» chofg
DU GOUVERNEMENT. 121
• chofe contre les Loix^ contre les Ordonnances du peuple,
» contre les Arrêts du Sénat , ou au contraire ne fait pas
» quelque chofe ^ qu'il étoit tenu de faire par une Loi y par
» une Ordonnance du peuple, par un Arrêt du Sénat 5 que
V cela ne lui porte aucun préjudice , qu'il ne foit pas obligé
n de rien donner au peuple y à caufe de cela, que, perfonne
» n'en prenne connoiflance, & ne fouffre qu'on le cite pour
» ce fujet devant lui. <c
Telle eft la Loi Royale ou de l'Empire. On a remarqué.
(4) que voulant égaler dans chaque Article le pouvoir de
Vefpafien à celui des précédens Empereurs , le Sénat ne
nomme jamais qu'Augufle , Tibère , & Claude.
Rome fe fiit offenfée du nom de Roi , elle qui ne s'offen-
foit pas de l'autorité Royale ; la qualité de Roi étoit abolie^
mais l'autorité attachée à ce titre fubfiftoit en entier. Oa
jouoit une pareille comédie , toutes les fois que le Couver*
nement changeoit de main. On répétoit la même Ordon*
nance du Sénat avec quelques petites différences dans l'inau-^
guratipn de, chaque Empereur. Il y a apparence que le Se-*
natus-Confulte , par lequel les Empereurs étoient revêtus de
l'autorité Souveraine , ne fut appelle par les Jùrifconfultes
Loi Royale , que lorfque le peuple Romain , accoutumé de-
puis long-tems au joug d'une domination Monarchique »
n'eut plus la moindre ombre d'utie liberté, en* eut perdu
jufqu'à la mémoire, lorfque perfonne n'avoit honte decraio.
dre l'Empereur , lorfque le Prince pouvoit tout Se que le
peuple ne pouvoit rien.
Chaque Etat a une Loi fondamentale différente de celle rautne lom r»
^ le* mtmtt dan*
d'un autre Etat. On peut dire en particulier, de ces Loix S^^'^'^'jâtt
.■ (<t)Tilleinont^Hiibif^d«^perww. ^ 5ïn;'^"'îlTK
n2. S C i E N 0 È
fondamentales , ce que j'ai dit en général des Loîx civiles f
qu'elles ne font pas les mêmes partout. Dans certains pays ,•
la Loi de TEtat a fondé un Gouvernement populaire dans'
quelques Auteurs , un Gouvernement Ariftotrarique ; dfens?
les uns, une Monarchie abfolue ; dans les autres , une Mo-^
narchie tempérée. L'ordre de la fucceffion aux Couronnes
éft de même inégal , félon la Loi particulière de chaque pays.
Quelques Couronnes font éleilivcs , quelques autres fonr
héréditaires. Dans le Royaume où J'écris, la LoiSalique
exclut abfolument les filles de la fucceffion , & fuit le cours
du Sang Royal dans les mâles, au lieii que dans d'autres les
femmes font appellées à la fucceffion au défaut de mâles.
• La première 8c la principale règle du Droit public de
chaque fociété civile , c'eft la Loi qû*on nomme de rEtat
par excellence , parce quelle en eft la Loi fondamentale ,
qu elle le conftitue , qu'elle détermine la forme de fon Gour
vernemcnt , & qu'elle règle la manière dont le Monarque y
cft appelle , foit par éledion , folt par fucceffion , celle dont
il doit gouverner ou celle dont la Republique doit être ré-
gie. Telle étoît à Rome la Loi Royale dont je viens de par-
ler ; telle eften France la Loi Salique ; telles font eh Aile-»
magne la Bulle d'Or ; en Portugal , la Loi Lamego ; en An*
gleterre , la Grande Charte ; en Pologne , les PaBa, Con^
iventayçïi Curlande^les Fada SubjeSlicms ; en Dannenïafc,
la Loi Royale ; en Hollande, l'Union d'Utrecht ; & ainfi
de toutes les autres Loix confticiitivcs de quelque Gouverne^
ment que ce foit , & dont on verra les détails dans la fuite
de cette Introdudlion*
4i.LeDr«taoît Deux points font à çonlîdérer dans le Droit. L*un con^
•î^^'aî'toSi fifte en l'examen du Droit ea foi^ teLjqu-U appartient à I4
D U G OU V E R N B M E N T. ,113
rpèrfonné dui .veiit rexercer. L autre , en la manière de ren^ & wr wppon à
-are à chacun ce qui lui appartient. C eftisc que les Praticiens 4^^p.j'|5"f^*ïfJ^^^
appellent le fonds & la forme- , BR^^if:
La forme , çeft-à-dire la manière de faire les procédures "^•*^*"^'**^
dans les Tribunaux; de Judicature , réfulte d'un nombre in-
fini de détails qui ne font pas de mon fujet. La chicane , cp
monftre inventé & entretenu par Ja lubtilivé des- Plaideurs
pour anéantir la juftice , n'a que trop multiplié ces détails*
Cette forme des procédures eft réglée dans tous les Etats
.par les Ordonnances des Souverains , & ils ont établi des
Officiers pour en faire obferver les règles.
Le fonds du Droit regarde les perfonnes ou les chofes. 4». n^fînitiv»
Nous acquérons un Droit furies perfonnes, lorfqiiç .,.paf p^rfonncf." *"*
une convention foit exprefle , foit tacite , quelqu'un nous
confère l'autorité de lui ordonner les chofes qu'il doit faire ^
& de lui défendre celles dont il doit s abftenir , & qu'il fe
foumet à fe conformer à notre volonté & à être puni d'unç
certaine peine, s'il s'en éloigne. De toutes les fociétés bu fim-
ples & primitives , ou compofées & dérivées, dont j'ai parlé
en donnant l'idée de la Science du Gouvernement , il n'en
eft aucune où l'on ne trouve des exemples de ce Droit fur
les perfonnes. J'en traiterai dans le volume du Droit Public,
Le Droit fur les chofes eft originaire ou défiré. Nous y ^5. Définîiîon
avons acquis un Droit originaire , lorfque ceux qui y avoient chofest'diw fonî
un Droit commun y ont renoncé en notre faveur expreffe- S^owîliSU^
ment ou tacitement. Nous y acquérons un Droit défiré , lorf- homiMs y*^onï^f
que ceux auxquels elles étoient propres en difpofcnt & nouas^'g* «* *«•
les cèdent à nous , qui n'y pouvions rien prétendre aupa-
yavant»
La différence cffcntielle adoptée par tous les Tribunaux de
Qij
«4 SCIENCE
France entre les meubles & les immeubles y c'eft que les
meubles fuîvent la perfonne , & font régis par les Loix du do-
micile j au lieu que les immeubles font réglés par celles de la
fituation. En meubles , il n'y a point de reftitution à caufe
de la lézion d'outre moitié du jufle prix ; mais en immeubles,
cette reftitution a lieu (a). Le meuble n'a point de fuite par
hypothèque ; mais Timmeuble reçoit Timpreffion de l'hy-
pothèque.
C'eft par la voie des conventions ou par celle des fucceC*
fions , que fe fait Tacquifirion des chofes. L'ordre des focié-
tés civiles fe conferve dans tous les lieux , par les engage-
mens que les hommes ont naturellement ou qu'ils prennent
les uns envers les autres ; & îlfe perpétue dans tous les tems ,
par les fucceffions qui appellent certaines perfonnes à la pla-
ce de celles qui meurent y pour ce qui peut paffer à des Suc-
ceffeurs. Les fucceffions forment un engagement , en ce que
ceux qui les recueillent , entrent dans les mêmes obligations
où ctoient les perfonnes dont ils héritent. Ce n'eft pas néan-
moins fous l'idée d'engagement qu'il faut confidérer les fuc-
ceffions ; elles doivent être regardées du côté du changement
qui fait paffer les biens , les droits , les chargés , de ceux qui
meurent, à leurs fucceffeurs.
f II eft des engagement de deux efpeces.
Les uns fe forment par la volonté mutuelle de deux ou
44. Deux et * ^r .
gcw d'engigc- plufîeurs perfonnes y dans les ventes , dans les échanges ^
dans les louages y dans les tranfaâions y dans les compro^
mis & dans les conventions de toute nature.
Les autres font pris 1^. fans le confentement mutuel , par
la volonté d'une feule perfonne. C'eft ainfi que celui qui con-»
" (fi) l'fg' a. Cod. de Refc. vend.
DU GOUVERNEMENT, 125
duit TafFaire de fon ami abfent , s'engage , par fa volonté
feule , fans le concours de celle de cet abfent. Il eft préfumé
avoir promis d'en ufer en bon père de famille j 8c celui dont il
fait les affaires, eft cenfé s'être obligé de Tindemnifer des frais
qu'il feroît utilement. 2^ .Sans Consentement expre's. Ccft
ainfi que ceux qui entrent dans des Cliarges Municipales ou
dans quelques Offices de Judicarure , font engagés d'en rcm«
plir les fondions ; que ceux que les Loix du pays appellent
à une tutelle , font obligés de prendre foin de la perfonne âç
des biens des Pupilles ou des Mineurs confiés à leurs foins j
& que ceux qui exercent des emplois publics doivent pro^
tégcr les perfonnes foumifcs à leurs emplois.
Tous ces engagemcns j tant volontaires qu'involontaires ^
ont des fuites , comme les hypothèques ^ les privilèges des
créanciers , les obligations fubfidiaircs , le^ cautionncmens ,
& les autres a£les dont le caraâère eft d'ajouter aux engage*
mens ou de les affermir ; pu comme les payemens , lesçom^
penfations , les novations , les refcifions , & les reftitution$
en entier , qui changent ^ diminuent ^ ou anéanciffent les
cngagemens.
Ces deux efpeces de fuites qu'ils ont , réduifent donc
cette matière i^. Aux conventions qui font les cngdgci^ens
volontaires & mutuels. 2^. Aux engagemens qui le forment
fans conventions. 3^. Aux fuites qui ajoutent aux engage-
mens ou qui les affermiffent. 4^. Aux fuites qui ançantiifent ,
diminuent, ou changent les engagemens,.
Il y a une différence effenticUe entre les devoirs de l'hu- 4^, Troi* fti...
manité, & ceux de la juftice proprement ainfi nommée. Les Mwîdfcr«J5cî
devoirs de l'humanité ne fuppofent aucune convention ex-
prefle ou tacite ; ils font uniquement fondés fur les obliga-
tions que la nature impole à tous les hommes : au lieu qu&
i2<$ SCIENCE
les devoirs de la juftice y de Droit étroit y découlent d'une
convention par laquelle on a acquis fur nous un droit parti-
culier ) de notre propre confentement. Il eft abfolument li-
bre à chacun de faire & de ne pas faire des conventions ;
mais il eft de droit naturel , que les conventions faites foient
exécutées. Toute convention exprefle produit quelque obli-
gation dont on n'étoit pas tenu par la Loi naturelle , du
moins d*une manière précife & déterminée.
Il eft des obligations purement naturelles > il en eft de
purement civiles , il en eft de mixtes*
L'obligation purement naturelle ne donne point d'ac-
tion en juftice. Tel eft l'engagement dun Mineur, à qui
Ton a prêté de l'argent fans le confentement de fon Tuteur.
Le créancier ne peut en obtenir le rembourfement par la
voie des Tribunaux de Judicature ; mais le Mineur ne laifTe
pas d'ctre obligé en confcience de rendre ce qu'il a em-
prunté.
L'obligation purement civile n'eft fondée que furies Loîx
civiles. Elle donne une aftion en juftice j c'eft-à-dire que
celui qui refufe de nous rendre ce qu'il nous doit en vertu
d'un tel engagement , peut y être contraint par leMagiftrat;
& c'eft pour cela que l'hypothèque , qui dans le Droit Ro-
main , eft appellée Droû Réel ( /t ) , eft définie parmi nous
une obligation des immeubles , laquelle afliire l'exécution des
engcigcmcns contra£lés.
L'obligation mixte renferme un engagement appuyé & fur
l'équité naturelle & fur l'autorité du Droit Civil.
^reîir^r5:"cn L'obligatlob & le droit qui en naît , font relatifs. Par les
conventions qu ils font , les hommes contractent des enga-
gcmens accclToires aux engagemens naturels; les uns entrent
ia) Juj in rc jftvc Jus Ttolc
4«. PehHf arîon
DU GOUVERNEMENT. 127
dans un engagement obligatoire, &. les autres acquièrent un
droit. Dès qu'une perfonne contrade quelque engagement
par ces conventions volontaires , une autre acquiert nécef-
fairement un droit qui en efl le corrélatif. On ne fçauroit être
tenu par les Loix humaines de faire une chofc , fans que quel-
qu'un n'ait droit de l'exiger.
Les promeffes font abfolues ou conditionnelles. 47. ut prwief*
Les abfolues font celles par lefquelles on prend quelque <»« conaidoanri.
engagement , indépendamment de toute condition. ^" gwwi^».
Les conditionnelles font relatives à certaine^ conditions
attachées à la promeflc. Quoique ces conditions donnent
toujours le droit de contraindre à les exécuter , l'engage-
ment auquel elles ont été ajoutées , n*en dépend pas toujours;
. mais d'ordinaire , celui qui s'efl fournis à la condition ne peut
exiger l'exécution de la promeffe , s'il ne remplit la condi-
tion à laquelle la promeffe a été attachée (4).
Les obligations font produites par des actes qui lient tou-
tes les perfonnes qui les font , ou qui n'en lient qu'une. Dans
le premier cas , l'aûe eft une convention , une promeflc ré-
ciproque ; dans le fécond , il n'eft qu'un contrat gratuit.
Les promeflcs réciproques renferment une obligation de
part & d'autre , où chacune des parties eft obligée de don-
ner ou de faire quelque chofe , & où l'obligation contra£lce
par Tun eft le prix de l'obligation contradlée par l'autre.
Le contrat gratuit peut être conçu de l'une de ces trois
manières.
i^. D'une manière qui déclare la volonté où Ton eft de
faire quelque chofe , fans qu'on prétende s'impofer la nécef.
fitc de perfifter dans cette volonté. Cette (impie déclara-
(a) Cdt ce ^ue Ici JurifconfiiltCi appellent conditio Jine qui non.
,28 SCIENCE
tion de là volonté aôuelle n'oblige pas 9 & elle n^acquîeit
aucun droit à perfonne* Dire qu'on fera , qu'on a intention
de faire , ce n'eft pas faire aftuellemenr.
2^. D*une manière qui annonce à quelqu'un la réfolutîon
qu on prend en fa faveur , & Tintention où Ton cft d'y per-
fiftcr irrévocablement , fans qu'on prétende attribuer à celui
envers qui l'on prend cette rciblution , le pouvoir d'exiger à
la rigueur ce qu*on lui fait efpcrer. C'eft une promefTe im-
parfaite qui oblige celui qui la fait , mais qui ne donne au-
cun droit à celui à qui elle eft faite. Il en cft de cette pro-
meffe comme de la rcconnoiffance qui lie celui qui a reçu le
bienfait y fans attribuer aucun droit à celui de qui il l'a reçu»
Ici y fe rapportent les promeffes qu'un Souverain fait à fon
fujet y un père à fon fils non-émancipé, un maître à fon fer*
vitcur. Le Souverain , le père y le maître font obligés , par
le Droit naturel y de tenir leur parole ; mais comme il n'y a
point de Tribunal devant lequel ils puifTent être pourfuivis y
le fujet, le fils, le ferviteur , nont pas droit, à la rigueur ^
de pourfuivre l'exécution de ce qui leur a été promis. La
qualité des perfonnes , parmi lefquelles le droit doit répon-
dre à l'obligation , empêche l'efTet extérieur de l'obligation.
3^. D'une manière qui ne contienne pas une fimple ef-
pérance , mais un engagement aâucl, qui ne regarde point
l'avenir mais le préfent , & où Ton ne dit pas : Je donnerai ,
mais/V donne. Lorfqu'on marque fimpîcment qu'on eft dans
l'intention de faire , on eft cenfé délibérer encore & fe ré-
ferver le droit de varier ; mais fi l'on affure qu'on fait , qu'on
promet, qu'on s'oblige, qu'on donne, ces termes cxclucnç
toute délibération future , & lient irrévocablement dans tou-
tes ks promeffes. Il en faut excepter le$ teftamens , où c^uand
"^ on
DU GOUVERNEMENT^ 12^
on dit , QUtm tel foit mon héritier ^ on fous-entend toujours ^
Si far un tefiàment fofiérieur je nen nomme pas un autre •
Pour rendre la donation parfaite , il n*eft pas néceffaîre
que la tradition de la chofc qu'on donne, fe faffe fur le champ ,
iljuffit que la donation foit conçue en termes qui ne per-
mettent pas au Donateur de varier. Le droit d'exiger eft alors
parfait , quoique l'exercice de ce droit ne foit pas préfcnt.
Le retardement à exiger la choie donnée , eft renfermé dans
h donation; & loin d'y être contraire , il en eft rcxécution»
Les engagemens volontaires doivent être proportionnés 48.LcfpfOfiirf.
aux difFcrens befoins, qui en rendent l'ufage néceffaire aux tiônsiu?<SlSfoïi
hommes-- Chacun peut fe lier par des conventions , & les '^"^
diverfifier au gré des combinaifons que les circonftances
mettent dans Jes affaires ; mais il faut que les engagemens
foient conformes à l'ordre de lafociété, car ceux qui blef-
fent les Loix civiles font illicites. On ne peut rien promettre
contre la volonté du fuprême Légiflateur,
Tout engageiTient eft nul , s'il eft impoffible d'en remplir
l'exécution , s il eft contraire aux Loix & aux bonnes moeurs^
s'il blefle des devoirs plus effentiels. Un engagement , mar-
qué à ces cara£tcres , eft impuiffant à produire l'effet qu'on a
voulu lui donner , & il peut même foumettre à des peines
ceux qui l'ont contraÔé. La raifon nous défend de tenir \q^
promeffes & les conventions déraîfonnables. Ne pas retraflter
une promeffe illicite , c'eft adhérer à une chofe vicieufe.
On contra£le une obligation , non-feulement en donnant ^^.dhml^
ioi-même fon confentement à cette obligation , mais encore |Iw proclrw?'*
en autorîfant un tiers à le donner. Ce tiers, que l'on appelle
Procureur ou Mandataire , doit êtreautorifé par une procu-
ration exprelte, & cette procuration ne lit celui qui la donne^^
Tême U K
1 50 SCIENCE
que dans. retendue du pouvoir qui y eft exprimé.
- ço.DcsDoïut- La donation entre-vifs eft de deux fortes, Tune dans la-
ns nirc-v s. ^^^jj^ |^ tradition eft réelle & aduelle , pour jouir par le
Donataire même pendant la vie du Donateur j Tautre où la
tradition eft feinte & la donation faite avec réferve d'ufu-
"fruit, où le Donataire eft maître des biens, mais où le Do-
nateur continue d'en jouir à titre précaire.
Cette donation peut être révoquée , lorfque le motif qui a
déterminé à donner, cefTe. Si le Donataire de qui le Dona-
teur devoit attendre de la reconnoiflance , fait au Donateur
quelque injure qui marque fon ingratitude , ou fi le Donateur
vient à avoir des enfans , les Loix civiles fuppofc^t que le
Donateur n'eût pas fait la donation ; s'il eût connu le carac-
tère du Donataire , s'il eût crû avoir dans la fuite des enfans.
çi.DeitPref. Ce feroit ici le lieu de parler du Droit qui s'acquien par
cripuon. j^ prefcription j mais dans le Droit des Gens , je traite de la
prçjfcription , relativement & au Droit civil , &: au Droit pu-
b4ic , .& au Droit des Gens. Je n'ai pas dû difcuter féparé-
ment une matière qui ne pourroit être divifée , fans perdre
dfi fa clarté.
5».Dejiucccf. L'ordre des fuccçffions eft fondé fur la néceffîté de tranf-
mettre les biens d'une famille , de la génération qui pafle à
celle qui fuit. Cet ordre fait fuccédcr infenfiblement de cer-
taines perfonnes krla place de celles qui meurent , & les fait
entrer dans les droits , dans les charges , dans tous les rap-
pons , Se dans tous les engagemens qui peuvent paffer à des
fuçceflcurs.
Il eft deux manières, de fyccéder.: l'une , dans l'ordre de
la. nature qui. appelle aux fucceflioos les defcendans , les af-
cçndans , |fe les proches parens ; l'autre > dans Tordre de la
DU GOUVERNEMENT. 131
volonté de ceux qui meurent & qui nomment des héritiers ^
ou des légataires.
Les fucceffions légitimes font d'inflitution divine. Au dé-
faut d'enfàns mâles y le Seigneur Jappelle les filles ; & au dé*
faut de filles , les frères ; au défaut des frères , les oncles ;
& enfin les plus proches en degré ; & il veut que ce foit une
Loi fainte & permanente parmi les enfans d'Ifracl (a). Ces
fucceffions ont leur principe dans le Droit naturel , & elles
font âutorifées dans le Droit civil. Les Grecs n'admettoient
les filles à la fucceffîon qu'au défaut des fils. Parmi les Ro-
mains , les Loix des douze Tables déféroient la fucceflîon
aux agnats , & la Loi VoconU en écarta précifément les fem-
mes ; mais Juftinien ôta infenfîblement prefque toute diffé-
rence entre les mâles & les femelles , entre les agnats & les
cognats ; il déclame avec véhémence dans fes Novelles con-
tre Tufage des peuples qui n'admettoient pas également les
deux fexes à la fucceflion.
Les fucceffions teflamentaires ont pour fondement les
mœurs, les Loix , les ufages des peuples. Les uns ortt
voulu que ce fut la Loi qui difpofat abfolument des
fucceffions , & les autres les ont laiffées à la difpofition des
pofFeffeurs , qui en ordonnent juflement & raifonnablement
{h) avec les reflri£lions que les Loix ont établies , telles , par
exemple , que celles que font les reglemens des enfans , &
les droits de ceux qui né peuvent être impunément prefcrits.
La donation à caufe de mort efl un aâe par lequel on n*i>esDoat«
transfère la propriété de fes biens , à une perfonne qui ac- mon.
cepte le don qu'on lui fait, pour en acquérir k propriété ^
■| » ^
(f) Genef. 15*. 4. Nomb. 27. 8. Rom. 8. 17. \
ih) Teftamenium eji voluntatis nojlrs jufia fentemia»L* i.ff.Quttefi*facerepà^^
Junt. Ricard» de« Poaaûoai 1 Nomb. tfa8« Donati Préface des SuccefGofts.
Rij
iji SCIENCE
au cas que le Donateur vienne à mourir dans îa circonllance
où il eft , lorfqu il fait la donation» La donation eft cadu-
que ^ fi le Donateur ne meurt pas de la maladie donc ilétoic
attaque 5 où s'il cchape au pcril dont il ctoit menace.
54.DesTefta-. Le tcftamcnt eft une déclaration de notre volonté y en fa-
mens &. des Co- , | • r / i ^ i •
iicikt. veur de ceux que nous voulons qui iurccdent a nos biens ,
après notre décès. Nous pouvons changer cette déclaration
dans tout le cours de notre vie.
Un Romain ^ dans les premiers tems , pouvoit faire fon
teftament en cinq mots , il lui fuflifoit de dire : Lucius - T/-
tius foyez, mon héritier {m). De quelque manière ( porte la pre-
mière Loi des douze Tables ) en quelque ferme qu'un père
de famille ait difpofé de fes biens ou de fa famille > que ce
foit une Loi (/')• Le teftament olographe^ c'eft-à-dire celui
qui eft écrit de la main du Teftateur , & toute autre efpece
de teftament eut lieu ; mais les difffrentes fortes de teftament
qlii furent fucceffîvemcnt en ufage chez les Romains , le ré-
duifirent enfin à deux. Le teftament nuncupatif ^ qui fe fai-
foit fans écrit , publiquement y 8c de vive voix , en préfence
de témoins ; & le tcdamenz fol em^el , qui fe failoit par écrit ^
de la main du Teftateur mcme ou d'un Scribe affîdé , écrit
qui étoit fecret , & dont le contenu dcmeuroit inconnu aux
. témoins , à qui le Teftateur déclaroit feulement que Paâte
qu'il leur préfentoit clos & cacheté , contenoit fes difpofi-
tions dernières » en les priant de rendre témoignage de fa
déclaration.
Ces deux efpeces de teftament, nuncufâtif 6c foUmf^l ^
font en ufage parmi nous. Le teftament fecret, myftique ,
(fl) Quinque verhls potefi qui facere Teftamentum ut dicat: Lucius Tttius mihi
hœrseilo. L. '• J-^- de hared. Inftit.
(è) Ut Pater familial fuper familii p:cun!d ve teifud legaftt , ita Jus efo. Ibid.
^ DU GOUVERNEMENT. 135
OM folemnel j eflun a£te que le Tcftaceur écrit ou fait écrire
dans le fecret de fa maifon , que fouvent il ne figne point ,
& qu'il remet à un Notaire clos & cacheté , à qui il déclare ,
en préfence de (ept témoins , que c'cfl fon teftament ; le
Notaire tranfcrit cette déclaration fur Tenvelope , & il la
figne avec le Teflatcur & les fept témoins. Mais nous nous
fommes faits une forte de tcflamcnt nuncupdtifç\\xi nous cfl
particulière , car l'écriture y eft néceflaire. Ce n'eft que , par
une façon de parler très-impropre ^ que nous l'appelions de
ce nom. Les formalités que les Ordonnances de ce Royaume
ont introduites y tant pour notre tcflament nuncupanf^ que
pour notre teflament folcmnel j qui font la préfence & la fi-
gnature de fept témoins ; ont entièrement aboli le véritable
teftament nuncufatifàQS Romains ; & l'Ordonnance de Mou-
lins y a porté le dernier coup , en profcrivant la preuve par
témoins 9 en toutes matières où il s'agiroit d'une fomme au-
deffus de cent livres.
A Paris, dans la plupart des pays de Droit écrit, & dans
plufieurs Coutumes de ce Royaume , les teftamens olographes
font aufli en ufage, & ils n'exigent ni la préfence du Notaire ,
ni celle des témoins. Cette formalité , qui eft de TefTence de
notre teftament folemnel 8c de notre teftament nuncupatify
n'cft point de Teffence des teftamens olographes ; mais ceux-ci
ne font point d'un ufage univerfel dans ce Royaume. Le Par-
lement de Paris les autorife, non-feulement dans celles des
Provinces de fon reflbrt qui font régies par le Droit écrit ,
mais encore dans celles qui fe font gouvernées par dcsCoûtu^
mes , lefquelles n'en parlent point. Ce Tribunal ne rejette
les teftamens olographes , que dans les cas où les Coutumes
154 SCIENCE
du pays font expfcflcmenc contraires à cette forte de telle-
ment (a).
Les teftamens ne font pas , à beaucoup près , fi favorables
parmi nous , que dans le Droit Romain ; nous avons accordé
toute préférence aux héritiers légitimes fur les Teftamentai-
res. Pour rendre plus diflScile la voye dç dépouiller Théri-
tier du fang y les Coutumes d'un côté , & les Ordonnances
de Tautre , fe font réunies pour aflujcttir les tcftamens à de
certaines formalités y dont le défaut entraîne la ruine du
teftament. Volographe eft affujetti à moins de formalités que
les autres ; mais il faut que le Teftateur Tait entièrement écrie
& figné de fa main à chaque page ; qu'il Tait daté , & qu^on
Voie qu il a eu intention de faire un teftament. La dernière
Ordonnance faite à ce fujet , après avoir réduit à deux feules
voyes la manière de difpofer (la donation entre -vifs & le
teftament ) déclare nulles les difpofitions qui feront faites par
des lettres miffîvcs {h).
Les codiciles font diftingués des teftamens, par leurs for-
malités qui font moindres que celles des teftamens , & par
leur ufage qui eft borné aux legs & aux fidéi-commis , au lieu
qu*un teftament doit néceflairement contenir une inftitution
d^héritien
Toute difpofitîon à caufe de mort , qui ne contient pas la
nomination d un héritier , n'a , dans celles des Provinces de
France qui font régies par le Droit écrit , que la nature d'un
codicile ou d'une donation à caufe de mort , & non d'un tef-
tament ^ quand même elle en auroit la forme.
Dans nos pays de Coutumes , comme il ne peut y avoir
(i) Art. |. de rOrdQniumctl du Roi de 17} y*
DU GOUVERNEMENT, i^j
d'héritier teflamentairc > on ne diftingue pas entre les tefta^
mens & les codiciles. On y donne le nom de teftamçnt à
toutes les difpofitions à caufe de mort.
Le défir de l'immortalité eft le plus violent aufll bien que 5î,Dpf&ww-
le plus noble de nos defirs ; nous la cherchons tous , par la '"***'*^'
fécondité du corps ou par celle de Tefprit ; nous voulons vi-
vre dans la mémoire des hommes. De-là , Tufage des fubfti-»
tutions par lefquelles le Teftateur interdit à fon héritier la
liberté d'aliéner les biens qu'il lui laifle, & appelle à fa fuc-"
ceflion d'autres héritiers qu'il fubflitue au premier inftitué^
Cet ufage y utile à la confervation des fortunes privées , mais
nuifible à la fortune publique > en ce qu'il met dans la main
d'un feul homme des biens qui ^ partagés à plufieurs ^ fe-
roient employés plus utilement pour l'Etat , a été fagement
borné dans ce Royaume , à quelques degrés, L'Ordonnance
d'Orléans (a) réduit les fubftitutions qui feront faites à l'a-
venir , à deux degrés y non compris Tinflitué ; celle de Mou-
lins (h) borne à quatre degrés les fubftitutions faites avant
l'Ordonnance d'Orléans ; & celle du Roi régnant (c) con-
firme les difpofitions de ces deux premières Ordonnances,
Dans le filence des Loix ^ les ufages ont fervi de conduite
aux hommes.
Les peuples en fe donnant des Rois ont défiré fe procu- çé.Lespenp»
rer une proteâion qui aflurât leur repos > fans les priver d'une uuSi alnïies àil
^ ^ ^ *- Ycrfcs vues qu'il»
libenc raifonnable, & foumife aux loix : mais ils font allés « om wm , pour
' aflurcf leur hbCT*
par des voies différentes , au but qu'ils fe propofoient , & ^%f^^l^^l
ils ont plus ou moins réuffi , félon que leurs mefures ont été ^^^ ^p(S°M
plusoumoins juftes, plus ou moins favorilées, outraverfécs Tk'rlna^dS
1 I I* _^ liommes en li«
de la fortune* brçt» en scrfs ,
en Malirf* ^ ÇH
CO Art. S9* jCfçUfci.
^i) Art- 57*
(0 Titre i. An. jo. 5c }i«
i3« SCIENCE
Les Conquerans , de leur côcc , ont ufé différemment de
la victoire , félon la diverfitc de leurs caraûcres , ou de leurs
incércts. Les uns fe regardant uniquement , ou ont ôté la
vie aux vaincus , ou croyant que c'ctoit afl'ez faire pour eux
que de la leur laiifer , les ont dépouillés eux & leurs enfans
de leurs biens ,de leur patrie , de leur liberté ; d'autres ont
introduit la coutume de tranfporter les peuples entiers , avec
toutes les familles qui les compofoient , dans de nouvelles
contrées où ils les établifToient , & où ils leur donnoicnt des
terres à cultiver. Quelques-uns fe font contentés de faire ra-
cheter aux peuples vaincus lufage xfe leurs loix y de leurs
privilèges , par des tributs annuels ; & quelquefois même , ils
ont laiffé les Rois fur leur trône , en exigeant d'eux feule-
ment quelques hommages. D'autres enfin , Conquerans plus
fâges, & politiques plus habiles , fe font fait un honneur de
mettre une efpece de qualité entre les peuples qu'ils venoient
de foumettre & les anciens Sujets , accordant le droit de
bourgeoifie à ceux-là & prefque tous les mêmes droits & les
mêmes privilèges dont jouifToient ceux-ci ; & par ce moyen
d'un grand nombre de nations , ils n'ont fait, en quelque
forte , qu'un feul & même peuple.
Ces différentes vues ont partage le genre humain comme
en deux efpeces , en hommes libres & en Serfs , en Maîtres
Se en Efclaves. » L'on demande (dit un homme d'efprit )
» pourquoi tous les hommes cnfemble ne compofent pascom-
n me une feule nation , & n'ont point -voulu parler une mê-
» me langue, vivre fous les mêmes Loix , convenir entr'eux
» des mêmes ufages & d'un même culte ; & moi , paflant à
t> la contrariété des efprits , des goûts , & des fentimens , je
•> luis étonné de voir jufqu'à fept ou huit perfonnes fcraffem-
bler
DU GOUVERNEMENT. 137
» bler fous un même toit, dans une même enceinte , & corn-
» pofer une même famille (a).
La différence des conditions , qui bleffe tant lamour pro- ^j.vinégàiité
1 1 1 ». 1 1 /• 1 1 f des conditions ,
pre de quelques hommes , n a rien dans le fond a extrême- *i" »»«"* » .^"
* * * honneurs , dans
ment fâcheux^ Les hommes ont tous une même origine , ils !" *^*^'^^* îr'"*
O ^ les, n'a ncn d cx-
marchent tous fur la même terre , le même foleil les éclaire , "hlïîîxTdic ?ft
ils refpirent le même air , les fontaines & les fleuves coulent Snli.'mTiSl
également pour tous. Les avantages & les peines, les biens J^'^^J^'^'^^^''^
& les maux font diftribués avec tant de proportion fur les
différentes profeffions , que , ccmpenikticn faite , tous les
Etats font à peu près égaux.
La focicté civile cft un corps moral compofé de plufieurs
membres ; & ainfi que dans le corps naturel tous les mem-
bres ne peuvent être femblables , à caufe de la diverfité de
leurs fondions qui demandent diverfes conformations d or-
ganes , de même , il faut que , dans un corps moral , il y aie
des perfonnes qui s'appliquent aux divers emplois aufquels
on les deftine , afin que les différens befoins du corps moral
(oient remplis.
Il falloit , pour le bonheur des hommes , les mettre dans
la néceffité du travail , & rendre indiffoluble le lien de la
fociété , en augmentant le befoin qu ils ont les uns des au-
tres. Dans un Etat où le travail ne regneroit plus , le com-
merce tomberoit , la mifere prendroit fa place ; les ans qui
produifent l'abondance , & qu'elle multiplie à fon tour , s'a-
néantiroient avec elle ; tout difparoîtroit avec Tindurtrie né-
gligée , parce qu'elle ne paroîtroit plus utile. L'inégalité ex-
térieure eft l'effet d'une Providence mervcilleufe & le fonde-
ment d'une excellente Police.
(fl) La Bruyère, CaraSeres^ Gr. Tom. 2. p. ao. & 21. Ed. d^Amfterdam 17^1^
Tcme L S
138 SCIENCE
Qu'on fit aujourd'hui entre les hommes le partage le plus
égal & le plus géométrique des biens de la terre i Tinégalité
s'y remettroit demain , foit par la mauvaife conduite des uns,
foit par la violence des autres. Pe même , qu*on mette au-
jourd'hui tous les hommes dans une parfaite égalité pour les
rangs y cette égalité dont la théorie paroît fi agréable y fera
demain renverfée dans la pratique y ou par lefprit de domi-
nation qui faifira les plus fons pour s'élever fiir la tête des
plus foibles , ou par Tefprit d'adulation qui profternera tou-
jours les plus fi^ibles aux pieds des plus forrs. L'égalité géo-
métrique ne pouvant donc fubfifler entre les hornmej , ni
pour les biens ni pour les rangs y la raifon & notre intérêt
nous diûent de nous contenter de Fégalité morale, qui con»
fifte en ce que chacun cfl: maintenu dans fes droits y dans fon
Etat ou héréditaire ou acquis y dans fa terre y dans fa maifon y
enfin dans fa liberté , mais auffi dans la fubordination nécef-
faire , afin que les autres foicnt maintenus dans la leur.
58 Lcf tvan- Confidérons les avantages du Gouvernement y & appre-
SE£Si '"''''" ^ l'affeaionner.
kî!^ h^imcî Vy Les Loix civiles y en fixant des prétentions fur lefquelles
d'aaçmion, la Loi naturelle n'indique "pas précifcment ce qui eft jufle ,
& en expliquant ou rcftraîgnant la liberté naturelle félon
nos befoins , donnent à cette Loi naturelle un empire indé-
pendant du joug des partions & de l'approbation des homr
mes. Ceft par Tunion du corps politique , ou fous un feul »
oa fous plufieurs Magiftrats Souverains, que chaque particu-
lier , protégé par les Loix , eft garanti des entreprifes des
autres hommes , par leur dépendance commune d*un pou-
voir friprcme. Toute la force eft tranfportée au Souverain ,
chacun i affermit au préjudice de la fienne, & renonce à ia
DU GOUVERNEMENT. 159
J)ropre volonté , pour le conformer à celle du Souverain^
Que n'y gagne-t-on pas ? Nous retrouvons dans ce fupréme
Magiftrat plus de force que nous n'en avons quitté pour Tau-
torifer , puifqu'il a dans fes mains toute celle de la nation y
réunie en fa perfonne ^ pour nous fecourir contre les part:--
culiers qui entreprendroient de nous opprimer. Les veuves,
les orphelins , les pupilles 5 les enfans même dans le berceau ,
font armés de toute la force publique contre les opprcflcursj
leur bien leur eft confervé , le public prend foin de leur édu-
cation , leurs droits font défendus , & leur caufe cfl la cai^fe
même du Souverain. *
On ne jouit de fon bien , on ne vit en repos dans fa mai*
fon , on ne voyage fans danger , on ne reçoit les avantages
du commerce , on ne tire du fervice de TinduArie des autres
hommes , que par le fecours du Gouvernement. Nous trou-
vons à la campagne des gens toujours prêts à fervir les voya-
geurs , & qui ont des maifons préparées pour les recevoir.
Le Gouvernement nous donne desArtifans,des Marchands,
des Médecins , des gens qui pourvoyent aux néceflités de la
vie, & qui contribuent aux plaifirs. Il fournit à tous les par-
ticuliers des commodités que les hommes les plus puiffans
ne fçauroient fe donner , quelques Officiers qu'ils euffent ,
& quelques biens qu'ils polfcdaflent , fî cet ordre étoit dé-
truit.
Que rfont pas gagné les hommes à renoncer à une partie
de leur liberté & à fc donner des Maîtres ? Sous la garantie
des Loix nous pouvons fans crainte voyager dans toutes les
parties du monde habitable ; dans tous les pays étrangers fur
la foi du Droit des Gens ; dans le nôtre fur la foi des Ordon-
nances Royales. Elles font nos gardes pendant le jour, ïk»
Sij
140 SCIENCE
fentinelles pendant la nuit , nos efcortcs fidèles en tout tems
& en tout lieu. En quelque endroit du Royaume que je me
tranfporte , je vois partout le fceptre du Roi qui affure ma
route , qui tient tout en refpeû , tout en paix , les Labou-
reurs dans les campagnes , les Voyageurs dans les forêts , les
Artifans dans les villes , les Marchands fur la mer. Il femble
que toutes les partions font défarmées ; le cœur peut bien
recevoir quelques imprcflions rebelles , mais le bras retenu
par la crainte n ofe plus les fervir à leur grc.
Quelle pouvoit être la face du monde , avant que les fo-
ciétés civiles euflent été établies ! La violence j les rapines ^
les aflaiïînats , les ravages que produifent les partions déchaî-
nées , inondoient la terre , fi j*ofe hafarder cette exprefiion.
Les hommes n*avoient aucune artiirance pour leur vie , au-
cune fauvegarde pour leurs biens, aucun afile pour leur hon-
neur. La force qui a donné au lion Tempire fur les autres
animaux , le donnoit aufiî à tout homme audacieux fur tout
homme foible ; mais dès que les hommes eurent formé des
focictés civiles , quel heureux changement! Laregleafuccédé
à la confufion j la jufl:ice , à la force ; la fureté pijblique , à
l'inquiétude générale ; le repos des particuliers , à des allar-
mes continuelles ; tout efl devenu tranquille fous la protec-
tion des Loix. Les hommes ne peuvent non plus fe paflTer
de Souverains , que les aveugles de guide ; les faméliques ,
d'alimens ; les malades , de remèdes.
Les avantages que nous trouvons à être gouvernés font
ineftimables , & nous devons les admirer non-feulement en
eux-mêmes y mais dans leur durée. Les Souverains changent,
parce que les hommes font mortels , mais la Souveraineté efl
toujours la même. Le Gouvernement rend les Etats îmmor-
DU GOUVERNEMENT. 141
tels , & nous en recevons les avantages dans tous les tems.
Quelle obligation chaque homme en particulier & tous les
hommes en général n'ont-ils pas aux confervateurs de Tordre
qui règne dans les fociétés civiles ! Les Citoyens en jouiflent
fans fonger combien il en coûte de peine à ceux qui Tétablif-
fentou qui le confervent , à peu près comme tous les hom-
mes jouiflent de la régularité des mouvemens célefles , fans
en avoir aucune connoiflance. Ceux même d'entre les Ci-
toyens qui font inftruits des avantages du corps politique y
y font la plupart infenfibles, peu touchés d'un bien dont ils
ne jouiflent pas feuls. Cette difpofition des efprits juftifie
prcfque une Loi extrêmement finguliere des anciens Perfes ,
dont l'objet unique étoit de faire fentir aux hommes le bon-
heur de vivre dans un fociété civile (a).
Le Gouvernement efl: fi utile aux hommes , que tous les
avantages dont ils jouiflent fur la terre , leur fortune , leur
honneur , leur vie en dépendent. Après la propagation de
Tclpece , c'efl la fociété civile qui conferve le genre humain;
elle efl la plus parfaite de toutes les fociétés.
S E C T I O N V.
Situation actuelle du Monde Politique^ Commerçant y S pavant
& Religieux.
Un nouveau monde a été découvert , l'Univers qui s'eft jç.comwcnïe
étendu fe dépeuple , & l'Europe, la plus petite des quatre ?aifourdïûuft
parties de la terre , efl devenue la plus puiffante, comme 3";»iAoh îm
elle étoit depuis long-tems la plus éclairée. ,quei ' poim '*"fÎ
Les changemens de toute efpece qui font perpétuellement ^crncmcnt %\k
(a) Voyez la quatrième Sedlion du troifiéme Chapitre de cette lotroduâioft.^ ^
t4± § C t Ë N C Ë
arrives dans le monde politique Tont peu à pëii |>erfeôîoftnl#
Tous ces petits Etats de TAntiquité , dont le domaine étoit,
jpour ainfi dire, renfermé dans les murs d'une feule Ville ^
n'étoîent qu une ébauche de la fociété civile , c'étoient plutôt
des familles que des nations. Plus la lifte de ces petits Etatâ
étoit nombreufe , moins y il avoit de fubordination dans le
monde ; & les hommes , en demeurant toujours plus près de
cette anarchie qui précéda les Loix , en fentoient davantage
les défordres. L'excellence eft Pouvrage du tems j & Part du
Gouvernement s*eft perfedlionné , à mefure que les grands
Etats fe font formés , & que les lumières des hommes onc
augmenté.
Anciennement de petits territoires , de petites aflembléeS
compofoient un Etat en Europe } mais à la faveur des guer-*
res , plufîeurs petites Contrées unies ont formé de grands
Royaumes. Quel nombre d*Etats & de Républiques n'y avoit-
il pas dans les Gaules avant que Rome en fit la conquête f
Pourroit*on compter combien il en a fallu pour former la Mo-
narchie Françoife > la plus ancienne de toutes celles de l'Eu-
rope 1 L'Efpagne qui fait aujourd'hui toute feule une grande
Monarchie, en contenoit douze, il n'y a que fort peu detems«t
Il y en avoit fept dans urje partie de l'Ifle de la Grande-Bre^
tagnc. L'Italie , qui contenoit autrefois un nombre prefque
infini de petits Etats , en a vu une grande partie former des
Souverainetés confidérables aux Papes & aux maifons de
France , d'Autriche > de SaVoye , & de Lorraine. L'Alle-
magne , où nous voyons encore aujourd'hui environ cent cin-#
quante Etats (a) y en avoit bien davantage autrefois} & chaque
(a) Ceft à peu près le nombre des CuÊngtî ^u*on compte dans les (rois CoUéfei
de la Diette gûiénte*
DU GOUVERNEMENT. 145
jour , les grandes Souverainetés reçoivent cjuelcjue accroiflc-
ment»
Apres que la vafte Monarchie de notre Charlcmagne èûç
été divifce , les différens Etats qui s*en formèrent , fe trouve-»
rcnt dans un équilibre, qu'il ctoit d'autant plus difficile de
rompre , qu'ils étoicnt tous corrompus par les mêmes vices ,
& n'avoient aucun avantage les uns fur Içs autres. L'Europe
fans induflrie étoit épuifce ^ar des fondations pieufes & par
les guerres continuelles que faifoient naître fa pfiauvaife poli-?
tique. Les Etats étoientdéja unis par la même Religion; lesf
alliances de famille que les Princes faifoient entre eux , le3
rapprochèrent de plus près ; $c les Croifadcs , qui ne don-r
lièrent pendant un certain tems qu'un même mouvement 4
tous les Princes Chrétiens , achevèrent d'établir un com-^
merce plus étroit , & qui fut dcs-lors comme la fource d*une
politique ignorée des anciens. Nos pères ne connoifToient
point ou du moins ne fuivoient point le fyftême de réquilibrc
de puiflance, Aujourd hui , TEurope le connoît & lobfcrve |
& une correfpondance perpétuelle en lie toutes les parties.
La morale & la politique n'avoient pas encore eu le tems
de jetter de profondes racines, fi fofe parler ainfi, L'expé-?
rience a donné des vues plus détaillées , & notre fiécle eft
moins barbare que les précédens. Les fcîences & les arts font
portés à un point que la Grèce & Rome ne connurent ja-*
mais ; or les lettres policent, éclairent, étendent Tefprit , &
communiquent au cœur cette droiture & cepte modération
qui l'empêchent d'être injufte & violent. La culture des fcîen.,
ces & des arts a adouci les mœurs & poli l'Europe. Les prin»
cipes de la morale ont été approfondis , 6c font mieux fuivîst
La découvene de l'Aroérique Se des étabMçmens ^ue plu*
Ï44 SCIENCE
fleurs Puiflances y ont formés j ont changé totalement la face
du commerce , ont produit des intérêts nouveaux , & y ap-
portent encore des changemeris confidcrables.
Par le fecours de la bouflble on navigue dans toutes les
mers , & Pancien monde commerce plus facilement aujour-
d'hui avec le nouveau , qu on ne faifoit autrefois un voyage
de Paris à Madrid»
Les- arts & Tinduftrie ont inventé un moyen court & fa-
cile de faire voler rapidement les nouvelles d'une extrémité
de TEurope à Tautre. L'Imprimerie qui a mis les livres dans
les mains de tout le monde , la gravure qui a rendu les Car-
tes Géographiques fi communes , & Tétabliffement des écrits
politiques ^ font affez connoîtrc à chacun les intérêts géné-
raux pour pouvoir plus aifémcnt être éclairci fur les faits
fecrets.
Comme les grandes entreprifes ne peuvent fe faire fans
argent , & que , depuis Tufage des Lettres de Change , les
Négocians en font les maîtres , leurs affaires font toujours
liées aveclefecret de TEtat, & ils ne négligent rien pour le
pénétrer. Des variations dans le Change , fans aucune caufe
connue , font que bien des gens la cherchent & la trou-
vent à la fin. Ces grandes entreprifes font plus difficiles à
conduire parmi nous , qu'elles ne l'étoient parmi les Anciens.
Il eft mal aifé de les cacher , parce que la communication
entre les nations eft telle aujourd'hui, que chaque Prince a
des Miniftres dans toutes les Cours , & peut entretenir des
efpions dans tous les cabinets.
. Les conjurations font également devenues diflîcîles , par-
ce que, depuis l'invention des Portes , tous les fecrets des
particuliers font au pouvoir du public. Les Princes peuvent
agir
DU GOUVER NE MENT. 145
agir avec promptitude , parce qu'ils ont les forces de TEtat
dans leurs mains ; les conjurés l'ont obligés d'agir lentement,
parce qu'ils manquent de tout. Pour peu qu'ils perdent de
tems à s'arranger , ils font découverts dans un tcms que tout
s'cclaircit facilement & avec célérité.
Des places redoutables aflurent les frontières , & la ma-
nière de faire la guerre a totalement changé. Dans les fié-
cles antérieurs , les Sou verains n'entretenoient point de gran-
des armées , & la plus grande partie de leurs troupes n'é-
toient qu'un amas de bandits , qui d'ordinaire ne vivoient
que de rapines. On ne connoifToit point alors ce que c'étoit
que des troupes continuellement fous le drapeau en tems de
paix , des étapes , des cazernes , & cent autres reglemens qui
affurent un Etat pendant la paix contre fes voifms,&mcme
contre lés foldats payés pour le défendre.
Cefl; par ces divcifes voies que s'ell perfeélionné înfenfi-
blcment l'art de régir les Etats, fans avoir été encore porté
à la perfection où il peut atteindre. Il' en e'fl de la Science du
Xîouvernement , comme de toutes les autres , elle n'a. pu fe
perfeâionner que peu à peu. La politique , par une prércn.
gative particulière , auroit-ellê commencé par ctrc portée à
fa pcrfedion , pour dégénérer enfuite , malgré l'expérience .
que les hommes dévoient acquérir de jour e%jour? S
Des pays d'une étendue & d'un ék>igncment îrinmenfe , g^ comment
dccouverts , lubjugucs , rendus tributaires de la plus petite nco»cm en eu*
partie du monde , iont gqs lïiuracléS de la navigation mo- ce donem . &
* ^ comment il »*y
derne. ^ fiutàfréfcnu
Dans tous les tems où les peuples de l'Europe n'ont pas
été plongés dans la barbarie , le luxe leui- a rendu cqm-
me néccflaires les pierreries , les foyes , les parfums,; les
T^mc L T
14^ SCIENCE
iirogues , & les autres marchandifcs de TOrient.
Les Européens achetoient déjà une (î grande quantité de
ces marchandifcs précieufes lous les premiers Empereurs
Romains, que Tibcre,pour borner un commerce fi deftruûif,
fut oblige de défendre aux hommes de porter des étoffes de
foye des Indes (a). On fe plaignoit, fous fon règne, que
le luxe des particuliers épuifoit la fubftance de l'Etat, & qu*il
létoit caufe qu on tranfportoit hors de TEmpire Romain des
fommes immenfes en argent comptant , pour enrichir les
Parthes & d'autres ennemis (t). Un Ecrivain de ce tems-là
compte qu'il fortoit toutes les années de l'Empire la valeur
de plus de cinq cens mille écus d'or , feulement pour payer
les pierreries des Orientaux (r).
Ce commerce fut comme annéantî pendant un tcms , par
la mifere où l'inondation des peuples Septentrionaux plon-
gea l'Europe , par la longue barbarie dont cette mifere fut
fuivie , 6c par la confufion que les conquêtes & les dévafla*-
tions des Mahométans cauferent dans l'Orient. Les Grecs de
Conflantinople , qui avoient peine eux - mêmes à tirer les
marchandifcs du fond de TAfie , ne pouvoient en envoyer
de l'Europe qu'une bien petite quantité aux Empereurs.
Les guerres des Croifades firent reflbuvenir les peuples
des délicateffes & des ornemens Afiatiques que la plupart
d'entre eux avoient prefqu'entierement oubliés. Peu à peu
notre barbarie fît place à la politeffe ; & le luxe renaiffant
avec elle, les marchandifcs de l'Orient redevinrent nécef-
faires à l'Europe,
Ce fut alors que les Vénitiens fe mirent en pofTeffion de
(a) Taurif. Annal, a. S. })•
(W Tadt. AnnaLS. jT).
lc)?lm Hift,Nat. L. j;.
P U G O U V E R N E M E N T- 147
les lui fournir , & ils ont été les maîtres de ce commerce juf-
qu'au commencement du feiziéme fiécle. Les marchandifes
des Indes, de la Chine, de la Perfe, & des difFérens Etats
qui font aujourd'hui fous la domination du Grand-Seigneur,
«voient alors dans la Méditerranée deux étapes, ou deux
places de dépôt & de rendez-vous entre les vendeurs & les
acheteurs , Conftantinople , & les Ports de TEgypte (a).
Les marchandifes qui viennent des parties Septentrionales
de r Afîe étoient apportées dans la première de ces deux étapes,
à Conftantinople. D'abord , on les embarquoit fur la mer
Cafpienne, d'où elles entroient dans le Volga qu'elles rc-
montoient jufqu'à l'endroit où il avoifine de plus près le Ta-
naïs. On les débarquoit fur les bords du Volga d'où on les
tranfportoit par terre dans un Port du Tanaïs. En baiflaric
ce dernier fleuve , elles arrivoient par la mer Noire à Conf-
tantinople où les Vénitiens alloient les chercher. Les révo-
lutions qui furvinrent dans le commerce durant le feiziéme
fiécle , ont fait abandonner ce chemin , fans que jufqu'ici ceux
'qui pouvoient trouver leur intérêt à le rendre fréquenté ,
aient pu réuflîr dans plufieurs tentatives qu'ils ont faites pour
y parvenir. Celles que le feu Czar a faites pendant fort long-
tems , ont eu néanmoins quelques fuccès ; mais ces fuccès
n'ont pas répondu aux vaftcs idées de ce Prince , dont deux
nations puiffantes avoient intérêt d'empêcher l'exécution*
Elle eft très-difficile d'elle-même', attendu la fituation pré-
fente du commerce dans la Perfe & dans les Indes , dont la
meilleure partie eft maîtrifée aujourd'hui par les nations de
■ l'Europe , Icfquelles y ont conftruit , depuis le tems dont je
* parle , un grand nombre de fortereffes qui rendent les
(a)PorcadûDfUirgle«
Tij
148 SCIENCE.
peuples du p?ys ou leurs fujets ou leurs dépendans.
Les denrées ou les marchandifes qui çroifTent ou qui fe
fabriquent dans les parties méridionales de TAfie, étoient
apportées dans la féconde étape , qui étoit en Egypte & en
Syrie, dans les villes du Caire, de Rofette , de Damiette.,
de Tripoli , d'Alexandrette , de S* Jean d'Acre , fr de Seyde.
On les embarquoit d'abord dans les Pons des Indes & de la
Perle , d'où elles venoient débarquer à Suez ou dans quelque
autre Port de la raer Rouge. Du tems des premiers Rois
d'Egypte , il y avoit un canal qui , venant aboutir de la
mer Rouge dans le bras du Nil le plus oriental , fervoit 4
tranfponer de la mer Rouge dans ce fleuve les marchandi-
fes; mais ce canal, fou vent hors d'état de fervir, quelquefois
raccommodé par les Maîtres de l'Egypte , & en dernier lieu
par un des Soudans , n'a jamais été , durant long-tems, une
route permanente. La manière la plus commune de faire
. faire ce trajet aux marchandifes des Indes , étoit de les dé-
barquer à Clifina ou dans les autres Ports de la mer Rouge,
& de les voiturer à dos de chameaux fur les bords du Nil (a).
Ce fleuve les diftribuoit enfuite dans les- Villes d'Egypte
dont on a parlé , Icfquelles étoient bâties fur fes bords ou
peu diftantes de fes bouches; une partie des marchandifes y
demeuroit ^ & l'autre étoit tranfportée dans les Ports de la
Syrie. Les Vénitiens étoient prefque les feuls Négocians en
habitude de les aller chercher dans ces étapes. Ils y jouiflbient
de grands privilèges qui les exemptoient de payer les
douanes en entier , & la monnoye frappée au coin de S. Marc
y avoit cours , comme dans les Etats de la République. Du
moins il étoit rare qu'il y allât d'autres vaifleaux que les leurs.
(fl) Creg. Tur. Hift, L. princip.
DU GOUVERNEMENT, .14^
Plufieurscirconftances empcchoientqueles autres Puiflan-
ces de TEurope ne partageaffent ce commerce avec la Repu-
blique de Venife. 1^. Le commerce de Pife éroit ruine de-
puis Paffu jettiflement de cet Etat aux Florentins qui faifoient
un très-grand commerce en Europe par leurs Manufaâures,
Ces Fabriquans ne fongerent que long-tems après les Vé-
nitiens , à faire un commerce réglé dans les échelles du Le-
vant ; & lorfqu'ils voulurent (a) envoyer des Députés en
Egypte , pour y faire un Traité de commerce avec le Sou*
dan y il ne fe trouva perfonne fous leur main qui entendit la
langue du pays. On nous a confervé (h) Tinflrudion qui fut
donnée à ces Députés Florentins , & le rapport qu'ils firent
à leur retour. Uinftrudion ne porte guères autre chofe que
d'obtenir pour les Florentins , qui négocieroient en Egypte
& en Syrie , le même traitement que les Soudans y avoient
accordé aux Vénitiens. 2°. Livourne n'ctoit encore que la
retraite de quelques barques, 3^. Gênes même, déchue de
fon ancienne grandeur maritime j étoit une Ville municipale
des Ducs de Milan ou des Rois de France (c) , elle ne s'é-
toit pas encore relevée , & très bornée dans fon commerce ,
elle ne comptoir point , comme aujourd'hui , parmi fes fu-
jets , les plus riches particuliers 8c les plus fubtils Négocians
de rUnivers. 4^. Les peuples de TEtat Eccléfiaflîque & du
Royaume de Naples , tyrannifés par les Seigneurs particu-*
liers qui étoient plus leurs Maîtres que le Souverain même,
ne fongeoient guères au commerce maritime. 5®. Les Fran-
çois, plus Guerriers que Commcrçans , s'abflenoient de fré*
quenter les Ports du Levant , quoiqu'ils euffent droit d y né-
(?) En 422*
Ib) LeibnitzCod. Dipl. T* % p. X.
(c) Machiavel Hift. Liv. i* Hiftoiit M CtntsfàtVbUp
î50 SCIENCE
gocier fous la bannière & fous le pavillon de France. 6^. Les
Anglois & les Hollandois qui font aujourd'hui un commerce
fi confidérable dans ces échelles , n'y étoienc pas encore con-
nus. Les Anglois n'obtinrent que long-tems après (a) , à la
Porte y la pcrmiffion de pouvoir négocier dans les échelles
de Turquie, fous le Pavillon d'Angleterre (^). Jufques -là ^
leurs vaiflcaux qui les avoient fréquentées , ne s'y étoient
montrés que fous le pavillon de France. La première Capi-
tulation des Provinces-Unies des Pays-Bas avec la Porte cft
encore moins ancienne (c) ; 6c même fuivant cette Capitu-
lation, les vaifleaux Hollandois ne pouvoient commercer en
Turquie que fous la bannière de France.
De tous les Etats de la Chrétienté , celui de Venife étoit
donc le feul qui pût donner à fcs Marchands , dans les ports
d'Egypte & de Turquie , une protection refpedée ; c'étoit
auffi le feul qui tint régulièrement un Conful au Caire & un
Ambaffadeur à Conftantinople. On prétend même que les
Vénitiens , pour écarter les autres Nations des ports de la
Turquie , prenoient foin de répandre dans le public des re-
lations artificieufes où les Mahométans , qui étoient appa-
remment dès-lors ce qu'ils font aujourd'hui , fe trou voient
repréfentés comme autant d'Antropophages & de Leftrigons.
Ces relations faifoient leur effet , & c'eft ainfi que , vers le
quinzième fiécle , les Vénitiens étoient prefque les feuls Mar-
chands qui fiffent le commerce d'Orient , & qui tranfportaf-
fent dans cette contrée l'or & l'argent des marchandifes dfe
l'Europe pour y rapponer les merveilles & les fuperfluités
Afiatiques. La ville de Venife fe trouvoit fituce dans le centre
(a) En i;77.
(b) Bauditr , Hîft* des Turcs , Amurat lU. Thuin Hiil. Liv.
(0 De ij$i. TLuian Hift. Liv* 121.
DU GOUVERNEMENT. 151
du monde négociant. Elle fembloit bâtie dans la place où
elle eft aflîfe , pour fervir de point de communication aux
Marchands & d'entrepôt aux Nations. D'ailleurs , la mer qui
entre dans fes rues & qui environne fes maifons & les fleu-
ves qui fe rendent dans cette mer , donnent une facilite mer-
veilleufe , pour voiturer dans la ville & pour tranfporter
commodément de fesmagafins toutes fortes de raarchandifes.
Le commerce que les Vénitiens faifoient déport en port,
en achetant des marchandifes chez une Nation pour les re-
vendre chez une autre , étoit auflî étendu que le monde qu'on
cormoiflbit alors. Maîtres de ce commerce , & fans concur-
rens dangereux dans leurs ventes , non plus que dans leurs
achats, ils gagnoient beaucoup fur rcut ce qui pafFoit parleurs
mains ; & il devoir y pafler pour des fommes immenfes dç
marchandifes. Il n'y avoir que peu d'années que l'Amérique
étoit connue ; les Efpagnols n'y avoicnt encore affujetti que
des Ifles ; & jufqu'au tems où nous avons dompté 8c bien
cultivé cette partie du monde , l'Europe s'eft fournie au Le-
vant de beaucoup de -denrées , de marchandifes , de pierre-
ries & de drogues , qu'elle tire préfentement de TAmériquet
Tout ce commerce d'Orient étoit alors bien plus étendu, qu'il
nel'eftaujourd'hui.L'Europe qui tire le fucrc qu'elle confume,
à quelques caifles près , de l'Amérique, faifoit alors fa provir
fion de fucre en Egypte. Elle y achetoit & celui du crû du
pays & celui qui venoit des Indes Orientales. Les cannes
qui fe cultivoient en Sicile , ne rendoient pas une quantité de
fucre bien confidérable. Il eft vrai qu'on ne confumoit pas
dans ce tems-là autant de cette denrée, qu'on l'a fait depuis
que le fucre qui étoit une marchandife précieufe , eft deven^
une marchandife commune. Les cannes ayant paûfé de Sicile
fçi SCIENCE
en Grenade , & de Grenade à Madcre, furent portées de
Madère au Brefil. Vers le milieu du dernier fiécle, les Juifs
les portèrent du Brefil dans toutes les colonies que les Na-
tions d'Europe ont en Amérique. La commodité de les y
dire cultiver par des efclaves Nègres , a rendu leur produc-
tion une denrée d'un prix à la portée de tout le monde. Il
eft impoffible néanmoins que le lucre ne fit pas , des ce tems-
la j un article de commerce confidcrablc. Beaucoup de dro-
gues propres pour le luxe ou pour la médecine , qui nous
viennent aujourd'hui de TAmcriquc , nous venoient alors de
TAfie- Les diamans & les perles dont l'Amérique fournit au-
jourd'hui la plus grande quantité y nous venoient toutes alors
des Régions Afiatiques. L'Europe ne tiroitaufïi que de l'Afie
les pierreries de couleur & furtout les éméraudcs , plus prc-
cieufes encore que les diamans , avant que la découverte de
la mine d'éméraudes qui eft dans la terre ferme du nouveau
Monde,les eût rendues trop communes pour être tant prifées ^
& avant qu'un Orfèvre de Bruges eut trouvé , fous le règne
de Louis XI, lart de tailler le diamant. Outre ces curiolîtés
6c ces drogues , l'Europe tiroit encore de l'Afie , les foye-
ries , les toiles de coton , les épiceries & les parfums.
Cétoîent les Vénitiens qui répandoient toutes les mar-
chandifcs d'Orient en Europe. Leurs vaiflTeaux lesportoient
à Marfeille , à Barcelone , à Seville , à Lisbonne , à Bruges ,
& même a Londres , où les vaifleaux des Villes Hanféatiques
les venoient chercher. Les Traités de paix de ce tems-là
font encore remplis des vefliges de ce commerce ; ils font
Souvent mention des franchifcs & des furctés que les Prin-
*ces accordoient aux valffeaux &: aux marchandifes des Vé-
nitiens» Ils diflribuoicnt encore par terre les marchandifes
de
DU GOUVERNEMENT. 155
de TAfie ^ dans le refle de TEurope par la route de Zurich
9c par celle d'Augfbourg. Les foires de Bolfane , de Novi ,
& de Lyon , que les Italiens ont rendues fi fameufcs , four-
Oilfoient auffi à leurs Ncgocians de grandes facilités pour
s^aboucher avec leurs correfpondans étrangers y & pour y
recevoir leurs comtniffions.
Voilà la fource la plus abondante du commerce des Vérli-
tiens , comme de l'opulence où ils étoient fur la fin du quin-
zième fiécle. Ce fut dans ce tems-là que les Portugais ache-
vèrent de découvrir (4) qu'on pouvoit aller aux Indes Orien-
tales par la route du Cap de Bonne-Efpcrance. Cette route ,
quoique beaucoup plus longue que celle des échelles du Le^
yant , ctoit néanmoins bien plus commode que l'autre , pour
apporter en Europe les marchandifes de TAfie. Par la route
du Cap j elles arrivoient dans Lifbonne fur les mêmes bâti-
mens qui les avoient chargés dans les Ports des Indes , au
lieu que , par Tancienne route , elles n arrivoient à Vcnife
qu ajîrès avoir été chargées & déchargées plufieurs fois , &
qu'après avoir ainfi fait beaucoup de frais. D'ailleurs 9 il fal-
loir que les Vénitiens payafTent chèrement y dans les Ports
d'Egypte & à Conftantinople , les marchandifes d'Afie aux
Négocians qui les y apportoient , au lieu que les Portugais
avoient ces marchandifes à vil prix dans les Indes fubjuguées*
La plupart mcme , comme les épiceries & les perles y ne leur
coûtoient rien. C'étoient , ou les fruits des pays conquis , ou
le tribut des peuples aflujettis : ainfi , les Portugais , gagnant
beaucoup fur ces marchandifes , les pouvoient donner pour
le quart du prix que les Vénitiens en faifoient payer. Tous
les Acheteurs déferterent Vénife , pour fréquenter Lifbonne*
(a) En 14^8. Voyez la troifiémeScdioaduChapitrc VL de cette Introdudiom
7 W I. V
154 SCIENCE
Le Cardinal Bembo rapporte que le Sénat qui prévit le tor^
rent, auffitôt qu'il vit le nuage, fut doulourculement affligé 9
lorlqu il apprit (a) , par les dépêches de fon Ambafladeur à
Lifbonne y les fuccès des voyages des Portugais & leurs
nouvelles découvenes dans les mers Atlantiques. Guichar--
din , Hiflorien de Florence, met la découverte du Cap de
Bonne-Elpcrance , pour aller aux Indes Orientales , au rang
des plus funefles malheurs qui foient arrivés aux Vénitiens*
Depuis ce tems-là , Venife n*eil plus cette PuiiTance célè-
bre , qu*un commerce néceflaire à toute l'Europe rendoit fi
opulente , qui donnoit des Loix à TArchipel 8c à tant de
beaux pays dans TOrient , & qui jouoit un rôle principal
dans les grandes querelles des Princes. Son perfonnage cft
devenu fubalterne ; & jamais cette Ville ne Içauroit redevc*
nir , pour employer une expreffion convenable au fujet , un
magafin de T Afic où toute TEurope doive retourner faire fe$
emplettes.
Lifbonne devint donc , pour ainfi dire , la Métropole da
commerce que les Vénitiens avoient fait jufqu alors. Elle le
fît durant un tems ; mais bientôt les HoUandois , les Fraiv-
Çois , les Anglois, & d^autres Nations dépouillèrent les Por.
tugais de ce commerce , ou le partagèrent avec eux. Les
HoUandois , dont TEtat ne venoit que de fe former , en fi-
rent d abord un d'autant plus étendu , que leur République
naiflante n*avoit point d'autre refTource. De grands Etats qui
auparavant ne s ctoient prefque appliqués qu'à la guerre ,
commençoient à s'adonner au commerce ; & dès que les
Traités de \7eftphalie (h) eurent rendu la paix à l'Europe ,
(-) En 14pp.
(.') En 16^2.
DU GOUVERNEMENT. 155
îion-feulement la Suéde & le Dannemarkc , mais la France Se
r Angleterre , & plufieurs autres Etats moins confidérables ,
s'appliquèrent au commerce.
. Les marchandifes de TAfie viennent aujourd'hui en Eu-
rope par deux routes : celle du Levant ou des échelles de
Turquie : & celle des Indes Orientales , ou du Cap de Bon-
Tie-Efpérance.
Le commerce qui n'avoir rien que de bas & deméchanîque,
cfl relevé par la prudence , les hunieres de l'efprit , le gé-
nie, 8c le courage. Il eft devenu une profeflîon importante,
âff on voit des Négocians donner , de leur cabinet , des or-
dres à Archangel , à Québec , à Portobello , à Lima , au Cai-
re , à Pondichery. Mais le progrès de la Navigation a rem-
pli le monde de tant de Marchands , qu'il fera difficile que
le commerce les puifle tous entretenir à l'avenir.
Ce commerce , en enrichiffant les Négocians qui le font ,
appauvrit l'Europe. Les Nations qui ont dépouillé Lifbonne ,
ont augmenté Ci exceffîvement la confommation des mar-
chandifes qui viennent encore del'Afie, qu'on peut dire que
la génération qui fuivra la nôtre , verra les Provinces les plus
floriflantes de l'Europe dans le même état de mifere où font
les pays les plus défolés. Il fuffit pour cela , que ceux qui font
leur métier du commerce des Indes Orientales , le continuent
avec autant de fiireur qu ils en ont montré pour l'augmen-
ter, à Tenvi les uns des autres, depuis la paix de Ryf\f'ick
(4) . Les Indiens vont en grande partie nuds ; les vétemens
qu'ils ont, le pays les leur fournit convenables , & leur Re-
ligion leur donne de la répugnance pour les chofes qui leur
fervent de nourriture j ils n'ont befoin que de nos métaux
(â) Eu i^^3»
Vij
1^6 SCIENCE
qui font les (îgnes des valeurs , & pour ces métaux, ils nous
.donnent des marchandifes , que leur pays & leur frugalité
leur procurent en abondance. Les Compagnies des Indes
Orientales qui fe font formées en France , en Angleterre ,
en Hollande , en Dannemarck , en Suéde , font venir une
quantité prodigieufe de marchandifes & de denrées de l'O-
rient , ce qui fait un tort infini aux manufadures de notre
Continent , d où les Indiens ne tirent pas un vingtième de
ce que les Européens tirent des Indes. Il ne faut aux Indiens^
& ils ne tirent de nous , que des faffrans & des herbes aro-
matiques. Tout ce que nous tirons d'eux au-delà, nous «le
leur payons en argent (a).
6i. progr^idcf De la Grèce, qui avoir été comme le domicile desLet*
très, elles pafTerent à Rome, y régnèrent pendant un fiécle,
avec beaucoup d'éclat , y déchurent peu à peu , & demeure-
rerent comme enfevelies fous les ruines de TEmpire Romain.
Les foibles reftes qui s'en étoient confervcs dans la Grèce ^
s'en virent exiles. FJTrayées du bruit des armes, les lettres
repafferent en Italie avec ceux qui les cultivoient encore
dans la Grèce, & y frutlifierent comme fait une plante en
une terre fenile.
L'efprit humain fortit de l'obfcurité où la barbarie des
Goths l'avoit plongé. Le tems de Léon X , de François
< Premier , & de Charles-Quint, eft l'époque du progrès des
fcicnces. On voit les beaux arts fleurir fous la proteftion de
ces trois Souverains. Le Pape commence en Italie à les faire
renaître ; le Roi les fait paffer en France ; & l'Empereur de
fon côté , honore ceux qui s'y diftingiient. Les Apelles , les
(a) Voyez dans ccuo mCme lacrodudion Ch. U. ScH* III. k Sommaire.- F$r^
as du MogoL
DU GOUVERNEMENT, 157
Phidias, les Vitruves femblent reparoître , comme des
Voyageurs qui reviennent avec de nouvelles connoiflances &
^cs talens perfeâionnés. On élevé de magnifiques Temples,
on bâtit de fuperbes Palais , la Peinture & la Sculpture les
•décorent. L*art de Tlmprimerie venoit d*être heureufement
découvert , & il confacre à la poftérité les produfltions d'une
foule d*excellens génies.
Les mœurs' fe policent , la délicatefle & le goût diftin-
guent le fiécle de Louis le Grand , des génies extraordinai*
res paroiffent , & la France produit de grands hommes en
tout genre. Les Sciences , les Arts , & les Lettres font prêt
que portés à leur perfedion. La nature femble n'avoir plus
de myftere ; on Fobferve dans fcs effets ; 8c par le fecours
de la Géométrie , on aflujettit les caufcsà la démonflration ;
on pénétre les ombres de l'antiquité la plus reculée. Tout ce
qui s'efl pafTé dans tous les fiécles , parmi tous les peuples
. de rUnivers y leurs mœurs , leurs Coutumes , leurs langues
même deviennent familières. Les arts qui ne paroiffent dé-
pendre que de la main , empruntent le fecours de Tefprit &
le perfeftionnent. Tout enfin paroît un fujet de triomphe
pour le génie François. Les Nations étrangères viennent fe
former en France , & s'efforcent de l'égaler en l'imitant.
Des Novateurs font une playe profonde à la Religion ; & 5,. changc-
une grande partie de l'Europe ceffe d'être Catholique. Cette ^cu^l, ****
divilion porte le trouble de toutes parts y & caufe des guerres
ou inteftines ou étrangeres,dont la Religion efl ou le motif ou
le prétexte. La France elle - même éprouve, pendant près de
quatre-vingt ans , ce que peut l'empire de l'opinion , qui fur-
irtonte les forces de la nature même , & rompt tous fes liens.
Les Autels font alternativement renverfcs 6c rétablis. Des
Î55 SCIENCE
dcbrîs de leur chute , naiflent enfin des fe£les bizarres qui
enfantent à leur tour une licence effrénée.
6). Evénement Les Monarchics y les Républiques ^ les Maifons Souverain
fiociti&accdti j^çs peuvent être comparées à ces villes que nous voyons
<m nuu» vivons. ' * * * ■'
bâties auprès des Volcans ; un tremblement de terre fur-
vicnt au milieu du plus grand calme y & tout eft renverfé*
Qu'on en juge par les révolutions arrivées depuis deux cens
cinquante ans. Les fiédes les plus reculés fourniflent peu
d'évcnemens aufli remarquables & aufli multipliés que ceux
qui fe font fuccédés dans ce court efpace de tems.
La Maifon d'Autriche devenue puiflante ne fut pas plutôt pla-
cée furie trône d*Allemagne,que fa rivalité avec celle deFran-
ce y troubla le repos de la partie du monde que nous habi-
tons. On fçait combien cette concurrence a coûté à TEuro-
pe. Chaque Nation ^ fe déterminant félon fes intérêts , s*cft
efforcée de mettre un équilibre entre ces deux Maifons re-
doutables. La mort du dernier Empereur Autrichien & la
guerre fanglante qu'elle a occafionnée, n'ont pas même ter-
miné cette querelle dangereufe. La paix qui vient de fc con-
clurreà Aix-la-Chapelle , laifle fur ce trône d'Allemagne un
Prince dont Tépoufe poflcde la plus grande partie de la Puif-
fance Autrichienne ; & Ton peut fuppofcr , fans donner dans
une fpcculation outrée , que cette Princefle ayant les mêmes
intérêts que fes ancêtres , marchera dans la route qu'ils lui
ont tracée.
Les Hollandois , fatigués d'un Gouvernement trop dur ,
fecouent le joug de l'Eipagne , & forment une Republique*
En Italie , la Maifon de Médicis, élevée par les richefles,
s'aHeclionne fes Concitoyens par fon mérite & par l'es bien-
faits i & devenue ambicieulc y opprime la liberté publique.
DU GOUVERNEMENT. 15^
En Angleterre, la Majefté du trône eft foulée aux pieds i
un Souverain fe voit arracher le fceptre par un usurpateur ,
hypocrite rafiné , mais brave autant que politique. Sous un
titre modéré , fous Tombre de la liberté même , Cromvvel
gouverne tyranniqucment une Nation fiere & jaloufe de fes
privilèges. Les plus puiffans Etats de l'Europe , frappés de
Ion élévation, le craignent & recherchent fon amitié. Un
fils , qui n*avoitaucune des qualités de TUfurpateur , applanit
le retour à celui du Roi infortuné , fur le trône teint du fang
de ce malheureux Prince. Sa pofterité règne quelque tçms ;
mais Jacques II eft chaffé de fes Etats par fon propre Gen-
dre Guillaume de Naflau , & fa couronne pafle à une famille
étrangère.
En Allemagne , Ferdinand II , enflé des fucccs qu'il avoir
eus fur des Rebelles, mcnaçoit la liberté du Corps Germa-
nique , lorfque Guftâve- Adolphe , appuyé des forces de la
France , fort de la Suéde pour protéger les opprimé? & ab-
baifler Topprefleur. La valeur de ce Prince , fa prudence ,
fon habileté dans la guerre, rangent toutes les Provinces
fous fon pouvoir. Toutes les Puiflances de TEurope prennent
îpart à cette guerre. La moit de Guftâve & la divifion qui fe
met entre les Alliés , fauvent Ferdinand ; & la guerre eft
néanmoins terminée par une paix qui tire TAllemagne des
fers de la Maifon d'Autriche , 8c qui eft tout à la fois utile
& glorieufe à la France & à la Suéde.
L'art funefte de la guerre fe perfectionne , & Thiftoire de la
Marine Européenne eft Thiftoire de Tintrepiditédeshommes*
Pendant les deux derniers riecles,laFrance eft prefque toujours
les armes à la main , fur l'un & fur l'autre élémens. Tandis
qu elle accroît fes richefles par fon induftrie , elle étend fes
î^o SCIENCE
limites par fes propres forces qu elle n'avoir pas encore con-
nues , & parvient à un haut degré de gloire , fous le règne
de Louis le Grand. Les cvcnemens y qui étoient refervés au
fiecle où nous vivons , ne font , jufqu à ce jour , ni moins
grands , ni moins finguliers.
Un Roi ( ^ ) qui , dans le cours d'un règne long 8c glo-
rieux n'avoit jamais reçu des loix que de fa modération , s'eft
prcfque vu fur le point de fubir le joug de fes ennemis. Le
Souverain d'un Etat médiocre (b) , mettant un grain dans
la balance de l'Europe » l'a fait pencher aflcz fouvent pour le
parti qu'il a favorifé , & a joint un Royaume & d'autres Etats
(^ ) au patrimoine de fa Maifon. Un autre Souverain {d)^
ambitieux du titre de Roi , fe l'efl donné à lui-même y fans
rien ajouter à fa puifTance } & ce qui ne paroilToit d'abord
qu'une fcene de théâtre y qu'une chimère , a été réalifé pax
le concours des autres Souverains. Habiles à profiter des
circonftances , les fucccfleurs de ce Prince ont augmenté
confidérablement leurs Etats (e). Une Maifon redoutable,
qui 9 peu auparavant) affcûoit la domination deTEurope^ à vu
démembrer fa puiflance, & des mêmes corps qui l'ont frap-
pée , accroître celle de fa Rivale (/). Une Monarchie dont
on a dit I que le Soleil ne fe couchoit jamais fur fes terres , a
pafle(g) fous la domination d'une Maifon (^h) perpétuel-
lement ennemie de celle qui Tavoit gouvernée jufqu'alors
(â) Louis le Grand.
<^) Le Duc de Savoy*.
(c) La Sardaîgne , le Monferrat, partie du Milanes.
(d) L'Ele<fleur de Brandebourg , Duc de PrulTe.
(f ) Par la Pom^ranie > à la faveur de rabfence de Charles Xtt , Se par la Silcfie»
à ToccaHoa de la guerre qui a fuivi la mort de l'Empereur Charles Vl.
(/} Ajoutes que Ferdinand VI » fils de Philippe V > defcend de Jean Roi de Na-
varre que Ferdinand le Catholique dépouilla de Tes Etau*
(^) En 171p.
(il) La France*
elle
DU GOUVERNEMENT- ï^i
elle a été miferablcment démembrée , & fon nouveau Roi , à
peine affis fur le trône , a eu (a) une guerre à foûtenir conf-
ire la même Puiffance ( ^ ) qui venoit de l'y placer. Une
Princeffe (r) a femblé n'avoir été deftinée à ferrer les liens
qui dévoient unir deux grands Monarques , que pour être
xenvoyée fans aucun ménagement au Roi fon père. Un Prin-
ce (d) , trop jeune pour avoir donné lui-même aucun fujet
de plainte à les voifins, a été dépouillé de fes Etats ^
par un Roi Taîné de fa Maifon, fans qu'un grand Empire , à
qui fes intérêts font très^chers, ait pu l'y rétablir. Un Roî
puiffant , qui vient de mourir, abdiqua la Couronne (^) ;
donna un enfant pour maître à fon peuple qui avoir befoin
d'un homme ; & rappelle prefqu'auflî-tôt au trône , par les
vœux emprefTés de fes peuples , après la mort de fon fils ,
reprit le gouvernail imprudemment quitté. Un autre Roi(/)
ceffa auffi volontairement de régner , & le premier ufage que
le fils qu'il éleva au trône , a fait de la puiffance fuprême,
priva le père de la liberté. Deux Souverains de l'un des plus
puiffans Etats de la terre (g) , ont été fucceffivement renver-
fésdu trône. Au droit héréditaire, mais nouveau d'une Mo-
narchie ( ^) , a été fubftituée la Loi ancienne de l'éledion.
.Un Royaume voifin (i) a eu plus d'une fois deux Rois , & a
{a) En 171p.
(i) La France.
(c) L'Infante d'Efpagne , aujoutdliul Princeffe du BreCl , itAmée d*abord à <m
Reine de France,
id) Le Duc de Holfteîn , père du Grand Duc de Ruffie , privé du Duché de
Slcfvvick > par le Roi de Danemarck* *
(e) Philippe V , Roî d'Efpagne , en 17x44 •
(/) Vidor, RoideSardaignCé
(g) La Turquie.
(A) La Suéde.
(i) La Pologne.
Tome I. X
i<f2 SCIENCE
été tour à tour le prix du courage & de la violence. Un peu*
•pie (4) dont nous ne connoiifions prefque que le nom, tiré de
tfon obfcurité par un feul homme (i) y a fait monter les Rois
fur le trône , & les en a fait defcendre à fon gré. Cet hom«
me triomphant a voulu être Empereur , & toute l'Europe a
-reconnu qu'il Tétoit. Son fils (c) y indigne de lui fuccéder , a
péri d'une mort violente. Le plus vafte Etat de la terre (J)
z paffé alternativement entre les mains de ceux qu'une mîlî-
ce infolente , le caprice , & les circonftances en ont rendu
les maîtres. Une entreprifc {e) que la juftice & la prudence
défavouoient également , a été couronnée ; la modération (/)
& laméfintelligence {g) des Princes qui dévoient punir cette
«ntreprife , en fauVerent un qui étoit prêt à périr (A). Le dé-
lîr de perpétuer dans fa race l'héritage de fes Ancêtres , a
cédé dans le cœur d'un Prince de famille illuftre , à l'éclat
il'un trône plus étendu ( / ). Un rejetton de la plus auguftc
JWaifon qui foit dans le monde, s'eft fait une couronne de
.l'un des fleurons qui avoient été détachés de celle du Roî
fon père {k)y 8c la guerre a formé dans la fuite , des Etats
qu'il poffédoit auparavant (/) , un trône au Prince fon frerc^
La politique & lamour , rarement d'accord , fe font réunis
pour enlever, à une République un Etat {m) qu'elle dcvwc
(c)Lef Ruflês.
{h)Lt Czar Pierre I.
(c)Le CzaroTvicz. ,
(rf)La Ruffie.
(f^L'entreprife fur hPologn^eiil7)).
(/)Du Roi de France.
(^)r*$ Rois d'Efpagne & de Sardaigne.
(A)L'Einpercur Charles VI.
(i)LVchangede la Lorraine aveclaTofcane.
(k)Le$ deux Siciles.
(i) Parme 5c Plaifance > auxquels on a joint Guaitalla*
{m) La Cturlande.
D U G O U V E R N B M E N T. itfj
poireder,& pour le placer fur la tête d'unSu}et(if).Ce nouveau
Prince y à peine élevé à la Souveraineté, en a été privé pour
pafler le refte de fes jours dans les horreurs d'une prifon y 8c
fon Etat demeure depuis long-tems fans maître , par la dif-
ficulté de convenir , & de la puiffance qui lui en doit donner
un , & du Prétendant dont il faut couronner l'ambition . Un
Avaftturier a afpiré au trône, & aprefque enlevé une cou-
ronne à ceux qui la portent depuis plufieurs ficelés (^), Le
mauvais fuccès de fon entreprife n'a point découragé les peu-
ples qui Tavoient appelle à leur fecours , ils ont encore les
armes à la main , & femblent déterminés à périr ou à chan-
ger de maître. Contre la maxime fondamentale de tout Eiat
ékStify nos pères ont vu dans un Empire voifin (c) les Elec-
teurs toujours fixer leur choix pendant quaçre fiécles dans
une feule Maifon ; & nous venons de voir ces mêmes Elec-
teurs fe déterminer à un choix qui rendra la Couronne Im-
périale comme héritière dans la pofterité féminine de cette
même Maifon. Des Républicains qui avoicnt inondé de fang
leurs Provinces , pour n'être plus gouvernés par un fcul , lui
ont foumis leur liberté , de peur qu'elle ne leur fut ravie ,
femblables à des gens qui fe donnent la mort , dans la cçain-
te de mourir ; & comme s'ils avoicnt appréhendé que leurs
Defcendans ne fuflent plus libres qu'eux , ils viennent enco-
re de déclarer le nouveau Gouvernement héréditaire pour
l'un & pour l'autre fcxe (rf). Que de fujets de reflexions dans
(2) Biron.
(W L'cntreprîfe de Nenhoff fur Tlfle de Corfc,
(r) L'Allemagne.
(d) Le Stathouderat établi dans le commencement de I747> ^ déclaré héré
re iUr la fin de U même année.
Xij
1^4 S C I E N C E H.
un fi court efpace de tems ! N'en eft-ce pas affez ? Desufa-
ges înjuftes , des ufages finguliers y des ufages barbares font
le deftin des Nations & régnent , du Midi au Nord y au mi-
lieu de l'Europe policée y dans le fiéde le plus éclairé que U
terre ait vu (4),
(à) L'ufiigtt det garanties ; le pouvoir éminent que les grandes Puiflances
cent fur les petits Etats » faire la guerre comme auxiliaire oxxjlipendiaire , fans6trt
renfé «nnemi ; fournir également des troupes aux deux Puiflances belligérentes»
Voyez fur tous ces points le Traité du Droit des Gens»
D U G OU V E R N E M E NT. 16$
CHAPITRE IL
Ves dHciens LégitUteurs & des anciens Gouvernemens,
Section Premiers.
Des JJgisUteurs Smtù & dit Gouvernement du P enfle de
Dieu.
T
A N D I S que toutes les nations marchoient dans leurs t. Bm<i<i peu*
voies , que les peuples fe donnoient des Maîtres & que StyaiTtp^r'^wI
l'ambition formoit & renverfoit des Empires ^ le peuple que ^^ fou»* uî
le Seigneur s^étoit choifî étoit le feul fur la terre qui rendît
de vrais hommages au Tout-Puiffant.
Pendant tout le tems qui s'écoula depuis la création jufqu a
Moyie (4) , le Peuple de Dieu fut fans Prince & fans aucune
forme de Gouvernement ^ il n'eut d'autre règle que la Loi
naturelle , & chaque famille fut conduite par celui qui en
étoit le Chef. On compte vingt-deux Patriarches (J?) , de-
puis Adam le premier de tous jufqu'à Jacob le dernier , par-
ce que de lui naquirent les Pères des douze Tribus , & entre
autres Juda de qui devoît fortir le Chrift avec la race Royale,
6i que fa maifon établie en Egypte y devint un. grand peuple
dont Moyfe devoit être le libérateur*
(î) Ce qui fait un efpace de ly 15 ant. \
(i) 1. Adam. 7. Henoch. i j. Salé. t$. Tharé.
«• Sfctu iP. Mathu&lem. 14. Heber. 20. Abraham.
S» Enos. p. Lamech. 15. Phaleg. a/. Ifkac.
4* CaïnaiL 20. Noé; 16. Rehu. aa. Jacob.
5. MalaléeL n. Sem. 17. Sarug.
€. Jarcd» la. Aq^haxiuf. iS. Nachor.
i66 SCIENCE
fti^ol^,\^u* Le Peuple de Dieu eut enfuice vingt-deux Juges (a) dont
5«^m » foîîi fix feulement furent Hébreux. Les autres étoient des tyranà
ir« juKMfuccct à qui Dieu livroit fon Peuple^ pour le punir. Les Rois de Mc-
fopotanjie , de Moab , de Canaan , & de Madian ; & ceux des
Pliiliftins & des Ammonites mirent fix fois les Juifs en fcrvi-
tude. Ce fécond ctat du Peuple de Dieu dura (h) depuis
Moyfe qui en fut le libérateur , jufqu'à Samuel , fous lequel
les Juifs y las de leurs Juges , voulurent avoir des Rois.
Moyfe fut le Chef & le Conduftcur des Ifraclites dans leur
fortie de TEgypce. Il s'y conduifit avec toute la fagcffe que
Dieu lui avoit infpirée , fans négliger les moyens que peut
fuggérer la prudence humaine. Il fe fervit adroitement de la
confiance que les Egyptiens avoient dans le Peuple de Dieu.,
pour enlever les^ richeffes de TEgypte. Dieu lui-même , qui
regardoit les Egyptiens comme les ennemis déclarés des
Ifraëlites > les lui avoit donnés , fuivant les Loix rigoureufes
. de la guerre > qui accordent aux vidorieux ce qu elles enlè-
vent aux vaincus. Il fe fit dans un infiant un changement
total dans la fortune des deux Nations ; celle qui étoit humi-
liée & perfécutée devint tout-à-coup , par fa feule confiance
eh Dieu , vidorieufe ; & celle qui commandoit auparavant
avec orgueil , fe trouva , non pas feulement foumifc , mais
abalffée à un point qu'elle fut plufieurs fiécles à fe relever.
Ce Lcgiflateur facré entreprit enfuite de policer Iô peuple
qu'il venoit de former , & il en vint heurcufement à'bôut*
' (a) Moyfe. Dcbora & Barac. Jai'r. Abdon.
îofué. , Gédcon. Jephté. Hélu
Othoniel* Abimclec. ' Abcfan. ' Samfofi.
ilod. Thola. Athialoiw Samuel* '
Six Servitudes.
(b) 19^' ^n$.
22.
DU GOUVERNEMENT. \6^
Cette forme de Gouvernement fiit appellée Théocratie , c'eft-
; à- dire Etat gouverné par la feule volonté abfolue de Dieu ^
iinanifeftée par fes Miniflres {a). Le vrai Dieu avoir voulu en
\ètvc le Légiflareur ^ il en avoir diâc les règles à Moyfe , il le
-conduifoit par.les Prophètes % il exerçoit publiquement TEmr
pire Souverain fur fon peuple , & donnoit lui-même tous les
.ordres y tant pour la guerre que pour la paix.
Le Gouvernement des Prophètes avoit été fuivî d une
anarchie , & les Tribus inftruites par les maux qu'elle leur
-avoir caufés ^ fongerent à établir une Conftitution d'Etat.
Dieu ne voulut pas abandonner les Ifraelites à eux-mêmes ,
J^ j'accommodant à la difpofition préfente de leurs efprits
& de leurs affaires , il leur permit de choifir un Juge
entre les Anciens dés Tribus : forme de Gouvernement
^également éloignée de TEtat Monarchique qui auroit bleffé
leur orgueil ^ & d'une Démocratie fadieufe qui les avoit ren-
•dus malheureux. Ils établirent donc Othoniel Juge.
. • Le Juge , parmi les Juifs , étoit tout à la fois Juge & Gé-
«nérah Ilécoutoit les plaintes , il tçrminoit les affaires civileS)
il dcclaroit quelle étoit la peine prononcée par la Loi contre
Jes coupables , & il défendoit la liberté publique par les
^mes.
, Son autorité étoit mêlée d*Ariflocratie , on avoit confervé
îUn Confeil de foixante-dix hommes nommé Sanhedin *, qui
s'affembloit dans le Temple j pour être fans ceffe ious les
^eux de Dieu.
Il ne pouvoir ni faire ni abolir aucune Loi ^ parce que le
J)rott de Légiilation ^ joint, au pouvoir judiciaire &;à laforce
(a) Théocjfitie vient de deux moct Gsect qui Hgniiieot Dtus > Imftrium » P0*
fenûê. ....
i68 SCIENCE
coaâive ^ eft une marque de Souveraineté » & les Hébreuit
n'avoient d'autre Souverain que Dieu, Ils confervoient les
Loix de leurs Ancêtres , tant dans les affaires criminelles 9
que dans les matières civiles ; & regardoient comme une
cntreprife féditieufe la propofition d'abroger une Loi > quoi<«
qu elle ne convint plus.
Il n'avoit pas le droit d'impofer des tributs fur Ifrael; mais
dans les néceffités urgentes , le peuple contribuoit volontai-
rement y charmé de n'y être obligé par aucune Loi y 8c de
fçavoir que fes biens ne ferviroient que pour fa propre dé-
fenfe.
Sa dignité étoît perpétuelle , fans être héréditaire ^ & le
mérite pouvoit afpirer à y être élevé,
î.EwiduPeiH La fagefle & la vertu ont leurs viciffitudes dans le corps
£î»lf?"" ^^ politique , comme la fanté 8c la force dans le corps humain.
Le peuple Hébreu fe lafFa de fes Juges ; Dieu s'étoit réfervé
la Royauté immédiate fur la maifon de Jacob; mais les Ifrae-
lites infenfés fouhaiterent de n'avoir plus Dieu pour Maître.
Affemblés à Ramathd , ils demandèrent un Roi à grands
cris , & voulurent changer T Ariftocratie que Dieu leur avoit
donnée en Monarchie , fans confulter le Seigneur , comme
ils avoient coutume de le-faire dans les affaires importantes»
Sur cette demande criminel'e , Dieu invoqué par Samuel ,
pour fçavoir ce qu'il devoir répondre, lui dit ifdi entendu
le peuple. Ce fi eft pas toi quils rejettent , ce(i moi-même. L'E-
ternel fiit extrêmement offenfé de l'ingratitude d'un peuple
qui y fous les Chefs qu'il en avoit reçu , étoit arrivé au com*-
ble de la gloire y avoit toujours vaincu fes ennemis , 8c néait
moins méprifoit Samuel 8c vouloit un Roi , par une défiance
injuflede la Providence. Dieu leur accorda leur demande ,
8c
DUGOUYERNEMENT. 169
9t compatifTanc à Taffliâion de Samuel , lui dit ces mots pour
le confoler : » Les Hébreux fc traitent avec la même ingrat
»titude qu'ils m*orit témoignée , après tarit de grâces dont je
*> les ai comblés , depuis que je les ai tirés de TEgypte (4). ce
Dieu voulant enfuite détourner les Hébreux de leur folle
réfolution , chargea Samuel de leur annoncer de quelle ma-
nière leurs Rois les traiteroient. » Voici ( leur dit le Prophc-
» te ) quel fera le droit du Roi qui régnera fur vous. Il pren-
» dra vos fils , & fe fera porter fur leurs épaules. Il traverfera
» les villes en triomphe. Parmi vos enfans , les uns marche-
>> ront à pied devant lui, & les autres le fuivront comme de
» vils efclaves. Il les fera entrer par force dans fes armées. .
» II les fera fervir à labourer fes terres & à couper fes moiffons.
» Il choifira parmi eux les artifans de fon luxe & de fa pom-
» pe. Il deftinera vos filles à des fcrvices vils & bas. Il don-
>î nera vos meilleurs héritages à fes favoris & à fes ferviteurs.
»Pour enrichir fes Courtifans , il prendra la dixme de vos
» revenus. Enfin vous ferez fes efclaves, & il vous fera înu-
» tile d'implorer fa clémence , parce que Dieu ne vous écou-
» tera pas, d autant que vous êtes les ouvriers de votre mal-
j> heur (^b). » Ceft ainfi que Samuel détailla les droits des
Rois , non en approuvant Tabus qu'on peut fairç de la fu-
prême puiffance , mais en faifant une jufte oppofition encre
le gouvernement de Dieu & celui des hommes. Le peuple
Ifraelite , aveuglé par fes partions , n'écouta point le Pro^-
phete. » Nous ferons comme les autres Nations (dit-il), nous
j> voulons un Roi qui nous juge & qui marche à notre tête
i> contre nos ennemis (f). »
(a) Samuel Ch. 8. T^. p.
(4) Ibii. Ch. 8. y. II. 12. &c.
(O Xiirf. Ch. iCé t* 19. ae. &c* -, ^
Tome L Y
170 SCIENCE
Samuel , rendant compte de cette réponfe 9 efperoit d'ap-
paifer TEterncI en lui peignant avec des couleurs vives la
mifere &: la fragilité de Thomme ; mais Dieu , juftement ir-
rité , ne lui dit que ces mots : Donne leur un Roi (d).
Samuel congédia donc Taffemblée avec promefle de faire
ce qu'elle fouhaîtoit, Dieu lui commanda d'oindre (i) pour
Roi Saiil y qui eut pour fuccefTeur David père de Salomon 8c
les autres Rois dont Thiftoire eft connue (c).
L'état du Peuple de Dieu fous les Rois , qui avoit com-
mencé à Saiil , finie à Sedecias (d). C'eft fous le règne de
celui-ci) que Jérufalem fut faccagée > que fes murs furent'
abatus ^ que le Roi & le peuple furent emmenés captifs à
Babylone.
4. Etal du Peu- Lc demicr état dcs Juifs, c'efl celui où ils vécurent fous
ÊJpondfoJ,^ leurs Pontifes (r) ; tantôt captifs à Babylone ; tantôt ramenés
foienirem dans
Nniirei
iluitcà
fniié
Rois»
î à leur di- en Judée par Tordre de Cyrus pour y rebâtir le Temple ; quel-
quefois perfécutés; quelquefois protégés par les Puiflances.
Ces Pontifes (/) , qui joignirent dans la fuite à leur dignité
(a) Samuel Ch. 8. if . 21. 8c 22.
(r) Le nombre des Rois de Juda (ut de vingt-deux , comme celui des Juge$«
;• Saûl.
7. Jofàphat.
ij. Joathan.
ip. Joachas
d. David.
8. Joram.
14. Achas.
ouSellum.
5. Salomon.
p. Ochofias,
15. Ezechias.
20» JoaRim.
4. Roboam.
10. Joas.
iS. ManafTé.
21. Jechonias*
5. Abia.
iip Amafias.
17. Ammon.
22. Sedecias.
6. Afa.
12. Ozias ou Azarias. i8. Jofias.
Xd) Ce qui fait ua
1 efpace de 507. ans*
(0 Pendant 584.1
ans.
(f) Le nombre des Pontifes fut auffi de vingt-deux.
1 Jofeph.
8. Onias.
15. Jonathas.
i8. Alexandre
S. Jefus ou Jofué.
p. Simon.
iS. Simonin.
Jannaeus.
5. Joacim;
10* Eleazar.
17. Jean Hircaû«
20. Hircan IL
4* Eliafîb.
2 t. ManafKs.
18. Ariilobule ,
2i. Jefusfilsde
5. Joadas.
la. Onias IL
qui prit le dia-
Phabès.
d. Jonathan*
23. Simon IL
dème 3c la qua**
22. Simon Stt
7* Jaddtts»
14. Onias IlL
UtédeRoi.
deBo^%
dcsLifresSainii*
DU GOUVERNEMENT. 171
le titre de Rois, avec les marques de la Souveraine Puiffancc,
régnèrent jufqu*â Simon fils de Boeth > fous lequel Herode
commença à faire rebâtir le Temple (a) , & fous lequel Je^
fus-Chrift vint au monde (}).
La Loi de Moyfe fit toujours le Droit privé & public de
la Nation fous les Pontifes , comme elle Tavoit fait fous les
Juges 6c fous les Rois.
Les Livres que nous avons de Moyfe 6c des autres Ecri- nJiVc^tSu^
vains de l'ancien Teflament , font infiniment fupérieurs à S)M^(kto^
toutes les hifloires profanes > de quelque côté qu'on les re-
garde. Ces Livres ont pour Auteur Dieu-même qui nous les
a donnés par le miniftere des Ecrivains facrés 6c des Pro*
phetes y lefquels étoient remplis d'une lumière furnaturelle ^
Se dirigés fpécialement par la vérité eflentielle 6c infaillible.
La Bible efl un Livre unique qui comprend tout enlemblc
THiftoire , les Loix , 6c la Religion du Peuple de Dieu. Le
plus ancien Livre profane que nous ayons , c eft Homère 5
on croit que cet Auteur a vécu du tems de Salomon , & il ne
peut guère être plus ancien , puifque la guerre de Troyes
qu il a décrite, eft arrivée fous les derniers Juges. Le plus an-
cien Hiftorien qui nous refte , c'eft Hérodote ; & cependant
il n'eft que du tems d'Efdras 8c de Nehemias. La Bible eft
donc le plus ancien de tous les Livres qui font parvenus
jufqu à nous , au moins à ne compter que les cinq Livres de
•Moyfe , & les fuivans jufqu'au troifiéme Livre des Rois. Ce
Légiflateur a écrit Tan du monde 2514 Martini , dans fon
Hiftoire , cite des Livres Chinois fort anciens, mais nous ne
Jes avons point , 6c nous ne fommes pas aflez inftruits de
l'Hiftoire de la Chine pour juger fi Tantiquité de ces Livres
{b) Sa 40QO. ^
Yij
172 SCIENCE
eil bien prouvée. Ileft viai que Salomon fcplaîgnoît defon
tems qu'on ccrivoit fans cefle ; & d'ailleurs , les Juifs , avant
Moyfe , demeuroient en Egypte , le pays de la terre le plus
fenommé pour fcs Loix , pour les fciences & pour les arts^
Il y avoit dans ce pays-là des Rois & des Juges , & par
conféquent des Loix. Il eft donc vraifemblable qu'il a été
fait des Livres avant la Bible , mais ils ont été perdus , &
ceux que nous avons font des ficelés poftcrieurs.
L'ancien Teftamcnt eft le feul Livre avant la venue da
Meffie , où Dieu ait fait connoître d'une manière également
claire & certaine , ce qu il eft , ce que nous fommcs , & à
quoi il nous deftine. Le nouveau contient Thiftoire & les
miracles du Meffie , qui nous a apporté du Ciel la paix vé-
ritable avec Dieu , avec nous - mêmes , & avec les autres
hommes.
Il n'eft pas de Thiftoire faînte comme des hiftoires profa-
nes qui ne renferment que des faits humains , fouvent pleins
d'incertitudes & de contrariétés y & toujours fujets à d'étran-
ges mécomptes. L'hiftoire fainte eft celle de Dieu -même ^
de fa toute-puiffance , de fa juftice , de fa providence j de fa
miféricorde, & de fes autres attributs y montrés fous mille
formes & rendus fenfibles par une infinité de faits éclatans.
Elle fait voir aux hommes la conduite de Dieu fur eux , Se
l'ordre dans lequel il conferve les focictés en tous lieux»
Nous trouvons dans les faintes Ecritures que Dieu eft pré-
fent à tout y qu'il difpofe de tout , qu'il a partagé la terre
aux hommes y & qu'il a diftingué les Nations , par la diffé-
rence d'inclinations & de mœurs , d'où eft venue cette diveiv
fité d'Empires , de Royaumes ^ de Républiques que nous y
voyons ; que c eft lui qui prépare leur élévation & leur chute
par des voies impénétrables 5 que c*eil lui qui fait païTer les
DU GOUVERNEMENT. i;:^
Royaumes d*un peuple à un autre , pour punir les injuftices
& les violences qui s'y commettent (a) ; que c'eft lui enfin
qui , au milieu des changemens & des viciflîtudes humaines,
forme & foutient les fociétés civiles , & y établit des Puif*
fances pour les gouverner.
Section II.'
Des LégisUteurs profanes enginétAU
Les hommes ont adore également ce qu'ils ont le plus f^tiiTAii.
O 1 X^ ration que le P»*
craint & le plus aimé. Ceft la rcconnoifîance qui porta au- t»°*^*««p«*'
trefois les hommes à fe faire des Dieux même de leurs bien-
faiteurs. Ils- adorèrent la terre qui les nourriffoit, le foleil
qui les éclairoit, des Princes bienfaifans > un Jupiter Roi de
Crète , un Ofiris Roi d'Egypte , qui avoient donné des Loix
lages à leurs fujets > qui avoient été les pères de leurs peu-
ples , & qui les avoient rendus heureux. L'amour & le ref-
pe£l qu'infpire la reconnoiflance ^ furent fi vifs qu'ils dégé-
nérèrent en culte.
Hermès Trimégifle & Boccoré ou Boccoride , ont donné 7. Nomi <i«
des Loix aux Egyptiens; Zoroallre , aux Badlriens & aux pflatcurs, com^
Perles ; Zamolxis , aux Scythes ; Minos , aux Cretois ; Ita- "JJU'"';„''p^'^^J|
lus, aux Enotriens ; Thefée, Dracon, Solon, Céades, aux ?;,« A^^m
Athéniens; Lycurgue,aux Lacédemoniens; Hippodame, aux JJiS^ÏÏ! ^ ****"
Miléfîens ; Philolaiis , aux Thebains ; Phaleas , aux Cartha-
ginois ; Androdamas ,aux Thraces ; Lenclée , aux Locriens;
Pittacus , aux Lesbiens ; Platon , aux Magnéfiens & aux Si-
ciliens ; Charondas , Seleucus , & Pythagore, à prelque tou-
tes les villes de la grande Grèce ; Confucius , aux Chinois ;
<fl) Regnum à gente in gentem transfertur proptcr injujlmcu Çf injurias. G* co/i*
mimlias (r diverfçi ioUs* £ccL /c.
t74 SCIENCE
Numa, aux Romains. Ces hommes célèbres , fans avoir ja-
mais gouverné des Etats, forent les Légiflateurs de peuples
qui fe formoicnt. Les feuls Lycurguc, Solon, & Numa , avoicnt
joint lexpcricnce du commandement à leurs méditations.
Dans la fuite , d'autres Légiflateurs augmentèrent ou main-p
tinrent la fplendeur des Etats.
Les premiers Philofophes s'occupèrent bien plus du foin
d'acquérir les fcicnces purement fpéculatives , que celui de
rechercher les formes de Gouvernement , dont le tems feul
& la néceflîté pouvoient donner l'idée. Sans doute que dans
ces premiers fiecles , les pères de famille enfeignoient à leurs
enfans , avec les préceptes de la Religion , les maximes les
plus importantes de la morale , que leurs propres réflexions
leur avoient découvertes, ou qu'une tradition venue de nos
premiers pères leur a voit tranfmifes. La Religion & la mo-
rale , défigurées par les paflîons , fe refiigierent dans le cœur
de quelques perfonncsqui s'attachoient plus particulièrement
à cultiver leur raifon par l'étude des fcienccs. Les premières
Loix furent donc le fruit des réflexions de quelques parti-
culiers qui avoient étudié le cœur de l'homme , & qui s'é-
toient rendus attentifs à fes befoins. C'eft de l'école de ces
perfonnes , que nous appelions parmi nous Gens de Lettres ,
que font fortis les premiers Légiflateurs (/ï).
Nous ne fçaurions trop approfondir tous les détails du
Gouvernement, L'hiftoire des batailles & des fiéges n'eft
que rhifl:oire de la folie & du malheur des hommes : au lieu
que l'hiftoire de la conftitution des Etats eft celle de leur fa*
geflc & de leur bonheur.
(tf) [ Saleucus &* Charondas ] non in foro nec in confultorum atrio , fei in Py*
jJiagora tacito illo fanâtoiiue feceffu , didkerunt jura qus Florenti tune Sicilid fyfCT
ftaliamGrxcia pvnennt* Sencç, Ep. ^o. pag. 30 /. £(^. QrQiwv%
DU GOUVERNEMENT. 175
La guerre produit des effets extraordinaires qui enlèvent
l'admiration des hommes , parce que la valeur efl accompa-
gnée d'un certain éclat qui les éblouit ; mais les Conque-
rans n'exercent leur valeur qu'aux dépens de toutes les au-
tres vertus , & ne s'élèvent qu'en privant les autres hommes
<ie leur repos > de leur bien , de leur vie. Ces guerriers fi
vantés n'ont jamais rendu un fçul homme meilleur ou plus
heureux ; & tous leurs grands defleins font rentrés dans le
néant à notre égard. Ce font des vapeurs quife font diffipées
& des fantômes qui fe font évanouis.
Les Inventeurs des arts & des fciences ont au contraire
travaillé pour tous les fiécles ; & nous jouiffons du fruit de
leur travail 8c de leur induftrie. Ils ont pourvu de loin à tous
nos befoins ;ils nous ont procuré toutes les commodités de la
vie , ils ont fait fervir toute la nature à nos ufages ; ils nous
ont appris à tirer ^ des entrailles de la terre & des abymes
même de la mer , de précieufes richeffes ; & , ce qui eft in-
finiment plus eftimable 9 ils nous ont ouvert les tréfors de
toutes les fciences , ils nous ont conduits aux connoifTances
les plus fublimes & les plus utiles. Ils nous ont mis , dans les
mains & fous les yeux ^ ce qu'il y a de plus propre à orner
l'efprit , à régler les mœurs , à former de bons Citoyens , de
bons Magiflrats > de bons Princes. La mémoire des Légifla-
tcurs doit être furtout révérée. Ils ont inventé le grand art
de gouverner le genre humain ; & c'efl à eux , après Dieu ,
que les fociétés font redevables de tout l'ordre qui y règne
& de toute la tranquillité dont elles jouiflent. La fageffe des
Légiflateurs fait dans chaque Etat ce que la raifon fouverai-
ne opère dans l'Univers où elle conduit & gouverne tout.
Ils font les bienfaiteurs des hommes de tous les pays &: de
iy6 SCIENCE
tous les tems. C^eft la qualité qu'on donnoît anciennement
aux Rois de la terre , Légiflateurs de leurs Etats. Les Rois
des Na fions les dominent ( dit le S. Efprit ) > d" l*on donne le
nom deBienfaiteurk ceux qui les gouvernent fouverainement[a).
, Mais la ycnération lî juftement due aux Légiflateurs ne
doit pas nous empêcher de reconnoître Timpcrfedion des
Loix qu'ils ont faites. Prefque tous les anciens Légiflateurs
profanes ont été des hommes dont les vues bornées femblent
avoir méconnu la grandeur & la dignité de louvrage donc
ils étoient chargés. Quelquefois , ils ont donné des inftruc-
tîons puériles toujours approuvées par les petits efprits > tou-
jours méprifées par les grands génies. Souvent ils fe font jet-
tés dans des détails inutiles ^ & fe font arrêtés à des cas par-
ticuliers 9 marque certaine d'un génie étroit, qui ne voit les
chofes que par parties , & n'embraffe rien d'une vue généra-
le. Les uns ont fait des Loix trop fubtilcs, & ont fuivi des
idées Logiciennes , plutôt que l'équité naturelle. Les autres
ont aboli fans raifon les Loix qu'ils trouvoient établies , &
ont jette fans néceflîté les peuples dans les inconvéniens in- *
féparables des changemens. Quelques autres enfin ont affefté
de fe fervir d'une autre laftgue que de la vulgaire , comme fi
les Loix pouvoient être obfervées fans être connues.
Au refte, dans le plan de la fondation des Etats , chaque
Légiflateur fongea toujours à imprimer au nouveau peuple
le goût d'une vertu favorite qui devint enfuite la paflîon pu*
blique ; & c'eft à cette qualité particulière que les Nations fe
font encore reconnoître , & qu'elles doivent leurs plus gran-
des aûions. Les difpofitions du cœur , les conteftations fur
(a)Rcges Gentium dominantur torum. G* ^ui fetejlaum habentfupçr eos be^
neJiçivQçantUT. S. Luc 22»
l'antiquité
DU GOUVERNEMENT. 177
l'antiquité des origines , Torgueil fortifié par la politique du
Gouvernement , attachèrent tous les anciens peuples a leurs
traditions , d*où rélulta néceffairement la haine mutuelle des
voifins & des étrangers , à moins que le droit facré de Thof-
pitahté n'eût établi une alliance entre les Nations. Les Em-
pereurs de la Chine tournèrent Tefprit de leur Nation du
côté d'une police pleine de détails & de mioucies y qui font
encore aujourd'hui dans cet Empire le goût dominant. L'ef-
pfit des premiers François fut tourné du côté des vertus
guerrières que les qualités du fang & du climat ont tranfmifes
mcrveilleufement à leur poftérité. L'ancienne nobleffe du
Nord qui > pkcée dans des pays ftériles , ne fçavoît que chaf-
fer & fe battre , transforma ce premier divertiffement , connu
très-tard & méprifé des Romains , en l'art de la guerre. Le
commerce & l'échange des marchandifes qui avoient pris
naiffancc chez les anciens peuples , fait encore aujourd'hui
l'efprit général des Orientaux &^ prcfque leur unique occu-
pation , tandis que chez le plus grand nombre des peuples
Européens , cette profeffion fi ncceflaire n'eft pas fort-élévée
au-dcfliis des arts méchaniques. La fituation particulière &
Ja forme Républicaine, toujours favorable au commerce , ont
engagé la Grande - Bretagne & la Hollande à décorer de
grands privilèges , cette profeflRion , qui n'a pu conferver fon
' ancien éclat à Venife parmi le changement que les circonf-
tances ont amené.
Les pays Orientaux , peuplés les premiers , ont auffî four- g. l« chai-
ni au monde les premiers Legiflateurs. Les fragmens des v^'ns.&icsPcr.
* «-'.«-' les ont été If s prff«
Loix des peuples de l'Orient ne nous donnent l'idée que d'u- "»^«^* ^^v^^
ne morale & d'une politique très-imparfaites.
L'Aftronomic ôc les iciences Mathématic^u|^ occupèrent
Tome I. Z
178 SCIENCE
lefprit des Chaldéens. Dans ce qui nous refle de cfcs peu**
pies y nous ne trouvons qu un amas informe d'Aflronomic ,
d' Aftrologie y de Métaphyfique , un mélange monftrueux
d'idées bifarres & fuperftitieufes. On travailleroic envain à
faire un corps de dodlrine de leur morale (^r),
L'Egypte étoit regardée par les Anciens , comme l'école
la plus renommée en matière de politique & de fageffe ; les
fciences & les arts y fleurirent y tandis que le refte de la
terre étoit enfeveli dans les ténèbres de Tignorance ; & les
Egyptiens ont mérité d'être regardés comme les pères de toute
Philofophie (F). Les plus grands hommes de la Grèce ^ Ho-
.mère , Pythagore y Platon , Lycurgue même, & Solon al-
lèrent exprès en Egypte pour s'y perfeâionner , & pour y
puifer les plus rares connoifTances* Dieu lui-même a rendu à
l'Egypte un glorieux témoignage y en louant Moyfe d'avoir
été inflruit dans toute la lagefle des Egyptiens (c) ; mais les
Sçavans d'Egypte cachoicnt leurs myfteres à ceux qui n'y
étoient pas initiés. Ils ne parloient que par énigmes, parfym-
^boles, & par hiéroglyphes , ce qui nous rend leur doftrine
impénétrable , à nous qui n'en avons pas la clef. Je rappor-
terai , à cet égard , dans la Seâion fuivante , les opinions
communément reçues.
La dodlrine des Perfes étoit fans doute conforme à celle
des Chaldéens , s'il efl vrai, comme on le prétend, que ceux-
ci étoient les Maîtnes des Perfes. Je parlerai des Perfes dans
le Chapitre fuivant , où je donnerai une Sedion aux Perfans
leurs fucceffeurs.
(a) On peut voir ce que dit, à cet égard , Barbcyrac dans la page 58. de h
Préfoce qu'il a mîfe à la tête de fa Tradudi^n du Du it de la NatuTi &• des Gens
de Puffendorff Edition de 17 H»
(b) Omnium PhilofophU difciplinarumparkntes. MacToh. SatUTruCap. /p.
: (c) Aft. 7. a.^.
DU GOUVERNEMENT. 179
Ces trois peuples Orientaux furent les Précepteurs des 9. tw «rM
* '^ ^ ^ ont été les dilci»
Grecs, qui empruntèrent aeux de quoi s'enorgueillir & me- pi«j^ «« uom
prifer les autres Nations. L'Egypte avoit infpiré à la Grèce
le goût des arts & des fcienccs; elle Tavoit initiée dans fe$
myfteres & lui avoit donné, des Dieux & des Loix. Tout
vains qu ils furent, les Grecs avouèrent (a) qu'ils étoient re-
devables de la plupart des arts & des fcienccs à ceux qu'ils
appelloient barbares, furtout aux Chaldéens , aux Egyptiens,
& aux Perfes. Le peu que nous fçavons des Auteurs Orien-
taux fiir la morale , fur la politique , & fur les fciences fpé-
culatives , nous ne lavons appris que des Grecs eux-mêmes,
qui ont quelquefois mêlé leurs opinions avec celles des Orien-
raux.
Les Grecs , difciplcs des Orientaux , étendirent & pcrfec- 10. tet ro-
1 f . ,.1 . , , miins & lestu*
tionnerent les Icicnces qu ils en avoient reçues , & devinrent «^cs ixrupict de
*■ ^ ^ TEuropc ont été
les Maîtres des Romains & des autres peuples de FEurope. ^^'ç^l'^j^^," ^^l
Vaincue par les Romains , la Grèce les vainquit à fon tour, fom&dîs™éc1
en communiquant fon goût pour les beaux arts à ce peuple ^^«^««^«n»»»^
jufqu'alors groflier ; mais les difciples furent bientôt plus
habiles que leurs Maîtres. Les Romains devinrent , ou au-
tant ou plus éloquens que les Grecs , & les furpafferent aflii-
rémcnt de beaucoup dans la fcience du Gouvernement, com-
me ils font eux-mêmes furpaffés par les peuples modernes ,
qui ont été les difciples & des Grecs & des Romains*
Section II L
Des Législateurs & du Gouvernement des Egyptiens.
L'ancienne Egypte cfl connue , autant que le peut être un „. lcro^u-
Royaumc fi ancien. Le premier Roi des Egyptiens fut Menés. aîT, conqîLml
^ partagé, fournis
{a) Dioe. Laën. L. i. $. i. «cdéuruitt
igo SCIENCE
Depuis fon rcgne , Thiftoirc d'Egypte fe partagea en troiê
âges. Dans le premier, ce Royaume fur di vif é en plufieurs
Dynafties ou Gouvernemens qui avoient chacun fes Rois#
L'une de ces Dynafties abforba toutes les autres , & en de^
vint la Maîtrefle. Le fécond fut celui des Rois Pafteurs ve-
nus d'Arabie qui conquirent l'Egypte. Le troifiéme corn-*
mence à Sefoftris, qui pénétra dans les Indes plus loin
qu'Hercule & que Bacchus , & qui foumit les Scythes à fon
Empire , & tinit à Angis laveugle , fous lequel Sabaçon
Ethiopien envahit l'Egypte y profitant de la difcorde des
Chefs qui le l'étoient panagée- Ce Prince religieux étant re-
tourné dans fa patrie , le Royaume abandonne tomba entre
les mains de Sethon , Pontife de Vulcain , qui anéantit l'arc
Militaire- Ocpuis ce tems y TEgypte ne fe foûtint plus que
par des troupes étrangères y 8c elle tomba peu à peu dans
Tanarchie. Douze Gouverneurs choifis par le peuple parta-
gèrent le Royaume entre eux > & l'un deux nommé Pfammi*
tique , fe rendit Maître de tous les autres. L'Egypte fe
rétablit un peu durant cinq ou fix règnes , mais le défpotif*
me &: les conquêtes anéantirent enfin cet Empire*
Cet ancien Royaume devint tributaire des Aflyriens , qui
furent à leur tour fournis aux Médes. Ceux-ci & les Perfes
joints à eux fondèrent un grand Empire qu'Alexandre dé-
truifit. Si cette ancienne & puiflante Monarchie perdit fes
Rois naturels , en paflant fous la domination des Perfes , elle
ne laiffa pas de conferver de précieux reftes de fa première
fplendeur , pendant trois cens ans , fous les Ptolomées fuc-
ceflTeurs d'Alexandre. On la regardoit alors comme un dcS
plus confidcrables Royaume de l'Afie. La domination des
Romains pendant fix ûécles » ne pût même achever de lui
DU GOUVERNEMENT- i8t
éter tout fon ancien éclat. Elle fe rendit encore célèbre fou»
les RoisSarrafins, qui furent enfuite fcs maîtres. On nefçau--
roit lire fans admiration Ce que les Hiftoricns Arabes ra-
content de la grandeur & de la magnificence de ces Princes
de leur nation , qui la gouvernèrent pendant près de neuf
cens ans , jufqu'à la conquête que les Turcs en firent fous
Selim#
Depuis cette époque, la Nation Egyptienne qu*on peut di-
te avoir prefque toujours confervé jufques-là , du moins une
ombre de Monarchie , n'a plus ni Rois particuliers , ni Loix
propres , ni la moindre apparence d*autorité. Réduite à Tef^
clavage le plus dur & le plus humiliant , à peine lui eft-ilper'*
mis de penfer qu'elle exifte. Devenue une fimple Province de
f Empire Ottoman, elle eft gouvernée defpotiquemçnt par
un Bâcha que la Porte y envoyé.
La force d un Etat ne doit point fe mefurer à retendue du ^^'^^^^^^
pays qui en dépend , mais au nombre de Citoyens Se à Tuti- ^»«^'
lité de leurs travaux. La culture des terres, dont la nourri*-
ture des befliaux , efl une fuite , ne fiit en aucun endroit du
monde , plus confiderée qu*en Egypte , où elle faifoit un pb«
jet fpécial du Gouvernement. Aucun pays ne fut jamais plut
peuplé, plus riche , pluspuiflant.
Les terres d Egypte étoient divilées en trois portions. Là
première étoit le domaine du Roi ; la féconde apparcenoit
aux Pontifes ; la troifiérae , aux gens de guerre.
Les arts étoient efrtSSnneur , afin que perfonne n*eût hon*
te de la badeffe de fa profelfion dans le corps politique, où,
comme dans le corps humain , tous les membres contribuent
de quelque chofe à la vie commune.
Le peuple étoit partagé en troi* daflfes ,4eg Laboureu»f
^82 SCIENCE
les Bergers & les Artifans. Il n'ctoit permis à perfonne dé
fortir de fon rang , ni d'abandonner la profeflion de fonperç
{d). Par là étoient prévenus les maux que caufe fouventran»-
bition de ceux qui veulent s'élever au-deffus de leur état ; 8^
lés arts étoient conduits à une grande perfedion , chacua
ajoutant fon induftrie & fes réflexions à celle de fes pères
qui lui étoient tranfmifes, de main en main, par une.tradi-»
dition non interrompue.
Trente Juges quon tiroit des principales Villes , étoient
les Interprètes des Loix , fans partager la puiilance fuprémç
avec le Roi, 6c compofoient un confeil qui rendoit la judica
dans tout le Royaume, Lé Prince leur affignoit des revenus
fuffifans , pour les affranchir des embarras domefliques , afin
qu'ils puffent donner tout leur tems à çompofer & àfaireol>
ferver les Loix.
ij. Lc« bien- L^s bienfaits étoient le lien de la concorde publique 8c
n^knwé^^î particulière en Egypte, Celui qui pouvant fecourir unhom?
honnrar""par^ me attaqué 9 ne le faifoit pas > étoit puni aufli févéremii^quQ
^"*' Taflaffin (}). Si Ton ne pouvoit le fecourir, on étoit oblige
de dénoncer l'auteur de la violence, & il y avoit de$ peines
établies contre ceux qui manquoient à ce devoir (c). La re-
connoiffance , fi rare parmi nous , étoit une vertu en grand
honneur chez les anciens Egyptiens ; ils ont été les moins
ingrats de tous les hommes, 8c ils ont par conicquent dû être
les plus fociables,
M. Jugement ^^^ mêmes Egyptiens avoîent une forme de juftice qui â
^^ém^K^tt9^ été inconnue aux autres peuples, Auffi-tôt quun homme
S2?4if\îSr!°*^ avoit rendu les derniers foupirs , on Famenoit en jugement^
(a) Ifocrat, in 'Excom, Bujiridf >
Çb) Qui fuccurrere potelh morituro , Ji non fuccurrit , oecidit* LêSânt*
' '(r) Herodou Euterp^ Diodçr^ SiciL tt i^
Dû GO U VER NE MENT. ïgj
èc il fubiflbit un examen févére (a). Si les Accufateurs prou-
voient que la conduite du mort avoit cté contraire aux Loix^
çn condamnoit fa mémoire, & on. lui refufoit la fépulture.
§*il n*étoit accufé d'aucun crime , ni contre les Dieux ni con-
tre la patrie , onfaifoit fon cloge, & on renfeveliffoit hono-
rablement. Les enfans qui voyoient les corps de leurs pè-
res , fe fouvenoient de leurs vertus que le public avoit re-
connues , & étoient par là même excités à refpe£l.er & à fui-
vre les inflruclions qu'il en avoit reçues. Le foin que ce peu-
ple avoit de conferver les reftes des gens de bien , & la fé-
pulture qu il refufoit à ceux qui avoient mal vécu y étoient
également utiles au progrès de la venu. Les hommes y font
portés par la contemplation du mal comme par celle du bien.
. La mémoire des Rois même fubiflbit cet examen. Le corps
du Prince mort étoit expofé dans la place publique. Chacurî
avoit la liberté de le louer autant qu'il méritoit de Tctre , &
de lui reprocher toutes les mauvaifes adlions qu'il avoit com-
mifes. On mettoit dans la balance les plaintes & les accla-
jcnarilmsf ; & s'il fe trouvoit que les vices l'euffent emporté
fur les vertus , fa mémoire étoit déteflée , & il étoit privé de
l'honneur de la fépulture (t). Celui qui lui fuccédoit y profîr
toit d'un exemple dont il avoit été le témoin , & gouvernoic
l'Etat avec juftice y pour n'avoir rien à craindre de la haine
publique après fa mort. Un Ancien (f) remarque que l'E-
gypte jouit d'une très-longue & très-profonde tranquillité ^
tant que cette forme de juftice fut en ufage.
Le Peuple de Dieu privoit les Rois criminels y non de la
(a) DioioT. lih. i. StSt. 3.
(/;) Grotius de Ji^re bclli ac facis Lih I.Gs}^ Si.§* itf»
(c) Diodore de Sicile^
f 84 SCIENCE
fépulture aWolument , mais de l'honneur d*être cnterrds dai»
Iç tombeau des Rois (/).
La fevére République de Venife cft , pour fes Doges i
dans un uiage qui 9 à cenains égards ^ tient quelque chofc
dç celui donc je parle ici
Section IV*
Des Législateurs (jr du Gouvernement des Gr^s^
4^Fôn4ttî^ll Des Colonies venues d'Egypte dans la Grèce, y fonde-
^^la^Gr^w ?"2 renc plufîeurs petits Royaumes > & y répandirent refprit 8e
éîévafcion Jt 4« la police des Egyptiens» Ce premier âge de la Grèce , com-
pj:en4 environ fept fieclcs , depuis la fondation de ces petits
Royaumes jufqu*au ficge de Troyes. Après ce fameux fiége ,
jes Grecs fe formèrent 9 fe fortifièrent , fe préparèrent aux
grandes chofes à quoi ils étoient deftinés, & jetterent pcn.
dant environ huit fiécles , jufqu'au règne de Darius premier
chez les Pcrfes, lesfondemens de cette puiffancc & decetctt
gloire qui depuis porteront fi haut leur réputation. Al^rs lei
Grecs , qui s*étoicnt ainfi policés peu à peu ^ voulurent fe
gouverner eux-mêmes , Se la plupart des villes fe formèrent
«n Républiques, Le mérite & la vertu des Grecs renfermes
dans Tenceinte de leurs villes , n'avoient jette que peu d*c»
clat au dehors ^ mais dans un efpace de deux fiéclesr qui for*
^ent comme le troifiéme âge de la Grèce, depuis la bataille
de Marathon jufqu à la mort d'Alexandre , ces peuples ré--
(a) Amiulavitqui non reSè iJoram'] ty feptlïerunt tum incivîtate David ^ va-
funtamtn non infepulcro Regum. Paralip, Lib. s. Cap, 21, Verf. 10, Dormmtquii
Achas cum patrUfus fuis , ù* fipelierunt eum in civitate Jerufdem , neque enim ttcê^
fiTunt tum infepulcro Regum Ifratl. Paralip* Lib. tt. Gap. 26. Vnf 2y,
(i) Voye^loCbitpiureVL de cette Introduaion Seâioo XUI»
fifterent
DU G O U V E R N E MENT. i8j
fifterent à TAiîe entière ^ d abord contre Darius , puis contre
Xerxès. Deux foibles Villes, Sparte & Athènes, attaquè-
rent, défirent, poUrfui virent des armées formidables. Les
Grecs furent redevables de ces fuccès étonnans que la flatto-
rie des Hiftpriens & Tamour du merveilleux ont fafis doute
, beaucoup groffi (4f) , à des principes gravés profondement
dans leur.efprit par l'éducation , par les exemples , par 1^
pratique , 6c deyçnus en eux comme naturels par une lon^
gue habitude. Ces'principes étoient l'eftime de la pauvreté^
le mépris des richefles , Toubli de fes propres intérêts , Fat^
tachementau bien public , le dçfir de la gloire , Tamour de
la patrie, un zèle pour la liberté que nul péril jm'étoit capable
4ç ralentir, & une haine irréconciliable contre quiconque
iongeoit d*y donner la moindre atteinte ; mais ce que nV
voient pu faire des ennemis formidables , dés divifions ir*.
«eftines le firent. Dansi Icfpace de deux fiécles , les Républi*-
ques Grecques furent non-feulement affoiblies , mais fubjur
^ùéest ' '
JLacédémoœ , Athènes & Thébes occupèrent tour à tour
le premier rang dans la Grèce» La Perfe , qui avoit reconnu
que les Grecs icroicnt invincibles, tant quHIs feroient unis p
mit toute fa politique, à jettçr, parmi ces Républiques rivales,
desfemences de.difcorde. Son or 8c fou argent ^ répandus
par fçs Englatres i réuffirent mieux que o'avoient fait le fer
& les ariAes» '
Pour profiter d^une conjonûure favorable , Philippe, Roj
4e Macédoine , fôngea à reculer fes frontières , à aifujcttir
i^s voifins , à affoiblir ceux qu'il ne pouvoit encore dompter ,
{a) Cum meniaciter ifla promjerunt ^ Ueô extuUrunt in immenfum exiguafaSa*
Tome /• A a
tS6 SCIENCE
à entrer dans les affaires de la Grèce > à prendre ptft à lés
i^uerellcs inteftincs 9 à chercher de s'en rendre Taibidre y 8c à
s^unir aux uns afin d^accabler les autres âc de devenir le ma^
tre de tous. La viâoire de Cheronée rendit le Macëdonieh
tout puifTant:* Alexandre fon fils^ à qui il avoit préparé lés
voies , & qui fut le deftruâeur de TEmpirç des Perfes > prit,
pour accoutumer doucement les Grecs à la fervitude 5 le pré*
-texte de les venger de leurs anciens ennemis. Les Grecïs
donnèrent aveuglement dans ce piège grbfOer , qui pona le
coup mortel à leur liberté. Leurs vengeurs leur devinrent plus
fuiïeiles que leurs ennemis. Le joug impofé par les mainji
qui avoient vaincu TUniVers , demeura toujours fur leun
têtes ) il ne fut plu$ au pouvoir de ces petits Etats de le fe^
troiier. Lacèdèmone feuk reRifa de fe foumettre ; foible A
fans murailles 5 elle tint fermé contre les fucceffeurS d'A^
iexandre, mais en perdant fa vertu 9 elle perdit enfin (a li-^
fecrté.
Dès que les Romains fiirent en état de porter lewt vues
fur la Grèce , ils la foumirent, mais ce ne fut que par degrés
& avec beaucoup d^artifice. Comme ils poufToient toujours
leurs conquêtes de Province en Province , ils fentirent qu^ils
crouveroient une barrière à leurs projets ambitieux , dans là
Macédoine, redoutable par fon voifinage 8c par fa (îtuaâoA
avantageufe , par la réputation de fes armes 8c par fes diliés;
Ils fe tournèrent adroitement du côté des petits Etats de ]â
Grèce y de qui ils avoient moins k craindre y 8c cherchèrent
à les gagner par Tappas de la liberté dont ils fçûrênt réveillet
en eux les anciennes idées. Après $*être habilement ferviè
des Grecs pour abattre la puiffance Macédonienne , ils fou-
rnirent tous ces peuples les uns après les autres ^ fous di£^
DUGOUVERNiSMENT. i^
rcDS prétextes: Ceft aiofi que la Grèce fut abforbéc par TËm-
pire Romain ^ & en devint une Province fous le nom
il*Achaïe.
Lia Grèce avoit un Confeil fuprême compofé de Députés tê.eotMtàé
dés principales Villes qu*on appelloit Awphyltions ^ du nom c^ «ppcuI de»
d'Âmpyâioa Roi d'Athènes & fils de Deucalion qui inflitua
cette ABemblée célèbre (4) ^ qui en drefla les Statuts , qui
regU jufqu où s^étendroit leur pouvoir , & qui défigna les
Villes dont elle ieroit compofée. Cent quarante ans après
cette inftitutioa y AçriTius, Roi d'Argos (b) ^ & fils d'Abas »
étendit les privilèges des Amphyâions > augmenta le nom--
hre des Villes qui dévoient envoyer des Députés , & donna
une autre forme à cette Compagnie. De ces deux différentes
époques y quelques Ecrivains (Minguent deux fortes d'Am«
phyâions > les anciens établis par Amphyâion, & les nou^
ireaux dont Acrifius fut Tlnflicuteur ; mais au fonds , le Roi
d'Argos ne fît que pcrfeÛionner ce que le Roi d* Athènes
avoit ébauché.
, Les meilleurs Auteurs (^) comptent douze peuples Am«-
pbyâioniques» Le dénombrement que Tun de ces Auteurs
.{d) en fait , ne monte qu'à onze ; il y énonce les Theffa-
liens ^ les Béotiens 9 les Doriens 9 les Ioniens^ les Perrhebes^
les Magnéfiens ^ les Locriens , les Oétéens 9 les Phtiotes ^
les Maléens y & les Phocéens. Vraifemblablement 9 le nom
d'un de ces peuples s'eft perdu par la négligence des Co*
piftes 9 & il y a lieu de préfumer que les Dolopes avoient été
compris danBj la lifle. Du moins 9 il efl fur 9 par le témoig*
(a) If If ans avant Tfire Chrétienne, 5c 606 ani ayant b fondation de Roflit.
\h) Quiregnpit ii6i tas ayant Jefut-Chrift.
(0 jfifchine , SuajKm r^ Ptulàoîai.
Aaij
iW • s <!; t E N"C'E ' ^
nage des anciens , que ces derniers jouiflbîent du Droit AfflU •
phyâionique*
Un Auteur récent (a) conje£lurc avec aflez de probabilité, ^
que dans les commencemens & même pendant un fort long
elpace de tems , les feuls Delphiens & leurs voifins eurent '
droit de féance dans le corps des Amphiâions, à l'exclufion
des autres peuples de la Grèce plus reculés ; qu^alors les
douze Villes nommées par les anciens Ecrivains croient les
feules qui euflent droit d*afpirer à cette dignité y mais que le
befoin qu avoien; tous les Grecs les uns des autres , leur at-
tira dans la fuite un honneur à tous également ; que c'étoit
l'intention du Fondateur y puifque cette Compagnie avoit été
inftîtuce pour entretenir Tunion entre tous les Grecs , & pour
rendre par ce moyen le bonheur & la fureté de la Grèce du-
rable à jamais. Cette Compagnie étoic en effet appellée le
Tribunal commun de tous les Grecs (h)y TAfTemblée générale
de la Grèce (r).
Chaque ville qui avoît droit d'Amphyftionîe y envoyoit i
fon choiX) deux Députés aux Etats généraux. L'un des deux,
fous le titre de Hferomnemo?$ y étoit chargé de pourvoir aux
intérêts de la Religion y car les Amphy étions étoient auflli les
proteûeurs de TOracle de Delphes , & les Gardiens des ri-
çhcffes prodigieufes de ce Temple. L'autre y fous le nom de
PyUgore y c'eil-à-dire d'Orateur député à Pyles ou auxThcr-*
mopyles, portoit la parole. Souvent la députation de chacu*
ne des Nations confédérées étoit de trois ou quatre pcrfon-
(a) Valois. Voyez fa Dijfertationfur les AmphySions , dans le troiiféme Tonm
dt l*hifloire de rAcadémie des Belles-Lettres de Paris , depuis la page i^i jiif*
qvCk k pag; 227.
(b) Dans un Décret des Âm|rfiyftions rapporté par Demofthène.
(c) Cicéron , 4ans foA iècond Livre d$ Jawentiêne , L*appeUc ç$nmunê Crécié
ConciiiuHu
D U G O U V Ë R N È M E N T* i«(>
lies ; mais en quelque nombre qu'ils fuffent , ils n'àvoîent
tous enfemble que deux voix délibératives dans Taflemblëe*
' Les Phocéens en avoienc été exclus pour avoir pillé le
Temple de Delphes , à l'exemple de leurs Chefs, Onomar-
que & Phaylle. Philippe, père d* Alexandre , avoit fervi la
vengeance des Grecs contre les peuples de la Phocide pen-
dant la guerre facrée. Il exigea qu'en reconnoiflancc on lui
déférât la place vacante à lui & à fes defcendans , & les Atn-
phydions n*oferent s'oppofer aux prétentions d*un Monar-
que qui s*étoit rendu redoutable par fes vidoircs. Les Pho-
céens réparèrent dans la fuite la honte de leur dégradation ,
en fauvant le Temple de Delphes, du pillage des Gaulois ,
qui avoient paffé dans la Grèce , fous la conduite de Bren-
nus. Cet a£le de Religion leur fit rendre la place qu'une ac-
tion facriiége leur avoit fait ôter , ils furent de nouveau ag-
gregés au Corps de la Nation.
Ce Tribunal fuprême de la Grèce, qui en compofoit les
Etats généraux , fe tenoit deux fois Tannée ; en Automne ^
aux Thermopyles , dans un Temple érigé à Cerès , au milieu
d'une vafte plaine arrofée des eaux du fleuve Afope; au Prîn»
rems , dans le Temple de Delphes confacré à Apollon.
Il formoitun feul peuple de tous les Grecs; il réunifToîc
des Républiques d'ailleurs indépendantes les nnUi des autres,
dans le même point de vue , qui étoit d*entretenir la paix
entre elles, & de défendre leur liberté contre les entreprifes
des barbares ; & il avoit le pouvoir de concerter , de réfou-
dre , & d'ordonner ce qui lui paroifToit avantageux à la cauic
commune.
Les Amphydîons s'engageoientparun ferment folemnel,
de pourvoir au bonheur commun de la Grèce & à la fûreré
i^ SCIENCE
du Temple de Delphes. Tant que ce corps fubfiftâ,chaquO;
Récipiendaire prêta ce ferment au Corps Amphyâionique.
» Je jure de ne jamais renverfer aucune des villes hono*
» rées du droit d' Amphy£lionie , & de ne point détourner fes
» eaux courantes ^ nï en tems de paix ni en tems de guerre*
» Que fi quelque peuple venoit à faire une pareille çntreprife,.
w je m'engage à porter la guerre çn fon pays, à rafer fes viU
» les , fes bourgs , & fes villages , & à le traiter en toutes
V chofes comme mon plus cruel ennemi, (4). De plus, silfe
» trouvait un homme afle? impie pour ofer dérober quel*
pqu une des riches offrandes confacrccs à Delphes dans le
» Temple d'Apollon , ou pour faciliter à quclqu*autre les
i> moyçns de commettre ce crime , foit en lui prêtant aide pour
i> ceU , foit en nç faifant que le lui confeiller , j'employerai
» mes pieds , mes mains , ma voix, en un mot toutes mes for*
» ces pour tirer vengeance de ce facrilége. Que fi quelqu'un en-
p freint ce qui eft contenu dans le ferment que je viens de faire ,
p foit un fimple particulier , foit une ville ou un peuple , que
i> ce particulier, cette ville , ou ce peuple foit regardé comme
i> exécrable, & qu'en cette qualité il éprouve la vengeance
p d'Apollon , de Diane , de Latone , & de Minerve la pré-*
p voyante. Que leur terre ne produife aucuns fruits j que leurs
i> femmes^ au lieu d'engendrer des enfans reflemblans à leurs
» pères , ne mettent au monde que des montres , & que les
i> animaux mêmes, au lieu de petits de leur efpece,n'appor»
» tent que de foetus contre nature» Que ces hommes facriléges
i> perdent tous leurs procès. S'ils ont la guerre , qu'ils foyenc
p vaincus ; que leurs maifonsfoientrafécs ; & qu'eux & leurs
comme
î>p G 0 U V È H N È M È ]^ T. ipt
n enfails foyent paffés au fil de Tépéc* Que ce qui aura écha-
•>pé au fer, ne puifTe jamais offrir dignement aticuh facrifice
^ à Apollon, à Diane, à Latone, & à Minerve la prévoyan-
»te, &que ces Divinités-ayent en horreur <Sr leurs prières &
t> leurs offrandes (a).
La Diette générale d* Allemagne rtous retrace , à certains
égards , ces anciens Etats généraux de la Grèce ; & nous
trouvons dans les Provinces-Unies des Pays-'Bas & dans le
Corps Helvétique , une image encore plus reffemblantc de
la confédération perpétuelle des Achéens.
Entre les Jeux folemnels de la Grèce, les Olympiques te- tMeuxoiynH
noient le premier rang, parce qu*ils étoient confacrcs à Ju-
piter, le plus grand des Dieux, quils avoient été inflitués
par Hercule , le plus grand des Héros ; & qu'on les cém
lébroit avec plps de pompe & de magnificence que tous les
autres. Ces fêtes fervoient non-feulement à honorer les
Dieux , à célébrer la vertu des Héros, à difpofer le corps aux
fatigues de la guerre , mais encore à raffembler , de tcms en
tems , dans un même lieu , par des facrifices communs , di-
vers peuples , dont Tunion faifoit la force.
Ce peuple qui occupoit une panie du Péloponéfe , lequel is. conf^Jé«
s'appelle aujourd'hui la Morée, & eflfous la domination du rcdcsAcbé«w.^
Grand-Seigneur , eût d'abord des Rois qui fe fuccéderent de
îpere en fils (è>) ; ce Gouvernement Monarchique fe tourna
en Démocratie , 8c douze petites- villes firent autant de Ré-
publiques unies par une étroite confédération. Les Achéens
le maintinrent à peu près dans cet état jufqu'au tems de Phi-
lippe de Macédoine & d'Alexandre le Grand ; mais depuis
(a) On trouve ce ferment dans JEfchile » de falfa Legatioiu ; & <bos k Diflbw
IBition de Valois déjà citée.
(b) toïjb. Lib. 2. Cap. 41. Strabon Liv* 8« pag. |88« de rEdiûond'Amfierdanu
192 SCIENCE
Alexandre & fcs fucceffeurs , les Rois de Macédoine profi-
tèrent de la divifion qui fe mit parmi ces villes confédérées ;
ils mirent garnifon dans quelques-unes , & d^autres devins
rent la proye de petits Tyrans. Elles renouvellerent quelque
tems après leur ancienne union (a) ; Dyme , Patres, Trithée,
6c Phares furent les premières à lever Tétendart de la liberté
6c à donner aux autres l'exemple de fccouer le joug des ufur-
pateurs. La ville d'Egium fe joignit à elles ; puis Bouve 8c
Carynée. Pendant ving-cinq ans , le corps ne fut compofé
que de ces fept villes ; mais les autres fe joignirent depuis à
Tunion , à la refervc d*OIcne qui ne le trouva pas à propos
Çb) , 8c d*Hclifle qui avoit été engloutie par la mer avant la
bataille de Lcutlres, La plupart des autres villes du Pclopo-
néfe, & quelques-unes même hors de cette prcfqu ifle (^) ,
voulurent entrer dans la ligue qui fut par là plus puiffante
qu'elle n'avoit jamais écé. Mais ce corps qui s'étoit fi bien
maintenu jufquà la Préture de Philopemcn, fe dirtîpa peu à
peu , lorfque Rome y devenue la maîtrefle de la Grèce en-
tière ) mit fin à la République d'Achaïe , ordonna que cha-
que ville fe gouvernât félon fcs loix , & traita ces différent
petits Etats félon fes vues politiques, ruinant les unes 6c fa*
vorifant les autres (d).
Chaque ville confervoit fa Souveraineté à part , quoîqu'el*
les fulTenc unies à un feul corps ^ pour leur utilité & leur
(à) Vcn la cent vif^-<iuatriéme Olympiade » environ deux cens quatre-vingt^
éeux ans avant Jefus-Oirift*
{b) Strabçn ubifuprà.
(c) Idem pag, 59/. Polybe, Chap. )8 & 4) , ubifuprài Paufanîas, Lîv. 7.
ffaap. 7\ ^ ^
(d) Licfnthy avaritidy honorum cupido f faSionum ftudium ^ difcoràiét amr ^
0mnia pervtrtttum \ tr txkium tandem unhçrjk Reîpublica attraxerunt. dît Ùbbon
Eouoiuit
déferifc
D U G OU V E R N E M E N T. ipi
défenfe commune (^). Une parfaite égalité étoir le fondement
& le but de la confédération. Il y avoit non-feulemcnt ami-
tié & alliance générale entre ces peuples , pour tout ce qui
rcgardoit leur intérêt commun , mais encore mêmes Loix ,
mêmes poids 9 mêmes mefures , mêmes monnoyes , mêmes
Magiftrats , mêmes Juges ; & à cela près qu ils n'étoient pas
renfermés dans les mêmes murailles , tout le refte , foit en
général, foit dans chaque ville en particulier, étoit unifor-
me , fans que les derniers qui venoient à être aflbciés au
Corps euffent moins d*avantages & de privilèges , que ceux
qui avoient coucouru à le former (h). Pendant les vingt-cinq
premières années que le Corps n*ctoit encore compofé que de
fept villes , on créoit chaque année un Secrétaire commun ,
& deux Préteurs qui étoient comme les Capitaines & les Gé-
néraux de la Nation. On trouva à propos , après cet efpace
de tems , de n'élire chaque fois qu'un fcul Préteur. Sa dignité
étoit annuelle , mais il étoit quelquefois continué , ou au
moins le même homme pouvoit y être rappelle ; & Philopé-
men en fut revêtu jufqu'à huit fois. Le Capitaine convoquoip
Taffemblée générale & y préfidoit , ou en fon abfcnce quel-
qu'un de fes AflefTcurs. Il y avoît tous les ans deux af-
femblées fixes de ce Confeil des Achcens ; Tune fe tenoit au
Printems ; & Tautre , fix mois après en Automne. Le premier
endroit deftiné à ces aflemblées y & celui où on les convo-
quoit pour l'ordinaire , étoit la ville d'Egium ; mais dans h
fuite , d'autres villes de la confédération furent choifies ex-
traordinairement.
(a) Jujlirif Lih^^4. Cap, t.
ib) Polyb. Lib. 2. Cap, 57. G* jf.
T9me I. . B b .
15>4 SCIENCE
Telle écoit la forme de cette République y & voîcî qu'elle!
étoient fes Loix*
i^. On ne devoit point convoquer d'affemblées extraor-
dinaires , à la rcquifîtion des Ambafladeurs étrangers , à
moins qu'il ne s'agît d alliance ou de guerre (a}.
2^. Il falloit encore que les Ambafladeurs repréfentaflent
avant toutes chofes leur inftruftion & en donnaflent une co-
pie (h). C'eft un ufagefur lequel j'ai fait quelques réflexions
ailleurs (^).
3^. On ne difcutoit dans Taflemblée que les chofes pour
kfquelles elle avoit été convoquée. C*eft fur ce fondement
que les Achéens aflemblés à Argos refuferent d'écouter les
propofitions de Philippe ^ Roi de Macédoine y qui arriva à
Timprovifte (d).
4^. Il n'é toit permis à aucun peuple de la confédération ^
d'envoyer de fon chef & en particulier des Députés à une
Puiflance étrangère. Cette Ltoi paroiflbit aux Achéens de (î
grande importance , qu'ils ftipulerent , dans un Traité qu'ils
firent avec les Romains ^ que ceux - ci ne permettroient ou
ne foufiriroient rien qui y donnât la moindre atteinte (e).
5^. Aucun peuple ne pouvoit être admis dans la Ligue,
fans le confentement général de tous les Confédérés ; & ce
fut en venu de cette Loi qu'on refufa d'y recevoir les Mef-
féniens , qui demandoient avec empreflement qu'on infcrivit
leurs noms fur la colonne où étoient gravés deux des Con-
fédérés (/).
U) P^lyb. excerpt. Leg. 42. Tît. LzV. Lih, 49. Cap, 33.
(3) Polybe & Tïtt'Uyc y ubifuprà.
(r) Dans mon Droit des Gens , Chapitre premier, Seftioo J|#
(fl) Tir. Liv. Lib. 31. Cap. 25.
<f) Paufanias Lib. 7. Cap. g.pag. 544. (? 545»
tf) Poljfb. Lih 4. Cap, 5.
DU GOUVERNEMENT. ipj
6^. Si quelqu'un des Confédérés avoir des raifons particu-
lières de ne pas participera une délibération qui alloit fe
prendre par le fufFrage des autres y il avoit la liberté de fe re-
tirer de Taffemblée (/).
7^. Toutes les affaires dévoient s'expédier en trois jours ,
après quoi raflcmblée le féparoit (h).
8^. Il étoit défendu à toute pcrfonne , Magiftrat , ou fim-
ple particulier du Corps des Achéens , de recevoir des pré-
fens d'un Roi , fous quelque prétexte que ce fut (c).
Après avoir conquis (d) Tlfle de Crète ^ & plufîeurs autres -^^J^'^l*^^,
Ifles voifînes , Minos ne fongea qu'à affermir par des Loix juifcàctRÔii!^"*
le nouvel Etat dont il s'ctoit rendu maître par les armes. Il
profita de ce qu'il y avoit de meilleur dans les Loix d'Egypte,
comme Licurgue & Solon , Légiflateurs de Laccdcmonc &
d'Athènes, profitèrent dans la fuite de celles de Minos.
On ne peut douter que Minos n'ait été l'un des meilleurs *o.seiLo«x.
Rois de la terre. Il aimoit Souverainement la jufticc , & s'at*
tacha uniquement à policer fes peuples & à les rendre heu-
reux. Si fes Loix ont dre défauts , ce font les défauts de fon
fiécle. Héfiode (^) appelle ce Prince le plus Rêi de tous les
Rois mortels , c'eft-à-dire qu'il poffédoit dans un fouverain
degré toutes les vertus Royales. Il s'étoit déchargé en partie
fur fon frère Rhadamanthe de l'adminiflration de la juftice
dans la ville Capitale. Un autre Miniftre étoit chargé du foin
des autres villes qu il parcouroit trois fois l'année , pour exa-
miner fi les Loix que le Prince avoit établies y étoient exac-»
{a) Tiu Liv» Lib. 52, Cap. 2a.
ib) Ibid.
(c) Pol^b. Eclog. Légat. 4t. p. 1 180. ©• i i8t,
(d) Cent ans avant la guerre de Trojcs , ce qui jcépond à Fan du monde 171a*
Avant Jefus-Chri/l 1284.
(f) Plat, in Min. p. ^zo,
Pbij
1^6 SCIENCE
tementobfervcesj&fi les Magiftrats& les Officiers fubaltemes
s y acquittoient religieufcment de leur devoir. On peut juger
delà juflice deMinos&de celle de Rhadamanthe , par Thon-,
neur que Jupiter fît à ces deux frères , félon la Fable , en les
établiflant Juges des Enfers (a) , avec Eaque autre fils de Ju-
piter. Tout le monde fçait que la Fable efl fondée fur des
hiftSires réelles & véritables , mais déguifées fous d'agréables
emblèmes , propres à en mieux faire fentir la force. Il eft évi*
dent qu ici elle a voulu nous donner le modèle d'un Prince
accompli , dont le premier foin eft de rendre la juflice &
nous peindre le rare bonheur dont jouit la Crète fous le Gou-
vernement de Minos.
«^ Educado» Il ordonna que les enfans fuflcnt tous élevés enfemble •
Miiluairc que let
^^^ccfoitat afin qu on leur enfeignât de bonne heure les mêmes princi-
pes & les mêmes maxigies. Leur vie étoit dure & fobrc. Oiv
les accoûtumoit à fe contenter de peu , à fouffrir le chaud 8c
le froid , à marcher dans des endroits rudes Se efca'tpcs , à
faire entre eux de petits combats , troupe contre troupe y à
fouffrir courageufement les coups cpiils fe ponoient > & à
s'exercer à une fone de danfe qui fe faifoit les armes à la
main , & qu on appella la Pyrrique (h) , afin que jufqu'à leurs
divertiffemens tout reffentît la guerre & les y formât. On
leur faifoit auffi apprendre certains airs d'une mufîque mâle
& martiale. Ils n etoient inflruits ni à monter à cheval , ni à
porter des armes péfantes , mais ils excelloient à tirer de
lare , & c'étoit-là leur exercice le plus ordinaire (r) , parce
que la Crète n'efl point un pays plat & uni où des hommes
péfamment armés puifTent s exercer à la courfe y mais un pays
(a) Plat, in Gorg.p. 52 j. 6» ^26.
(b) Strabon.
(0 Plat. deLegib. Lib.2.p. ftrjv
D U G O U V È R N E M E N T. 1^7
raboteux & fourre , où des Archers & des foldats armés à la
légère , font feuls propres à tous les ftratagêmes de la guerre»
Ceft dans Tlfle de Crète que Tcpée & le cafque furent
inventés , & que mille Héros naquirent ; & c'efl de Minos
que Lycurguê prit l'exemple de faire un camp de fa Ville,
Platon (4) a reproché à ce Légiflateur de la Crète de n'avoir
envifagéque la guerre dans toutes fes Loix.
Il voulut que les repas fe fiffent en commun , pour éta- •«• . commu*
* ^ ^ nauté dcf repas.
blir dans fon Etat une forte d'égalité par la même nourri-
ture 9 pour accoutumer fon peuple à une vie fobre & fruga-
le , pour cimenter l'amitié & l'union entre les Citoyens par
la familiarité & la gayeté qui régnent dans les repas. Il avoit
d'ailleurs en vue les exercices de la guerre où les foldats
mangent par troupes.
C'étoit le "public qui fourniffoit aux dépenfes de la table
(^). On employoit une partis des revenus de l'Etat à payer
les frais de la Religion & l'honoraire des Magiftrats , l'autre
étoit deftinée pour les repas communs : ainfi , femmes , en-
fans, hommes faits , vieillards, tousétoient nourris aux dé-
pens de la République , en quoi Ariflote donne la préférence
aux repas de Crète fur ceux de Sparte , où les particuliers
étoient obliges de fournir leur quotte part , faute de quoi ils
n'étoient point reçus dans les aflemblées , ce qui étoit enex-
clurre lespauvres. Quel étonnement ne cauferoit pas aujour-
d'hui un gouvernement qui voudroit fournir les provifions
néceffaires pour les tables communes de tous les Sujets ! Et
combien cet ufage ne devoit-ilpas caufer d'embarras & avoir
d'inconvéniens \
id) Plat, de Ugib. Lib. i.
ib) Arijl. (t Repub. Lib. a. Cç. ift.
2^8 SCIENCE
Après le repâS , les Vieillards parloîent d'afFaîres d'Etat
(tf). La convcrfation rouloit le plus fou vent fur Thiftoire du
pays , fur les avions , & fur les vertus des grands homme§
qui s'y étoient diflingués , ou par leur courage dans la guerre
ou par leur fagefle dans le Gouvernement ; & l'on exhortoic
tous les jeunes gens qui affiftoient à ces fortes d'entretiens ,
à fe propofer ces grands hommes comme des modelés pour
former leur mœurs & régler leur conduite,
ft). v^n^rttîoti Un des établiflemens de M inos que Platon admiroit le plus,
^ue Minosinfpi* , , i • r • • i i i
roii pour Ici coû-etoit OU on mipiroit de bonne heure aux jeunes gens un
tumcf&lesLoix, i r ^ i . m- i a
^' & te**"*^'^" grand refpecl pour les maximes de lEtat , pour les coutu-
fonnci âgée*, mes , pout Ics Loix , & qu on ne leur permettoit jamais de
mettre en queftion fi elles étoient fagement établies , parce
qu ils dévoient les regarder non comme prefcrites par les
hommes , mais comme émanées de la Divinité même. Ce
Légiflateur avoit eu en effet grand foin d avertir fon peuple ,
que c'ctoit Jupiter qui les lui avoit diûécs {F) : artifice qui
réuflTiflbit alors , mais qui ne tromperoit perfonne aujour-
d'hui, lleft utile , fans doute, que les peuples foient fournis
aux Loix tant qu'elles fubfiftent; mais il ne Tcft pas moins
qu ils remarquent en quoi elles font défedlueufes , & quels
font les changemens qu'on y pourroit faire pour le plus grand
avantage du public.
Ce Lcgiflateur eût la même attention par rapport aux Ma*
gifirats & aux perfonnes âgées , qu'il rcccmmandoit d'honcy
rer d'une manière particulière ; & afin que rien ne pût don-
ner atteinte au refpcd qui leur eft dû , il voulut que fi l'on
remarquoit en eux quelques défauts , on n'en parlât jamais çn
pxéfence des jeunes gens,
(a) Athen, Lib, 4. pag. 245,
t)U GOUVERNEMENT. t^p
Il ordonna que le nombre des habitans fut toujours pro-^ *4. Propomoii
portionné à la quantité des fonds de terre {a) , ae peur que ^""^^/^^^^^J^ ^
ces infulaires ne fuffent corrompus par les paflîons dont Ti- fc^^"*^***'*
négâlité des biens efl la fource ; mais Tcgalité des rangs &
des biens ne pouvoir durer long-tems. Si elle borne les paf-
fions d'un côté , elle les flâte d'un autre ^ & elle efl contraire
à tous les principes d'une fage politique , qui fait fervir
l'inégalité des rangs & celle des biens ^ à l'avantage de la fo-*
ciété.
Ce n'efl pas feulement à caufe des exemples de juflice & ty.teoovir^
de valeur que cette Ifle a donnés , c'efl encore parce qu'elle <i*abord Monar-'
* ' X A chique , devin?
a appris aux hommes à nourrir des troupeaux , à profiter du wp«w««ia,
miel des abeilles , & à fe fervir du feu pour la fonte du fer &
de l'airain , que fon Gouvernement a été très-célébre. Il fut
d'abord Monarchique; mais l'autorité des Rois ne fut pas de
longue durée , elle fît place à un Gouvernement Républi-
cain (è) , & ç'avoit été l'intention de Minos.
Le Sénat qui étoit compofé de trente hommes , formoît le
Confiai public. C'étoit-là que s'examinoient les affaires 8c que
fe prenoient les réfolutions ; mais elles n'avoient de force
qu'après que le peuple y avoit joint fon fuflfrage & donné fon
approbation. Des Magiflnits établis au nombre de dix , pour
maintenir le bon ordre dans l'Etat y & pour cette raifon ap-
pelles Cofme (f) y tenoient en refpeft les deux autres corps de
l'Etat , & en faifoient l'équilibre. C'étoient eux qui, en tems
de guerre , commandoient les armées. On les tiroir au fort ,
mais feulement dans certaines familles. Ils étoienc à vie , &
(fl) Arift. Polit. Lih, a.
ib) Arifi. de RepubL L. a. Cap. JO.
ic) Ce mot Grec &gpi&o Ordç^
,00 SCIENCE
ne rendoîent compte à perfonne de leuradmîniftratîon. Ccfl
dans ceEtç Compagnie qu'on prenoit des Sénateurs.
t4. tesirji- Les terres des Cretois étoient cultivées par des efclavcs ou
¥M des Crétoi» , . . / . i t i
^toicni triiiés des mercenaires , qui etoient tenus de leur en payer tous les
ans une certaine fomme (4). Comme ils habitoient dans une
Ille , les Cretois n'a voient pas autant à craindre de leur part,
que les Lacédémoniens de la part des Hilotes , qui fe joi-
gnoient fouvent aux peuples voifins pour les attaquer. Une
Coutume , établie anciennement dans la Crète d'où elle pafla
chez les Romains , donne lieu de croire que ceux qui fer-
voient ce peuple âc qui cultivoient fes terres y étoient traités
avec bonté. Dans les fêtes de Mercure (h) y les Maîtres fer-
voicnt à table leurs Efclaves , & leur rendoient pendant ces
fctes , les mêmes offices qu'ils recevoient d'eux pendant Iç
refle de Tannée : vertiges précieux des tems primitifs qui
Semblent avertir les Maîtres , que les Serviteurs font naturel-
lement de même condition qu'eux ; & que c'eft renoncer à
Thumanité, que de les traiter duremçnt.
*7.Durée,cor, Lc bonhcur dont jouit la Crète ne finit pas avec Minos»
Go"v«ncmcnr ** Lcs Loix qu'il avoit établies étoient encore dans toute leur
vigueur du tems de Platon , c'e(l-à-dire plus de mille ans
après (e) ; mais rien n efl fiable dans le monde. Les Cretois
dans la fuite dégénérèrent beaucoup de leur ancienne répu-
tation , &: fe décrièrent abfolumcnt par un changement de
mœurs entier. Ils devinrent avares , intérefles , jufqu'à ne
trouver aucun gain fordide , ennemis du travail & d'une vie
reliée , menteurs & fourbes déclarés : enforte que cnrifcr.
(à) On les appelloit Periœci , apparemment parce qu'ils étoient tirés des peuples
4u voifinage que Minoi avoit fubjugués^
Cb) Aîken. Lib. i^.pag, 6jp.
lt)Plat,inMkios.pag.^2i^
çtoit
DU GOUVERNEMENT. 201
étoit devenu chez les Grecs un proverbe pour fignifier men^
tir & tromper. S. Paul cite contre eux comme véritable le té*
moignage d'un de leurs anciens Poètes (4) qui les peint avec
des traits bien deshonorans {b).
La République de Crére fut vaincue par Métellus. Elle fe
donna à Pompée dans la diviiion de l'Empire, Tombée en--»
fuite au pouvoir des Empereurs de Conllantiriople ^ elle leur
iiit Ibumife jufqu'au tems (e) où les Sarrazins la prirçpt & y
bâtirent la ville de Candie qui lui fit prendre fon nom. Ceft
celui que porte encore aujourd'hui cette belle grande îfle de
la Méditerranée , fous le Grand-Seigneur qui la pofféde.
L'autorité des Rois de Sparte fut abfolue jufqu'au tems de ^jj;,,^!!^^^
Lycurgue , nvais depuis que les Héraclides forent rentrés fe^Kuti^te^
dans le Péloponéfe , Sparte fut gouvernée par deux Rois •^•^y^««^»
qu'on prenoit toujours de deux familles qui defcchdoient
d'Hercule par deux branches différentes. Le defir d'une au-
torité far» bornes de la part des Princes y Se Tamour de
l'indépendance de la part des peuples , expofent tous les
Etats à des révolutions inévitables. Eurytion , l'un des Rois
de Sparte , s'étant relâché de fes droits y pour complaire au
peuple y il fe forma un parti Républicain qui devint turbu-
lent. Les Rois voulurent reprendre leur ancienne autorité ,
k peuple voulut retenir fa liberté licentieufe j les difcuffions
& les révoltes auroient caufé la ruine de l'Etat , fi Lycurgue
n'en eût prévenu les fuites par la réforme qu'il y fit.
Il y adivcxfes traditions fur le tems où ce Légiflaçeur^ a ,,. Forme de
vécu , fur fon origine , fur fes voyages i fur fa mort^ fur fes ^uT^iûr^ttcV
(a> O» cfoit que c^oâ EpiméiiMe.
. (^> Les GuéÊoh fent toujotm mentem , ce font à^ méchantes' t>8tet ^i n*al«
ment qu*à manger & à nt rie» faire. £p. de S. Paul à T'utu I2n
(c)En82j. • . i - /^ •
Tome L C ç
a02 S C I E Nt: E
Loix , & fur la forme de Gouvernement qu'il établit (i )^
Les Loix de Lacédémonc font remarquables par leur fin-
gularité: , & Lycurgue n en prit point le modèle fur les au-"
très Etats. Il imagina une forme de Gouvernement diffë^
rente de la leur ^ & forma , dans le fein même de la Grèce ,
un peuple nouveau qui n'avoit de commun avec le refte des
Grecs que le langage. Les Lacédémonîens devinrent , par
fpn moyen, des hommes uniques dans leur êfpèce, difFérens
de tQU5r les autres par leurs rifanieres comme par leurs idées
& par leurs fentimens, par la façon même de s'habiller &
de fe. tiourjir , comme par le caraûere de Tefprit & du cœur.^
' '^ " ' Dans cette forme de Gouvernement qui a trouvé quelques
Cqnfeurs entre plufieurs Pancgyriftes , deux Rois , les an4
- ' ciens 8c le peuple partageoient Tautoritc.
jo-DeuïRoif. Il y cut dcux Rois y Yutï de la branche aînée des Euriflé*
nides ou Agides , & l'autre de celle des Proclides ou Eury-
pontidcs qui étoient les cadets (i). L'émulation les tenoit
tous deux dans le devoir (c). Ils préfidoient au Sénat y 8c
leur pouvoir étoit d'ailleurs fort borné, furtout dans la ville
& en tems de paix. Ils avoient plus d'autorité pendant la
guerre , parer qu'ils commandoient les flotes 8c les armées
de terre ; mais outre le pouvoir qu'avoient fur eux les Epho-
rcs, on leur donnoit des efpeces d'Infpeâeurs qui leur te-
Doient lieu d'un Çonfcil néceffairc dans le camp (d)ySc Ton
(a) On peut voir les écUirciflèmens fur ITiiftoire de Lycurgue , par la Barre »
dans le feptiiéme Volume de l'hiftoire de rAcad6nie des Belles-Lettres de Paris.
(è) Afw eft [^ditProbuf in ÀgeJilao2 à majoribus Lacedétmoniis traditus^ ui
duos haberentfemuer Riges ex duatus ftimilns Proclis 6* Eurjfihenis . ..harum esf
aherâ'ih aberbis tocumiàonjleri Ikehat, Itdqiu utnque fuum tetinebat ordinem.
(r) DeuSfOpinor , aliquis de vobis euram gmns » geminam vobis Kegwn prcgi*
niem ex uni Stirpe produceni > ad moderationcm e$rum pouruim ttnaxiu PUt, jb
deLegik ■". r ',..».. ,
{d) Arijf. dt RfpubL Lih. z/pàg. jji.'
DU GOUVERNEMENT. aoj
choififlbît ordinairement pour cette fonaîon , ceux des Q-
toyens qui étoient mal avec eux , afin qu'aucune feutC: ne fui
diflîmulée. Les deux branches régnantes, eurent toujours unç
Xecrctte jaloufiié Tune contre l'autre , & les deux Rois hé fu?
rent jamais en bonne intelligence-
Le Sénat étoit compofc de vingt-huit Gcrontes ou Vieil- 31. vnConrtîi
iards. Il s'affembloit dans uncfalle tendue de nattes &. de
jonc , afin que la magnificence du lieu ne détournât pas Tat-?
tcntion. Là , s'examinoient les affaires 8c fc preticnêat lès rcX
folutions ; Se cette Compagnie fervoit comme de cotttrepoids
à Tautoritc des Rois , & à celle du peuplé. Quand Tune vour
loit prendre le dcfliis , le Sénat fe rangeoit du côté de l'au-r
tre , & tâchoit de les tenir ainfi toutes d^jx dans ,ua jufl4
équilibre* ... . , .-..;' j
Les Décrets du Sénat n'avoient point dp forcc^i, s'ils n'é^ 5». lc peuple
toient ratifiés par le peuple.
Cent trente ans après Lycurgue « Théophonîquc ayiant «. ^taw».
remarque que ce qui eto« reiolu parles Rois 8c par le Sénat^ ^i»^'"*
n'étoit pas toujours agréable à la multitude 9 établit des
Ephores dont la Magiftrature ne duroit qu'un an. Ils étoienc
choifis par le peuple ^ 8c concouroient en fon nom à tout ce
qui étoit déterminé par les Rois 8c par le Sénat. Ils avoienc
autorité & fur les Sénateurs & fur les Rois même. :
Les Ephores avoient encore plus d'autorité à Sparte que
les Tribuns du peuple n'en eurent depuis à Rome , ils préfî-
doient à Téleûion des Magiftrats f 8c leur faifoiént rendre
compte de leur adminiftration , leur pouvoir s'étendoit juf-
qups fur, la pejrfonne des Rois qu'ils avoient droit de faire-*
mettre en prifon 5 comme ils le firent à Tégardde Paufanias.
Dans un Gouvernement où tout étoit fingulier , une fois tous
C c ij
104 SCIENCE
les neuf ans ^ les Ephores conremploient le Ciel pendant une
nuit fereine & fans Lune. S'ils voyoient tomber une étoile ^ ils
jugcoient que les Rois avoient pcché contre les Dieux , & ils
les fufpendoient de leur dignité jufqu'à ce qu'il vint un Ora«
cle ou de Delphes ou d'Olympe qui les réhabilitât (d). Quel
fanatifme Quand ils étoient alTis dans le Tribunal , ils ne fe
leTOient point à Tarrivée des Rois, marque de refpeâ qui
étoit rendue à ceux-ci par tous les autres Magiftrats , ce qui
fembloit fuppofer dans les Ephores une efpèce dcfupériorité,
parce qu ils repréfentoient le peuple. Il eft écrit d'Agéfilas
(h) que , lorfqu'il étoit affis fur fon trône pour rendre la juf-
tice & que les Ephores arrivoient , il ne manquoit jamais de
(élever : avant lui j les Rois ne leur faifoientpas cet honneur j
car Plutarque raconte cette attention d' Agéfdas , comme lui
étant particulière^
14. Atttthe- Deux anciens Hifloriens (c) remarquent que tant que les
S^S^ Loix de Lycurgue furent exaaemcnt obfcrveés , jamais on
^^^'^' ne vit à Sparte de mouvement féditieux de la part du peuple ;
que jamais on n^ propofa de faire aucun changement dans
la manière de gouverner ; que jamais aucun particulier n'y
ufurpa Tautoriié par violence ; que jamais le peuple ne ibngea
à faire fortir la Royauté des deux familles où elle avoir toiH
jours été ; & que jamais aufli aucun Roi n'entreprit de s'ac-*
tribucr plus de pouvoir que les Loix ne lui en donnoient.
La raifon de cette fiabilité du Gouvernement des Lacédé-*
moniens , c'eft qu'à Sparte c'étoient les Loix qui dominoient
abfolumenr ^ tandis que la plupart des autres villes de la
Grèce 9 livrées au capdce des particuliers Se à une domina*
<tf) Pliaar. in Agii. jmg, So.
(à) Plutar. M AgefiL pag, 557.
(0 Xenopk in Agefil pag. e^t^Ct Poljb. Lib( 6. pag. 6^9.
DU GOUVERNEMENT- 205
tîon arbitraire y éprouvoicnt la vérité de ce que dit un autre
ancien : qu'une ville eft malhcureufc où ce font les Magif-
trats qui commandent aux Loix , & non les Loix aux Ma-
giftrats (^).
Pour maintenir le Gouvernement fans altération , on s'ap-
pliquoit avec un foin particulier à élever les jeunes gens ,
fuivant les Loix & félon les mœurs du pays , afin qu'enraci-
nées & fortifiées par une longue habitude , elles devinfTent
en eux comme une féconde nature. On accoûtumoît ainfi les
enfans , dès Tâgc le plus tendre , à une parfaite foumiflîon
aux Loix y aux Magiftrats , & à toutes les perfonnes en
place. Ce n'étoient pas feulement les petits , les pauvres , les
Citoyens du commun qui étoient fournis aux Loix ; c'étoient
les plus riches , les plus puiflans , les Magiftrats , les Rois
même. Ceux-ci ne fe diftinguoient des autres , que par une
obéiflance plus exafte , perfuadés que c'étoit le moyen le plus
fur de fe faire eux-mêmes obéir & refpeûer par leurs infé-
rieurs.
Pe-là , ces réponfes fi célèbres de Démarate (^). Xerxès
ne pouvoit comprendre que les Lacédémoniens , fans Maî-
tre qui pût les contraindre , fiiffent capables d'affronter les
périls 8c la mort. Ils font libres & independans de tous les
hommes , répliqua Démarate ^ mais ils ont âu^-deffus J^eux U
Loi qui leur ordonne de vaincre ou de mourir. Dans une au(re
occafîon où Ton s'étonnoit qu'étant Roi il fe fijt laiffé exiler ,
€\Jl y dit-il , quk Sparte la Loi eft plus puijfante que les Rois.
Pour bannir de Lacédémone le luxe & Penvie, Lycurgue sç. Pmn
voulut en chaffer à jamais Topulencc & les dépenfes. U pcr- ^^^"'^
(tf) ?lat. de Legib. Lib. 4. pc^. 71 y.
(i) Herodot. Lib. 7. Cap. /if 5. 14&
2o6 SCIENCE
fuada à fes Citoyens de faire un partage égal de tous les
biens & de toures les terres. Il ordonna que les planchers des
maifons fuffent faits avec la coignée ^ & les pones avec la
Icic , fans le fecours d'aucun autre inftrument , parce que de
tels logemens n'invitent au luxe y ni n'cxpofcnt à la dépenfe
(^). Voilà à peu près les logemens de nos Anachorètes.
^(î. Loi qui dé- Rien ne contribua davantage à faire des Laccdcmoniens
du payt aux uttc Natlon tout à fait ifolée, que la Loi qu'ils fc prefcri vi-
rent d'empccher que l'étranger n'eût une libre entrée dans
leur pays : Loi dont Lycurgue fut TAuteur , & qui a une
liaifon intime avec fes autres Loix , kfquelles , par leur lin-
gularité & leur aufléritc , rendoient celle-ci néceffaire , de
peur que les étrangers ne donnaffent des leçons pernicieufes
pour les mœurs y & que les Citoyens ne reçuffcnt de mau-
vaifes impreffions. L'entrée du pays n'etoit jamais permife
aux étrangers, fans quelque raifon confidcrable, &fans que
l'autorité publique intervînt. Nous verrons dans la fuite qu'au
Japon on ne permet pas non plus aux étrangers^ l'accès
du pays ; & nous ferons nos réflexions fur cet ulage.
Rome avilit peu à peu la dignité de Citoyen en la rendant
trop commune ; & Lacédémone , par fon extrême réfcrve à
accorder ce droit, le rendit plus eflimablc , furtout dans les
derniers tems , parce qu'alors le titre de Citoyen , devenu
moins pnéreux par la décadence des Loix , acquit un nou-
veau prix dans l'idée des étrangers.
On commença à fe relâcher de la rigueur de la Loi qui
întcrdiioit l'entrée du pays aux étrangers , peu de tems après
,. Lycurgue , parce qu'on fit tour à tour la guerre & la paix ,
avec lés mêmes formalités que les autres peuples, & que ,
(û) Plau in Ljcurg.
DU GOUVERNE ME NT. 207
pour négocier avec les Nations voifines^il fallut communiquer
avecclks-On s'en relâclia €nfuite,à Poccafion de la folcmnité
des fctes qu'on cclcbroit certains jours de Tannée; car il fu^
permis aux étrangers de venir à Sparte en être les témoins,
Gn s'en relâcha encore en faveur de quelques particuliers ou '
même de peuples entiers , que des raifons uniques rendoient
agréables à la Nation. Enfin les étrangers eurent toute li-
berté d'aller à Sparte , lorfque les Lacédémoniens fe furent
rendus Maîtres d'Athènes. Le relâchement qui s'introduifit
alors dans les mœurs , entraîna peu à peu la décadence & de
la Loi dont je parle & des principales maximes du Gouver-
nement de Sparte. Les Lacédémoniens commencèrent à re-
chercher les plaifirs & les commodités de la vie ; & il fallut
bien que les étrangers allaffcnt leur en procurer les moyens ,
puifque Lacédémônc n'avoit ni commerce ni induftrie , ni
connoiflance de la plupart des ans 8c des métiers. Les Spar-
tiates ne penferent & n'agirent néanmoins dans aucun tems
comme les autres peuples à l'égard des étrangers , non pas
même plufieurs fiécles après la ruine entière de leur Repu-
blique.
Afin d'apprendre aux Lacédémoniens à n'eftimer que les ^^^^. ^
véritables richeffes , Lycurgue décria l'ufage de l'or & de ^'«'«^^«^•^««'^
l'argent & ordonna qu'on ne fe ferviroit que d'une monnoye
de fer qui n'avoit point de cours dans le pays étranger , & qui
avoit fi peu de valeur , qu aucun particulier ne pouvoir avoir
chez lui de quoi fournir à fes befoins pendant un mois. Il
falloir une charette à deux bœufs , pour tranfporter dix mines
qui faifoient environ cinq cens livres de notre monnoye j &
il étoit befoin de toute une chambre pour ferrer une fommc
fi médiocre. Lycurgue aima mieux priver les Spartiates des
commun
208 SCIENCE
avantages du commerce avec leurs voifîns que delesexpofer
à rapporter de chez les autres peuples les inflrumens d'un luxe
dont il penfoit qu'ils pouvoient ctre corrompus. Ce Légifla*
teur ne foupçonnoit pas qu'il pût y avoir aucun autre gage
des échanges , & il trouva le fecret d'appauvrir fa Nation &
de la faire vivre comme les Derviches les plus aufleres. Ceux-
ci reffemblcroient aifez aux anciens Lacédémoniens , s'ils
avoient de plus les fatigues de la guerrç.
js. Kfpis en Pour affermir l'égalité parmi les Citoyens, Lycurgue vou-
lut qu'ils mangeaffent tous enfemble y dans des falles publi-
ques , mais féparées. Voilà le Réfeâoirç de nos Religieux,
Au lieu qu'en Crète les repas étoient à la charge du public ^
à Lacédémone y chaque famille devoit fournir fa quotte-
part (a).
Les tables étoient de quinze perfonnes, & les Rois avoient
deux portions afin qu'ils en puffent donner une (^). Chaque
fociété invitoit fon convive » mais nul n'y étoit admis que
par le confentement de tous , de crainte que la paix ne fut
troublée par la différence des humeurs : précaution néceffaire
pour des hommes d'un naturel guerrier & fauvage.
Les hommes étoient affis dans des ialles fans autre diftinc-
tîon que celle de leur âge y 8c entourés d^enfans qui les fer*
voient. En mangeant , ils s'çntretenoient des matières fé-
rieufcs , des intérêts de la patrie y de la vie des grands hom-
mes y de la différence du bon & du mauvais Citoyen , & de
tout ce qui pouvoit former la jeunelfe au goût des vertus
militaires*
(a) Chacun 7 «ppertoic par mois un boiflèau de farkiô » huit mefttres de rhi »
cinq livres de fromage , deux livre* «ç demie dç figue , Sf, quelque peu de Itu
monnoye de fiw pour acheter de la viande.
Çf) Dix XàiophoA 4e RepubL Laced.
Comment
D U G O U V E R N E M E N T. 20^
Comment ce Lé^ftateur avoit-il pu efperer que fa com-
munauté , qui né connoiflbk point de récompfertfe'étêmellè^'P
conferveroit refprit ambitieux d'acquérir-,^ ttaveirS mille Et-?' **
tigoes 8c mille périls > f^ns efpérance d'augmenter fa portion *
oti de diminuer fon travail ? La gloire feule y dénuée de ces
avantages d'un bien être qui en font prefque inféparables , ^
peut-elle être un affez puiflant aiguillop pour kinaltàade if^^
Les propos des Spartiates renfermoient un grand ^fènl en ^.j^scyk
peu de paroles. Ceft pour cela que b flyle Laconique: a'été "^^' * • *•
admiré dans toutes lies Nations, En imitaiU^ la rapidité deii
penlees, il peignoir tout dans ua moment ,& donnûit le
plaiTu: de pénétrer un fei^ profond. Les gricds 4f l^s^éli^r^^
cateffes âtttqués étoient iooinnùesà'LaiaédâiibniS'i tM ^y vou«<^
loit de la force idans les efprits comme «dans lescorj)*'.^ ^ -
Certains; jours dé fêtes folemhelles , dans une grande ènr-' 40. F{tcf <ier
ceinte entourée deplufieurs fîéges de gazon élevés en àm-^
phithéâtre i les jeunes, filles prefque nues &. lft> jeûnes gàt-^
çohi difputoient Je grpcde laj coiirfev-Jde kt: kittfeV'de-Iil *
danfe , & de tous les exercices pénibles. Les Spartiates ne'
poui^oiehtépoufer que lés filles qu'ils âvoîcnt'^ vaincues dahs
ces jeux*. . .
Le dêfrein de Lycurguey en établiflant ce&^ietes 9 ibtde .
confêrvèr & de perpétuer, lis vertus' .guerrières dahsiff Ré*^!
publique ; & ce Légillattur: qui fçavoit. combien les inclina^ i
tions des mères inilbeiùic i fur leurs . enfans , voulut que les fem- a
mes Spartiates fuffent des Héroïnes , afin qu'elles ne donnaf- .
fent à la République <iue des iHéifos* iCjèft dans cette Vue
qu'il permèttoit à des ^Ue&tiuty dins tous: les autreis tems f f
étoient fort retirées j de: paroîtrcjà ces fêtes publique* 9 d^ns v
un état contraire à la pudeur. Platon, qui veut qu'on ap]yHquc
Tomcl. • - - ' -"■'-'■' Dd^ -^
iio SCIENCE
les femmes aux mêmes exercices que les hommes {sy^ puûé
qu'il les adtnet au maniement des apures de la RépulitiqDet
n'excepte pas de ces exercices ceux oàles anciens combafr-
toienc tout nuds. Les femmes fermt , dit ce Philofophe ^
fuffifamment cotêvertes dans P arène de Fkamnèieté publique &
de leur vertu : idée qui tient moins du raifonnement d*un
Philofophe que de la pointe d'un Déclamateur ^ jeu où une
. fubçiUté lifurpe la place que la raiibn doit occuper*
41. poKce ae '. h^ perfonnes nouvellement mariées ne pouvoient fe.voir
^co^u^té qu'à là dérobée* On voûloit ménager leur ardeur^ & empe^
nunct. ^jjçj. jç dégoût qui fuit Taccompliffement des défirs* On for-
mait la jeunei&i ]^ tempérance. &i à la modération des plai-
iirs 9 ^me lespjus légitimes. lie cceur 6c le goût avoient peu
de part i Tunion dans ces mariages. Far-là y les amours fiir-^
tifs & la jaloufieétoient bannis de Sparte. Les maris malades
ou avancés en âge prêtoient leurs femmes à d'autres ^ âc les
reprenoieot esfuite y fans aucun fcrupule. Les femmes de
leur côté le regardoient plus comme appanenantâ TEtat qu'à,
leurs maris (i). /
.. . Les Spartiates ne faifoient tous qu'une même famille. Ly-
*ekii«cnfi«f. curgue avoit confié l'éducation des enfans à plufieurs Vieil-
lards qui y fe regardant comme les pères communs ^ avoient un
foin égal de tous. Ces enfans, ainfi élevés, ne reconnoiifoient
fouvent d'autre mère que la République , 8c d'autre père que
les Sénateurs. Ceft ainfi qu'on détruifoif la nature en vou-
lant la perfeâionner.
. On leur apprenoit principalement à bien obéir, à fupporter
U travail , à vaincre dans les courts , à montrer du courage
contre la douleur 8c contre la mort. Ils alloient la tête 8c les
(a) LiA.5. de Repa bl.
ii) Plutar^ue dm la yk de Lyciugue Tome premier page 141.
DU G O tJVËflNËM ENT- âa
pieds nuds, couchoient fur des rofeaux 8c mangeoienttrès-peu>
^encore falloit-îl qu^ils |)ri{renc ce peu par addrefle daiis les faiet
pubtic]uesdesGonvives.Le larcin àioitpermisàla jeunefle,^ H
^oit même honorâble.On voulok âcoûtumer les enfans defUnÀ
pour la guerre à furprendre Tattendon de ceux qui veilloient
fur leur conduite ^ 8c à s'expofer avec courage aux punitions
les plus féveres^ s^ils manquoient de TadrefTe qu^on exigeoic
d'eux. Ce n'étoic qu^aux enfans qu*il étoit permis de voler y
^ il ne leur ^toit permis de voler que les fruits des jardins 8c
les provifions de bouche* S'ils étoient découverts ^ on les
trhâtioit & on les faifoit jeûner (d)^
On éprouvoit la patience des enfans devant Tautel de Dîa-*
ne fumommée Orthia ; ils y étoient fbiiettés jufqu^au fang^
& quelquefois jufqu'à perdre la vie ^ fans poulfer le moindre
gémilfement. Dans un de leurs lacrifîces ^ un charbon ardent
ayant coulé dons la manche d'un enfant Lacédémonien qui
«ncenfok , il fe lai(fa brûler le bras , au point que Fodeur de
la chair brûlée vint auxafliftans^ fans que cet enfant eût don-
né aucune marque d'impatience (^). Un autre enfant qui te-
noit caché fous fa robe un RtnardcM qu'il avoit dérobé^ fe
iaifla déchirer le ventre par cet animal jufqu'à en mourir ^
|)lutôtque de découvrir fon larcin {c).
Les Spartiates fe croyoient moins faits pour connoître que ^,. i^ j^^^
pour agir. Ennemis de l'orfîveté , ils voyoient non-feulemerit dSSie'^u " S
<ie l'inutilité , mais du danger à fe rendre habiles dans des s^ca^bonl
fciences trop rafinées, qui ne fervent qu'à crâter Teforit & qui d^^o'em à
iqu à corrompre le coeur. Lycurgue ne négligea nen pour ré- «le» MagiUra» ,
veiller dans les ienfans le goût dé la pure raifon , 8t pour •»« poiiuquef. *
' (a) Vaf€t Phttàr. in tycufg. pag. sa & Xencph, de RefubL ÎMtddmoiu Cap.
•. $. 7. O'feq.
(b) Plutar. dans la Tk de Ljcuigutt
(r> La même. D d î j
212 SCIENCE
.donner dé la force à leur jugement , mais toutes les conhol^
lances qui ne fervpient point à former aux bonnes mœurs ^
écoienc regardées comme des occupations inutile^ & danger
Teufes. Il étoit pafle en proverbe parmi les Grecs, quon aU
loit à Athènes pour apprendre à bien dire; & à Sparte^
pour apprendre à bien faire ; que dans Tune nailToient I^s
critiques , les Grammairiens , les Rhéteurs > les Orateurs ; &
dans l'autre, les Magiflrats , les Guerriers, les Politiques.
44.TravaM& Lcs Hllotcs ctoicnt les habitans d'une ville que les Lacé-
fat«<i«Hiicicî. démoniensavoientfoumifeen s'établiflantdanslePcloponèfe^
qui s ctoient enfuite révoltés , & que les vainqueurs en puni-
.tion de cette révolte , avoient feit leurs eliclaves. Le nombre
de ces efcUves s'accrut confidérablement dans la fuite , âc
les vainqueurs donnèrent le nom d'Hilotes à tous ceux qu'ils
rédùifirent en fervitude. Comme les Lacédémoniens ne ret
piroient que la guerre , ils firent exercer les métiers 8c con*
fièrent la culture des champs à ces efclaves , en affignànt à
chacun d'eux une certaine portion de terre dont il devoit
Tendre le fruit tous les ans à fes Maîtres. Outre ces Efclaves^
Laboureurs ou Artifans, il y avoit une autre clafTe d'Efclaves
domefliques , qui n'étoient employés qu'aux offices du mé-
nage* Les Hilotes efclaves tout à fait des particuliers & du
public , étoicnt traites avec cruauté j& c'eft par une fuite de
l'extrême mépris que l'on avoit pour eux,' qu'on les forçoit de
boire jufqu'à s'eny vrer , & qu'on les expofoit dans cet étaç
aux yeux des jeunes Lacédémoniens à qui on vouloit infpî-.
rcr l'horreur de ce vice. Plutarquc blâme la févérité avec la^
quelle les Lacédémoniens traitoient les Hilotes (a) j mais les
Lacédémoniens vouloient empêcher un peuple nombreux de
(a) Plutar. in Catonepag. $38. &• 3ig.
D U G O U V E R N E M E NJT. ^i j
ic révolter , & des hommes qui étoient fi févéfes pour eux-
mêmes, n'avoient garde de s'abftenir de Têtre pour leurs
•efclaves.
Les exercices par lefquels on fe préparoit à difputer le 45.occuptdbnt
* * ■ ^ 1 r guerrières dei
prix aux jeux. Olympiques , étoient le feul travail des Gi- i^'^^f/u,'^^"^^^^^
toyens-de Laccdémône* Les Spartiates regardoient commie ^c^^^u guerre,
vicieufe toute occupation qui le bornoit au fimple entretien
du corps. Les plaifirs tranquilles & le doux loifir qu'on
goûte dans une vie champêtre, parurent à Lycurgue con-
traire au génie guerrier. Il occupoit fans cefle fes Lacédé^-
monicns à tous les travauXs de la guerre , & furtout à mar-
cher , camper , ranger les armées en bataille , défendre , at-
taquer , bâtir 9 détruire des forterefles. Par-là , le Légilla-
teur vouloit entretenir dans les efprits , pendant la paix ,
une noble émulation , fans exciter la haine & fans répandre
le fang. Tous y difputoient le prix avec ardeur , & les vain- - • l
eus fe faifoient gloire de couronper les vainqueurs. On ou-
blioit les fatigues par les plaifirs qui accompagnent ces fpec-
tacles ; & ces travaux empêchoient que le repos n'amollît
les courages.
Les Lacédémoniens avoient pour règle invariable de cam-
per fûrement^ afin de n^être jamais obligés de combattre
malgré eux. Ils modéroient ^ dans le tems de la guerre , la
févérité des exercices & Taullérité de la vie. Ceft le feul peu-
pie à qui la guerre ait été une efpece de jrepos > ils jouifFoient
alors de tous les plaifirs qu'on leur refufoit pendant la paixw
Lycurgue leur avoit défendu de faire long-rems de fuite la
guerre à la même Nation , de peur de Taguérrir. Dès que
Tarmée ennemie étoit en déroute , il vouloit qu'on exerçât
envers les vaincus toute fone de clémence > parun fentimenc
«î4 SCIENCB
d^humanité 8t par une raifon de politique. Par-li^ ils adoih
xiiToient la férocité de leurs ennemis ; refpéranced*êtrebieft
traités , s'ils rendoient les armes 9 les empêchoient de fe Ir*
vrer à cette flireur qui efl fouvent fatale aux Viâorieux»
La République de Sparte étoit un camp toujours fubfiC^
tant , une afiemblée de Guerriers toujours fous les armes.
Des hommes élevés uniquement pour la guerre ^ qui n^one
d'autre tsavail , d'autre étude , d'autre profeflion que celle
de fe rendre habiles à détruire les autres hommes 9 doivent
€tre regardés comme ennemis de toute fociété j de tout cefti^
merce. Se détacher du refte du genre humain ^ fe regarder
comme fait pour le foumettre ^ c'eft fe déclarer ennemi de
tous les hommes. En accoutumant chaque Citoyen à la fru«
galité^ Lycurgue auroit du apprendre à la Nation en gêné»
rai à borner (on ambiti<»i.
4s.u<knmr» La tempérance des Spartiates & Tauflérité de leur vie
fiuncitt de Lacé* # «^ %
démonemdoimé étoient û grandes , que les autres Nations eftimoient qu'il
en coût genre des ^ ^ l a
SS*^ a^î valoit beaucoup mieux mourir , que de vivre comme eux. U
9tiê'4é&Q»aa. n'çft p^ ^ifé en rffet de concevoir comment les maximâs
aufteres de Lycurgue purent être adoptées* On voit durs
toutes fes Loix une République entière fe !mer aux maxi-
mes d'un Philofophe chagrin. Il obligé des hommes qui >
aimant la vie > doivent aimer leurs aifes , à fe priver de todl
ce qui Eut l'attrait des hommes les pbs fages ^ Ar cependant
ces mêmes hommes 4)âtirent à Lycurgue un Temple comme
« un Dieu (m). Quelle bizarrerie qu'un Gûuvememem où h
fortune des Roiis n^étoit attachée qu'au bon plaifir d'un Ephoit
qui avoir vâ*comber une étoile 9 ait fubfiilé fî long- teffisl
. (a) Paufaniu > Voyage Hiittriqae 4e U Cxict au Ivh i • )ui contîcivt k t^Tfgi
4c Raconte.
D tr G O ty V B R N E M EN T. Uf
S^porte eft encore le M pays qui fe foit accommodé de deux
IVois , aâuelIeflMQic vivans tous deux dans la même enceinte »
comme C\ ce Gouvememenc avoit dû donner des exemples
finguliers en coiic gç^n^e; Ec néanmoins , ce phénomène Hf-
torique ne dura paf Amplement pendant quelquos anoé^^t
mais pendant pluTieurs fiédes. 'là > on voit des exemples de
fàgelTe , de retenue , & de valeur qui paroifTent au-deifiis df
l'humanité. » L^Etat des Laeédémoniens (dit l'Orateur Ro-
a.main) eH fi renpmmé par l'excellence d'une valeur que la
«nanire Se la dUoplincom aSëtmie qu'ils ibnt ks ieuls dans
» toute l'étendue de la terre qui vivent depuis plus de fept
a» cens ans » (hivanc les mêmes Coutumes , & iàns avoir ja«
»mais rien chan^^é à leurs l^ix («) «•
Cette conftitution d'Etat n'avoit point d'exemple £ir la
terre avant Lycurgue , & ce Légiflateur qui n'avoit imité per-
fonne » n'a été ainfî finvi de perfonne. Nous avons une pen-
te naturelle à admirer ce qui de loin nous paroît enveloppé
dans une myftério^e pbfcurité ; & c'efl peutêtre à cette dif-.
ficulté de les pénétrer , que les Liacédémoniens font en partie,
redevables de tant d'éloges que les Auteurs leur ont prodi-
gués dans tous les tems. Il n'y a aucun fujet de douter que
les Ecrivains qui ont élevé ce Gouvernement jufqu'au Ciel ».
ne foyent allés trop loin. Il &ut bien que ks Loix de Lycur-
gue ayent paru meilleures dans la théorie y qu'elles ne l'é-
coient dans la pratique , puifque les Politiques étrangers ne
les prirent jamais pour modek » 6c que les Laeédémoniens
^ix-mêmes ne purent ou ne voulurent jamais les établir > ni
dans leurs colonies, ni dans leur pays de conquête (^). Nu-
la)S»li orbe ter;:arumfeptingtitttfiam annts gagtm i(nw# mtri^ tg nw^m
Wtttt9tis Legibus vivunt. Uctr.
. ib) Ifocrtu* Païutth,
xu
2i6 SCIENCE ''
ma , fe fervant d'un Laccdémonien pour rédiger les (îennes ,
les fit pourtant, pour la fubftance, très-diffërentes de celles
de Lacédémone (a) ^ 8c lorfque les Romains envoyèrent de-
puis chercher dans la Grèce les loix les plus fages & les plus
célèbres, pour examiner Tufage qu'ils en pourroient faire ,
ce fiit aux Athéniens & non aux Lacédémoniens qu'ils s'ad-
dreflbient.
Fîn du L'amour de l'or & de Targent fe gliffa enfin dans Sjparte
S ûibfiftc"l^anl (}) î & à la fuite des richefles , l'avarice , le luxe , & la vo- '
dlnriei uaiZ^^ lupté qui en font prefque inféparables , y trouvèrent accès.
Cette ville fe vit déchue de fon ancienne puiflance , & elle
fut réduite dans un état d'humiliation qui dura jufqu'au tems '
du règne d'Agis & de Leonide. Le partage des terres que ■
Lycurgue avoit fait, s'çtânt cependant confervé, avoir fuf-
pendu pour quelque tems le mauvais effet des autres abus J
mais on donna atteinte à cet établiifement , par une loi qui
permettoit à tout homme de difpofer de fon vivant de fa mai*"
fon & de fa terre , ou de lès laifler par fon teftamcnt à qui il-^
voudroît* Cette nouvelle loi qui changeoit le nombre des
héritages que Lycurgue avoit établi , acheva de faper le .
fondement de la police de Sparte, Ce fut un Ephore nommé
Epitade qui la fit pafler , pour fe venger d'un fils dont il étoit
mécontent. Il en coûta la vie à Agis , pour avoir voulu ré^
tablir les loix de Lycurgue. Elles furent néanmoins rétablies
fous Cléoménes fils de ce même Leonide qui s'étoit oppofé *
aux vues d'Agis fon collègue dans la Royauté. Cleomenes
fc fon frère , Roiaveclui (^) ,^ furent vaincus par Antigone 5
(a) Plutqr, in Numi^
ib) Plutitt in Agid.pà^. y $6, 8oi.
le) Cç fut Tunique fois ^uc l'on vit deux Rois de U même famille fur le tt$ûO. '
et
DU GOUVERNEMENT. 217
& Sparte pafla aînfi fous le joug des Rois de Macédoine (a) ;
mais lorfque les Spartiates fiirent fournis dans la fuite par
Flaminius, ils obtinrent de la République Romaine la con-
fervation de leurs anciennes Loix.
Leurs Defcendans , comme tous les autres Grecs , gémiflent
fous la domination du Grand Seigneur,fi j'en excepte les Mai^
notes ^ & cette exception mérite bien de trouver ici fa place.
Les AldfMtis font des Defcendans des anciens Lacédémo-
niens , qui confervent encore aujourd'hui, par leur valeur,
la fupcrioritc que leurs pères avoient fur les autres Grecs,
ils ne forment qu un corps de douze mille hommes de guerre,
& cependant les Turcs n'ont pu encore ni les fubjugucr nî
les réduire à leur payer tribut. Les Vénitiens , dans le tems
qu'ils étoient les Maîtres de la Morée , ne purent jamais réuffir
non plus à les foumettre aux Loix de Venifc. Ce nom mo-
derne de Mainotes leur a été donné , d*un mot Grec qui fîg-
nifie Furie , parce que lorfqu ils vont au combat , ilsfe jettent
fur Tennemi avec une efpece de fureur. Le pays que les Mai-
notes habitent , eft tout environne de montagnes , & c*efl ce
qui en fait la force (J?).
Le Gouvernement d'Athènes varia plufieurs fois. Après 48.Athèn«eiie
avoir été long-tems fous les Rois , puis fous les Archontes , mes de oouvcr-.
cette Ville rendit fon Gouvernement populaire. Elle vécut diferfei révoiu-
* * rions , jufqu'a*
enfuite fous le pouvoir tyrannique des Pififlratides. Sa li- "jJ*i^^cn%S!
berté, recouvrée bientôt après , fubfifta avec éclat jufqu'à^*"'^**"'*'***^
réchcc de Sicile & à la prife d'Athènes , par les Lacédémo-
niens. Ceux-ci la foumirent aux trente tyrans dont Tautorité
ne fut pas de longue durée , & fît encore place à la liberté.
ici) L'an du monde 5782 , avant Notre-Scîgneur 223 ani*
ih) Voyez rHiftoire de l'Empire Ottoman par Cantimir , pag. 484 du croifiémt
Volume de la Tradudlion Françoife » imprimée à Paris en 1745*
Tome I. E c
2x8 SCIENCE
Elle s'y conferva au milieu de divers évcnemcns ^ pendant
une aflez longue fuite d'annccs , jufqu a ce que Rome eût
enfin fubjuguc la Grèce & Tcût réduite en Province Romaine.
49. Des Roif Athènes , dans fa naiflance 9 eut des Rois 9 mais des Rois
qui nen avoicnt que le ne m & qui nctoient pomt ablolus y
comme le furent les premiers Rois de Lacédémone & ceux
de Thèbes (a). Ils ctoient moins les Souverains que les pre-
miers Citoyens de TEcac. Les Magiflrats ctoient plutôt leurs
Collègues que leurs Miniflrcs. Ces premiers Rois d'Athènes
relTembloient à ceux qui long-tems après ^gouvernèrent la
Germanie , & dont un Hiftorien célèbre a dit qu'ils avoient
dans le Sénat une voix , plutôt pour confeiller que pour com-
mander ; & que fi , de leur propre autorité , ils terminoient
de petites affaires y ils confultoient les peuples dans les gran-
des (ù). Toute lapuiflance des Rois d'Athènes , prefque ré-
duite au commandement des armées pendant la guerre ^ s e-
vanouiflbit pendant la paix.
On comptoit dix Rois à Athènes depuis Cécrops jufqu'à
Théfée , & fept depuis Théfée jufqu'à Codrus qui s'immola
lui-même pour le falut de la patrie. Ses enfans , Médon &
u.'ilce, fe difputerent le Royaume. Les Athéniens , fatigués
d'une gu.:ie intefline , en prirent occafion d'abolir la Royau*
té , & déclarèrent Jupiter le feul Roi d'Athènes : Théocra-
cie bien chimérique !
50. De» Ar. -^ ï^ P^^c^ d^s Rois , ils Créèrent , fous le nom d'Archon-
tes , des Gouverneurs perpétuels. Il y en eut treize qui rem-
plirent fucceflivement un peu plus de trois fiéclcs(^), à
O) Voyez le portrait que font de Théfte , Sophocle dans fon Edipe à ColoBtf
oc Euripide dans fcs Suppliantes,
(i) Taciî, de mgribus Germançrum.
ic) li^aos.
choucet.
DU GOUVERNEMENT. 21^
compter depuis Médon jufqu'a Alcméon. Le nom d'Archonte
étoit affedé au Préfidtnt ; & néanmoins il y en avoit neuf
dont fix étOitm3Lppel[é%Thefmo fêtes ou Légiflateurs. Parmi
les trois autres , il y avoit un Roi , un Préfident , & un Po-
Icmarque. ^
. La Magiftrature perpétuelle parut encore aux Athéniens
«ne image trop vive de la Royauté. Pour en anncantir juf-
qu'à l'ombre , ils établirent des Archontes décennaux. Il y
çn eut ifept , dont le premier fut Charobes y Se le dernier
Erix. '
Ce peuple inquiet & volage ne fe borna pas là. Jl ne vou-
lut que des Archontes annuels , afin de reffaifîr plus fouvenc
Tautorité fuprême, qu il nc;^ransfcroit qu'à regret à fcs Ma-
giftrats. Les Archontes annuels dont Oréon fut le premier,
gouvernèrent long- tems ; mais une puiflance litnitée conte-
noit mal des efprits fi rémuans. Les fadiojnç, les brigues, &
les cabales renaifToient tous les jours.
Alors le peuple jugéoit de tout en dernier reffort. L'Aréo- ^i.DerAr^o-
page , fondé par Cecrops ou par Sojpn, ce Tribunal Ci ré- xnbunaw'd'A!
véré dans toute la Grèce 8c fi célèbre par fon intégrité, qu'on
difoit que les Dieux mêmes avoieot dftféré à fon jugement, (ii),
n'avoit plus d'autorité. Les Aréopagifles n'écoutoient les
Avocats que dans les ténèbres , polir avoir une attention
plus recueillie , 8c pour fe garantir de la fédudion des talens
extérieurs. Il y a fans doute beaucoup à rabattre des éloges ^
qu'on a prodigués à ce Tribunal , & je mets ici deux grands
exemples de fon peu de pénétration. 1^. Protagoras étoit
convenu avec Evathle de lui enfeignef la Rhétorique moyen-
(a) Quelques Auteurs prétendent que h première Çaufe qui fut plaidee dans
TAréopage fut celle du Dieu Mars accufé-d*aroir fuà Neptune. Qudques autfes i
que l'Aréopage condamna Mars d'aduWrc. .'.....
E e ij
210 S C î E N C È
nant une fomme qui lui feroit payée , fi fon Difcîple gagnoît
fa première caufe. Evathle inftruit refiifa de payer fon Maî-
tre. Ce Profefleur les pôurfuivit devant les Arcopagiftcs , 6c
dit à fes Juges : • Tout jugement fera décifif pour moi ,
» quand il feroit di£lc par mon adverfaire. S'il m'eft favora-
» ble 9 il portera la condamnation d'Evathle. S'il m eft con-
» traire , il lui fera gagner fa première caufe & le rendra
» mon débiteur fuivant notre convention* J'avoue ( répoh-
i> dit Evathle) qu'on prononcera pour ou contre moi ; maïs
» Tun & lautre événement m'acquitteront envers vous. Si
* r Aréopage prononce en ma faveur , il vous condamne. S'il
» prononce pour vous j je perds ma caufe, & je ne vous dois
» rien aux termes de notre convention «. L'Aréopage ne
put déterminer le jugement d'une caufe qui lui parut trop
difficile (a). 2^» Une femme avoit fait mourir Ion mari 8c le
fils de fon mari , coupables du meurtre d'un fils qu'elle
avoit eu d'un premier mariage. Elle fut accufée devant
l'Aréopage. Les Aréopagiftes ne purent fe réfoudre à la
condamner, à Caufe de la jufte douleur qui avoit excité fa
vengeance , ni à l'abfQudre , à caufe de Tatrocité de fes cri-
mes. Ils ajournèrent les Parties à comparoître dans cent
ans (^).
On comptoit à Athènes dix autres Tribunaux , quatre
pour les matières criminelles , fix pour les affaires civiles.
Les Juges étoicnt éleftifs & étoieht appelles au foin de ren-
dre la juftice aux particuliers , ou par le fort , ou par l'élé-
vation de la main , ou enfin par le fcrutin , à la pluralité des
bulletins. Ces Juges étoient tous pris dans le nombre d«
<a) AulugeU, no9. att.Zib. 5. Cap. 10,
Çb)yaLMafc.Lib. s.Cag.i.
D U G O U V. E R N E M E N T. 221
aîfés , ainfi que Solon Tavoic ordonné par une Loi fpéciale ;
& ceux dont k tête feule pouvoit répondre de leurs ac-
tions , n'avoient aucune^ part aux affaires. Pour mieux atta-
cher à leur devoir ceux qui étoient élus , on vouloit qu'outre
des biens fonds dans Tattique , ils euffent des enfans ou qu'ils
promiffent de fe marier.
Athènes demeura ainfi long-tems hors d ecat d'étendre fâ ^t , cncon ,
domination ; trop heureufe de fe cônferver au milieu des dif- thcn». ^
fenfions qui la déchiroient. Comme les Athéniens n'avoicnt
point d'ennemis au dehors , la liberté mal entendue leur en
fufcitoit au dedans. Ils fe déterminèrent à changer la forme
de leur Gouvernement. Ils crurent que des Loix écrites fc-
roicnt plus refpedées que la voix des hommes. Dracon (a)
fut leur Légiflateur. Ses Loix furent fi févéres , que Démades
en prit occafion de dire qu'elles avoient été écrites j non avec
de l'encre , mais avec du fang (^). Elles étoient en effet fi peu
mefurées j que la plus légère faute y étoit punie de mort com-
me le plus énorme forfait. Un homme convaincu de vivre
dans l'oifîvcté , ou d'avoir dérobé quelques légumes , avoir le
même fort qu'un brigand ou qu'uni voleur de grand chemin.
La fin de ce Légiflateur fiit tragique , mais glorieufe- Un
jour qu'il parut fur le théâtre 9 il fut reçu aux acclamations du
peuple qui , pour lui marquer fonrefpedl , félon l'ufagc de ce
tems-là , lui jetta de toutes parts une fi grande quantité de
robes & de bonnets , qu'il fut renverfé & fuffoqué fous ce
grand nombre de vêtemens.
Les Loix de Dracon eurent le fort des chofes violentes ,
le non-ufage les abrogea bien vite ^ elles ne durèrent que
(a) Qui vivoit Tan ^24 avant FEre ChrédeoBe 1 Tcrs te trcnce-ncuvi^me OI70H
piade*
(i) PlutMT. in Scknc
222 SCIENCE
vingt-fix ans. On voulut non pas rompre ^ maïs relâcher le
frein de la crainte ; & pour trouver les adouciflcmens qui
rêvaient bien à la Loi ce qu elles lui coûtent , on jetta les
yeux fur un des plus vertueux hommes de fon ficelé.
%%. soion u- Solon , Tun desfept Sages de la Grèce (4) , s'croit aban-
p ^atcur i c- ^^^^^ j^^^ £^ jcunefle au luxe, à Tintcmpcrance , & à toutes
les pafiTions de cet âge ; mais Tamour des fcicnçes l'en guérit
Il s'appliqua à Tétude de la morale &: de la politique, 8c ces
connoiffances eurent pour lui des charmes qui le dégoûtèrent
bientôt d'une vie déréglée. Il forma le deflein de fécourir fa
patrie & communiqua fcs vues à Pififtrate qui defcendoit de
Cccrops y comme Solon defcendoit de Codrus.
Les Athéniens h choifirent pour chef d'une expédition
contre les Mcgaricns , qui s'étoient emparés de Tifle de Sa-
lamine. Il fit armer cinq cens hommes , débarqua dans Tifle,
prit la ville , & en chaffa les ennemis. Ils s opiniâtrerent à
foûtcnir leurs prétentions ^ & eurent recours aux Lacédé-
moniens qu'ils firent Juge s du différend. Solon plaida la caufe
commune & la gagna» Les Athéniens, dont il vcnoît, par
ces deux avions, de fe concilier la bienveillance , le prefle-
rcnt d'accepter la Royauté , mais il la refufa. Il fe contenta
de la digniré d'Archonte, & fut autorifé à régler, comme il
le jugeroit à propos , les aflcmblces , les contributions, les
jugemens , les tribunaux , & tout ce qui lui paroîtroit le plus
néccflaire & le plus utile à la conftitution de l'Etat.
U' «)ion hît L'une des caufes des troubles^ c'étoit la richeffe exceffive
r«?&'nVve« des uns &la pauvreté extrême des autres. Cette trop grande
ajformais crnga- incffalitc , nuiublc dans tous les Etats , & étonnante dans un
f :r là liberté en ^ ^
(rmpruotam,
(a) Il naquit à Athènes la fcconde année de la trcnte-cîn^ui^me Olympiade g
6i^ ani avant Jefus-Ciinll.
D U G O U V E R N E M E N T. 223
Çouvc^nement populaire , caufoic des difcordcs éternelles à
Athènes , comme elle en produifît dans la fuite à Rome. Pour
diminuer les maux publics , Soloti après avoir remis toutes
lesfommes qui lui ctoienc dues, fît acquiter les dettes, affran-
chit les efclaves qui lui appartenoient , & ne voulut pas qu il
fut déformais permis d'engager fa liberté en empruntant. jy.nfupprjme
Une autre fource des maux des Athéniens, cetoit la mul- e"n^&enf^^"^
tiplicité des loix, Solon rejetta toutes celles qui ne fervoient *^"'^*'"""
.qu'à exercer le génie fubtil des Sophiftes & la fcience des
Jurifconlultes , il n'en réferva qu'un petit nombre qui ctoicnt
fimples , courtes , & claires.
Il fixa des termes pour finir les procès , & ordonna des
punitions rigoureufes & deshonorantes pour Içs Magiftrats
qui étendroient les conteftations au-delà des tems prefcrits.
Il abolit enfin les Loix trop fcvércs de Dracon , qui pu-
nifToientles moindres foiblefTes comme les plus grands cri-,
mes ; proporticnni les punitions aux fautes ; & ne flatua
aucune peine contre les parricides , perfuadc que la nature ne
produit pas de tels monflres.
Il ne voulut pas , comme Lycurgue, que les cnfans fuflent ^6. npourroit
élevés dans l'ignorance. Il ordonna -qu'ils s'appliquafTent à cnf«^r'*°°
toutes les fciences fpéculatives qui fervent & à exercer & à
former l'efprit pendant la tendre jeunefTe , afin que , dans
un âge plus mûr , ils étudiafTent les Loix , l'hiftoire , la poli-
tique , pour connoître les révolutions des Empires , les cali-
fes de leurs établiffemens , & les raifons de leur décadence.
Il ordonna à l'Aréopage de veiller à cette éducation des '
enfans.
Le goût effréné des Athéniens pour le plaifir demandoit jf.iifaitferrîr
4cs amufemens & des fpeûaclcs, 5olon fentit qu'il ne pou- nnfim^ioïi to
224 SCIENCE
voit conduire ces âmes indociles , qu en faîfant fervîr â la
politique le penchant qu ils avoient aux plaifirs 9 afin de les
captiver &Jde les inftruire. Il leur fit repréfenter dans ces
fpeâacles les fiineftes fuites de leur défunion 8c de tous les
vices ennemis de lafocicté. On jouoit fur le théâtre ce que la
Grèce avoir de plus grand & de plus vertueux ^ avec la mê-
me liberté qu'on jouoit le citoyen le plus brouillon & le plus
féditieux. Généraux, Magiftrats, Gouverneurs , Dieux mê-
mes, tout étoit livré à la verve fatyrique des Poètes (a).
Les Athéniens , affemblcs dans un même lieu , paflbient ainfî
des heures entières à entendre blâmer leurs propres vices y
& ils auroient été choqués de préceptes & de maximes. Il
falloit les éclairer, les réunir , & les corriger , en paroiflant
vouloir Amplement les amufcr.
5«.iivtvoyi. Les uns blâmoient les Reglemens de Solon , les autres
5er ; & de rcBOur ^
f/b^rnc'à^rtfi" fcigi^<>i^nt de ne les pas entendre. Quelques-uns vouloient y
^%^,*';jj'^f"g ajouter , d'autres vouloient en retrancher. Solon, qui ne
^^^* • pouvoit pas réformer lé génie du peuple , & qui n avoit pas
l'autorité de faire exécuter les Loix qu'il lui avoit données ^
alla annoncer à Pififlrate qu'il fe retiroit pour dix ans. Il le
pria de prendre les rênes du Gouvernement , de tâcher de
faire exécuter fes Loix pendant fon abfence , de ne pas pren-
dre le nom de Roi , de fe contenter de celui d' Archonte.
Solon fe retira en effet , 8c alla voyager en Egypte & en
Afie.
Pififlrate ne fuivit pas le confeil de Solon , il s'attribua la
Souveraine puiffance , & abolît l'ancien Gouvernement. Trois
fois il monta fur le trône , & trois fois il en fut chaflTé. Il s'y
(a) Ariftophane 9 dans fes Comédies , reproche partout aux] Athéniens leurs
^ défauts , & il attaque diiedement les premières têtes de l'Etat. Jamais les Dieux
n'ont ^té traites avec moins de refpeél ^ue dans les Comédies de ce Poëte.
rétablit.
DU GOUVERNEMENT. 225
rétablît. Son adreffe & fon courage Ty élevèrent, fa douceur
& fa modération Ty maintinrerxt après plufieurs revers. Son
Gouvernement , qu il fçut conferver trente ans durant , au
milieu de toutes ces vlciffitudes-, fit honte à plus d un Sou-
verain légitime > mais les Athéniens firent éclater leur fuyeur
contre la poftérité de Pififtrate. Il en coûta la vie à Hyppar-
que fon fils & fon fuccefleur ; & Hippias fon autre fils fut
chafle dAchcnes. Les refies de la famille de Tufurpateur
n'eurent pas un fort plus heureux.
Solon , de retour dans fes voyages , fixa fa demeure fur la
colline de Mars où fe tenoit le fameux Confeil de l'Aréo-
page , près du tombeau des Amazones. Il ne fe mêla plus
du Gouvernement , & fe contenta de préfider à l'Aréopage
& d'expliquer fes Loix , lorfqu'il s'élevoit quelque difpute.
Les Athéniens tiroient tous les ans au fort cinq cens Se- ^Jçl^^^^^^
nateurs , c'eft-à-dire cinquante dans chacune des dix Tribus d^i^d^^r^î
qui compofoient la République. Tour à tour chaque Tribu ^^**"'
avoit la préféance & la cédoit aux autres. Les cinquante Sé«
nateurs en fonûion fe nommoient Pry/^»^^. De -là le terme
de Trytanée employé pour fignifier le lieu où les Prytânes
avoient coutume de s'afTembler. De-là aufli le terme de Pry^
unie^ pour défigner les trente-cinq outrente-fix jours qu'ils
étoient en exercice. Dans cet efpace de tems , dix d'entre
les cinquante Frytânes préfidoicnt alternativement par fe-
maine fous le nom de Pro'édres^ Chacun d'eux avoit fon jour,
& celui à qui la Préfidence étoic échue , s'appelloit Epifiatr.
On ne pouvoit l'être qu'une fois en fa vie , de crainte qu'on
ne prît trop de goût à commander. Les Sénateurs des autres
Tribus avoient cependant le droit d*opiner félon le rang qui
^voit été réglé par le fort. G étoit aux Prytânes à convoquer
Tomcl. Ff
a2(f SGI E N C E
râflemblée ; aux Vrotires , à en expofer le fujet ; & à T^-;
fifititc , à aller aux voix & à prononcer fuivant la pluralité
desfuffrages.
éo.Arembiées Lcs affemblces du peuple fe tenoîent de grand matin •
du peuple oïl réfl-
dott la souurai- tantôt dans la place publique , quelquefois au théâtre de
Bacchus 5 & le plus fouvent dans un endroit d'Athènes oit
étoient difpofés grand nombre dé fiéges. De ces affemblces ^
les unes étoient ordinaires & fixées à de certains jours , fans
convocation ; d'autres , extraordinaires félon les bcfoins , ^
le peuple étoit averti de celles-ci.
Cctoient les Pry tanes qui , pour Tordinaire , affembloîent
le peuple. Quelques jours avant Taffemblée , on affichoit des
placards , où le fujet fur lequel on de voit délibérer étoip
marqué.
On avoit foin d'écrire fur un Regiftte le nom de tous les
Citoyens à qui la Loi accordoit voix délibérative. Ils Ta^
voient tous après l'âge de puberté , à moins qu'un défaut
perfonnel ne les en exclût. Tels étoient les mauvais fils ^ le*'
poltrons déclares , les brutaux qui , dans la débauche , sVm^
ponoient jufqu'à oublier leur fexe , les prodigues , les dél»-'
teurs du fifc.
Comme l'on refufojt d'admettre dans Taffemblée \q% Ci-^
toyens qui n'avolent point atteint lage néceffairepour y
entrer j auffi forçoit-on tous les autres d'y aller. Les LexUr^
qucs^ avec une corde teinte d'écarlate qu'il avoîênt tendue^
pouffoicnt le peuple vers le lieu de l'affemblée ; & quiconque^
paroiffoit avoir quelque grain de cette teinture , portoir, pouf
ainfîdire, des livrées de pareffe qu'il payoit d'une amende f
au lieu que l'on récompenfoît de trois oboles l'exaftitudc ft
ladiligencev
DU G O tr V E Tl N E M E N T. 127
4,*^flemblée cdmmençoît toujours ^par des facrifices&par deft
prïeres , «fin d'obtenir desDioux les lumières néceffaires pour
délibérer fagement; & Ton nemanquoit pas d'y joindre cette
imprécation : F4ri^t niàuiït ie DiiU avec fa raccj qtêi$09^$ie
ggîTA y férUfét , êUfenfem contre U République.
* 'La cérémonie achevée , les Proédres expofoient au peuple
le Xujet pour lequel on Tâffembloit , ils lui rapportoient P avis
du Sénat, & en demandoient la ratification , la réforme ,^u
Timprobation, Si le peuple ne Tapprouvoit pas for l*heure y
on Héraut côtiimis par l'Epiftate s'écràoit à haute voix : Quel
Citêjen au^dejfus de cinquâute dus veut fârler ? Le plus anci^i
Orateur montoit alors dans la Tribune , lieu élevé d'où l'oa
pouvoit fe faire mieux entendre^ Chacun , à la fin des haran-
gues y opinoitde ta main qu'il étèndoit en forme de fignal ,
vers l'Orateur dont l'avis lui plaifoit davantage. On dreflbit
le décret après avoir recueilli les fuffrages ; & on Tintituloît
du nom ou de l'Orateur ou du Sénateur dont l'opinion avolc
prévalu & dont la Tribu étoit en tour de préfider*
Toutes les grandes afFaifes de la République fe difcutoîeni
dans ces affemblées du peuple. Ceft-là qu'on réformoit les
anciennes Loix & qu'on en portoit de nouvelles ; on y exa-
minoit tout ce qui a rapport à la Religion & au culte des
Dieux j on y créoit , les Magiftràts , les Commandans ; on
leur faifoit rendre compte de leur adminiftratioh ; on con*
cluoît la paix & la guerre ; on nommbit les Ambà{radeurs&
les Députés; on ratiiioit les X^^ités; on accordoit le droit
de Bourgeoifie ; on ordonnoit des récompenfes & dès mar-
ques de diftinSion , pour ceux qui s'étoient fignalcs à la
guerre ou qui avoient rendus de grands fervicés à la Répu-
blique ; on banniffoit par roftracifine j & Fon décernoit auffi
Ffij
nés étoit vicieux.
228 SCIENCE
des peines contre ceux qui s'étoient mal comportés ou quE
avoient violé les Loix. Enfin ^ on y rendoic des jugemen»
fur les affaires les plus importantes.
Ces alTemblées où 9 comme Ton voit y réfîdoit la Souveraî-;
neté , étoient fort nombreufes. Il falloir qu'elles fiiflent au
moins de fix mille Citoyens ^ foit qu'il s'agît d'appliquer à un
Athénien la peine de YOfiragifmey ou d'adopter un étranger
pour Citoyen , foit qu'on voulût former un Décret & lui doQ<«
ner force de Loi.
n!meî;i\Kè- La plupart des gens ne parlent du Gouvernement d'A-^
thènes qu'avec une forte de vénération. L'eftime qu'on en
fait y eft-clle raifonnable , ou n'efl-elle qu'un préjugé ?
Le peuple Athénien étoit peuple , & dès-là fujet à tous les
yices populaires. Tantôt la crainte de perdre une liberté
précieufe , un péril extrême j la néceflîté de fe défendre ^ Se
les grands exemples de vertu que donnoient quelques Ci*
toyens d'un mérite fupérieur 9 infpiroient aux Grecs les fcn^
timens les plus élevés t & en faifoient autant de Héros. Tan*
tôt abandonnés à eux-mêmes dans l'oiliveté de la paix 8c
dans la liberté de tout ofer , on les voyoit commettre les plus
criantes injuftices & fe livrer à tous les vices. Nefoyons donc
pas n éblouis par les batailles de Marathon 8c de Salamine ^
par la pompe des fpeâacles > par la magnificence des édifices
publics 9 que nous perdions de vue la licence des affemblées
dçs Grecs , les faâions qui les divifoient , les féditions qui
les agitoient y les citoyens ilhjflres qu'ils condamnoient à la
mprr au gré d'un harangueur faâieux j injufle & infolent.
Les Athéniens avoient un goût déméfuré pour la liberté
pal entendue , pour le luxe > &pour lesplaiiirs ^ 8c ils étoienc
frpQipés par des citoyens ambitieuxt Le$ délibérations
DU GOUVERNEMENT. 22^
écoîent le fruit des brigues; Tavarice & Tintérêt faifoient
fervir la politique à leurs fins ; les finances étoient maladmî*
niftreés ; Its alliés peu ménagés , les bons Qtoyens facrifiés ,
& les mauvais élevés aux honneurs de la Republique. L*a-
chamement aux procès emportoit toute l'attention au-dedans;
fc Ton faifoit au-dehors la guerre avec plus de témérité & de
bonheur , que de fageffe 8c de précaution. L'amour de la
nouveauté & du changement décidoît des loix parmi les
Athéniens y comme il décide des modes parmi nous (a). La
République ne fe foûtenoit que par la difcorde éternelle qui
régnoit entre ceux qui manioient les affaires (h) : contrepoids
unique qui faifoit trouver le remède au mal , 8c dont le mo-
bile étoit réloquence ou la comédie (r). Le peuple d'Athènes
étoit oifif & curieux ^ nouvellifte empreffé , apolitique déci-
fif. Ceft de la forme de fon Gouvernement qu'il tenoit ces
défauts. Théophrafte fait un portrait fort naif , lorfqu'il dit
que l'un laiflbit voler fes habits dans le bain , pendant qu'il
s amufoit à débiter des nouvelles aux paflTans qu il arrctoit ;
8c que l'autre , le jour même qu'il avoit pris une ville par fes
beaux difcours , n'avoit pas de quoi diner. » Vous n'allez
» pas plus loin ( dit à ce peuple l'Orateur Athénien ) que la
p place publique, pour vous demander les uns aux autres ;
» Que dit-on de nouveau ? Que peut-on vous apprendre de plus
» nouveau que ce que vous voyez f Un homme de Macédoine
» fe rend maître des Athéniens & fait la Loi à toute la Grèce.
» Philippe ofi mort ( dit l'un ) : »i?» ( dit l'autre ) : ilneft que
(a) Voyez les Comédies d*Ariftophane » qui reproche aux Athéniens cous cet
défauts.
ijti) Ceft ce que die Mélancfaius dans Plutarque » Ttaïti de la manitre de liro
les Poètes.
(c) Vojez ks Harangues de Démofthènet
^30 S C I Ê N C E
» maUie. Eh1 que vous importe qu'il tîve OU qu'il Meure t
» Quand les Dieux vousauroient délivré de Philippe, votre
* nonchalance vous en auroit bientôt donné un autre (4). «
* ê%. DesSaseï ' On trouve dans Thiftoire des Grecs, ces fept perfonnages
^ im%^cmé contemporains nommés les fept Sages , Thaïes de Milet 5
pîflofrphes Hi- Pittacus de Mitylène; Bias de Prienne; Solon d* Athènes;
tiques» & de quel-
quel autres ou ciéoBule dc Lindc ; Milon de Chenville ; & Chilon de La-
Légiflateurs ou ' '
umêixii Grées, cédémonc (i). Si Ton en excepte Thaïes , tous les autres ont
gouverné les Etats où ils vivoicnt. Le nom dé Sage figni-
fiôit parmi les Grecs à peu prés ce que fignifie le nom de
Sçavant & d'homme de Lettres parmi nous. Pyihagore ^
difciple de Thaïes , qui forma dc grandsLégiflatcurs , trou-
va le titre de Sage trop fuberbe & s'appella Philofophe ou
amateur de la fageflc , pour donner à entendre qu'il ne fe
vantoit pas de pofTéder la fagefTe , mais qu'il afpiroit (Impie*
ment à fa pofleffion. Au reftc , les fentences des fept Sages
tant admirées , ne renferment , à en juger fans prévention
pour l'antiquité , que des préceptes affez vulgaires ; & la
Grèce n'eut jamais dc plus terribles tyrans , que ceux d'entre
ces prétendus Sages qui furent élevés à l'autorité Souveraine^
Dans cette même hiftoire des Grecs , on voit aufli Platon^
Ariftote , Xénophon , Héràclide de Pont , Théophraftc ^
Dicéarque , Plucarque , Polybc , & quelques autres Philo-
sophes politiques s'appliquer à connoîcre 6r à dévelop-
per les caufes de la confcrvatîon 8c de la ruine des Etats , en
examiner les formes , le$ comparer , & donner , pour le
tems , d'affez bons préceptes de Gouvernement.
(«) DemofUi. Philip. I.
th) La Grèce n*a jamais compté que fept Sages par excellence » mail leur' aosis
▼arient dans les Livres. Les quatre premiers que je nomme ici > Tonc admis pat
%o\xi les Ecrivains ; mais à la place des trois autres , quelqueMim meucoc PbàT^
pyde^ouie Scythe Axucharfis , ou Epimeoidc » QuPififtratc*
1
DU G O U V É R N E M Ê JSî t. ij j
ïhaleas , Phidon , Hypoman ^ Onôttiacrîtiis ^ Phiîolas y
Dioclès , Pîttacus , Androdamas y & beaucoup <l'autres , ou
Légîflateurs ou Auteurs (d) , ont écrit quelque chofc du
Gouvernement > même avant Arîftotif ^ mais leurs Ecrits font
perdus , & les noms de quelques-uns de ces Auteurs ont à
peine échapc à Toubli.
Dans ladolefcence dé la^ Grèce , les citoyens fe multiplié- «,. «^terni-
rent à un tel point , qu'il leur fallut chercher d^autres habita- TcGié^e!' *'*^
lions. On envoya des colonies dans les terres étrangères ,
mais furtout en Italie , à Tarente , à Brindes , à Naplcs , à
Rhégio, à Crotone,à Sybaris, & entant d'autres endroits,
que toute cette côte qui s'étend depuis l'extrémité de la Ca-
labre jufqu'à la Campagnie, fut appelle la grande Grèce.
L^Hiflorien le mieux inftruit (^) rapporte qu on adopta dans
la grande Grèce la forme du Gouvernement des Achéens ,
& que les Crotoniates , les Sybarites , &: les Cauloniates fe
confédércrent, comme les Achéens s'étoient unis , Scfuivi-
tent les mêmes loix.
Trois Etats confidérables fe formèrent dans la grande* g^, $ctpnncu
Grèce. Leurs villes capitales étoient Crotone, Sybaris , t^nt / sybiSî^
Thurium.
La ville de Crotone fut fondée par Myfcellus, chef des'
Achéens (c) i qui étant allé à Delphes pour coniulter TOra-'
cle d'Apollon fur le lieu où il bâtiroit fa Ville, & y trouva'
Archias le Corinthien qu'un pareil defTein y avoir amené.
Le Dieu les écouta favorablement, 8z après les avoir déter-
minés , il leur propofa difFcrens avantages , & leur laifTa en-
ta) Voyez le commencement de la première Seftioa de ce Chapitre.
(^) Poljb. lïL 2. tip. 39 F' '7^- , . .^ ^ o 1. u 4
(f) L'an du monde jipj , & 70P ans avant Jefus-Chnll ; YOy W StraDOû , UT#
4* Denis d'Halicarnaire , Antiquités RonuûaA , Liv* 2.
131 SCIENCE
tr'autres le choix des richefles ou de la fanté. Les richeflês
touchèrent Archias; Myfcellus demanda la fanté; & fi Ton
en croit Thiftoire , Apollon fut favorable à tous les deux*.
Archias fonda Syracufe qui devint en peu de tems la plus
opulente ville de la Sicile, Myfcellus fonda Crotone , fi fa-
meufe par la longue vie 6c parla force naturelle defeshabU
tans , qu'elle avoit pafTé en proverbe , pour fignifier un lieu
où Pair étoit d'une extrême pureté. Au rapport de Jufr
tin ( 4 ) , Py thagore ne fiit pas plutôt arrivé à Crotone ^
qu'il en chaffa le luxe , & qu'il engagea les femmes à
quitter leurs habits magnifiques & à les confacrer à Ju«
non , en leur perfuadant que la pudeur étoit le plus précieux
ornement des perfonnes du fexe. Cette ville fe fignala par
un grand nombre de viûoires dans les Jeux de la Grèce. De
larges épaules & de longs bras nerveux faifoient toute la
gloire des habitansde Crotone. Celui qui terrafToit un bœuf,
y méritoit un triomphe , & l'on ne Taccordoit que pour les
preuves d'une force rare. La délicatefle des mets étoit dé^
daignée par des hommes qui fe vantoient de dévorer un mou-
ton dans un repas. On ne cherchoit ni à plaire par des pa-j
rures étudiées ^ ni à perfuader par les grâces d'une douce élo*
quence chez un peuple où la force corporelle tenoit lieu de
beauté & de raifon. Un Crotaniate , qui avoit une vafle poi«
trine , eût infulté à tous les Héros de la Grèce.
5ybaris étoit fituée à dix lieues de Crotone & avoit été
fondée auffi par les Achéens , même avant Crotone {h). Cette
ville 9 dans la fuite ^ devint fon puiffante. Elle avoit fous fa
dépendance quatre peuples voifins & vingt-cinq villes , 8c
(a) Liv.40.ClL4.
i}) Ssrahn. Lit. 6* AtkiihW./My
die
DU GOUVERNEMENT, ijj
elle pouvoît die feule mettre fur pied trois cent mille homr-
mes. Cette opulence fut bientôt fuivie d*un luxe & d*un dé-
règlement extrêmes*
Lorfqu'on nous parle des excès de Sybaris , ils nous pa-
roiffent exagérés par le peu de difpofition que nous fentonsâ
nous y porter. Cependant Sybaris eft hors des tems de la
fabie , & les opinions des" Hiftoriens font unanimes fur les
prodiges de fa mollefle. Ils conviennent qu'on y bannit, par
une Loi férieufe & rcfpeûée , tous les cocqs , de peur que
leur chant aigu & perçant ne troublât la douceur du fommeiL
La même Loi profcrivoit tous les arts qui pouvoient produire
des bruits aigres & choquans. C'étoit parmi les Sybarites un
u&ge obfervé avec une attention extrême , de prier les con-
vives un an avant le jour marqué pour le feflin; & tout cet
kitervalle fe rempliflbit à méditer de nouveaux mets. On dit
même que celui qui étoit aflfez heureux pour faire quelque
découverte en ce genre , avoit un privilège exclufif pour en
jouir feul pendant quelques années.
Les Sybarites mettoient la plus haute fageffe à rendre les
goûts plus vifs 8c les plaifirs plus exquis. Un R grand pen-
chant pour la volupté leur donnoit un caraâere tendre &
délicat I & les difpofoit mal aux fentimens relevés. La Fhi-
lofophie d'un Sybarite lui rendoit plus recommandable celui
qui avoit inventé un bon ragoût , que celui qui âuroit foumis
dix Provinces.
La vohiptueufe Sybaris eût peut-être joui long-tems de fcs
délices , fi la groffiere Crotone n'en eût brutalement troublé
le cours. Cinq cens des plus riches Sybarites ayant été chafles
de leur ville , par la fadion d'un particulier nommé Teljs ^
Tome L G g
2^4 SCÎENCE
fe réfugièrent à Crotone (<)*Telya les fit redemander ^ & fur
le refus que firent les Crotôniates de les livrer , détermines à-
cette généreufe réfolution, par Tavis de Pythagore qui ccoic:
alctfs chez eux y la guerre fut déclarée. Les Sybarites mirenc
fur pied trois cens mille hommes ; les Crotoniates> , qui n*cn-
trcrent en campagne qu*avcc cent mille , avoient à kur tête
Milon j ce fameux Athlète , qui étoit couvert d'une peau der
lion & arme d'une maffue comme un autre Hercule; Ceux ci
remportèrent une viâoirc complette & firent main bafle fur
tous les fuyards j de forte qu il ne s*ea fauva qu'un petit
nombre & que leur ville demeura déferte. Environ foixante
ans après , des TheflTalicns vinrent s'y établir ; mais ils
n'y demeurèrent pas long-tems , les Crotoniates les en cha£-
fcrent.
Ceft à cet événement que Thurium dût fa fondation. Ré-
duits à cette fâcheufe extrémité , les Sybarites implorèrent le
fecours de Sparte & d'Athènes. Les Athéniens, touchés de
compaffion , firent publier dans le Fcloponèfe , que ceux qui
voudroient fe joindre à cette colonie pou voient le foire libre-
ment , & envoyèrent aux Sybarites une flotte de dix vaif^
féaux , fous la conduite de Lampon & de Xénocrate. Ils bâ-
tirent une ville près 4? TancienneSybaris, qu'ils appelleren»
Thurium (b).
La divifion fe mît bientôt dans la: ville , à rbccafioiï des^
nouveaux habitans que les anciens vouloient priver de toutes
les charges & de tous les privilèges. Mais comme les.der*
liiers venus étoient en bien plus grand nombre ^ ils chàfr6i>
rent tous les anciens Sybarites , & demeurèrent feuls Maîtres
(a) Diodor. Lib. 12.
* ib) Ao du inonde 35^0 ; & 444 tm avant Jefus^Chrift.
Thûrium. Set
DU GOUVERNEMENT. 235
de la ville. So\ittnus par Talliance qu ils firent avec les Cro-
toniates ^ ils devinrent en peu de tems fort puiflans ; & ayant
établi dans leur ville le Gouvernement populaire , ils en dif-
irdbuereat les Citoyens en dix Tribus ^ aufquelles ils don-
nèrent le nom des difîérens peuples dont ils étoient fortis.
Alors y ils ne fongçrenc plus qu'à affermir leur Gouverne- i^Îâ^^"*"?"
ment ^ par de fages Loix. Ils choifirent pour cet effet entre J^"
eux Charondas ^ élevé dans Técole de Pythagore y qu ils
chargèrent du foin de les drefler. Voici quelques-unes de
fes X-oix (a).
i^. Il exclut du Sénat & de toute dignité publique ceux
qui pafferoîent à de fécondes noces après avoir eu des enfans
<f un premier lit , perfuadé que des pères ifi peu attentifs aux
intérêts de leurs enfans y ne le feroicnt pas davantage à ceux
de la patrie > & que s'étant montrés mauvais pcres , ils fe-
roient mauvais Magiftrats.
2^. Il condamna les délateurs à être conduits par les rues y
portant fur la tête une couronne de tamarin , comme les plus
inéchans de tous les hommes : ignominie à laquelle le plus
fouvent ils ne pouvoient furvivre. La ville , délivrée de cette
pefte y recouvra fa tranquillité. Les calomniateurs font en
effet la fource la plus ordinaire de tous les troubles publics 8c
particuliers y & ils ne font pas réprimés par des châtimens
aflfezfévéres (i).
. 3^» Il établit une Loi toute nouvelle contre une autre forte
de pefle qui y dans une République y efl la caufe ordinaire
de la corruption des mœurs. Il donna aâion contre ceux
(a) Hift. Uniterd ^e Dioàott de Sicile > Liy. il- JuH.Lipf» Moniu & exempL
ydit, Lib. i2.Çcip, p.
(3) Velatoresy genus hominum pubUco exkio repenunif & fcuiis (juidem nun^
fKm^Âr çoercuim* Taçk» An/kzU Ub* 4. Cap. jo,
Ggij
2^6 SCIENCE
qui fe lîeroîent d'amitié 6c d'intérêt dvec ks mécEans^ 8e Ib»
condamna à une amende confidérable.
4^. Il voulut que tous les enfans des Citoyens fiiflent &if^
traits dans les Belles-Lettres , dont Teffet propre ell de po*
lir les efprits & de civilifer la Nation j d'infpirer des mœurs
douces & de porter à k vem» y ce qui fait le bonheur d^ua>
Etat & eft également néceflaire à tous les Citoyens. Dans
cette vue, ilftipendia des Maîtres publics, afin que Tirtf'
truâion , étant gratuite , pût devenir générale. Il tegardoit
Tignorance comme le plus grand des maux & comme la
fourcc de tous les vices»^
5^. Il confia l'éducation des orphelins à leurs parens ma^
ternels de qui ils n'avoient rien à craindre pour leur vie^
8c Tadminiflration* de leurs biens- aux parens du côcé pater-
nel qui avoient intérêt de les conferver ^ poavant ea devenir
£es héritiers par la mort des pupilles.
Au lîeu^ de punir demort les Déferteurs 8c ceux qolquit^
toient leur rang & fuyoient dans le combat y il fe contenta
de les condamner à paroître pendant trois jours dans la ville^/
revêtus d'un habit de femme, efpérant que la crainte d'une
telle honte neproduiroit pas moins d'effet que celle de la
mort , 8c d'ailleurs voulant donner lieu à ces lâches Citoyens
de réparer leurs fautes dans la première occafîon^
7^. Pour empêcher que fes Loix ne fiiflent abrogées avee
tropr de facilité , il impofà' une condition bien dangéreufe à
ceux qui propoferoient d'y faire quelque changement. Si un
Citoyen n'àvoit pas la patience de voir d'un œil tranquiHe
dépérir la République , 8c s'il ofoit lui tendre une main, le*
courable ^ il couroit rifque de payer du dernier fiipplice. lë
meilleur confeil II falibit qu'il parût dans raflembl^è publia
D U G O'tJ V E R N E M E N T, ajy
.^e uhe corde au cou ^ 8c qu'il fut étranglé fur le champ ,
au cas que le changement propofé ne pafTât point. II n'arriva
que trois fois qu'on propoiat des changemens ^ Ôc ils furent
ÙÏZS0
Charondas ne llirvêcutpas ïongtems à fes loix. Revenant
un jour de la campagne avec une épée qu'il avoit prifc pour
ie défendre des voleurs fur le chemin^ il trouva raffemblée du
peuple en trouble. Il s'avança, pour appaifer le tumulte 9 étant
mnfï armé .^ ce qu'il avoit défendu par une loi exprelTe. Un
particulier lui reprocha qu'il violoit lui-même fes loix. No?^^
dit-il ^ je m Ics^ viole fa4 y mais je les fcellerdi de monfang ^
êc fur le champ il fe tua de fon épée^
Dans le même tems & dans la même contrée , il y eut un «.îticueut j
mitre Légiflateur célèbre ^ nommé Zaleucus , difciple de Til^i^^oîS
Pythagore, aufli bien que CharondaSr II ne nous refte pref- ^*
que qu'une efpèce de préambule qu'il avoit mis à la tête de fes
loix ; & ce préambule (a) que Scaliger (b) traite de Divin , en
^onne une grande idée.^
LeLégiflateur demande de les citoyens ^ avant tout y qu'ils
£>ient fortement perfuadés qu'il y a des Dieux. Il ne faut ^
ditrii y que lever les yeux vers le Ciel & en confidérer l'or-
dre 8c la beauté > pour fe convaincre qu'un ouvrage fi mer-
veilleux ne peut avoir été l'effet ni du hafard y ni de l'induir
trie humaine.^ Par une fuite naturelle de cette perfuafion y
il les exhorte à refpeâer les Dieux^ comme auteurs de ce
qu'il y a de bon , de jufle , & d'honnête parmi les Mortels ^
& à les honorer 9 non* amplement par des facrificesÂ: par des
préfens > mais par une conduite fage & par des mœurs pu-
(a) On le crotiye dans Dlodore de Sicile Lib. is» Cap. zç» de dan» Scçbéci
Sera* 4^«
. ÇO Seal. Aninaii^ in Eufè.pai. Si^
258 SCIENCE
res, qui plaifent infiniment plus aux Dieux que tous les ist^
crifices. Après cet exordc (i plein de Religion ^ où Zaleucus
montre la Divinité comme la fource primitive des Loix p
comme la principale autorité qui encommande robfervadon^
comme le motif le plus puiffant pour y être fidèle , & enfin
comme le parfait modèle auquel on doit fe conformer , il
paffe au détail des devoirs ^que tous les hommes doivent
obferver les uns envers les autres.
Il leur donne un précepte fort propre à conferver Tunion
dans le commerce de la vie , en commandant de ne pas rea.
dre éternelles les haines , ce qui feroit la marque d'un efprîc
féroce , mais d'en ufer à Tégard des ennemis, comme devant
être bientôt amis.
Pour ce qui regarde les Juges & les Magiftrats , ce Lé^
gîflateur leur repréfente qu'en prononçant les jugemens , ils
ne doivent fe laiffer prévenir , ni par l'amitié ni par la haine,
ni par aucune autre paffion. Il les exhorte à éviter avec foin
toute hauteur & toute dureté à l'égard des parties déjà affez
à plaindre d'avoir à effuyer les peines & les fatigues qu'en-
traîne la pourfuite d'un procès. Leur place en effet , quelque
laborieufe qu'elle foit , ne leur donne aucun droit de faite
fentir leur mauvaife humeur aux Parties.
Pour écarter de fa République le luxe qu'il regardoît
comme la ruine certaine d un Etat , il ne fuivit pas la prati?-
que établie chez quelques NatiofB y où l'on croit que pour Je
réprimer il fuffit de punir les contraventions à la Loi par des
amendes pécuniaires , il s'y prit d'une manière plus ing6-
nieuie & en même tems plus efficace. Il défendit qu'aucuûe
<çmme libre fe iit accompagner par plus d une fuivantc j fî
çllc n'étoit y vre , & qu elle lorût de la ville pendant la nuit,
D U G O U V E R N E M E ]^ t. 239
â moins que ce ne fut pour un rende2-vous de galanterie (a)^
U permit aux Courtifanes feules de poner des ornemens d'or
& des habits brodés j & il prefcrivit aufli qu aucun homme
lie portât une bague dor ou une étoffe de Milet , s'il n'étoic
a£luellement dans un mauvais commerce. Par cette voye , il
détournalfecilement & fans violence les Citoyens de tout ce
qui pouvoir fentir le luxe & la molleffe^ Il ne fe trouva per-*
fonne qui eût renoncé à tout fcntiment d'honneur , au point
de vouloir afficher aux yeux de toute une ville les marques
de fa honte 5 s'attirer le mépris public , & deshonorer pour
toujours fa famille.
L'hifloire nous a confervé une attention politique qu'on
employa autrefois avec fuccês à Milet , & qui revient à celle
de Zaleucus. Les filles de Milet furent faifies d'une efpèce
de fureur mélancolique qui les portoit à s'étrangler , fans au-
cune apparence de chagrin. Une femme de la ville confeilla
qu^on ponât à travers la place les corps tous nuds de celles
qui fe feroient ainfi fait mourir. On forma un décret qui fur
publié. C'en fut affez pour guérir ces filles. Elles ne purent
fupporter d'être montrées au public dans un état honteux , &
elles cefferent de s étrangler (b)w
Une Loi de ce même Zaleucus fait un étrange difparité
avec celles qu'ion vient de rapporter. Il condamna à la mort
ceux qui, étant malades , buvoient du vin pur fans ordre du
Médecin, quand même ils auroient recouvré la fanté. Cette
dernière Loi toute feule fembleroit devoir rendre vraifem^
blable le fcntiment de ceux qui prétendent que toutes les Loîx
(a) More inter viteres recepto > qui fatîs ptBnarum adverfus impudicas in ipjt
frofejjlone Jli^itu credebanu Tacit, Annal. Lib>2. Cap, 8^.
0) Poly^ 9 Rufes de Guerre | au Chapitre des MU^fieaaci*
240 SCIENCE
qu'on attribue à Zaleucus font fuppofccs (m) ; maïs le fenti--^
ment contraire eft appuyé fur le témoignage de tous les an-
ciens Auteurs.
Der ftra- Terminons cette Seftîon par quelques réflexions fur POp*
fhiics^* i^raci/me 8c (ur h Pêulifme.
Sifaî^cn iîfojet Aucun Cîtoycn ne fe fît impunément un graiM nom â
syracttfc. Athèncs. Lcs fervices des Miltiades, des Themiftocles, des
Perîclés, des Phocions, & de tant d*auttres libérateurs de la
Grèce ^ ne furent payés que de la mort ou de Texil. Jamais
Nation ne fut mieux fervie par fes Citoyens, & ne fiit moins
digne de Tctre. Les feules Loîx de TOflracifme fufiifent pour
le prouver*
L'Oflracîfme étoit une Loi , par laquelle le peuple Athé-
nien condamnoit â dix ans d'exil les citoyens dont il crai-
gnoit ou la trop grande puifTance ou le trop de mérite, & qu*il
foupçonnoit de pouvoir afpirer à la tyrannie.
Le ban de TOftracifme n'étoit employé que dans les oc*
cafions où la liberté étoit en danger. S'il arrivoit , par
exemple , que la jaloufîe ou l'ambition mît la difcorde parmi
les Chefs de la République , & que différens partis fiffenc
craindre quelque révolution dans TEtat , le peuple délibéroic
fur les moyens de prévenir les fuites d une divifion qui pou-
voit devenir fimefle à la liberté. L*0(b-acifme étoit le remède
ordinaire auquel on avoir recours dans ces fortes d occafions,
(a) Voyez Elien dans fesdivcrfcs HlftoiresLiv. i. Cap. }7. Bentley croie que
toutes ces Loix qui paflènt fous le nom de Zaleucus , & dont on trouve des firag»-
mens dans les Auteurs , font fuppoices. Voyez la Diiïertation Angloife de cet A»
teur fur Phalarîs pag. 5 3 J. & (uivantes , édit. de itfpp. Voyez auffi les Nouvelles
de la République des Letrres par Bernard , Juin itfpp. Art. J. Voyez enfin la Ré-
futation dufentimeni de Bentley , depuis la page iji. jufqu'à la page 164. du
premier Tome du Livre qui a pour titre : Differtations fur Vunion de la Religion »
de la Morale p (r de la pQlimue^ par W^Mtuton, Londres. Guillaume Daizt»
DU GOUVERNEMENT, 3^41
<Sè les délibérations du peuple fe terminoient le plus fouvenc
par un Décret, qui indiquoit à certains jours une affemblée
particulière pour procéder au ban de rOftracifme. Alors ceux
qui étoient menacés du banniffement, ne négligeoient rien
de ce qui pouvoit concilier la faveur du peuple , ils faî-
foient des harangues pour montrer leur innocence, & Tin-
juftice qu il y auroit à les bannir ; ils foUicitoient chaque ci-
toyen en particulier , ils mettoient en mouvement tous les
gens de leur parti , ils fufcitoient des Délateurs qui décrédi-
toient les Chefs de la fadion contraire. Quelque tems avant
TafFemblée , on formoit dans la place publique un enclos de
planches où Ton pratiquoît dix portes, parce qu'il y avoit
dix Tribus dans la République. Lorfque le jour marque écoit
venu , les citoyens de chaque Tribu entroient par leur porte
particulière, & chaque citoyen écrivoit fur un petit morceau
de terre le nom du citoyen qu'il vouloit bannir {/). Les Ar-
chontes & le Sénat préfîdoient à cette affemblée & comp-
toient les bulletins. Celui qui étoit condamné par fix mille
de fes concitoyens , étoit oblige de fonir de la ville dans Tef-
pace de dix jour».
Les Athéniens avoient prévu fans doute les inconvéniens
de cette Loi , mais ils aimèrent mieux s'expofer à punir des
Innocens , que de vivre dans des allarmes continuell es. Ce-
pendant , comme ils avoient fenti que Tinjuttice auroit été
. trop criante, s'ils avoient condamne la vertu aux mêmes
peines dont on avoit coutume de punir le crime , ils adouci-
rent , autant qu'ils purent , la rigueur de l'Oftracifme , ils
en retranchèrent ce que le banniffement ordinaire avoit
(a) Oflraci/me vient d'un mot Grec qui fignifie un morceau de terre cuite faîte
en forme d'écaîlle ou de coquille , voyez fur l'Oftracifme une Diflcrtatioo d^
V Ceïnoz f dps le douzième Volume des Mémoires de l'Académie de Paris*
To^e L H h
248 SCIENCE
nommés paf les peuples qui les fournîflbîent ; ttaîs elles
avoient toujours un Commandant appelle Préfet, qui étokà
la nomination des Çonfuls ou des Généraux de la PuifTance
dominante.
Les villes confédérées Bc libres étoîent encore obligées de
fournir le logement aux foldats Romains qui pafToient fur
leur territoire pour aller en quelque expédition ; & quelque-
fois même , quand les places étoient importantes y de fouf&ir
que TEtat donif elles dépendoient s'en affurât par une fonc
garnifon.
Mais fous les Empereurs , le titre d'allié n'étant plus qu un
titre honorable & fans réalité , les Proconfuls avoient toute
l'autorité fur ce qui regardoit le militaire , & fi les villes Au-
tonomes fourniflfoient & entretenoient un cenain nombre de
troupes comme alliées , elles obçiflbiçnt de même abfolument
en tout comme fujettes,
S K c T I o N V.
Z)/# Gouvernement des Carthaginois.
«9. Fondation, Catchcdon de Tyr avoir jette les premiers fondemens de
ciniïïgeTcon! Canhagc y fous le nom de Carchedoine , à douze mille de
^wiquc après to Tunis , dans une Prefquifle fur la côte d'Afrique , où lana-
mort de Didon rii-'iA ia\/» t-r-r^
Quienfuiufoiv. ture içmbloit s être plue a former un port. Une Prinçefle
Phénicienne , nommée indifféremment Elife ou Didon > s'y
réfugia ^ quelque tems avant la fondation de Rome {^a)y
fuyant fon frère Pygmalion meurtrier de Sichée fon mari.
Elle la fit rebâtir, & lui donna le nom de Carthage. On ra-
conte qu'Elife n'avoic acheté des habitans du pays qu'autant
(4) Cf am 4upanvanc ftlgo les un' » âc jz ffiloa les vxxx^%
do
D U G O U V E R N E M E N T. hp^
de terre j qu'elle ne pourroit enfermer dans lé cuir d'un
bœuf; mais que Payant coupé en une infinité de lanières très-
minces & trcs-étroites & par-là même très-longues ,élle em-
brafla plus de terrain que les Vendeurs n'avoient eu intention
de lui en céder , & que cet efpace fiit affez grand pour con-
tenir une citadelle & recevoir la coloniç que conduifoit cette
Princeffe(ic).
Cette Reine étant morte , les Carthaginois firent pour leur
Fondateur ce que Rome fit dans la fuite pour Romulus ^ ils
l'adorèrent comme une Déeffe ; mais ils pafferent du Gou-
vernement Monarchique au Républicain ; & après que la
Grèce eût été foumife , le monde fut partagé, eh deux, puif-
fantes Républiques ^ celle de Canhage & celle de Rome.
La République de Gardiage Jregla fon Gouvernement fur ^^' ^^v^^ ^
celui de Tyr dont elle étoit une Colonie; Trois Puiflances ^*"*"««-
y formèrent l'autorité fouveraine , celle des deux Princes ou
Magiftrats appelles Sujfctesj celle du Sénat>^ j&. celle du peu-
ple. Ariftotc compte cette République au rvortibrç des plus
illuftres , & la loue de n'avoir donné entrée,, ni aux fodi-
• rions , ni à la tyrannie ^ depuis fa naiffance jufqu'au tems où
vivoit ce Philofophe 9 ce qui fait un efpacç de plus de ciiiq
censans. i .; , , . . [ • . ;, . ; '^r
Le pouvoir des Sii^/^;^ équivalent à çqIujI 4es Gonfuls J^^'^^/^^!'^^^
Romains y ne duroit qu'un an. Ils avoient le foin; d'afren>bler ,
le Sénat dont ils étoient les Ghesfe , propofoient les fujets ,de
délibération ,& recueilloient les fuifrages. Ils.préfidoient
: aufli aux;*}ugêmEœ qui ie.rcndbienL fur. J«siiîgà|yes^.iîppo^-
tantes , ^cohimandpieht quck}uefbi^)li»\afçaée)Sf ;. .: ji -,
Aa dGorriridc leui; digtiité ,; Its SirJrVt/ ^pietit ;feïts Prç-
(<7) Seconde Décad. de TiiiilivSl^'OU Slpplcmeas Je Fieinjèe^uHfr '
Tome L o -'" • -■ : A V '
I50 SCIENCE
tcUrs. C'ctoît une charge confidérable , puifque , outre îe
droit de préfîdence dans certains Tribunaux , elle donnoic
auffi celui de propofer & de porter de nouvelles Loîx y 8c
de faire rendre compte de Tadminiflration des Finances.
ri.Amorit^ Le Sénat étoit compofé de perfonnes refpedtablespar leur
«Sénat. Ag^ ^ j^y^ expérience, leur naiflance , leurs richcfles j & leur
mérite* C'étoit là que fe traitoient les affaires importantes »
& qu'on dccidoit de la guerre & de la paix.
Le nombre des Sénateurs étoit très-confidérables, puif-
qu*on en tiroit cent quatre pour former un Tribunal appelle
des Cent , & établi pour faire rendre compte aux Généraux
de leur conduite.
De ces cent quatre Juges qui étoîent perpétuels » cinq
avoient une Jurifdidion particulière & ûipérieure à celle des
autres. On ne fçait pas combien elle duroit. Ce Con-
feil des Cinq étoit ce qu'ctoit à Venife le confeil des Dix.
Quand il y vaquoit quelque place ^ ceux qui le coropo-
foieht , avoient le droit de la remplir. Ils avoient droit auflî
^ de choifîr ceux qui entroîent dans le confeil des cent.; Cq©-
me leur autorité étoit fort étendue ^ on n'accordoit ces pl^
ces qu a des perfonnes d'un rare mérite. L'on n'attacha ni
rétribution ni récompenfe à leur emploi, le feul motifriubicn
: '' public devaât être affez fort pour engager des gens de bien
7^Aulo^«é "â remplir leur devoir.
au peuple. j^ Séïi2X ne décidoit en dernier reflbrt , que lorfque les
fuffrages étoient unamimes. Dès qu'il y avoit partage 9 le
^ idrbit^de décider ^foit dévolu au^peuple (^i) t Keglement qiLon
avoit crû propre à écotifTeriles cabales ^àconcilierles efprics »
& à faire <iominer les bons confdls , dans une compagnie
qui devoir être jaloufe de fon autorité.
(«) 4T^9t. Poliu La. 2. Cap. a.
DU GOUVERNEMENT. 251
Les Offices de Judicature , d'abord annuels , furent ren-.
dus perpétuels, & redevinrent annuels,lorfqu*Annibal fut de.
retour à Carthage de fes expéditions dltalie (ii)*. 1,.:,
La diftribution des emplois fe faifoit dans cette Rcpubli- ic,^^êmpuTîy
que d'une manière qu'Ariflotc blâme. Il y troi^e deux ' ^'
défauts.
Le premier , en ce qu'un même homme pofTédoit plufîeurs
charges, ce qui étoit confidcré comme la preuve d'immérité
non commun. Le Philofophe a raifon de trouver cett« coutu-
me très-préjudiciable au bien public.
Le fécond, en ce que, pour parvenir aux premières pla-
ces, il falloir, avec du mérite &: de la naiffance, avoir un
certain revenu , & qu'ainfî la pauvreté pouvoit enexclurre les
plus gens de bien , ce qu'Ahflote regarde comme un grand
mal dans un Etat. Il en donne cette raifon que la vertu étant
comptée pour rien Se l'argent pour tout , parce qu'il conduit
à tout , une ville entière fe corrompt par l'admiration & la
ibif des richeffes. Il ajoute que des Magiftrats qui ne le de^
tiennent qu'à grands frais , ne fe font pas Icrupule de fe dé-
dommager par leurs propres mains. Ce que dit ici ce Philo-
fophe des dépenfes qui fe faifoient à Carthage pour parvenir
aux charges , tombe apparemment fur les préfens , par lef-
quels on achetoit les fuffrages de ceux qui les conferoient ;
car on ne trouve dans Tantiquité aucune trace de k vénalité
des charges. On ne peut douter que ce ne foit un grand mal
que des ckoyens s'élèvent aux charges, en corrompant à
•prix d*argœt ceuKqui les diilribuent. C'en eft un ouffîque
.le mêcittj la venu,db$ talens, dcilitués de richeffes, ne
farifilèra: afpircr aux tmpioîs. Platon qui blâme la vénalité
(a) Tit. LiT' quatrième Décad. Lib« 8«
liuiic.
152 SCIENCE
des Charges auffi bien qu Ariftote > donne de fbn fen-
riment celte raifon fans réplique. C'eft ( dit * il ) comme fi
dans un navire on faifoit quelqu'un Pilote ou Matelot pouf
fon dfgent: Sefoit-il poflîble que la règle fût mauvaifc dans
quclqu'atrre emploi que- ce fût de la vie & bonne feulement
pour conduire une Republique (a) ?
î. Police mi. Cène République , marchande par ctat , fut d abord guer-
rière y par la néccflîtc de fc défendre contre les peuples voi*
fins, & enfuite par le défir d'aggrandir fon Empire & d'é-
tendre fon commerce ; mais occupée de fon trafic y elle n'a-
voit qu'un petit nombre de citoyens élevés dans le métier
ides armes. Des Rois alliés , des peuples tributaires lui four-
niflbicnt des milices & de l'argent. Elle levoit dans les Etats
voifins les foldats qui lui étoient nécefTaires , & formoit ainfi
de puiiTantes armées, fans interrompre fon commerce, &
fans afToiblir fa marine. Si elle avoir le malheur de perdre UQ
combat naval, elle trouvoit facilement le moyen de reparer
la perte des Pilotes & des Rameurs, dans l'étendue immenfe
•des côtes dont elle étoit la maîtreffe. Mais cette politique ^
fi utile au commerce & qui épargnoit le fang des citoyens,
avoit de grands inconvéniens. Des troupes mercenaires s'in-
térefibicnt peu à la gloire de la République, & cet appui
. étranger pouvoir facilement lui être enlevé.
Natur-ellemcnt foupçonneux,Ies Carthaginois prenoient la
précaution de ne confier le commandement des armées qu'à
icurs propres citoyens. Le tems du commandement n'ctoit pas
Jimioé, plufieurs Généraux le conferverent longtems, & quel-
quefois jufqu'a la fin de leur vie. Tbujours comptables de leurs
a.^ionsàla Rcpublique,ilspouvcîent être révoqués. Ilsrépoa-
rO P:aî. de Rfp, lib. S:
DUGOUVERNEMENT. 255
doientdes événcmens delà guerre;&ceux quiavoienc perdu
une bataille , écoicnt fûrs de perdre la vie à leur retour , la
République puniflfant les mauvais fuccès comme les mauvais
dcfleins. La cruauté dont elle ufoit envers les Généraux mal-
heureux , quoique non coupables , étoit-elle propre à former
de grands hommes ? La fin de la vie du grand Annibal n eft-
elle pas déplorable ? Bomilcar crucifié à Carthage , repro-
cha , du haut de la croix, à fes citoyens leur ingratitude, &
compta tous les Généraux dont ils avoient payé les fervices
par une mort infâme {a). Les Carthaginois étoient redeva-
bles de leur falut à Xantippe Macédonien , mais fes fuccès
contre Regulus quijufques-là avoit vaincu cent fois les Gêné*
raux de Carthage, lui fufciterent bientôt autant d'Envieux
qu'il y avoit de Grands dans la République. Pour fe dérober
à leurs jaloufies, il employa la même prudence dont il avoit
ufé pour terminer la guerre où il avoit commandé. Il réfo*
lut de retourner dans fa patrie ; mais Tingrate République
donna des ordres fecrets à ceux qui rcconduifoient Xantippe
en Grèce fur les vaiffeaux de Carthage , de le faire périr en
chemin {b).
Carthage envoyoit de tems en tems des colonies en diffé- J^f • cobnfet
^ ' ^ucles Canhagi'*
rens endroits. Ceft une coutume qu*Ariftote approuve fort , en divwi tow?*
parce qu'on procuroit d'honnêtes établiflemens aux pauvres
citoyens, & qu'on déchargeoit l'Etat d'une multitude de Faî-
ncans qui eût pu lui devenir dangereufe.
Les habitans de Carthage & ceux de Tyr avoient les me- ^. union
mes mœurs , les mêmes Loix , le même goût , la même in- «bagi^^"^ aS
duftrie pour le commerce , & les Carthaginois parloîent le
(a) Jujlirif Lib. ût»
(b) Apf'iM. de bello Punic^ & Tite-Live , D^cad. II. ou Supplemens deFreinP
i54 SCIENCE
même langage que les Tyriens* La conformité d*ori^e &
des mœurs forma & entretint toujours une union étroite en-
tre ces deux peuples. Cambyfe ayant voulu porter la guerre
contre les Carthaginois y les Phéniciens qui faifoient la prin*
cipale force de fon armée navale y lui déclarèrent nettement
qu'ils ne pouvoient le fervir contre leurs compatriotes , & ce
Prince fut obligé de renoncer à fon entreprife. Les Cartha-
ginois , de leur côté , n'oublièrent jamais leur origine ; ils
tnvoyoient toutes les années à Tyr un vaiffcau chargé de
préfens , qui écoit comme un cens qu'ils payoient à leur an-
cienne patrie ; ils faifoient offrir un facrifice annuel à fcs
Dieux tutélaires , qu'ils rcgardoient aulli comme leurs pro-
teâeurs y & ils ne manquoicnt jamais d'y envoyer les prémi-
ces de leurs revenus , & la dixme du butin qu'ils faifoient
fur les ennemis , pour les offrir à Hercule y une des princi-
pales Divinités de Tyr & de Carthage. Lorfque Tyr fiic
afllégée par Alexandre , les Tyriens y pour mettre en fureté
ce qu'ils a voient de plus cher , envoyèrent leurs femmes &
leurs enfans à Canhage qui y au milieu d'une guerre pref-
fante , les reçut 8c les entretint avec la bonté & la générofité
des pères & des mcrcs les plus tendres & les plus opulens.
^.Lritciirfs ^ peinc trouve-t-on trois ou quatre Auteurs Carthaginois
îwlleiTcînha^ dans le cours de plus de fcpt ficelés. Carthage n'avoit de ire-
fhaRiS)U îi^êm hdon avec la Grèce & avec les autres Nations policées y que
vuiei««tbaitMi- ^^^ rapport au commerce. L'éloquence y la poëfie, l'hiftoire, *
femblent avoir été ignorées dans cette République» Toute la
fcience , pour le plus grand nombre de fès habkiMs y y étoft
bornée à écrire y chiffrer , dreffcr dés r^ftrès y tefaîr des
comptoirs , en un mot à ce qui regarde le trafic. II étôk dé-
fendu , par les Loix , d'apprendre letf rcc , de jpêur que les
DU GOUVERNEMENT, 155
jTujets de la République n'encretinflent commerce ou de vive
VOIX, ou par écrit avec les ennemis. De-là il efl aifé de ju-
^er que la jeuneffe dcvoit être fort mal clevcc ; 8c c efl fani
doute de la groffiereté de l'éducation que vinrent les vices &
Us paflîons qui ont terni la gloire d' Annibal , fi néanmoins
on peut ajouter foi à ce que les Hiftoriens Latins en on dit*
En écrivant Thiftoire y il cft difficile de s'empccher de mar-
quer à nos ennemis la même averfion que nous leur avons
témoignée en guerre ouverte. Forcés de rendre juflice aux
vertus militaires d'Annibal , les Romains le dégradèrent du
côté des mœurs ; ils le peignent fourbe , avare , fanguinaire,
impie : portrait qui femble plutôt Touvrage de la haine, que
celui de la vérité. Les Romains qui font les feuls par qui
nous connoiflions ce grand Général , Ta voient trop crainte
trop haï , pour en laiffer une idée avantageule à la poflérité*
Si Ton remonte à des tems antérieurs , on ne fçauroit, ni
révoquer en doute que les Canhaginois n'ayent été un peu-
ple très-4>arbare (a) , ni lire fans horreur ce que Laâance en
rapporte du tems où Jefus-Chrifl vint au monde. Chez ce
peuple , les pères & les mères , moins humains que les bêtei
les plus féroces , livroient impitoyablement leurs en-
fans , 8c les villes fe dépeuploient tous les ans de leur
plus florifTante jeuneffe , pour obéir à Tordre cruel de leurs
oracles 8c de leurs Dieux. On cboififfoit , à leur gré , des
vi£limes de toute forte d'état , fexe , âge 8c condition , 6c ces
fanglantes exécutions étoient honorées du nom de facrifî-
ces (^).
Lts marchands les plus riches étoient les citoyens do
(a) Siliut Ualictti > L. 4.
(») UeUnu L. i^ C. II.
a5<5 SCIENCE
Carchage les plus confidérables , ainfi , avec refprit de ncgc-
cc , s'introduifircnt dans la République tous les vices des
Ncgocians , la mauvaifc foi dans les marchés , le déguife-
ment, & la tromperie. Autant que le bien public Tcmpor-
toit fur Tintérét particulier dans le cœur d'un Romain, au-
tant Tintérêt particulier Temportoit fur le bien public dans le
cœur d'un Carthaginois,
con ufics Carthage devint fi puiflTante qu elle fut la maîtrcffe , non-
fecawife^^Si- ^^ulcment de la Lybie, de la Sicile , de la Sardaigne , & de
'^"'^' toutes les Ifles de la Méditerranée qui étoient à fa bienféan-
ce , mais encore d'une bonne partie de FEfpagne, Cette Ré-
publique fut floriflante pendant fept cens ans,
^^ Y„ Troîi ^^ première Nation étrangère à l'Italie, avec laquelle les
c«Vrc'"c«[ta^ iîomains traitèrent après avoir chaffé leurs Rois , ce fut la
^ Roaic. Carthaginoife. Polybe nous a confcrvé la convention qui fut
faite entre Carthage & Rome , fous les Confuls Brutus &
Zaleucus; & Tite-Live en parle auffî. C'efl le plus ancien
Traité qui foit parvenu jufqu'à nous en fon entier. Le
voici.
» Il y aura amitié entre les Romains & leurs Alliés, d'une
j>parc 9 & les Carthaginois & leurs Alliés , de l'autre, fous
» les conditions fuivantes. Les Romains ni leurs Alliés ne
»> pourront naviguer au-delà du beau promontoire (//), s'ils
w n'y font pouflTés par la tempête ou contraints par leurs en-
» nemis , & au cas que quelqu'un foit ainfi forcé de pafler ces
i> limites , il ne lui fera permis de rien acheter, ni de rien
» prendre , finon de tout ce qui fera néceflaire pour radouber
» le vaifleau ou pour quelqu*a£le de Religion , &* ils remet-
(a) Ce Cap fictt^ dans Carthage en étoit éloigné , à peu près de dix de nos
lieues.
* • » tront
BU G 0 U V E R N E M E N T. 257
l»*roQt à la. voile au bout de cinq jours. Pour ceux qui vien-
^ dront trafiquer en deçà du. beau promontoire § on n'exigera
V d'eux aucun impôt y 8c ils ne payeront que ce qui fe donne
» au Crieur public & au Scribe (a) , moyennant quoi ^ la foî
»> publique fera garante au vendeur du payement de tout ce qui
9> fera vendu enpréfence de ces deux perfonnes y fçavoir de
•> tout ce qui aura été vendu en Afrique ou en Sardaigne.Quc
•> fi quelques Romains viennent en Sicile dans les endroits.
» qui font fous la domination des Carthaginois^ils jouiront des
» mêmes droits en toutes chofes^ Les Carthaginois s'abftien-
» dront de îaire aucun dommage chez les Ardéates^les Antiattt ,
» lesLaurentins,IesCircéens,lesTarraciniens,& chez quelque
•> peuple des Latins que ce foit qui dépende des Romains^
i> Qu'ils n'y feront aucun tort aux villes mêmes qui ne dé-
» pendent pas de la domination Romaine , & que s'ils en
•> prennent quelqu'une ^ ils la rendront aux Romains en fon
» entier. Ils ne bâtiront aucune forterefle dans le pays La-
n tin y & s'ils y entrent à main armée , ils n'y pafferont pas
» une feule nuit (b) ».
' On voit par les claufes de ce premier Traité , que les Car-
thaginois s'étoient déjà rendus les Maîtres de la Sardaigne
& dune partie de la Sicile y & que dès-lors ils appréhen-
doient que Rome ne fit des établiffemens en Afrique ; que
parmi les Romains dont TEtat avoit peu d'étendue y la, ma-
rine n'étoit pas abfolument inconnue ; qu'ils faifoient ufage
Jesvaifleaux marchands; qu'ils entreprenoient des voyages,
* ta) Le Cneut^public annonçoic apparemment les marchandifes à vendre, & I«'
Scribe ^coit un Commis qui earçgiûroir ces marchandifes , leur qualité > leur i
nombre, &c.
Kb) Ce Traité TuV fait fanjo^ avant Jefiis-Chrîft. Voyez let pages 71* & 7A/
4u Recueil HifioriQue St. Chronologique da Tiaités > par BarbeYi;ac. ; ..
25(5 SCIENCE
Carthage les plus confidcrables , ainfi , avec refprît de négo-
ce y s'introduifircnt dans la République tous les vices des
Ncgocians , la mauvaife foi dans les marchés , le déguifc-
ment, & la tromperie. Autant que le bien public Tcmpor-
toit fur Tintérêt particulier dans le cœur d'un Romain, au-
tant Tintérct particulier Temportoit fur le bien public dans le
cœur d'un Carthaginois.
Gon ufics Carthage devint fi puiflTante qu elle fut la maîtrcffe , non-
ac ;»ccroiflciiicnt feulcmcnt de la Lybie, de la Sicile , de la Sardaime , & de
^"^' toutes les Ifles de la Méditerranée qui étoient à fa bienféan-
ce , mais encore d'une bonne partie de l'Efpagne, Cette Ré-
publique fut floriflante pendant fept cens ans,
^> tM Troîi ^^ première Nation étrangère à Tltalie, avec laquelle les
?ntrc*"c«[ta^ iîomaîns traitèrent après avoir chaffc leurs Rois , ce fut la
^ Ronic. Carthaginoife, Polybe nous a confcrvé la convention qui fut
faite entre Carthage & Rome , fous les Confuls Brutus &
Zaleucus; & Tite-Live en parle aufiî. C'efl le plus ancien
Traité qui foit parvenu jufqu'à nous en fon entier. Le
voici.
» Il y aura amitié entre les Romains & leurs Alliés, d'une
j>parc y & les Carthaginois & leurs Allies , de l'autre, fous
» les conditions fuivantes. Les Romains ni leurs Alliés n-e
»> pourront naviguer au-delà du beau promontoire (//), s'ils
ii n'y font pouflTés par la tempcce ou contraints par leurs en-
« nemis , & au cas que quelqu'un foit ainfi force de pafler ces
i> limites , il ne lui fera permis de rien acheter, ni de rien
» prendre , finon de tout ce qui fera néceflairc pour radouber
» le vaifleau ou pour quelqu*a£le de Religion , & ils remet-
(a) Ce Cap fictt^ dans Carthage en e'toit éloigné , à peu près de dix de nos
lieues.
• • » tront
BU G 0 U V E R N E M E N T. 747
l»*rorit à la voile au bout de cinq jours. Pour ceux qui vien-
^ dront trafiquer en deçà du beau promontoire » on n'exigera
V d'eux aucun impôt , & ils ne payeront que ce quife donne
» au Crieur public & au Scribe {/) , moyennant quoi ^ la foî
»> publique fera garante au vendeur du payement de tout ce qui
â> fera vendu enpréfence de ces deux perfonnes , fçavoir de
•> tout ce qui aura été vendu en Afrique ou en Sardaigne.Quc
•> £i quelques Romains viennent en Sicile dans les endroits.
» qui font fous la domination des Carthaginois^ils jouiront des
» mêmes droits en toutes chofes^ Les Carthaginois s'abftien-
» dront de ïaire aucun dommage chez les Ardéates^les Antiattt ,
» les Laurentins,lesCircéens,lesTarraciniens,& chez quelque
•> peuple des Latins que ce foit qui dépende des Romains^
i> Qu'ils n'y feront aucun tort aux villes mêmes qui ne dé-
» pendent pas de la domination Romaine , & que s'ils en
•> prennent quelqu'une ^ ils la rendront aux Romains en fon
» entier. Ils ne bâtiront aucune forterefle dans le pays La-
t> tin , & s'ils y entrent à main armée , ils n'y pafferont pas
» une feule nuit {II) ».
On voit par les claufes de ce premier Traité , que les Gir-
thaginois s'étoient déjà rendus \^s Maîtres de la Sardaigne
& d une partie de la Sicile , & que dès-lors ils appréhen-
doient que Rome ne fit des érabliflemens en Afrique ; que
parmi les Romains dont TEtat avoit peu d'étendue ^ la ma-
rine n'étoit pas abfolument inconnue ; qu'ils faifoient ufage
Jesvaifleaux marchands; qu'ils entreprenoient des voyages,
* la) Le Crieur public annonçôic apparemment les marchandifes à vendre, & la'
Scribe ^coit un Commis qui earçgiilroir cts marchandifes > leur qualité > leur :
nombre, &c.
}ik) Ce Traké Refait fanjo^ avant Jefus-Oirift. Voyez let pages 7$* & 7A/
4u Rtçutil HiJtoTique St. Chronologique des Tiaités > par Barbey^c. . \ , - ,.
/
35» SCIENCE
dTaffcz long cours , puifqalh àlloicttt jufqu'à Cartfiage y 8è
qu'une alliance avec Kome étoit , dès cfr teins-tà y avanta^
geufe aux peuples vôifins , puîi!qti*eîle tes metcotc à. couvert
des courfes d'ennemis audî formidables que rét(»eQt les Car^
tliaginois qui > maîtres de la mer & d^utie partie de là Sicile ^
pouvoient facflement înfefler les côtes màitimcS de Thalie.
SousleConfulatdeVaferius Corvus & de PopiliuS LcBnas,.
fcs Carthaginois envoyèrent des Ambaffadeurs à Romc^
confirmer le premier Traité Se y faire des changemens & des^
additions.. On y pennettoir aux Romains de pafTer le beâu
ffomontoirc > de poulïer jufqu^à Utique , à Carthage , à Tyr ^r
êc même jufqu*a Murkia & àTarfcion ^ mais ilsn eurent pas^
là liberté de sétendre aii-delà ^ de fonder des villes ^ it à»
£iire des conquêtes.. Rome con&ntit^, defon^ côté y que les^
Carthaginois piUaflent les villes du Latium qiLiln'iécûient pa»
dansfon alliance ) mais elleflipula qulls ne pourroient pas«^
s^en emparer pour s'y établir^ Rome interdit au& Carthaginois^
k liberté de venir vendre dans &s ports les Efclaves qu il»
auroiempufairp^ dans leurs courfes ^.fur les Nations veifiney
^ Rome;. & elle voulut (]^eces fortes d^claves qu'on y
eonduifoit fliflent confilqués Les Romains s'engagèrent d^e»
fifer de la même forte avec ks Carthaginois^ 6c avec leurs^
alliés^. Carthagp y à fon. tour y fUpula: que fi les Rooiains fai^
foient quelque tort aax habttansdes pays de & domination^
&r les côtes où ils defcendsoient pour faire de Teau ou poiar
prendre dc^r^^kiflemens9,1!in&ilte foroit regaF'déecomme
uneinjuire publique. Il fia d^endu â tout Romain de négo^
ci» en Afiriqve^ dan&ll^^leSasdagFie >& d'y ifefter prl«w
de-ckti jours y fijppofié^ qo!^ f afaûcda&int ^ mais dans les;,
endroits de la Sicile où tes Cardxagtnois étoienc &s maîbes.
DU GOUVERNEMENT, aj^
if, à Çartbage ^ il ûit permis aux Romains de vendit CQuces
iç$ marchandifes que les Canhaginois avpient permifUon
d'acheter. X^es Romains accgrderent la même permiflion aux:
Cardiajg;inoi$ ^ p^r irappptt au commerce avec la ville de
Eome.
Il paroît par ce fécond Traité (4) cjui fut dans la fuite re-
nouvelle (b) avec quelques changemens (c) ^ queCarthage te-
noit alors TEmpire de la mer ; qu^elle prefcrivoit des bornes
ià la navigation des autres peuples ; qu elle s'étoîc plus ag-^
erandie que Rome ; & que les deux Républiques fe crai«
gnoient mutuellement.
Ces deux peuples rivaux en vinrent aux armes ; & ce fut «,. Pimiew
le defTein de pofleder la Sicile, formé en même tems par rune ^pl^ûmpulu
^ par Tautre Nation , qui les mit aux mains. La guerre en*
tre Carthage & Rome fut vive ^ elle dura vipgt-quatre sifis^
&: elle Ait enfin terminée à l'avantage des Romains par un
Traité (d) dont je rapporte les propres termes*
» Uamitié entre Rome & Carthage fe rétablira aux con-
n dirions fuivantes , pourvu que le peuple Romain les ratifie.
SI i^. Les Carthaginois abandonneront entièrement la Si-
n cile , & ils évacueront les places qu'ils y retiennent én-
» core. 2^. Ils payeront aux Romains deux mille deux cens
» talens , & cette fomme fera acquittée en entier , à divers
n payemens égaux , par chaque année j dans Tefpace de vingt
» ans. }^. Carthage reflituera aux Romains les captifs & les
I» tranfuges de leur République 9 fans aucune rançon ^ & les
<a) Fak J47 ans avant J. ۥ
<i) 307 ans avant J. C
<c) Voytz ce &cood Sl ce trolfiéme Tndté dans le Recudl it Baxbejrac aiis
p»ges ii2. & 2 J7.
id) CoQcltt devant Erix vers r^n 241 #viutf X C £af Hjunilcar pete d*Aim<
Hat ^& le Confia Q-lttcatiitt. ^
Kkij
2^& SCIENCE
» Carthaginois ne recouvreront leurs prifonniers , qu'ër*
V payant par têtes l'es fommes dont on conviendra. 4^. Les;
i> Carthaginois s'abfliendront de faire la giicrre au Roi Hi&-
• ron, aux Syracufains , & autres allies de Syracufc >v.
Ces articles figncs , Erix fut rendu par Hamilcar , & Tonr-
régla qu'il' payeroit en forçant , pour chacun de fcs foldats ^
lafomme dfe dix-huit deniers Romains. On- fe donna des fû*
retés de part & d'autre ; mais* pour achever Tôuvrage de là
paix , il rcftoit à obtenir le confentement dii peuple Romain^
Le Confiai envoya à Rome fcs Députes ; les Carthaginois^
des Ambafladeurs ; & le peuple n'agréa pas tous les articles..
Les Romains nommèrent dix Cbmmiflaires pour s'aller abou-^
eher avec Hamilcar, & pour exiger de lui de nouveaux
avantages* Ces* Commiffaires demandèrent que Carthage
payât fur le chmap mille talcns ; 8c que dans Tèlpace de dix
ans , elle en payât , en. dix payemens égaux , deux mille
deux cens autres. Us voulurent encore que Carthage cédât
à' Rome- hs Ides qui font répandues depuis lltalie jufqu'en
Sicile-; que les vaifleaux Carthaginois n'^y puffent jamais
aborder; & quH ne fut plus permis à ces Africains d'y venir
faire des levées de Soldats mercenaires. Ces nouvelles 8c
dures conditions fiirent.encore acceptées par le Général Car^
diaginois (a)'^
9^ »tonde ^^^ Romams ne furent pas lbng=-tems fans abufér de l'hcu-
Euin«£*^! reufe'fituation où les avoit mis le Traité de paix qu'ils avoienc
conclu- avec Carthage y:& les Carthaginois eiTuyerent , de
leur part , plufieurs injuftices en diverfes occafions. D'ail--
kurs, la. République de; Carthage faifoit en Efpagne des
^ (a) Voyez les pages 3 ro^ jt i . jTi; & fi J. dtt Rtaïuil BpTÏquc & CkrmU^
giqu€ dis Trâirèt par Barbciraç»
D U G ou V E R N É'M Ê N T. . lè^^
conquêtes qu^ellc ne pouvok continuer , fans mettre en dân^
ger cdle de Rome- qui ^ de fon eôté a\'ôîc étfehdu fa domina^
tîon jufques far les confins de la Gféce. Lç5 Romains',* qtif
^voient împbfe un nouveau- tribut au* Carthaginois, & quf
leur avoient enlevé la Sardaigne pendaiït les troubles d*Afrî-r
que , firent avec eux , pour le partage de ITlfpagne , un-
Traité dont les conditions furent que les Ganhaginofe n&
pafferoient pas TEbre j & que les Sagontinîs'j placés' entre eux*
& les Romains-, demeurereient neutres St vivroient libres 8t
indépendant (4). Le grand Annibal attaqua- Sagonre contre*
k fot du Traité f les Romains s'en plaignirent inutilement,^
& les deux peuples rivaux s'engagèrent dans une nouvelle'
guerre. Elle dura feize ansy& fon hiftoire prcfente' penC.
être lé plus grand fpeclacle^ que nous air fourni rantîquitëi^
La haine , l-habileté, l'expérience d'Annibal,le firent pref-^
que triompher de Rome ; ntalie entière penfâ plus* dune
fois tomber fous la- domination des Carthaginois ; maiscej:
Républicains n'ayant pas envoyé les fècours que leur Gêné*-'
rai demandoît ,. il- fiit réduit à une guerre défenfive. Gela^
donna aux Romains la penfée de porter la guerte en Afiri^-
que, & Scipion y defcendic. Les fuccès qu'il y eut oblige-»-
rent les Carthaginois à rappelîer d'Italie leur Annibal qui
pleura de douleur, en abandonnant aux Romains cette terre:
où il les avoir tant dt fois vaincus;
Annibal, n'ayant pu ajufler avec Scipiorr les différends/
des deux Républiques, donna une bataille qu'il perdit, &.*»
Garthage fe foumit à une paix (i) dont les articles- reflerr>-
blent moins aux conditions que fe font dos ennemis armés^^
qu'aux Loix qu'impofent' des maîtres^^
(tr) Seconde Décad. de Tict^UYe | o^ Sng^lémenC de Kreinshemiusf
tSz SCIENCE
Carthage s'obligea de réparer tous' Içs dommages qu'elle
4voit faits aux Romains pendant les trêves ; de rendre tous
le$ prifonnicrs & tous les déferteurs , en quelque tems qu ils
fu^Tent tombés entre fes main$ ou qu'ils euiTent pafle dans
fon parti ; de livrer tous fes vaiile^ux dç guerre ) à la réferve
4e dix ) à trois rangs de rames ; de livrer au(fi tous fes
élépkans ; de ne faire la guerre à perfonne hors de T Afrique^
6c de ne prendre en Afrique même les armes contre qui que
ce fut 9 fans le confentement du peuple Romain ; de rendre
au Roi Mafinifla les m^ifons , les terres y les villiss , Se tpu«
tes les chofes que les Carthaginois tenoient 8r qui avoienc
appartenu à Mafmifla ou à fes ancêtres , dans Tctendue de
pays qu'on leur indiqueroit ; de fournir â l'armée Romaine
du bled pour trois mois> 6c la paye jufqu'à ce qu'on eût ré*
ponfe de Rome au fujet des conditions de I4 paix ; de doa-»
oer 9 dans l'efpace de cinquante ans j dix mille talens d'ar«-
gent y en payant deux cens talens d'Eubée chaque année ;
6c de remettre pour fureté cent otages que le Général de
l'armée Romaine choifiroit parmi les jeunes gens de Cartha^.
ge f enlbrte qu'ils nç fufTent pas au^deÇTous de quatorze ans^
ni au^-deffus de trente (a).
9^^tMétag ^^ troifîeme guerre Punique fut entreprife , un nouveai
fVÙ^ S^°(Sî^ Traité la fufpendir (k) y & une liipercherie qui a imprimé une
^^ tache étemelle au nom Romain (/) 9 força les Carthaginois à
reprendre les annes. Scipion Emilien prit Canhage , la rafa
^(d) j 8c confirma par cette vi£loire le nom d'Africaift^ dans
<a) Voyes le Recuisil de Biirbeync fzg. %4% » )4} > & }44#
Cb) Ibid. pa|;. 400*
" Ce) Voyez la cin^uUme SeAion du croiiîéme Chapitre du Droit des «Gens ait
IhHaniaire : Ailumces ^ui^ rendant Fun d(S aUffs inf trieur 1 àgnnwt Mçmtf 4 l^
Sêuveraineté.
I
t) U G O U V E R N É^ M E Jsl T, 2^5
Ta famille. Dans la fuite, Augufle y envoya une fcolofiie de
trois mill& hommes. Hadrien la rctal!)Iit y^h nomma Ha^
irUnopolis. Après rétabliflémènc du Chriflianifme, Cartha-
ge devint le fiége d'un Archevêché, {a). Gcnferic Tenleva
aux Romains ,& pendant cent ans , elle fut le ÏÏége del*Em^
pire des Vandales en Afn^iue. Les Arabes ont entièrement
ruiné Canhage,&Von en voit les ruines à 4 lieues âéjTunîsl.
Carthage , devenue plutôt riche que Rome , avoir été aul!-
Il plutôt corroifipue.^ Pendant qù^ Rome les eftiplbls publics ^^-^^^
rie s'obtenoient que par la vertu & ne donnoient d'autre liti- J^ ^*<^,^"5
lité que ITionneur ,*tout ce que le public peut donner aux «"*^**°*» '
particuliers fe vendoit à Canhage , & tout fcrvice rendu par
un citoyen y étoit payé par le public. La cyrahrtîé daï^rihce
lie' met pas fon Etat plus près de & ruiné , que Tindïfferencè
des citoyens pour le bien commun n*y met une Répul>nc^uéw
L'avantage d'une République > c'eft qull n'y a point de fa?^ ,
voris comme dans la Monarchie^ mais Iprlqu au lieu des fa«-^
Voris 8c des parens tlu Prince ^ il faut faire la fortune des pa**^
lens 6c des amis de tous ceux qui ont part au Gouvernement^
tout efl perdu: Les Loix font éludées plus, d^géreufemenr
dans une RépoUiq^ , ^o^elles ne Ibnt violées par tiaPrinK
ce qui a toujours pLs d'intérêt à la conlervi^ion de ibn Ëtat^ '
ifÊit vCen içauioit avoir aacuiî citoyen à la confia vacion de fat
Républiquer
Un irfage bien étabR de la pauvreté parmi Te!r partlcttlièfs
te d*andennes mœurs rendoient à Rome les fortunes^ à pe«
près égales > mais à Carthage^ les jparticvliersavoiient les ri»
âieffes des Roîy.
Les Romains y toujours généreux^ toujours reconnoif^
a(?4 SCIENCE
fans , lorque la politique exigeoit qu'ils le fuflcht , devoîenî
haturellementaugmentet toujours leur puiflTancc ; Jcs Car-
thaginois toujours perfides, toujours ingrats, dévoient a la fin
perdre lalcur^. ,^
L'efprijt: des Carthaginois borné au commerce & rétréci par
Tavarice , ne s^ouvroit point aux grandes diofes , comme
celui des Romains^ Tandis que les uns , naturellement lâ-
ches 8c timides *, fe bornoienr aux intrigues & aux cabales
des citoyens 3' les. autres , fiers & courageux , pàrticipoientà
la grandeur & à Fambition de leur Republique , Se en décî^
4oient les querelles par les armes.
De deux fa£Uons qui divifoient Canhagc, Tune vouloît
cbûjcyjrs. là . paix 5 & J'autre toujours la guerre. Il étoit par
confeqùent inipoflible d'y jouir de la paix ou de bien faire Ul
giicrrç^ ' ;' '
La guerre quîXéparoit.Ies intérêts dans Carthage , les réu-
tii^Toic dans RpinÇ;. La prcfence d'Annibal fit ceffer parmi
ies Romains toiirês'lcs divîfions^ mais la préfencc de Scipîon
aigrit celles qui étoient déjà parmi les Carthaginois. Dans les
Etats jgoÙYerhés par un Prince^ les divifions s'appaifcnt aî-
Cement , parcç qu'il a dans fes miains une puiflante coërcitivç
qui rameiie les deux partis; mais dans les Républiques, el-
!ps font plus durables , parce que le mal attaque ordinaîrer
;lïieîit là puiflance même qui pourroïi: le guérir.
A Rome gouvernée par les Loix, le peuple fbuffroit que
le Sénat eut û direftioi) des affaires, à Carthage iniçûé»
d'abus , le peuple, youloît toyt faire jpar lui-mcme.
XTarthage , qui faifôîjt îa guerre avec Ton opulence contre'
I4 pauvreté Romaine^ avoit^p^r ceiamcme^ du dcfavantage.
. DU GOUVERNEMENT- 26s
L*or 8c Targenc s^épuifent ; mais la venu^ la confiance ^ la for--
ce y la pauvreté , ne s'épuifent point.
Les Carthaginois fc fervoient de troupes étrangères , &
les Romains employoient les leurs. Ceux-ci, qui n'avoienc ja-^
mais regardé les vaincus que comme des inftrumens pour des
triomphes futurs ^ avoient rendu foldats tous les peuples qu'ils
avoient foumis.
Carthage employoit plus de forces pour attaquer ; Rome ,
pour fe défendre. Rome arma un nombre d'hommes prodi-
gieux contre les Gaulois & contre Annibal qui Fattaquoient ;
Se elle n'envoya que deux légions contre les plus grands Rois p
ce qui rendit fes forces éternelles*
L'établiflement de Carthage étoit moins folide que celui de
Rome* Cette dernière République avoit trente colonies (a)
autour d'elle , qui en étoient comme les r^riparts , Tautre n'a-
voit aucun voifin fur lequel elle pût compter , parce qu'elle
les accabloit tous, & que la plupart des villes de fa domination
étant peu fortifiées & pleines d'habitans mécontens , fe ren-
doient d'abord à quiconque fe préfentoit.
On ne peut gueres attribuer qu'à un mauvais Gouvernement
ce qui arriva aux Carthaginois , dans le cours de la guerre
que leur fit le premier Scipion. Leurs villes (&), &. leurs ar-^
mées même étoient affamées tandis que les Romains étoienc
dans l'abondance de toutes chofes.
Chez lès Carthaginois , les armées qui avoient été battues ^
devenoient plus infolentes ; quelquefois elles mettoient en
croix leur Général , & le punifToient de leur propre lâcheté.
Chez les Romains y le Conful décimoit les troupes qui avoient
(tf) Tît. Lîv. Lih. 17.
(ff) Voyez Appien Lihcr Lyhicùs^
Tome /• . ' lél
a^4 SCIENCE
fans, lorque la politique exigeoit qu'ils le fuflcht, devoîenî
naturel lement augmenter toujours leur puiflTancc ; .les Car-
thaginois toujours perfides, toujours ingrats, dévoient a la fin
perdre la leur* .. ^
li'efprijt: des Carthaginois borné au commerce & rétréci par
Tavarice , ne s^ojuvroit point aux grandes diofes y comme
celui des Romains. Tandis que les uns , naturellement lâ-
ches 8c timides ', fe bornoienr aux intrigues & aux cabales
<lés citoyens 5 les. autres , fiers & courageux , participoientà
la grandeur & à Fambition de leur République , & en déci^
Soient les querelles par les armes,
Dç deux fadUons qui divifoient Canhagc, Tune vouloît
coûjoiirs, la . paix 5 & J'aurre toujours la guerre. Il étoit par
conféqûent impoiOTible d*y jouir de la paix ou de bien faire I9
^crrc^ ' ' . ' .
La guerre quîféparoit les intérêts dans Carthage , les réu-
îu^Toîc dans Rome/ La ©rcfence d'Annibal fir ceffcr parmi
les Romains toutes" les divlfions^ mais la préfencb de Scipîon
aigrit celles qui étoient déjà parmi les Carthaginois. Dans les
EtatSjgoùVerhés par un Prince^ Ips divifions s'appaifcnt aî-
fement , parcç qu'il a dans fes miains une puiflante coërcitivç
qui ramejie les deux partis; mais dans les Républiques, el-
!ps font plus durables , parce que le mal attaque ordinaîrer
^lïieiit la puiflance mcmé qui pourroïi le guér ir,
A Rome ^o^yernée par les Loix , le peuple fbuffroit que
le Sépat eut Ia direftioi) des affaires, à Carthage iniçûé»
d ahuis , le peuple youloit toyt faire jpar lui-mcme.
'Cartilage , qui faifoît îa guerre avec fon opulence contre"
15 pauvreté Romaine^ avoit^ p^r cela même^ du défavantage.
i. 91:
-DU GOUVERNEMENT- 26^
L*or & Targent s'épuifent ; mais la vertu, la confiance , la for-
ce y la pauvreté , ne s'épuifent point.
Les Carthaginois fc fervoient de troupes étrangères , &
les Romains employoient les leurs. Ceux-ci, qui n'avoient ja--
mais regardé les vaincus que comme des inflrumens pour des
triomphes futurs , avoient rendu foldats tous les peuples qu'ils
avoient foumis.
Carthage employoit plus de forces pour attaquer ; Rome 9
pour fe défendre. Rome arma un nombre d'hommes prodi-
gieux contre les Gaulois & contre Annibal qui Tattaquoient ;
Se elle n'envoya que deux légions contre les plus grands Rois p
ce qui rendit fes forces éternelles*
L'établiffement de Carthage étoit moins folide que celui de
Rome* Cette dernière République avoit trente colonies (a)
autour d'elle , qui en étoient comme les r^nparts , Tautre n'a«
voit aucun voifin fur lequel elle pût compter , parce qu'elle
les accabloit tous, & que la plupart des villes de fa domination
étant peu fortifiées & pleines d'habitans mécontens , fe ren-
doient d'abord à quiconque fe préfentoit.
On ne peut gueres attribuer qu'à un mauvais Gouvernement
ce qui arriva aux Carthaginois , dans le cours de la guerre
que leur fit le premier Scipion. Leurs villes (&), & «leurs ar-^
mées même étoient affamées tandis que les Romains étoienc
dans l'abondance de toutes chofes.
Chez lès Carthaginois , les armées qui avoient été battues ,
devenoient plus infolentes ; quelquefois elles mettoient en
croix leur Général , & le punifToient de leur propre lâcheté.
Chez les Romains , le Conful décimoit les troupes qui avoient
(tf) Tît. Lîv. Llb. 17.
(h) Voyez Appien Libtr Lyhidis.
Tome I. .... ^ lél
2^6 SCIENCE
fui ) & les ramenoit contre rcnncmi,
La fondation d'Alexandrie a voit beaucoup diminue le coift--
merce de CarthagCr Dans les premiers tems , la ruperftition
banniflbit en quelque façon les Etrangers de T^gypte , &
iorfque les Perles Teurcnt conquifc , ils n'avoicnt longe qu'à
affoiblir leurs nouveaux fujets y mais fous les Rois Grecs, TE-
gypte fît prefque tout le commerce du monde , & celui de
Carthage commença à déchoir»
La cavalerie Carthaginoife valut mieux que la Romainey
par deux raifons ; Tune , que les chevaux Numides & Efpa*
gnols étoient meilleurs que ceux d'Italie ; & Tautre , que la
cavalerie Romain: ctoit mal armoe ; car ce ne fut que dans la
guerre que les Romains firent en Gicce , qu ils changèrent de
manière {a). Dans la première guerre Punique , Rcgulus fut
battu y dès que les Carthaginois choifircnt les plaines pour
faire combattre leur cavalerie ; & dans la féconde , Annibal
dut à fes Numides fes principales victoires. Les Romains ne
commencèrent à refpirer dans cette féconde guerre y que IcrC*
que des corps entiers de cavalerie Numide paflerent de leur
côte y en Sicile & en Italie. Scipion y ayant conquis PEfpagne
& fait alliance avec Mafmiffe , ôta aux Carthaginois la fup6-
riorité ; ce fut la cavalerie Numide qui gagna la bataille de
Zaïna & finit la guerre.
Les Carthaginois a voient plus d'expcriencc fur la mer, ds
connoifloient mieux la manœuvre que les Romains ; mais cec
avantage n'ctoit pas pour lors auffi grand qu il le feroit aïK
joufd'hui*
Des batailles perdues y la diminution du peuple , Taffop-^
blifTcment du commerce , rcpuiiemcnt du trcior public , le
^)PolybrLib,Ç^
DU GOUVERNEMENT, nS^
ibulevcment des Nations voilîncs, toutpouvoic faire accepter
à Carthage les conditions de paix les plus dures* Mais Rome
ne ib conduiloit point par le fentiment des biens & -des maux,
elle ne fe déterminoit que par des motifs de gloire. Comme
elle n'imaginoit point qu'elle pût être , fi elle ne commandoit y
il n'y avoit ni efpcrance ni crainte qui pût l'obliger à faire une
paix dont elle n'auroit pas elle - même diâé les conditions^
Rien n'ell fi puiflant qu'une République où l'on obferve \^%
Loix , non par crainte ni par raifon feulement , mais par paf-
fion , comme firent Rome & Lacédémone ; pour lors toute la
force que pourroit avoir une fadion , fe joint à la fagefTe d^un
ton Gouvernement,
Ce furent les conquêtes d'Annibal qui commencèrent à chan-
ger la forrune de la féconde Guerre Punique ; mais Une rece-
voir point de fecours de Carthage , foit par la jaloufie dW
parti , foir par la trop grande confiance de l'autre* Pendant
qu'il conferva toute fon armée , il battit les Romains , mais
lorfqu'il fallut qu'il mît des garnifons dans les villes , qu'il
défendît des alliés , qu'il afiicgeât les places , ou qu'il les em-
pêchât d'être aflîégces , fcs forces fe trouvèrent trop petites ,
& il perdit en dcrail une grande partie de fon armée. Les'
.conquêtes font aifces à faire , parce qu'on les fait avec toutes
fes forces ; elles font difficiles à conferver , parce qu'on ne
Jçs défend qu'avec une partie de fes forces.
A Rome , les mœurs du peuple ctoient telles que tout abus
du pouvoir y pût toujours être corrigé. Carthage périt, parce
que , lorfqu'if* fallut retrancher les abus, elle ne put pas même
foufFrir la main de fon Annibal.
Dans ce temslà , l'efprit de commerce & de confcrvatîon
4toit ^ pour âinfi dire, dans fon eofance^ & n'a voit pas eu
Ll ij
263 SCIENCE
le tems de fe perfe£lionner , au lieu que refprit de conquête
eft plus impétueux dans fa fource que dans fcs progrès» Si te»
CarthaginSis avoient eu des frontières fortifiées > (i avec Tet
prit qui les portoit à découvrir de nouveaux pays pour leur*
commerce , ils avoient eu Tcfprit de co'nfcrvation , les Romrain»
auroient pu n'être pour les Carthaginois dans la premiercr
Guerre Punique y qu'une troupe de bandits»
Sectio-n VI.
Du Gouvernement des Romains.
^s. roniîauon Romè « qui a eu befoin du fecours de la fable , pour cacher
■je.jwpubigu^» la baffeflfe de fon origine, réceptacle de bandits, fondée par
de ^Gouverne- ^^ fratricide y forméc par raffemblage des femmes enlevées à
leurs familles > devint la maîtreffe du monde. Une grande
partie de la terre fut ou fujette ou alliée des Romains ; & avec
eux, les liens de Falliance n'étoient gueres moins pcfans que
ceux de la fujettion.
Les Livres ioni pleins de détails qui regardent le commeiïh
cément , les progrès , les diverfes fituations , & la fin de ce
peuple célèbre. Tout ïe monde fçaît que Rome, dont la fon-
dation fuivit de près celle de Carthage , fut d'abord gouver*
née Monarchiquement ; qu'après Texpulfion des Rois , rauto--
rite fuprême fut partagée entre les Confuls , le Sénat , & le
peuple ; que la République chercha entre les Patriciens & les
Plébéiens y un équilibre de puiffance qu'elle ne trouva jamais jr
qu?elle eut fouvent recours à la création d un Di£lateur dont
Tautorité étoit comme Monarchique ; qu'elle retourna à la Mo-
narchie par où elle avoit commencé ^ & qu'elle y perfiHa ju£m
qu'à tcncier renverlement de fon Empire»
DUGOUVERNEMENT, 2^p
Romulus y que ce peuple naiffant fe donna pour Roî , com-
manda les armées , eue rintendance des facnficcs , & jugea
les affaires civiles & criminelles, 11 établit un Sénat qu'il ren-
dit arbitre fuprême de tout ce que le Roi jugeroit à propos de
renvoyer à fon Tribunal , fans qu il fut permis d'appeller de
ce qui y fcroit décidé, à la pluralité des fuffrages. 11 autorifa
le peuple à créer les Magiftrats y à faire des Loix , à décider
de la guerre ou de k paix , quand le Roî le permettoit ; maïs
il limita ce pouvoir , & les réfolutions du peuple n'avoienr
point de force , qu elles ne fuffent confirmées par le Sénat où
le Roi préfidoit. L'expulfion de Tarquin le Superbe mit fin à
la Royauté dans Rome , & y forma un Gouvernement Ré-
publicain.
Le Gouvernement de la République ne fut, à divers
égards ^ qu un Gouvernement irrégulier , Monarchique ,
A riftocratique , populaire s les Confuls y repréfentoient la
Monarchie ; le Sénat, TAriftocratie ; le peuple, la Démo-
cratie. Ceft le hazard , au fentiment de Polybe(a)^ qui fie
prendre à la République Romaine une forme que Lacédé-
mone choifit par goût. Cet Auteur (6) penfc que le rappoft
mutuel & le concert de tous les Ordres de la République Ro-
maine , ont rendu le Gouvernement de Rome le plus ac-
compli qu on ait jamais vu ; mais ce concert mutuel , quand
cxifta-t-il ? Le Sénat & les Confuls y le peuple & les Tribuns
ne furent-ils pas perpétuellement aux prifes ? Ne fecrifierenr-
îls pas toujours à Tintérêt particulier de leur corps , le bon-
heur public qui doit être Tobjet de tout fege Gouvernement ?
Toutes ces diffentioiB anéantirent enfin la République , St
%
a) Frag. Lîb, 6w
b^ Dans fes réflexions fur le Gouvernement des Romains,
270 SCIENCE
donnèrent la naîflance à un Empire plus defpotîque qu^aucun
Gouvernement ne Ta jamais été , quoiqu'on nous parle tou-»
jours de la valeur des Romains , & qu'on ne nous dilc jamais
rien de leur lâcheté.
Les Empereurs laiflcrent fubfifter quelque forme extérieure
des anciens ufagcs , mais fous ces tyrans , on vit jufqu*où
l'efprit d'efclavage pouvoit erre porté , comme Ton avoit
vu fous la République julqu'à quel période la liberté pou-
voit aller (a). L'un de ces Empereurs , le plus grand ennemi
de la liberté publique, ne fortoit, dit-on, jamais du Sénat,
qu'il ne sYxriut en langage Grec : 0 hommes nés pour lajhrvi-^
îude (b) !
«6. caufcs de H faut fans doute compter pour la première caufc de la
^4'iS^ue. ^ * grandeur où parvinrent les Romains , l'amour extrême qu'ils
avoient pour leur patrie, La Religion cft le garant le plus
fur qu'on puifle avoir des mœurs des hommes ; & les Ro-
mains mêloient quelque fentiment religieux à l'amour de
leur pays. Cette ville fondée fous les meilleurs aufpices ,
ces deflinées qui leur promettoient l'Empire de l'Univers ,
ce Romulus leur Roi & leur Dieu , ce Capitole éternel com-
me la ville , la ville éternelle comme fon Fondateur , tout
cela avoit fait fur l'efprit des Romains une trcs-vive impref-
fjon.
Le Sénat , toujours fatigué par les plaintes & par les de-
mandes du peuple , cherchoit à l'occuper au dehors : or la
guerre étoît prefque toujours agréable au peuple , parce qu'on
avoit trouvé le moyen de la rendre utile au Citoyen & au
Soldat, par la fage diflribution du butin. Une guerre perpé-
(a) Tacît. în Pro'émîo Vita. j4s;ricola.
y?) O hommes adfenituum naù ! Tcjicit AnnaL Lib. j.
DU GOUVERNEMENT- 171
iuelle donna aux Romains une profonde connoiffance de Tare
militaire , pendant que les Nations voifines , tantôt en guer-^
re , tantôt en paix , perdoknt^pendant la paix le fruit dc^
exemples qu'une guerre paffagere leur avoir fî^rnis.
Une autre fuite de la guerre continuelle fut , que les Ro-
mains ne firent jamais la guerre que vainqueurs. En c0ct ,
pourquoi faire une paix honteufe avec un peuple pour aller
en attaquer un autre ? Ils augmentoient leurs prétentions, à
proportion de leurs défaites ; & par-là , ils confternoient les
vainqueurs y en s'irapofant à eux-mêmes une plus grande . ric-<
ceflrté de vaincre. La confiance & la valeur leur devinrent des
vertus nécéfTaires y & elles ne pufent être dîflinguces chez eux
d^avec le dclîr de leur propre çoftfervâtion l
Les Nations de TEurope prefque égdlenïQnt aguerries ^
ft'ont guères de - cbnfîancîe que dans le nombre ; mais chaque
Romain y plus robufle & plus déterminé que fon çnqeini ^
comptoir toujours fur fon courage. Ces hommes endurcis à
toutes fortes de travaux y qui faifoient la guerre 6c qui ef-
fuyoient des fatigues en tant de climats y étoient naturellement
fains & vigoureux ; nos armées au contraire fe fondent , pour
ainfî dire, par le travail immodéré des Soldats, & furrtout par
le fouillement des terres. Cétoit par un travail continuel que
les foldats Romains fe confer voient , c'efl par un trayail ex-
traordinaire que les nôtres pcriffent. Quelle en peut être la
raifon ? Ne feroit-ce pas parce que nos Soldats paf&nt fanS'
cefle d'une extrême oifiveté à un travail extrême.
Chez les peuples modernes'^ les déferrions font fréquentes y
parce que l?s foldats font la plus vile partie de chaque Na^
tion , ôc qu'il n'y en a aucune qui croyc avoir urt grand avan-^
ca^e fur les autres. Chez les Romains y les défercions écoieni;
272 SCIENCE
plus rares ; des foldats tirés d*un peuple fi orgueilleux ^ R Bu
de commander aux autres Nations , ne pouvoient gueres pea*
fer à s'avilir jufqu à ceffer d'être Romains,
Ce qui a Je plus contribue à rendre les Romains maîtres
du monde , c'eft qu ayant combattu fuccefiivement contre tous
les peuples , ils ont toujours renoncé à leurs ulages , dès qu'ils
en ont trouvé de meilleurs. Leur principale attention étoit
d'examiner en quoi Tennemi pouvoit avoir de la lupérîorité
fur eux , & d'abord ils y mettoient ordre. Les épées tranchan-
tes des Gaulois (a) & les éléphans de Pyrrhus ne les furprî-
rent qu'une fois. Ils fuppléérent à la ibiblcfle de leur ca-
valerie ( & ) , d'^abord en ôtant les brides des chevaux , afin
que rimpétuofîté en fût irrévocable y enfuite en y mêlant des
Velites (!:). Ils éludèrent la icience des Pilotes par l'inven-
tion d'une machine que Polybe a décrite. La guerre étoit pour
eux y comme dit Jofeph ( ^ ) , une médication ; & la paix ^
un exercice. Si quelque peuple eut y de fa nature , quelque
avantage particulier , les Romains en firent d'abord ufage.
Ils ne négligèrent rien pour avoir des chevaux Numides ^
des Archers Cretois , des Frondeurs Baléares , des vaif-
feaux Rhodiens. Enfin , jamais Nation ne fe prépara à la
guerre avec tant de prudence, & ne la fit avec tant de har-
diefle.
(a) Les Romains préfentoient leurs javelots qui recevolent les coups des ëpées
Gauloifes & les émoufToient.
(è) Lorfqu'ils firent la guerre aux petits peuples d'Italie , leur Cavalerie fc trouva
encore meilleure que celle de leurs ennemis. C'eft qu on prenoit pour la Cavalerie les
meilleurs hommes & les plus confidérables Citoyens à qui le Public entretenoit im
cheval. Quand ils mettoient pied à terre , il n'y avoit point d'Infanterie plus redou*
' table, 8c très-fouvcnt ils déterminoient la viftoire.
(c) C'étoient de jeunes hommes légèrement armés , & les plus habiles dç la Légion
qui , au moindre Atonal , fautoicnt fur la croupe des chevaux, ou combattoient à pied»
Val. Max. L. 2. Tit. Liv. L. 26.
Çd) De Bclb Judaic. Lib. a.
Comme
D U G O U V E R N E M E N T- 275
'Comme les peuples de notre Europe ont, à peu près les
mêmes arts , les mêmes armes ^ la même difcipline , & la
même manière de faire la guerre , les avantages font balan-
cés, & il y aune telle difproportion dans la puiflance , qu'il
h'cfl: pas poffitvle qu un petit Etat forte de fon abbaiflfemcnt
par fes propres forces* Une expérience continuelle a pu faire
connoître en Europe , qu'un Prince qui a un million de fu-
jets ne peut gueres entretenir continuellement plus de dix
mille foldats , fans détruire fon Etat. Il n'y a parmi nous que
les puiffantes Nations qui ayent des armées, parce que nous ne
cultivons pas une partie du Gouvernement aux dépens des
autres ; le marchand, le laboureur , le foldat , ont des fonc-
tions totalement fcparées , & fervent leur pays dans des
daffes différentes. Il rfen étoit pas de même dans les ancien-
nes Républiques , 8c furtout chez les Romains. Leur Gou--
ternement fiit prefque toujours abfolument militaire , tout
citoyen étoit foldat , & le partage égal des terres rendit Ro-
me capable de ^s'élever , parce que chaque citoyen avoit un
intérêt égal à défendre la patrie*
Quand les Loix ccflbient d'être . exaâement obfervées, à
ilomc,lcschofes revenoient au point où elles font parmi nous
& c'efl fur quoi l'Hiftorien Romain fait cette obfervation.
» Alors on forma , de la. jeunefle de la ville & de celle de la
^campagne , dix légions dont chacune étoit compofée de
^quatre mille deux cens hommes d'infanterie, & de trois
3^ cens Cavaliers. Aujourd'hui que le peuple Romain a éten-
«> du fa domination fur l'Univers entier , fi quelque nécef-
m fité preflante demandoit qu'on levât promptement une
» nouvelle armée deckoyens, on auroit bien de la peine à
» ralTembler de fi grandes forces y tant il eft vrai qu'en né-
Tome L Mm
sç^, SeiENCE'
n gligeanc tout ctjqiù peutnous fauver ^ nous n'àvQns'4C<|ini-
» que ce quiruineraquelqgae jour. rEmpire > .c*eft4r<lire le.-
*> luxe âi; les licheHes (4). LUvarice de quelques particuliers.-
4e la prpdtgalité.de»aucres , faifoknt pailer les fonds déterres.,
dans peudeinainss & d*âbordies'ârrs s'introduUkent pouc.-
]<?s.befoin$ nuiwels des Riches, IJ, n'y avoic prefque plus de
citoyens ni de foldats ,., cax les Fonds d&cerre , employés au- -
^avanciLTentretien de ces derniers , ne fervoient plus qu'à::
celui de» octaves âcvdesartifans qui étoient les inftrumens^du..'
Ittxedes-nouyeaux poiSbiTeurs.Ges fortes dé gensTnepouyoleacv
^cre.,dcbon$^ foldats y >ls-étoient lâches.» déjà co^'rompus par..
l.e luxe des villes Se fonvent par leur:art même , Se comme.-
ijb n'àvoienc point de patrie à. proprement parler ., 8c quUIs.;
ÎQuifloient. de leur induftrie pat tout, ils avoient peu. àa
C^ -n'éfl'pas moiite pwJéur-poIitique que par ieurt armes ^j,
^de lesKoKuins aieqmrexitr£mpiredu.mondé..
Quandik-jHoientpIiifiettfs eonemiscfur les bras, ils- ao«^
cordoieQt uœ tién;:au plofr fcuble qui fe croyoit heuiemc^:
àfi.ïsAxsBÊt^^QOtOffVit pour, beaucoup, d'aiyoir retardé, fa:
ruine. .
Ix>rfqu'ii$étoiëntOGCupé$àvi)ne'g^andég^rre^ lé Sénat nçf
(^(Emuloit touKs fortes d!ia}iir«9>.3ue parce qu'il attendoit-r
dans- le filcnçt-que Ic.temsxie la punition fik ;venu. Si quel^
^ l>e«ple Juienvoyoitles^:oupable$> il refufoit de lespu»-
lûr» aifIiaafemiéttXXeIÛr^touceiaJ^fationppur£riminelle^,feL•
réferver une vengj^ance: utile. -
Ils nemanquoiencufisde prétextes pour fiire la guerre »,
êc ils faififloient les. plus légers^Xeur^fûtume.étam de. pair
DU Xî O TT V ÏIR. N ï M ï; N T. 275
3er toujours en maitares.^ les Ambafladeurs ^u*ils envoyoïeot
atuxNâdons, t^li'amnent poimen^ leurpuiflance^
étoient fûremem maloraités ^iSc ces inauvaistraicemens étx)ieQt
pour les 'Romains , un prét^re^e Êiire la guerre^ C%(t aini
-^qifils s'y prirent > pour 3a faire aux D^itiites (a).
Comme ils s^écoientpa-iuadés que les deftinées leur avoient
accordé rEmpire du monde ^ ils r^ardoienc comme jude
tout ce qui les conduifoit à cette ^grandeur^ 8c faifoient la
paix d'auffi msuvaife foi que )a guerre. Ils mettoient dans
leurs Traités des condkions cpii commençoient toujours la
ruine de leurs ennemis , & ils ne manqooient jamais d'abu-p
fer de la iubtïlité des cermes^ pour i:ecommencw la guerre
contre une Nation abufée & a^oiblie%
Après ayok: eflfuyé une longue & pèriHeiife guerre , après
avoir pafle les mers & s*être confumé en frais , le Peuple
Romain fit dèdarer, par la voie d*un Héraut y dans une ai^
femblée générale , qu^il rendoit la liberté à toutes les villei
lie la Grèce , & ne vouloit d'autre fruit de fa viéloire , que
leplaifu: de délivrer les Grecs d'oppreffion ; raaisxxttemo*
dération apparente cacboit ifflie profonde diffimulation.
Deux Puiffances partageoient alors la Grèce > les Républi-
<jues Grecques, 8c la Macédoine, & elles etoient toujours
«n guerre^ les unes , pour confcrver les débris de leur an-
cienne liberté ; Tautre , pour achever de fe les aflfervir. Les
Romains fentoient qu'ils n'avoient rien à craindre tk ces pe-
tites Républiques affoiblies par leurs divifions inteftiues ^
par leurs jâloufies réciproques^ 8c par les guerres qu'elles i
^voient eu à foutenir au dehors ; mais la Macédoine , qui avoir
«des troupes aguerries, qui ne peidoit point de vue la gloire
Mmij
27^ SCIENCE
de fes anciens Rois , qui avoit ponc autre fois fes conquêtes
rafqu au bout du monde , qui: confervoit précieufement un
.defir chimérique, 6c néantmoins vif de la Monarchie univer-
ifelle , &: qui avoit une alliance comme naturelle avec les Rois
d'Egypte 8t de Syrie, fortis de la même origine , donnok
aux Romains de juflcs allarmes. Rome , depuis la défaite
de Caithage , ne pouvoir trouver d'cbflacle à* fes deffcins
ambitieux, que dans ces puiffans Royaumes qui partageoient
entre eux le refte de PUnivers , & en particulier dans celui
de Maccdoinc plusvoifin de l'Italie que tous les autres. Pour
mettre donc un contrepoids à la puiflance Macédonienne,
les Romains fe déclarèrent hautement: pour ces Républiques y
fans autre dcfTcin , ce fembloit , que de les défendre contra
leurs oppref&urs ; ilsaffefterent de leur montrer pour ré—
compenle de la fidélité qu elles leur garderofcnt , la li*
berté. dont elles étoiejit cxtrcmement jaloufes. L'appas étoit
habilement préparé, & il.fut avidement) faifi parlcs^ Grecs
qui fe livrèrent à une joie flupide ; mais le péril caché foit9
c-ette amorce , fe manifofta enfin. Les Romains , feus pré-
texte d'entrer dans les intérêts des* Grecs , & de les récon-
cilier, devinrent les arbitres de ceux à qui ils avcicnt rendu
la liberté y & qu'ils regardcicnt en quelque forte comme
leurs affranchis» Dans h fuite , de Médiateurs devenus Jugess
Souverains^ ils prirent bientôt le ton de Maîtres*^.
Après que les Romains avoient détruit les armées d'un*
Prince , ils ruinoient fes finances ,.en le fou mettant à un trii.
but & à des taxes exccflîves, fous prétexte de lui faire payer
les frais de la guerre : nouveau genre de tyrannie qui le for-
çoit d'opprimer fes. fu jets ,. & de fe priver de la xeffource
^u'il eût pu trouver dans leur amour^.
DUGOUVERNITMENT. 277
Si quelque Prince ou quelque peuple s'étoit fouftrait à To- '
béiffance de foR' Souverain , la République* lui accôrdoit le
titre d'ail ic:(^) du peuple Romain ; & par-là, elle le rendoic
inviolable. Il n'y avoir point de Roiy quelque grand qu il
fât , qui pût être fur de fes fujets ni mémo de fa fomille*
, Les Romains avoienrplufieurs fortes d'alliés. Les unsleuif
«toient unis par des privilèges & par une participation d«
leur grandeur , comme les Latins ^ & les HemiqueSi D'au*
très , par l'établiflement même, comme leurs colonies^i Quel-
ques-una , par les bienfaits , comme Mafinifle , Eumenes , 8c
Attalus , qui tenoient d'eux leur Royaume ou raccroiffémenc
de leur PuifTance (è) ; d'autres , par dés Traités libres , 8c
ceux-là devenaient fujets par un long ufage de leur alliance ,
comme les- Rois d^Egypte , de Bithyjiie , de Cappadocc, &
h plupart des villes Grecques; Plufieurs- enfin y par des
Traités forcés &. par la Loi de leur fujettion-, comme Philip-^
pe & AmiochuSr Les Romains n'accordoienr point de paix
à un. ennemi qui ne contînt une alliance , c'eft-à-dirc qu'ils
ne foumettoient point de peuple, qui ne leur fervît àenabaif-^-
fer d'autres. Quoique ce titre d'allié fut une efpece de fervi-
tude , il étoit néanmoins très-recherché (c).. On étoit fur da
ne recevoir des injures qucd'eux , & Ton fe flattoit qu'elles
feroient moindres que celles qu'on auroit pu recevoir d'aiU
huYs : aïnfi afin' d'obtenir le titre d'allié de F^ome, il n'y-
avoir point de fervices que les Rois & les peuples ne fuffeno
prêts de rendre , ni de baflcffc qu'ils ne fiflent.
Lorfqu'ils laiffoient la liberté à quelquesville^jils y faifoientt
(a) Traité des Romains avec les Juif^ au premier Liv. dts Iiïachabées Ch. 9«
ià)Ut haherent itifirumentà fenituris fr Regcs. Tarit.-
(<r) Polybe die qu'Ariarathe lit un Sacrifice aux Dieux ^ pour les remercier de,*
ce qui'il aroirot/tenu le dcrcdfâlUéxlu Peuple iù>Budo#
j^4^ SeiENCB^
HgligeanccQuc.ce.c^ peubjiousfauver, nous n'aYQns^ac<|ais^^~
» que ce quLruinexa- quelqgiie jour. rEmpûre , . c*eJ[l4rdire le-
n luxe âi; les xicheiTes (4)...LUya£ice <ie quelques particuliers.^
^ la prpdtgalité.de^aucres , faifoient paiTer les fonds de^terres:-
4ans peu .de mains-; Se d'dbord leS' arts s'introduifitent pour. -
Ifs.befoins mutuels des Riches,. Il n'y ayoit prefque plus de
Citoyens ni de foldats y, car les fonds déterre, employés au« -
^avantiiremretienjde ces. derniers, ne fervoienc plus qu'à.
Qslui desefcUvesâCwdesartifans qui étoient les inftrumens<du.;
luxecLçs-nouyeaux poiEbifeurs.Ges fortes dé gensfiepouvoient:
^re.de bons foldats, ik étoient lâches., déjà corrompus parr
le luxe des villes Se fouvent par leur.art même , 6c comme*
Ils n'avoienc point de patrie à. proprement parler ., 8c qu'ils j
ÎQuiflbient.de leur iaduftrie p^r tout 9 ils avoient peu àa
Ce n'éll pas moins par.léur-politit^ que par leurs armes j^^
^fje lesRonaiofi aiK]uirexiti'£mpire<lu.mondè..
Quand ik'avoiefitpliifiettcsennemisfur les bras, ils ao^
cordoieot ime tiêve:au plu» foible qui fe croyoit hëuceux.
^.rpbtenif , ,cûiapf«nc pour, beaucoup d'avoir retardé, fa \
ruine..
Lorfc^'ilsétoiéntOGCupésà^unegrandé guerre^ lé Sénat ne'
(^{fimuloit touKS fonesd'iajur«9 , .<}ue parce qu'il attendoit^
dans le filence que le.'tems^e la -punition fut ;venu. Si quel-n-
^ peupierluienvoyoîties^oupableS) il refufoit de les pu»-
lûr, aimant; mieuxtenir toute la^ation ppur criminelle^ fe.-
réferver une vengeance utile. .
Us ne manquoienc p^ de prétextes pour faire la guerre »,
4& ils faifîfloientlésplus légers» Xeur..€fûtume.étant de. par'*'
DU Xî OTTVÏ^NÏ MIE NT. 275
'^er toujours en maîcres.^ lies Ambâflâdeiirs ^u*ils envoyoitiit
atux Nations , x^^in'atwient point éncort fend leur puiiSance^
étoient fûrement maltraités ^ Se ces inâuvais traitemens étoieot
rpour les Romains , un prét^^e Êiire la guerre^ Cèft aini
^qiTils s'y prirent > pour la faire aux Dâliliites (a).
Comme ils s*étoient periuadés que ks deftinêes leur avoient
accordé FEmpire du monde ^ ils r^ardoient comme jude
tout ce qui les conduifoit à œtte ^grandeur^ & faifoient la
|)aix d'aufli msuvaife foi que )a guerre. Ils mettoient dans
leurs Traités des condkions cpii commençoient toujours la
ruine de leurs ennemis , & ils ne manquoient jamais d'abu-p
fer de la fobtilité des termes^ pour rœommencer la guerre
contre une Nation atxrfée & afifoiblie^
Après avoir effuyé une longue & périHeufe guerre , après
avoir pafTé les mers & s*être confumé en frais , le Peuple
Komain fit déclarer, par la voie d*un Héraut , dans une ai^
femblée générale, qu'il rendoit la liberté à toutes les viilei
lie la Grèce , & ne vouloit d'autre fruit de fa viéloire , que
leplaifu: de délivrer les Grecs tfopprellion ; raaisxxttemo*
dération apparente cacboit ifflie profonde diffimidation.
Deux Puiffances partageoient alors la Grèce > les Républi-
<jues Grecques, 8c la Macédoine, Se elles étoient toujours
'en guerre, les unes , pour confcrver les débris de leur an-
cienne liberté ; Tautre , pour achever de fe les affervir. Les
Romains fentoient qu'ils n'avoient rien à craindre de ces pe-
tites Républiques affoiblies par leurs divifions inteftiues ^
par leurs jâloufies réciproques, & par les guerres qu'elles 1
^voient eu à foutenir au dehors ; mais la Macédoine , qui avoir
<Jes troupes aguerries, qui ne perdoit point de vue la gloire
>{a}PlttMi.
Mmii
27(î SCIENCE
defes anciens Rois, qui avoit porté autre fois fes conquêtes
rafqu au bout du monde , qui: confervoit précieufement un
.defir cliimirique ^ 6c néantmoins vif de la Monarchie univer-
ifelle, &: qui avoit tine alliance comme naturelle avec les Rois
d'Egypte 8t de Syrie, forris de la mcmc origine , donnok
aux Romains de juflcs allarmes. Rome , depuis la défaite
de Caithage , ne pouvoit trouver d'cbflacle et fes deffeins
ambitieux, que dans ces puiffans Royaumes qui partageoient
entre eux le refte de PUnivers , & en particulier dans celui
de Macédoine plusvoifin de l'Italie que tous les autres. Pour
mettre donc un contrepoids à la puilTance Macédonienne >
les Romains fe déclarèrent hautement: pour ces Républiques y
fans autre dcfTcin , ce fembloit , que de les défendre contra
leurs oppref&urs ; ils affefterent de leur montrer pour ré—
compenle de la fidélité qu'elles leur garderofcnt , la li*
berté. dont elles étoiejiL extrêmement jaloufes. L'appas étoit
habilement préparé , & il.fut avidement) faifi par Ics^ Grecs
qui fe livrèrent à. une joie flupide ; mais le péril caché foit9
c-ette amorce , fe manifofta enfin. Les Romains , feus pré-
texte d'entrer» dans les intérits des* Grecs , & de les récon-
cilier, devinrent les arbitres de ceux à qui ils avcicnt rendu
la liberté ,. & qu'ils regardcicnt en quelque forte comme
leurs affranchis. Dans h fuite , de Médiateurs devenus Jugess
Souverains-, ils prirent bientôt le ton de Maîtres^.
Après que les Romains avoient détruit les armées d'un?
Prince , ils ruinoient fes finances ,,en le foi: mettant à un trii-
but & à des taxes exccffives, fous prétexte de lui faire payer
les frais de la guerre : nouveau genre de tyrannie qui le for-
çoit d'opprimer fcs,fujets ,. & de fe priver de la xeffource
^u'il eût pu trouver dans leur amour^.
DUGOUVERNITMENT. 277
Si quelque Prince ou quelque peuple s'étoit fouftrait à To- '
béiffance de fon^ Souverain , la République* lui accôrdoic le
«itre d'ail id(^) du peuple Romain ; & par-là, elle le rendoic
inviolable. Il n'y avoir point de Roi y quelque grand qu il
fàt y qui pût être fur de fes fujets ni mémo de fa famille*
. Les Romains avoienrplufieurs fortes d'alliés. Les unsleuif
«toient unis par des privilèges & par une participation d«
Jeurgrandeur, comme les Latins, & les Hemiquesî D'au*
très , par l'ccabliflement même, com^me leurs colonies^. QueL
ques-una , par les bienfaits , comme Mafinifle , Eumenes , &
Attalus , qui tenoient d eux leur Royaume ou raccroiffcment
de leur Puiffance (è) ; d'autres , par dés Traites libres , 8c
ceux-là devenaient fujets par un long ufage de leur alliance,
comme les- Rois d^Egypte , de Bithyjiie , de Cappadoce, &
b plupart des villes Grecques; Plufieurs- enfin ^ par des
Traites forcés &. par la Loi de leur fujettion, comme Philip-^
pe & AntiochuSr Les Romains n'accordoienr point de paix
à un. ennemi- qui ne contînt une alliance , c'eft-à-dirc qu'ils
ne foumettoient point de peuple .qui ne leur fervît àenabaif-^
fer d'autres. Quoique ce titre d'allié fut une efpece de fervi-
tude , il étoit néanmoins très-recherché (f).. On étoit fur d3
ne recevoir des injures qucd'eux , & l'on fe flattoit qu'elles
feroient moindres que celles qu'on auroit pu recevoir d'aiU
hurs : aïnfi afin' d'obtenir le titre d'allié de Fv:ome, il n'y
avoir point de fervices que les Rois & les peuples ne fuffeno
prêts de rendre , ni de baflcffe qu'ils ne fifTent.
Lorfqu'ils laiflbient la liberté à quelques.ville^,ils y faifoienu
(a) Traité des Romaînf avec lés Jiiîfi au premier Liv. des Mlachabées Ch. 8.
iib)Ut hahcrent mftrumentù. fenituds & Reges. Tadt,
(«f ) Polybe die qu'Ariarathe lit un Sacrifice aux Dieux f pour les remercier de^t
ce qu7il*aroirot:freDU le dcrcd'alUéidu Peuple iU>siain#
^y« -S C 1 î: N C E
d'abord naître deux fanions. L'une défendoît les Loîx &la
liberté du pays; Tautrefoutenoit qu'il n'y avoit de Imxqué
la volonté des Romains ; & celle-ci, appuyée des Romaim
mêmes, étoit toujours la plus puiflante.
Quelquefois ils ufurpoient un pays fous prétexte de fuc*
cefïîon. lis entrèrent en Afîe, en Bithynie, en Lybie,'
par les teftamens d' Attàluis , de Nicoméde fils de Philopap
tor, & d'Appian, L'Egypte fut endiaînée par le moyen de
celui du Roi de Cyrène.
Pour tenir les grands Princes dans un état continua
«de fôibleffe , Rome ne vouloit pas qu'ils reçuflent dans leur
alliance ceux à qui elle avoit accordé la fienne; êc comme
«elle ne la refufbit à aucun des vdifins d'un Prince pulflant ^
cette condition , mife dans un Traité de paix, tie lui laiflbit
j)lus d'alliés. Elle ne vouloit pas non plus qu'un Prince pût
faire la guerre aux alliés de Ronae ^ c*eft-à-dire <ïrdinaire-»
tment à aucun de fes voifins ; elle ordonnoit qu'3 mk fei
/droirs & fes prétentions en arbiirage^ ce qui le depouilloïc
ide la pjttiflance militaire. ^
Ils enprivoîent leui% alliés même. Dès que ceux-ci avoîenl
le HKJindre démêlé , les Romains envoyoient des A mbaffa^
^eurs qui les obligeoient de faire la paix. Ceft ainfi qu^il»
iterminerent les guerres d' Attalus & de Prufias.
Lorfqu!un Prince avoit une conquête qui fouvent Favoît
fépuifé , un Ambafîadeur Romain furvenôit d'abord qui la lui
crachoir des mains. Usdiaflerenr d'Egypte Anriochusavec
aine feule parole (a).
Inflruits combien les peuples d'Europe étoient propres à la
guerre , ils établirent qu'il ne feroit permis à aucun K<Â d*A^
^a) yp;^ UTxwé ;du JQroU i»Cfm» Cba^cae premier ^ SeAicA x^:.
15 \3 G O D V E R N E M EN t. iff^
flt d'entrer. eA Europe & d y attaquer quelque peuple que ce
^t. La (Jéferife faîte à Ahtiochus,;ï)€me avant la guerre ^ de^
piafler en Europe ,4evint générale. . Le -principal motif de la
guerre tju'ils firent ^â M ithridate (4) ^iut que ^ contre • cette/
4éJfenfè^4l aToitfôumis'quelques Barbares; .
S'ils voypient dcu)C peuples fe faire la guerre^ ilsf pre^^
noient part , quoiqu'ils' n^ëuffent aucune alliance, ni rien à^
i^niêler avec eux ;^& ils 4xe manquoient jamais de prendre le •
piarti du plus -foible. Les maximes dont ils firent ufàge con-
tt^les plus grandsMonarques) furent les meme^t^u'ils «voient
employées dès le commencement contre les petites villes qui •
écoient autour d'eux.- 11$' fe fervirent^'Euœencs&j d€ Mâfi-
mSc pour lûbjuguer PBHppe & Antiochus^ comme ils ^ s'é-
lîpient fervis des Latins Se des'^Herniques|>our fubjugijer les-
^felsqucs &; les-Tofcans. Ils fe^firent livrer les flottes des
Ganhaginois^ dés Rois d'ATie^amii qu-ils s'étoient fait li-'
•vrcr les barqnes d'Ahçium^ Cette Politique leur réuflit dans .
lies Hccles où celle de 1 équilibre du^ pouvoir , jd confultée de^^
nos jours ^ étoit abiblument ignorée.
Lwfqu'ils accordoient la. paix^ à un Koi, ils recevoient*
quelqu'un iiè fes^enfans ou dé fés frères en otage 9 ce qui les
metcoitià ppnée de troublera fonilbyaume^à leur gré. S*ils
avoient l'Héritier» préfomptif de .là Couronne , Ms en-imiipi-*
dolent le pofleffeur. S'ils n'avoient qu'un Prince d'un degré
^igné, ils s'en fervoiénr pour exciter des révoltîes.-LePrin^
ce, donr l'élévation^étoft utile à là République Romaine , ?
étbit poui?:eHé le Prince légifime. Dès qu'il y; avoir quelque
cfâpuce dans un Etac, ifs jugeoienc d'abord J'affaire , & par-
ti ils étoientfûrs dé n'avoir contre wix qqe k puiflance qu'ils
aroientcondamnée^Si^lcu^ Princes du même fang fe dif-
20» SCIENCE
putoîcnt la Couronne , ilsJes dcckroient tous deux Roîs , de
anéantiflbient par là le pouvoir de Tun & de Tautre. Si Tun
des deux étoit en bas âge , ils fe déclaroient pour lui & en
jirenoicnt la tutelle y comme Proteéieurs de TUnivers. Ocd
.ainfi que pour être en état de ruiner la Sicile ^ ils le ddcla-
r-erent 'les tuteurs du fils d' Antiochus encore enfant , & pri-
rent parti contre Démétrius qui ctoit chez eux jen otage ^
qui les prioit de lui rendre juftice^ difant que Rome croit (a
œere , &: les Sénateurs fes pères.
Si un Etat forraoît un corps trop redoutable par fon unîoa
ou par fa fituation^ ils ne manquoient jamais de le divifer. La
Republique d*Achaïe ctoit formée par une affociation de vil-
les libicSjJe Sénat Romain dédira que chaque ville fegou-
HFcrneroit déformais par fes propres Loix , fans dépendre
d'une autorité commune. L'Ekat des Béotiens étoît gareille-
ment une ligue de plufieurs villes ; mais comme dans la guer-
Be contre Pcrféc , les unes fulvirent Je parti de ce Prince , les
autres celui des Romains , ceux-ci les reçurent en grâce f
moyennant la dilTolutionxle ralliancc commune. La Macé^
doine ttoit entourée de montagnes inaceffibles ; le Sénat la
partagea en quatre parties, les déclara libres-, défendit toute
forte de liatfon cntrc-cUes , même par mariage , fit tranfpor-
ter Jes Nobles en Italie^ 8c par-li anéantir cette puilTance.
Les Romains ne faifoient jamais de gucwe dans Téloigne-
nient , ians s'ctrc prcicurc y contre J'eniiemi qju ils attaquoienr,
quelque allié qui p«t joindre Jdes trojapes à l'armée qu'ils en-*
vpyoient;5c CQjnçie cetteiirméc n etoit jamais confidérablc par
je nombre, ils en tenoient xine autre dans laProvince la plus
vpifined^ Tenncmi , & une troificme dans Rome toute prête à
^çircher ; ainfi ils n'jexpofoiçnj: jamais qu'une petite partie
de
D U G O U V E R N E M E N T. 2«t
«âc leurs forces , pendant que-leur ennemi mcttoit au hafard
toutes les fiennes.
Us jugeoient les Roîs y pour leurs fautes, ou pour les cri-
mes particuliers. Ils écoutèrent les plaintes de tous ceux qui
avoient quelque démêlé avec Philippe ; envoyèrent des Dé-
putés pour pourvoir à leur fureté ; & firent accufcr Perfée de-
Tant eux , pour quelques meurtres & pour quelques quércl-
l«avec des Citoyens des villes alliées.
Le Sénat envoyoit aux Rois une chaife , un bâton d'yvoi^
rc j quelque robe de Magiftrature ^ mais les alliés de Rome
fc ruinoicnt tous par les préfens îmmenfes qu'ils lui faifoienr,
fbit pour acquérir, foit pour conferver fes bonnes grâces.
La moitié de rargent qui fut envoyé pour ce fujet aux Ro-.
ttiâins , auroit Tuffi pour les vaincre. Maîtres de FUnivers j
îls s'en attribuèrent tous les tréfors , & furent des raviffeurs
moins injufles , en qualité de Conquérans , qu'en qualité de
Légiflateurs. -Les richeffes immcnfes de Ptolomée Roi de
Chypre excitèrent leur avarice"; ils -firent une Loi , fur la
propofition d^un Tribun , par laquelle ils fc donnèrent Thé-
^dité dHin homme vivant, & s'attribuèrent la confifcation
Acs biens d'un Prince allié (^).
Bientôt la cupidité des panicdiers acheva d'enlever ce quî
oivoit échapé à l'avarice publique , les Magiftrats & les Gou-
-C^erneurs vendoient leurs injtiftices auxRois. Deux Compé-
nteurs fe Tuinoient à l'envi , pour acheter une proteftion
:f oujours douteufe , contre un rival qui rfétoit pas -entièrement
A)uifé^ Les droits ou légitimes ou ufurpés ne fcfoutenant
^<5ue par de l'argent , 4es Princes , pour en avoir , dépouil-
ibient les Temples & confifquoient les biens des plus Tiches
' ^d) Floms t Lib. 3. Cap. ^
a$2, arc lE N CE^
Citoyens. On faifoic. nulle. crimes pour donner aux RbmaîàRi
tout rargent du monde* .
Rifqiierrun«;guerrc.contreRùme,çVtoir s'éxpofer à nnfàmie -
du triomphe,^ U captivité à la mort : ainfi^desRois qui vivotent :
dans le faflê.âc dans Jes délices , n'ofoient fou tenir, les re-^
gards du. peuple Romain ;.ils perdoient courage, & attcn--
doient, de leur patience &.de leurs bafleflcs , quelque: délai ci
aux maux dont ils ctoient menacés. .A la fin de chaque guer-; -
re , Rome regloit les peines- & les rccompenles que.chacua:
avoit méritées ; &. le Sénar. lesdiflxibuoit , fie manière qu'il i
attaçhpit à Rome des Rois dont elle a^oif^ peu. à craindre 6ci
bpaucQuprrà efpérer > & . qu'il en affoibliffoic .d'autres • dont c
Rome a'avoit rien, à efpérer Se tout à craindre. .
Les RQi$ & les peuples devinrent ixifenfiblemem les fujets ;
de Rome. Après la défaite d'Antiochus^ les Romains étoientt
Maîtres de T Afrique y de T Afie , & de U Grèce , fans y avoirr
prefque de ville en propre. Il fembloit qu'ils ne coaquiflenin
que pour donner ; mais ils étoient fi bien les Maîtres , que :
Iprlqu-ilsfeifpient la guerre. à. quelque Prince, ils Paccar-
bloient, pour ainfi dire, du. poids de tout l'Univers^ Rome-
n!étoit pas proprement une MonarcHe ou une République ^,
cîétoit la.tcte.dun corps formé |)ar toutes les Nations dvk-A
monde. .
Telks furent à peu près les caufes 4e la grandeur où par-^
vinrent les Romains., l'amour religieux de la patrie, le gpûtK
de.la.pauyreBé. perfonnelle pour augmenter l'opulence >p«^-
biiquc., le partagée égal des terres f armi les Otoyens > Jbiri
xïwniçre dç^faire Ja g^^ciiQ^ l'extrêmei févériié .de leur .dilci*-
plinemiliraire > l'art .dérendre laguerrcmeme.utik auSofe-
dat & att.Qtc^eo: par ji diflribytioa du butiir^ la fege écoç-
D tJ G O U V ï: R N E M E N T. .283
*}K>mie des finances ^ Tinfidélicé dans les Traités y une polici-
«que adroite & pleine de m^vaife foi.^ 8c la terreur du nom
tRomain :y fuite iicceflaire de toutes ces chofes: ce ïnêlange
«de vertus & de vices , qui Xeroit aujourd'hui infruéhieux ,
'^rendit Rome propre à conquérir le monde entier»
Fendant plus de quatre cens ans^ ibus les Rois ou fous
la République , Rome eut les armes à la main. Elle avoic
4:emporté des viâoires.^ pris des villes y do Apte des peuples ^
'inais fort peu reculé ies frontières. On rentroit prefque (ang
interruption dans *un cercle de guerres contre des ennemis
^u'iletok facile de vaincre f mais qu'il n'étoit pas aifé de r^
ttenir fous le joug. Ce ne &t qu au bout de Xept cens ans que
iRome parvint à faire xefpeâer Tes armes par toute la terre^
Ce que la vertu des premiers Romains 9 pauvres & reti* 99, cànoif ée
fermes dans «ne enceinte fort étroite ^ avoit produit , les i*a^j?ubiHuj.
vices des Romains ^>pulens & Maîtres d^une grande partie
sdu monde le détruifirent. La grandeur de TEtat fît la gran«*
jdeur des fortune particulières ; mais l'opulence eft dans les
«nœurs Se non dans les richefles. Les grands biens des Ro^
/mains qui ne laifToient pas d'avoir des bornes ^ produifirent
%in luxe 8c des proAifions qui n'en avoient point. Ceux qui
^voient d'abord été corrompus par leurs iicheflfes^ le furent
venfuîte par leur pauvreté^ avec des biens au-deffus d'une con*-
«dition privée. U fut difficile d'être bon Citoyen : en regret*-
îtant une grande fortune ruinée , on lut difpofé à commettre
toutes fortes d'attentats* Une fage difpenfatioti des revenue
publics j avoir contribué à l'élévation de la République y 8c
ia diflipation de ces mêmes ^revenus contribua à Ja ruine <te
^Empire*
iLaxneme BDurmedeGouvememéEU: quiâitpro|tfe àacquéràt
J^Aij
&84 SCIENCE
au peuple Romain une grande pulflancc , ne le fut pas à coiî--
fervcr à ce peuple la puiffance qu'il avoir acquife. Des Loix
qui font qu'une petite Fcépublique devient grande, lui font
\ charge , lorftju'èlle s'èft aggrandie , parce qu elles font tek
:s que leur effet naturel étoit de faire un grand peuple , dt
Ton pas de le gouverner.
Deux Puiffances Légiflatives , celle du peuple & celle in
icnat , fe difputoîent fans ceffe la prééminence. Des contct
-^ations éternelles entre les Patriciens & les Plébéiens, IcS
jrigues des Cônfuls, la fureur dès Tribuns , des violences i
des brigandages , & des vexations' de toute efpccc , eniir-
rent la fuite. Il n'y eut plus ni mœurs , ni difcipiine*, nipa.
lice , ni crainte des Loix; La corruption des Juges fut toute
publique , & les Sénatus Confultes & lesPlébifcites furent le
prix de l'argent donné ou reçu. Les ambitieux firent venir à
Rome des villes & des Nations' entières , pour troubler les-
fuffrages ou fe les faire donner ; les aflemblées forent de vé-
ritables conjurations ; & 1 anarchie fut telle qu'on ne pût plut- ^
fçavoir fi le peuple avoit fait une Ordonnance , ou s'iLne l'a*-
voit point faite.
L'étendue deTEtat ruina la République. Le Sénat voyoîr
autrefois de près la conduite des Généraux ; mais après que
lès Légions eurent paffé les Alpes & la mer, les gens de
guerxe qu'on étoit obligé de laiffer pendant plufieurs campa-
gnes dans le pays qu'on foumetroit, perdirent infenfible^
ment l'efprit de citoyens. Les Généraux qui difpofoient des-
armées & des Royaumes , fentitent leur force & ne fçurent
pFus obéir. Les So-ldats ccmmenterenr à n^ reconnoîtreque
kur feul Général, à fonder fur lui toutes leurs efpérances',ils.
XkQ virent plus Rome que dans un grand cloignement £
DU' GOUVERNEMENT. ^«5
ce ne furent phis les Soldats- de la République, mais les
Soldats* de Sylla & de Marius ; Rome ne pût plus fça-
Voir fi cdui qui étoît à la tête d une armée dans lesProvin-'
ces , étoit fon -Général oif fon ennemi Tandis que le paijflc?
Romain ne fut corrompu que par les Tribuns , à qui il ne
pôuvoit aiccordet que fa puiflance même y le Sénat put- k dé-
fendre , parce qu'il agifToit conftammenf, au lieu que la pô-
firlace paflToit fans ceffe derextfémité de la fougue à l'extré-
fnité de la fbibleflcr ; iiïais lorfqu'il fut en état dé donner à
fès favoris tine autorité formidable au dehors , route la fageflb
du Sénat devint inotilé j & la République fut-perdue^
Si retendue de TEtat perdit la République^ là grandeur
de la ville ne la perdit pas moins; Rome avoit foumis tonc
rUnivers avec le fecours des peopleS dltalie, aufquels elle^
avoit arcordé , en difFerens tems , divers privilèges/La plu-
part de ces peuples ne s'étoiehr pas d'abord fort fouciés da*
droit de Bourgeoifîe Romaine /'&querquesf- ans aîmercnr
mieux garder leur ufages (a). Mais lorfque ce droit fut celui
de la Souveraineté univerfelle, qu'on ne fut* rîen^dans-^le
flionde, fi f on n'étoiD citoyen Romain > lés peuples d'Italie
tcfolurent de périrou d'être RomalnSr Ne pouvant en venir
à bour^ nr par leurs prières , ni par leurs brigues , ils prirent
là voie des armes , & fe révoltèrent dans tour ce côté qui re-
garde la mer Ionienne (h). Les autres alliés fe difpofoientà
les imiter, Rome obligée dé combattre contre ceux qui'
étoient , pour ainfî dire, les mains avec lefquelleS' elle en-
(i) Les Eque$ dîfoîent dans leurs ifkmbléiss : Ceux qui peuvent ckoîfir préfèrent
leurs Loùt au Droit de la Cité Romaia*^ ^ qui a été une peine nécejfdire pour ceux:
qui n'ont vu s'en défendre. Voyez Tite-LÎTC. Liv.p.
(b) Les Afculans , les Marfes , les Veftins, les Mairucîiis , les Ferènfans, les
Mrpicns, lesPorapdans., les Vénuiîens , les Japigei, les Lucaniens , le* Sanmi»
«s ôc autres. Appian. delà Guerre Civile Uv. i.
285 S C I E N CE
chaînoit rUnîvers , ccoit perdue, elle alloît être réduite
à fes murailles. Elle accorda ce droit tant déHré aux alliés
qui n*avoient pas encore ceffé d^êtrc fideks (a),^ :&peu.à peu
elle raccordai tous. Poi^Iors^;Rome ne Jbt^lus cette ville
dont le peuple n'avoit eu qu'im même efprit, un même amour
pour la Jiberté^ une .même .haine pour ia. tyrannie^ où cette
jalouTie du pouvoir du Sénat&.des-prérogatives des Grands
toujours mêlée du refpeâ ^ii'étoit que Tamour de Tégalité*
Tous les peuples d'Italie formoient une tête monftrueufequi^
par k iuffrage de chaque homme ^ conduifoit le refle du
monde. Chaque ville de cette contrée porta dans Rome Xoa
génie > ies intérêts particuliers^ & fa dépendance de quelque
proceâeur. Comme Ton xietoit citoyen de Rome que par
;une eipèce de iiâion , qu'on n'avoit plus les mêmes Magi£«
trats^ les mémos murailles ^ ies mêmes Dieux, les mêmes
temples , on ne vit f>lus Rome des mêmes yeux , on h*eut
plus le même amour pour la patrie ^ les fentimens Romains
:ile furent plus.
Ce â^eft pas la fortune qui domine le monde* Les Romains
«urent une fuite continuelle de profperitc , quand ils fe xé«
jglercnt fur un certain plan , & éprouvèrent une fiiîtenon in*
:terrompue de revers , lorfquilsfe conduifirent par tm autre*
ïl y a des caufes générales , foit morales , foit phyfiques , qui
.agiffent dans chaque Monarchie , Télévcnt ^ la maintiennent,
*ou la précipitent. Tous lesaccidens font fournis à ces caulèst
A fi le hafard d'une bataille^ c eft-à-dire une caufe particu-
lière, a ruine un Etat , ij y avoit une caufe générale quifaî*
îfoit que cet Etat devoit périr par une feule bataille. En un
(a) Les Tolcans , les Umbrîcns , les Lartlns. Cclt porta quelques peuples il fi»
Soumettre , & comme onits fît auifi Citoyens , d'autres pofercnt encxixeles
fj. ^ refta ^ue les Saionites gui fiueot excenoioéi.
du; gouvernement. 2Zr
inocula difpoTinon principale entraîne avec elle cous lesacci-
iiens particuliers..
Quelle que fut la corruption de Rome , tous les malheurs s«. cauft* it
ne s'y, étoient pas introduits à la fois. Elle avoir confervé une l'^mpû*.
valeurhéroïque&ttoutefon application à la guerre aumilieii
des richeffes'^ de la mollefle > & de la volupt6, ce qui n'eft
arrive à aucune autre Nation^ L'art militaire foûtenoit le$
Romains j mais lorfque la corruption fe fut gliflee dans là mi^
lice même i ik devinrent la proyfdé tous les peuples 5c aban^-
donnèrent jufqu'à leurs propres armes* Vegece {a) dit que
les foldats les trouvant trop, péfantes , obtinrent de rEmpc*
reur Gratien i de quitter leur cuiralfe & enfukelcur cafqiir^ >
de manière qu'exppfés aux coup$ fans (^nfe y ils ne fonge-*
rcnt plus qu'à fiiir. II «joute qu'ils avoienc perdu la coutume
de fortifier leur camp:> & que ^ par cette négligence , leurs
armées furenc enlevées par la cavalerie des Barbares. *
Cétoit une re^le inviolable des premiers Romains } qu$
quiconque avoit abandonné fon pofte ou laiflc fës armes dan$
lé combat, çtoit puni de mortr Julien & Valcntînien avoient^
àcet égard,r/établi les anciennes peines; mais les Barbares pris
à'iafoldé des Romains, accoutumés à faire guerre comme I4
font aujourd'hui les Tarcares y à fuir pour combattre encore ^ >
a:xherch6r lé pillage plus que l'honneur > étoient incapables ^
d'une pfireille difcîpline , & ne voulurent p^ s'aflujettir aux^
travaux 4és foldats Romains. •
Ammien Marcellin (^) regardccomme une chbfe exti^r-? -
dinairc , qu'Us s'y fu0ent fournis en une eccafion, pour plairai-
It à Julien qui vouloit mettre des places en eut de défenfe^ «
U) Vert miUtm W^ !• C!ç. aow •
188 SCIENCE
Telle étoît la difcîplinc des premiers Romains , qu'on y avôk
vu des Généraux condamnera la . mort leurs propres en-
fans 5 pour avoir , fans Içur ordre , remporté la vîâoîre^
mais quand ils furent mêlés parn>i. les barbares y ils y con-
trafterent Pefprît d'indépendance., qui faifoit le çarafte-
re de ces Nations, t^^^c^n life les guerres de Bélilaire
contre les Goths, & Ion verra les Officiers Romains maft-
quer prefque toujours d^obéiflance pour leur Qénéràh Sylla
& Sertorius, dans la fureur des guerres civiles , aimèrent
mieux périr que de faire quelque chofe dont Mithridate pût
rirer avantage ; mais dans les tems qui liiivijcent, dès qu'un
Miniftre pu quelque Grand crut qull importôît à fon avarice,
à la vengeance, à fon ambition , de faire entrer les barbares
dans TEmpire, ilie leur donna d^abordà ravager.
Les Empereurs pouvoient saflurer jufqù^à un certain point
^dela fidélité des Généraux , & les attacher à leur fortune
jpar les bienfaits & par l'efpérance; mais les Légions cor-
rompues par les guerres civiles ,fçayoient quelles a voient
fait les.E-mpereurs , qu'elles en tenôient la fortune dans. leurs
mains , Se elles voulaient êt-re piàîtrefles des Pro\^nçes donx
, elles étoîentle rempart : fentimens qui étoicnt .toujours car
pâbles de réverllcr Tambifion des Généraux. L'abus que les
Empereurs firent de leur puiflance dans Rome^ les rendit
méprifables dans les Provinces & fur les frontierca. La pre-
mière querelle civile aflura aux Soldats le droit qu'As
croyoient avoir de nommer les Empereurs. Galba confirma
:C?e privilège , quand , au lieu de s'aflbcier Pifon dans le Se-'
jiat , il -fe tranfpona dans le camp pour cette cérémonie. Le
peuple , le Sénat, les jEmpqreurs d.evjnrpn.t les efclaves des
Cohortes Prétoriennes. Si Ip Gftuvernemcnt où le peuple a
rautoritc
■DV G O UT EU N'E M E N T. f8p
^'autorité, eft jujôt à tant d'abus, qu*Arifl;ote n*a point craint
de dire que fouvent la Dcmocratie eft unfè vraie tyrannie,
ç[ue doit-on 4>enfer du*<îouvernement militaffe où le Soldat
^iplus impétueux 5 aulïi ignorant ,.& plus volage que le Ci-
toyon ,. gouverne toujours avec brutalité ? L'Empire fut mis
à. lencan ^ on le vendit , on le donna par caprice , on Tar-
cacha avec la vie à* celui qui Tavoit acheté* Rome n'eut plus
-qu'un pouvoir imaginaire fur l'Empire., & tous les -orages
qui fefbrmerciit dans les^Trovinces ^ vinrent fondre far
•elle. La niilice, qui étoit devenue .la:portion la pkis mé*
prifable de TEtat fous Tibère^ & quin'étoit remplie que
de vagabonds & xle brigands^ fans courage , '& incapables
^e difcipline , avoit fuccédé au peuple 8c au Sénat , fetEm-
• ';pcreur-n^oit que comme Je premier Magiftrat de cette 4)é-
^^mocratie monftrueufe.
Le rpartage de J'Emphre fous Promus & Florlanus , fous
pioclotien éEc fous Maximien Hercule^ »ibus Ma»mien>Ga-
Jere & Confiance Chlore , fous les cnfans de Gonftantin^,
fous Valcntimen & Valcns^, fous Arcadius & Honorias , fiic
encore 4'uiie de« .principales caufes de la décadence de l'Em-
pire. Alaric ravagea Wtalie & faccagea Rome {a}.
. Ce fut vers cexems-U que les Huns envahirent la Fannonie^ .
<i^^ue les Vandales, les Alains^les Suéves,les Goths, &
IçsBourguignonspillerent les Gaules* Peu d'années apfès,les -
Vandales pafferent en Afrique 9 fous la conduite de Genferîc •
^-s'y établirent; fous prétexte d'entretenir la paix àCartha-
jge , ils Jiirprirent cette ville Sch pilkrent* ...
Attila vint enfoite avec les Hun&Êdre trrtiptlon dafif
l'Empke pour fo délivrer, d'un ennemi fi- redoutable ^ oti lui '
ji(a) VMXk 1^6$ deikfoiidttiaiw
Tûm€ L Oa
t^f^ SCIENCE
paya fix mille livres pcfaar. d'or ; mais fans égard pour^cer
Traite , il efiyahit les Provinces Occidentales. Les Gauler,
fcntirenc fa foreur, &:dc-là il paffa, en Italie oà il faccageâ
plufieurs villes. ,
Genferic, Roi des Vandales , aborda, quelques années >
ftprès , en Italie. Rome fut pillée pour la féconde fois ^ Se-
ce Roi barbfire emporta avec lui tout ce qui avoir édwpé à la
fpreur d'AlariC.
Dans ce.mçme fiécle ,..Aiaric Roi desGoths alla s'établir:
en Efpagne; les Francs vinrent s'établir dans les Gaules y:
& Rome fut prife & faccagéc pour la troifiéme fois par les*
Barbares , fous li:canduitC;d*QdQâcre Roides Hercules 3^,
proclamé Roi d'Italie. ..
La fage cQodùire de deux ou trois Empereurs ne put sdt^
fermir un Empire dont toutes les parties étoiéntcorrompuéSt;-.
Les Empereurs qut devcdent leur élévation aux Soldats vn'é^-
toient qwr d«i Généraux. embarrafFés-â contenir cette milkei
iofoleote dOntJlsLJCtoiear. dépendons , ils ne pcnfôient ni ài.
sWurer dés frootieres^ ni..à..policer leurs Etat^ où Ton tic:
parvenoir aux honneurs â6;au2L richefles que par la guerre;^
Dèî que letemsc A; le dtfaut de difciplîne eurent iiflbiblî Fefr*
pfk d«€0iK)uete:^ilsc/ur^^ par lespeu-r
pics xltt jSeptcatrioiiqiiiavôiâMlJ férocité des premiers Ro-?*-
n^ains ; ;i&. ces-nouveaux Couiquéraos devinrent bientôt euxî^
aiêmes lia conquête^dc lèuis compatriotes^.,
Aiodinir /l'im des plus grands Empires du: monde (àprèsî
avoir fubfu1;i i iiBiiants^jm £bo» les» Rois , ouftsus les Cxxi^-
f^jls ,;Ottiô^Je$ Erti^œurs,) i moim.iraînciï'par Tés erinenlïsi :
cju>ccahlé ftwi IccpcidSuénûrme. cfe fopïepre^ grandeur 5^ âgr
que détruit par Tambition , par le.lûxejpiur îaTârice , & çàs^
DU G O X7 V E R N E M E N t. a^x
*!es fadions,, par la corrupcioii des mœurs, par le relâdhe-
'.ment de la difcipline , & par des Loixpeu convenables à ua
fi vafte Empire. Après avoir fubjuguéTUnivers, Home peiy
^dit Part de fe gouverner elle-même ; fes forcés difpartirent
avec Tes vertus ; fes citoyens paflereiït de la liberté fôiis le
joug du défpotifmeJe plus dur; elle éprouva la même ter^
^reur qu'elle avoit infpiréej les Barbares vengèrent Jes Ou>
^haginois &: les Grecs , iSc J'Empire^omain ne fubfiile plus
>dans rhifloire qucifxswr y fervir de leçon âiixNâiiîons^
Le peuple Romain qui regardoit le commerce & lés 4rts 's^.^^^^kia*.
'Comme des ocîcupations d'efclaves (/) , lie ailtivoît ni ruîi nî.Sftfad<»* S^
^les autres. H n'y avoir tout au plus que quelques af&anchis'l^^Û^iui^c]^^
'^ui minent à profit leur induûrie« ^^ent^7etco»^
Rome > julqua les Empereurs ^ fôt^kftot un can^ <ju'une >^«««*
^ille ; les habitans étoicnt plutôt des Soldats ^uifedeftinoient
à ravager la terre y que des citoyens occupés à fe policer 8t
À le procurer leur fubfiftance par des voyes équitables. La
iguerre étoit la feule voyc qui conduifoit aux Màgiftranrres»
Piller k genre humain étoit donc le feul moyen qui rcflât
aux ^particuliers pour s'enrichir. On mk delà dlfcipline danft '
da manière de piller; &J'on y obferva à pôa près le même
«ordre qm fe pratique encore aujourd'hui chez les petits Tan- '
^tares. La guerre > devenue parmi nous , 'un abyme qui en^
jgloutit toutes les richeffes d'un pays^ étoit «ne mine ^où le
peuple Romain tiroit fes phis grands ttéfors. À Home , le
q:i^venu de l'Etat naiffoit d'où fort la néceflité de la dëjpenfe
dans les Etats modernes de TEurope^
(a) illiberales & Jordidi qihtflus , mtrcenanorum mMum quorum tptrë non ^^
ttum ânes emuntut^efi enim illis ipfa mer ce s imSaramentum fervttutis» Cicer.Lîh
■ë.Cofu 4^* Offf L» Marchands (^ûte-^fL) ne km faucon profit Vils ne meit^.
stent .... L'Agriculture ^ le Jplus 4>catt 4c tous 4«s ^lxxs & le plus idjgne d*«fli '
ftoflupe libre» . . ■ ^
O ojjî
^^ se TEWCK
Le butîh ézoït mis en commun , on le diftribuoit aux Sol—
,dats , &. les citoyens, qui reftoienc dans la.vilk , jouifloient
aufli des fruits de la.viâoire;-Gn confifquoit une partie "des*
terres du peuple vainat,.jdont. on faifoit . deux- portions*.
L uneife vendoit au. profit du public , l'autre étoit dillrîbuée
^ux pauvres. citoyens,.! la charge d'une rente qu ils payoienc.
à la Republique, .
Valerius Publicok fiit lé premier qui ordonna que lé rc-^
venu. appartenant à la. République , Xeroir. dé-poIé dans lé
Temple de -Saturne (ii) , -afin que la fainrecé du lieu rendît ce*
dépôt encore plus facré. II. y avoir deux trciors. Dans-TuTi
dcftiné aux befoins journaliers de la. République, on portoir
les tributs ordinaires ; dans Tautrc, lor.de Timpot- du ving?»
tieme établi .fur. la vente des Efclavesj(* ). On n'y touchoit
que dans une preflante. néceffité ; &. c-cft.ce trcfor facré que
Géfar pilla ,.lorfqu il attenta à la liberté publique (r ).^
Pendant les premiers fiéeles de la République, elle n'éur*.
pas befoin xi'argçnt y.puifqiie les troupes neccmraenGerentài
recevoir, de foldetqu^a fiége de:Veïes (ii) -;:mais>à raefurc^
que les 'Romains^ aggrandiflfoient leurs s£tats ,.£tc qu-'ils for^
moient de grands projets de domination:, ils fe perfuaderenc:'
que rien ne leur^importoit.plus que de faire ^aux dépens -de^
Tennemi y.un.fonds qui put fournir aux déppnfes pjibliques^j
fans, qu'on fut forcé, de furcharger le peuple d'impôts : ex—:
trémité qu -ils avoient foin d'éviter. Gequi contribuaà-faire^
réufiir œ deflein;, ce. fijr lontégrité de.ceuxquixommarv»-
doîenr les armées* Rien, n'-étoit perdu dubutin qu'on tfaifoiC'
(p).Macr.obpLiL i.SatuT/uCap^S*..
\b) On l*âppelloit jzt^ritfn vXctJimariunu .Tii. Liv. L*. ij*.
XÔIntaâoMjididtempoTU ^ecunias abJluUt ^ dk>Appuukd*Alisniiki.9-4l MUf^
D tJ .G Ô Û V E R N E M E N T. i^^
Idr rennemi. Chacun avoit jure , avant que de part 'r, de ne
rien détourner à fon profit , & les Romains dtoient commu-
nément lè' peuple du- monde le plus" religieux fur le fer-
ment.
Comme Ton jugcoitde la gloire d'un General par la quari-^
tîté de Tor & dé Targcnt qu on pprtoit à fon triomphe , fe
General ne liailToit rien à lenniïmi vaincu. Rome s'enrichif-
foittoujours,6c une guerre étoit pour elle un moyen infaillible"'
d^èn entreprendre une"^ autre.
Les ricKefîbs de CaVtHage , de Sicile , des villes d'Àfie , de
là Macédoine , & des autres Provinces conquiféS furent poB- -
récs dans le trcfor public. Les Gcncrau3('d'armces & les Mi-
niftfes d^Etar, dans ces ficelés Heureux , igûoroient Part de
s'approprier ces richefTés^-ils s^appliquoien ta enrichir làRé-
piibîique. Ce défintérefifemertr dura long-tems. Quelques an-'
nif es après la dernière" guerre Punique , on n'avôit encore va ■
perfonné qifi fe fut enrichi des dépouilles des Pi'ovirices. -
Il efl vrai' que , dans* le fiécle fuivant , quelques particu^
lîèrs conflttencerent àufurpier Je butin pris fur Tennemi , mais
croient des xritoyens ambitieux -qui machînoient la ruine de
fetir patrie, Mârius, Sylla, Pompée, Céfar. Ort peutcomp-;
terLuculkis parmi ces voleurs illù(!rêS5 il avoit vrâifembla-
blettienr formé les lîiêmeS dèfleiris contre fa patrie; mais pi-
qué qu'on lui donnât un fuccefTéur-, laffé d'ailfeurs des fédi--
tfons des-fbldats que t^nt de grandes ViCloirei ne pouvoient
cbntenîrj &rd^oûté'dU'méfi«: de làgùelre, il embraffa ùîl*
genrede vie plus tranquille ^ & fit fervir à la volupfc ces-mô--
mes riche/Tes que les autres confaGroient à leiiraftibition;
Les Généraux faifoîbnf pâyet^ fort chcr-ks frais delà gue**
t^ à Tennemi vainca >; & lui im^ofoient^ dès- tributs énorme»*
;a94 S C I E N C E
des flots d'or & émargent venoîent à.Rome de tous les'Iîeur
du monde (if). Porcius Gaton, Commandant en Efpagne^'
eut raifon de renvoyer les Pourvoyeurs qui étoi£nt..arrivés
^dc Rome , rpcnir feire des provifîons de bledj)our Tarmée , en
leurdifant ces paroles célèbres : La. guerre mus fournirdde
,^uoi faire U guerre {b). Les Romains auroient-ik été en état
-de foûtenir tant de guerres , s'il avoir été permis aux Géné-
rxaux d'armée de ne pas rendre compte du butin pris fur Fen^
:^nemi ? Et fi les Confuls , les 'Préteurs , les Ediles , & les Tré-
sforiers, avoient ufurpc les fonds des. terre qui, par droit de
conquête , j^venoient à TEtat. ?
Les Romains regardèrent comme, une reffource dflurée lu-'
fage de Élire Ja guerre aux dépens de Tennemi , & ne perdi-
rent jamais de vue ce fyflême.Quoiqu enflâmes d'un vifdéfirdc
^gloire^ils fe faifoient toujours payer pour les frais de la guerre*
"Tantptjils prçnoient une partie du territoire de la .Nation
-yaincuc, & y esivoyoient des colonies, pour aflurer leurs
.coAquêtes & pour fe débaraflçr des citoyens pauvres. -Quel-
^luefois j ;ils jéduifoient les Royaumes en Provinces, fexéfcp'
.vant une partie des tributs que les naturels du pays avoient
.coutume de payer à leurs Rois. On les vit obliger des peu-
ples Xoumis à j)ayer jime certaine quantité de bled^ ils cora-
^nanderent à d'autres de fournira la RéjHiblique dcsyaiflfeaux
^e guerre i?c detranfport (^)^
i.e titçe d'ami & d'allié du peuple Romain accordé a plu»
iîeurspwples^ fiit encore une grande reflfource. Sousunnoct
i^^ojtz Tîtô-Lîve pajjîm : Plutarque în vitl PaaHjErnUil. inyuâSrjUs^ '
$nvitâ,Catonis,invitiPompeii,erc. **^*î/w^#^
ih) 2ellum feipfum alet. Tite-I4ve 4« OecadeXiy*^.
DU G O U V E R N E M É N T. 2^5^
Konorable , les alliés étoient vérirablcmerit les tributaires de
Rome ; elle- en tiroit des armes , des vaifleaux , des foldaK ,.-
des mariniers , & toutes fortes «de provifionsf^ enaggran-
diflant fon Empire , elle augmentoit fes revenus»
Le revenu que la République retiroit des coloitîes & des^
Provinces > fut fans douce considérablement diminué pen-
dant les guerres civiles de Céfar & de Pompée. L'Etat fe ref-* *
fentit aufli de ces: maux pendant les guerres du jeune Pom-
pée avec Céfar v& d*Augufte avec Brutus & Caflius. Les Pro-
vinces furent encore expofées au pjllage , après le partage*
cp^'en firent Augufte 8c Antoine .Le luxe de ce dernier étoic
capable de réduire à la mendicité plufieurs Nations opulen-
tes v La mifére des peuples* fiit extrême, durant cette longue
guerre où Augufte & Antoine le difputerent TEmpire du>i
monde» . -' '^
Le peuple Romai» ne coramenç? à rcfpirer qq&ïorS qu' Au-
gufte régna to« feul. Occupé du projet di rendre l'Em-
pire héréditaire, ce Pfînce^fongea à le rendre -florifTant & à
enrichir fes fujcts^.perfaadé que leurs ricfaefles feï-oient Igt;^
fiennei Pendant un règne dequarante-quatre ans», il n& s'é*
carta jamais de ces vues. II eiabrllk cependant ' Rome. ^
n Voyant (ditrHiftorien ) qiw Rome n'étoitpôintàutailf êm-
a> bellie que le demaniloit la majefte de l'Empire^ .&- quelle
i>-étoitexpofée à*?des inondations & à dès incendies , il lui
» procura tant de commodités & d'embeliifTefflens ', qu il a eu
fxraifon de fe vanter de latffer Rome toute-de marbre^ après
a^ lavoir trouvée toute de brique (4). Malgré toutes tes dé--
penfes , il amaffa desfommes infinies;' -L'argent qu'on trouva ^
ila mort de Tibère en cft une pfeavc.^- Ce. Prkice laifla un
0^ Sueu in vui Augufiu:
:i^$ 5.C I E N C E
trclbr immerife ( /« ) que Caligula fon fuccefleur dîflîpa en
moins d'un an (^).
LadifTipation des finances fous Néron , Catigula, Virél-
lîus , Domitien , Julien., Caracalla, Héliogabale , .& tant
d'autres monllres , mit les Enpereurs dans le befoin , & le
befoinles jetta dans les rapines. Quelques bons Princes fou-
lagerent un peu le peuple ; mais ils eurent des fucceffeurs
4qui Taccablerent ; & dans la décadence de TEmpire , les
autres Nations refTaifirent , parle commerce ou par la guer-
re, les richefTes dont Rome avoit dépouillé le monde entiei^
,(fi) Tarif. 1Mb. j. Annal, i
C W JNon toto verttnte anno ahfumjftt. Suef. in Vit. CaUg. ... "^j
I
CHAPITRE
DU GOUVERNEMENT. 297
C H A ï^ I T R E I M, ; ^ r
!)</ diyerjes formes de Gouvernement quil y a fréfentement
dans le monde ^ conjidcrées en gêner dl.
S E C T I»O.Ni P « E M 1 E R E. -
CâTâ^eres du Deffotimey du Gouvernement êhfolu ^ & du
pouvoir limitée
AP R Ê S avoir examiné cit détail le monde politique dans «• ^, ««ï^
^ >, * fiineié doit êtte
fes parties tes plus connues , il convient de le confi*- ^^^^ ^
dérer en générai j pour avoir unie jufte idée die chacune "^
des circonftances d^Etat pu léfquellé^ les hommes font gou-
vernés.
Les Souverainetés que nous voyons fur la terre font des
ruiffeaux qui côuleAt de la Souveraineté elfehtiellé & primi-
tive, laquelle eft on Dieu coffiifte dans fa fbùrcè. Cette Sou-
veraineté primordiale & univerfelle (e répand de divcrfes
manières fur les créatures pour le Gouvernement du genre
humain. Elle fe communique aux Princes ^ & quelquefois
au corps du peuple > qui lui éiohtit la folrme corivbilable aux
intérêts de la Nation ^ & la remet volontairement à diês Ma-
giftrats de fon choix. La Souveraineté que les hpmmes.exçr-.
cent , a fes excès & fes modihcarionâ , auffi bien que fes ca-
ractères propres ; & le véritable point où elle doit monter
eft placé entte deux écueiii , le Etefpotifme qui eft odieux &
barbare, & TAnarchie qui ne connoît d'autre droit que celui
de la force. Dans quelques pays ^ elle n'admet que des efcla-
ves , & franchit toutes les bornes de la Vaifon. Dans quel-
Tome I. P p
1:1. ;• .:
qucs autres , il n'y a ni unitd j^hyrique , ni unité morale ; té
•^ince rfa pas tbwc f autorité noce flaire, il n'eft ^^ à jpropre-
ment parler , qiîerrtpmxhe clu'4>efaffle y'il xài ïîibit en quelqutf
manière la Loi > & en cflfuyc quelquefois les caprice?. Mais?
'entre ces deux Gouverfiemens , il en cft un où la Souverai-
neté efl daris toute fa fplcndeur , où Tunité de volonté qu'exi-
ge tout GouyerÊiemeiit n^gutter ,i fc trouvô'dans un, dans;
pluucurs , ou dans tous ; ou elle agit fur des hommes libres,
mais fur des hommes qui nrconnoiffent que le niéilleur ufage
qu'ils puiflent fûfe de leur liberté', c'cft d'ctre foumis m
Gouvernemçnt , & où enfiri le Souverain â.qui' les^eu|>les
;; .obc^fTcht f<^ fait luir^môme une gloire i^'obéir aux Loik cortf-
/.' . ùtutives de TEtat. :Ceft de-Uqiie vieptladiftinâion du
pouvoir arburaire,d(i pouvoir ajblbk:,,$c au pouvoir limité»
*. ^onwîr ïr. Lo Gouvememcnt arbitraire ou defpotique (a) efl une con-?
•^e^ """ ^ ^ dnuatiqn de^la Lpi, jtyraraHqùe du? plus. fôrt# Très éloigné de
^^os njœurs, ïi-eJl-âiïGonnu parjni nous-j. & coinme il n*a ni
jcgîes ni principes , il A a aucune forme. Andennerticnt la
.plupart des grandes Monarchies , furtouc celles qui avoient
.été formées par les armes , Soient defpotiqûes ; & au jour-
.d'hui encore la Turqiiie , la Perfe , le Mogol , difops plus ,
jprefque £Qus.les.pcuptcs d€iir-Aiîe:i de TAfrique^ fr de PA^
mérique^ gçjmflenc fous le.DeljfQtifme, & n'onç jartiais connu
(^y Ceft I*Êiftp^ffeûî Aîoxîs , fvrmotnmj^ï^Ànfrej qui créa fa dïgnhVde t)erpote,
Bi qui loi donna- Je premier rang après J*£h>pereiix' au'-deflùs de TAugoile' 6c da'
Ccfar. Les Defpotes étoîeni: ordinairemont les fils ou les gendres des Empereurs.
On sfrppella Defporitt les appanages q «'ils- eurent foiis les fucceflints d'Alexis. De-
là le nom de Defpptat c^c eonferve eiicojre aijourdliui un petit pays de UvtdîfS
*t}ii 'appartient au Grand-Sci^heuf V &' gu"i bft l'ancienne Étolie.'Le Prince de Va-
jlpçKiç , & qnrjqvies aijtres Xrttiuraif es du îlirc , sTap^elleht'DfJJwt^f ^ d*wi mat
Grecq^ii ffgnific Maître ou. Seignfur , & dont fe font formés defpotique , deJpcH
^finf^r défpcti^'tiâmefit , -^ur ï-épondèitt attx mots DomJButus ; P minus > herufy
HfiiiSyf ingtrwjus^f Imjjcriojir * . /
DU GOÛ V^Ëll^NE^E Nt^ jic/j
4*âutres Loix que la volonté & Jes caprices de leurs ittàîEPcsi
Ce n'eft ' pas «niquemenè par- te droli *de <»iiiqiicte ptttté
trop loin^que le Deipo|:iftte-a été établi dans le mpnde«^'ît
s'eft introduit audi â la faveur de la foùmijridrï vplùmaire :àéi
peuples. Quelques Notions fe voyàtorfur iô pcrithantideileur
ruine 9 felivroicnt où à la bonne foi ou à la dilprétion d'un
autre peuple^ avec leurs villes ^ leur^cérres^ leurs^Temples^
& tous les droits divins & humains (4)-; &;r:lès vâinqucuci
gbufant dçs droits de la yi^cire^^dohaoiera i'rGi?tdrxnQ£uii
^ens contraire à celvi^qu^ils préientên&ntMureUenkncL :') ?lriz
N'examinons poinp iî une foumifTion portée icstx^ndosfôc
entendue d'une manière barb^i^^ peut valoir ;contTe: la Loi
éternelle qui fe propofe toujours h <umfa^^
des hommes. Il lé dernier de8;malhîeurs:péat^ïrg-.laîîCoiniij
tion d'un traite de paix , & fiiin homme qui n*a auûm droit
fur fa propre vie^ puifque Dieu & rinccrct.de fôn.pays.luî
ordonnent àc la conferver , peut fe foumèttre au pouvoir iax*
bitraire d-un autre , qui VçA privera au gré de Tes dciirs, La
confidélratîon d'un plus grand «malheur à éviter eft une efpèce
de remède contre un mwndre j ^ loifqu'on fôuhaitc le mal>
ce n eft pas comme tel , mjiis comme unç chofe où Ton fe fi-r
CO » QuanJo quïdem nojlra tiiert adverjùm vim atque înjuriamjuftâ vl non vuhis >
)0 vejlraceitê defendms. itaque populum Caippanum urbemque Capuçe ^ ngras , ^e-
» luhra Dfum ♦ diyiuée humanaqiie omnia in veftram y Patres confcr'^f^ti ^ çvpuli"
» que Romani dinoném dedimus. ^ Telle ek la formÀïie dont fe fervent Tes Cainp**
jiiens dans Xi te^Live», première Pecadr» en fc ioûnbifc.âux Romainr»;aprçs-jç«r
avoir inutilement demandé du fecoùrs contre les Samnitcs Us fe révoltèrent ùxnn
la fuite contre les mêmes Romains ,* & ayant été vaincu« par le Proconful Furius ,
ils fe remirent à leur bonne. /oj, à peu près avec 4a même formule, ce qu» 1«
Romains appelloient deditio » jCjomme ob le voit dans le même Hiflorien , troine%
nie Décade. Ceil ce que nous appelions fe rendf^j^ 4ikTétiQik. Les Ro|nains ^n-^
€ endoient que ce mot ^riirio leur attribuoitledroît^jdi; détruire tp»itç$ les ^chx>(H
énoncées dans le palfage qu*on vient de lire : «iiiifa.q^el-efprk^es peuples qy'i Ar
rendoient ainfi , étoit de pofFcdçr ÇCS (iiofo im^^Uiéf^^f^cc'^ (9\iS la j>r^»
çedioa des Roipain^,
joo . ^ T \'SX: I E tN C E
gure moins de défavantage que dans un autre mal donc on
veuc' fer délivrer* Qu'il nous fuISfeque, dans la partie du
monde que nous habitons > le defpotiûne efl inconnu > (i
Ton en excepte la portion des Etats du Grand-Seigneur qui
y efl fituée j& peut être la Ruffic Européenne. Faifonsnéan*
moins quelques réflexions fur les inconvéniens du pouvoir
arbitraire y pour^ôter. à jamais à tous les Princes de l'Europe
le défir de Tufurper .
Si ce Defpotifme îKnalheureux dégrade ceux qui y font fou*
mis de la dignitéDaturelle de Thomme.» & s'il rend les Ci-
toyens comme étrangers dans leur propre patrie ^ ilexpofe
àufn à d'étranges revers eeyx qui l'exercent. L'intérêt com-
mun lifiiC'Ceux qui foufifrent ^ & après avoir gémi chacun en
piâticulier ^jils cherchent tous enfemble à fe venger. Tout
ce quieft exceflif dure peu (a)y 6c \m Empire odieux ne fiic
jamais fiable (^)>. Les Princes de l'Orieint expriment leur
puiflfance par des titres qui ne conviennent qu'à Dieu 9 6c
les plus foibles.en ufurpent qui les fuppofent les Domina-
teurs de tout l'Univers. Mais ces Ombres de Diet^ (c) , ces
Rois dn Cieté^lde U- Terre (d) ^ ces Rois des Rois y ces Héri*
tiers du Firmament y ces Frères dm Soleil ér de U Lune {e) y
ces Diftributeurs des Couronnes auxjplus puijfans Princes de U
Terre (/) , deviennent fréquemment le jouet de la plus vile
populace. Ils font regardés par leurs peuples comme les en-
fans adoptifs du Ciel j on croit que leurs âmes font célefles
• ■ '. ■ i. .
(«) Quîiauïâ ixcejfii mûdum , peniet infikbili Ucû.
(b) Invijum Imperium numquam retinetur,
(c) Titre que prend le' Roi des Aby i&u*
id) Titre que prend le Rbi^de Siâm«
ie) Titref que prend le Roi dèPeife. ' '
( /} Titre que preid l*Bm]pef«mr T»rc»
DU GOUVERNEMENT. 501
et, furpaflcnt ks autres en vertu ,. autant que leur condition
les élevé au-deffus de celle des autres mortels ; mais lorfqu u-
ne fois un de leurs efclaves fe révolte , le peuple met en
doute quelle eft Famé la plus edimable 9 ou celle du Souve-»
rain impitoyable ou celle de Tefclave révolté , & fi l'adoption
célefte n a pas paffé de la perfonne du Roi à celle du fujet*
Le meurtrier monte fur le trône pendant que le Monarque
en defcend y tombe & expire aux pieds de Tufurpateur.
Les peuples efclaves doivent tous fgbir Iç même joug ;
fous quelque Prince qu'ils vivent , on ne fçauroit leur en
faire poner un plus péfant j & ils ne prennent par confé-
quent jamais aucune part à la fortune de leur Souverain, Le
trône devient dont le prix du courage de celui qui ofe s'en
f mparer. On fçait les révolutions fréquentes qui arrivent à
la Cour du Grand-Seigneur & à celle du Czar. Il ne faut pas
remonter bien haut dans Thiftoire des Turcs pour trouver
des Empereurs étranglés ; en moins d'un an , on a vu autre-
fois fucceffivement trois ou quatre Empereurs dans cette Cour
oragcufe (4) ; & déjà , dans le fiécle où nous vivons , le trône
de Conftantinople a étérenverfé deux fois (h). Nous venons
de voir aufli une milice infolente difpofer ^ au gré de fes ca-^
priées piufieurs fois , coup fur coup , de la Couronne dô
Ruflîe (c).
(al^ft. Guliel Malmtsh. Lib. %.
ik) En 170) » des Révoltés dépoferent Mitftapha y êc mirent la Couronne ùif
H tête d'Achmet III fon frère. En 17^0 , un autre mouvement populaire fit pailèr
Adimet lui même du trône à la prifon , de fit régner Sultan Mahmoud fils uniqu<r
de Solyman » oncle des deux derniers Empereurs* Achmet lU moutut ou plutôt
fut étranglé à Conilantinople dans fa prîfon le 2) Juin 17 16^
(c) Vofez » dans le feptiéme Chapitre de cette Introduâion > la Scélion vlngc<t
quatre au Sommaire : Quelle ejl la firme de Gouvernement (r lal^ide la Sticcej^
JUn i la CouTçnnié^
^0% SCIENCE
Les hommes qui ont perdu refperance de la vie , perdent
àufli la crainte de la mort, Un Turc qui , par imprudence on
par malheur , eft tombé dans la difgrace de fon Souverain ^
cft fur de mourir , quelque légère que puiflc être fa fautes
]La feule refTourçe qui lui refte pour échapcr au fupplice , c'eft
de confpirer <:ontre le Prince. Parmi nous , au contraire , la
difgrace n'ôçc aux Grands que la faveur du Souverain ; &
comme il ne les fait g^jèrcs périr que pour le crime de lé^-»
Majeflé , ils craignent d'y tomber y par la confidération de
ce qu'ils ont à perdrç & du peu qu ils ont à gagner^
Si les Princes Orientaux , dans cette autorité illimitée ,
n'apportoicnt mille précautions pour mettre leur vie en fure-
té, 8f s'ils n'a voient à leur folde tiri nombre prefque inorn-*
arables de troupes pour tyrartnifer le refte de leurs Sujets ^
ieur Empire ne fubfifteroit pas un mois. Celui des Princes
d'Occident eft au contraire établi trçs-foUdement^
Le defpotifme eft çoujours le même en Orient , parce quQ
les changemens ne peuvent être faits que par les Princes ou
par les peuples. Les Princes Orientaux , malheureufement
prévenus comme ï\s font ,n*ont garde d'çn faire, parce que^
dans un fi haut degré de puiffance , ils ont tout ce
qu'ils peuvetlt avoir , & qu'ils tie s'imaginept pas qu'il puiffe
arriver du changement , que ce ne foit à leur préjudice. Pour
hs Efclaves, fi quelqu'un d'eux forme, quelque réfolution , il
ne fçauroit Texccuter fur TEcat^ il faudroit qu'il contrebalan-
çât tout 4 coup une puiffance tedoutable & toujours unique ,
}c tems lui manque comme les moyens ; mais s'il va à lafour^
4:e de ce pouvoir, il ne lui faut qu'un bras Se un inftant.
Les Potentats Orientaux , pour fe conferver |es refpedj 4Mt
eue? où V Ë k N É M E N t. 30}
|Jeuple, trouvent à propos de lui dérober la vue de leurs pcr^^
Ibnnes , & de laiffet une vafte diftance entre les hommage^
& leur trône. Renfermés darts Tintéricur de leur ferrail , ilî
fe montrent rarement à leurs Sujets ; & quand ils le font t
jc'eft toujours avec une fuite & un appareil propres à impri-
nier la terreur j ils veulent fe rendre plus refpe£iables 5 mais
ils font refpeûer la Royauté & non pas le Roi , & attachent
Tefprit des Sujets à un certain trône & non pas à une cèrtai*
tic perfonne. Cette puifTarlce iftvifible qui gouverne, efttou^
jours la même pour le peuple. Quoique dix Princes qu*il né
cbnnoit que de nom , fe foyerit égorgés Tûn après Tautre , il
ne fent aucune différence dans fa condition. Si le déteftablè
parricide de notre grand Henri IV avoit porté ce coup fur
un Roi dès IndojS , maître dans TiHllant du Sceau Royal au-
quel la puiffance eft attachée dans ce pays-là, & d'un tréfor
immenfe qui auroit fômblé avoir ét^ amaflc pour lui , il au-
roit pris tranquillement les rênes de TEmpire ^ fans qu'un
feul homme eût penfé à venger fon Roi, à reclamer le fils du
Jloi , & la famille Royale.
Quatre cârafléres diftinguent le Defpotifme d'avec les for*
mes de Gouvernement de TEuropé. i^.- Lçs peuples gouver-
nés defpotiquemerit naiffent Efclaves , il n'y a point parmi
eux de perfonnes libres. 2^. On n'y pofféde rien eh proprie-
té , & il n'y a point de droit de fucçeffion , pas même dope-
tt au fils (a). Le Domaine du Prince a la même étendue que
fon Empire. Simples Ufufmitiers & comme Ferttiiers des
(a) Le feul moyen qu'un père , qui a quelquç p^it aux affiiii^es publiques , air
eh Turquie > de faire mccédtr fon fils ï fes biens ( & ce moyen eft fouvenr em-
ployé) c'eft de rendre les immeubles' qu'il pofiëde vac»ufs j c'eft-à-dire de les
donner en propriété à des Mofquées , & de l'en réferver TuTufruit pour lui ôi
pour fes defcendans jufqu'à l'extinflion de fa race. Les biens devenus vac9ùfs font
fecrcs, perfonne ne peut *'en emparer, k les revenus n'en font dévolus auy
iDltt<
304 SCIENCE
terres qu'ils polTédent , ces Efclaves n'en jouUTent quepen-'
danc leur vie & parla cortceffion du Souverain à qui les fonds
retournent comme à Tunique propriétaire , ces fonds ne
paffent jamais aux Defccndans de ceux qui les ont poffe-
dés 9 fi le Souverain ne leur en fait une nouvelle conceffion*
3^. Le Prince difpofe à fon gré, non-feulement des biens ,
mais encore de Thonneur & de la vie de fcs Sujets. 4^. On
n'y connoîc de Loi que la volonté du Prince , & cette volon-
té s'élève au-defTus des Loix naturelles 8c pofitives , divines,
& humaifiest
t. rou^tb- Le Gouvernement abfolu eft au contraire un ouvrage de
raifon 8c d'intelligence. Il çft fubordonné à la Loi de Dieu ,
à lajuftice , &aux règles fondamentales de TEtat.
Ce Gouvernement , jeTai dit ailleurs (a) y a été établi dans
le monde , ou par le droit de conquête, ou par la foumiflîon
volontaire des premiers hommes qui fe donnèrent des Rois.
Le droit de conquête ne devient légitime que lorfqu'il eft luî-
vi de Tacquiefcement volontaire des peuples ; & les hommes
ne fe font raffemblés en corps , & n*ont réuni leurs forces ,
que pour leur fureté commune. Ont-ils pu s^en donner , fans
convenir expreffement , ou fans fuppofer tacitement , que
leurs maîtres les gouverneroient avec juftice ? Le Souverain
abfolu A'*a donc pas le droit d ufer fans raifon de fon auto-
rité* Dieu même ne Tapas , ce droit malheureux ;rEtrefu-
prêmeeft eflentiellcment jufte , & le pouvoir de faire du mal
eft une vraie impuiifance. Mais il a fallu neceifairement que
Mofquécsy qu^aprèsle décès du dernUt ufufruîtkr, Voyez une Lettre écrite de
Conftaotinople le i; de Janvier 17^4 au fujet de la mort de Topal-Ofinaii > rap-
portée dans le Mercure de France du mois de Mars 1734 depuis Is^P^go j8;ju&
qu*à la page S9S'
{a) Dans le premier Chapicre de cette IntroduAioiu
le
" T5 U G 0 17 V B R N Ê M E N IT. * 505:
Hb pouvoir -fouyerain fôt ahfoJu pour preicrire aux dtoyens
îixHit ce qui a ïâpport à Vintérct commun. , & pour côntrain*.
dre àrobëiffance ceux <iui S;y refuferoîcnt. î)irc que Fintérct
public doit être la mèfure 4^ JU^xx duMotiârque^ c^eft po-*
fer un principe inconteftable», il. feit ic$ bons Rois. Croire
^que les Souverains n'ont d'autre règle que leur volonté t c^fl;
^une erreur groffidre 9 eUîe f^t lci$ cyraos*
Ce que jis dis du pouvoir abfolu rélâtivernéïît aiix Monaï>
^quesj^il fautlediredece raémis pouvoir relativement aux Ré--
•publiques» Ceux qui,déclamant contre le Gouvetnemcnt Mo-
^narchique pour faire 1 elqge dos Républiques^ confondent;
'le pouvoir abfolu avec le pouvoir arbitraire^ n^font pas ré-
^exion qu'il n'eft. point d'Etat ^fans/^en excepter les RépUo
;bliqu|^ où , dans le fujet propre de la Souveraineté^ 4'on ne
i^trouvc un pouvoir abfolu (4). Le Gouvernement de quelque.
-République de l'Europe que ce foit ,^efl: auffi abfolu que ce-
4ui du Roi de France., du Roi d'Efpagnc:, ou de tout autre
^rai Monarque* La feule difiërenee qu'il y ait entre le pou-
voir d'un "Roi A: celui d'4ine République , c'eft que le pou-
voir du Roi peut être limité, & quecelui delà République,
îne fçauroit Têtre (^).
Le pouvoir abfolu doit être réglé par la taîfon:, il n'efl
;point arbitraire , & il n eft appelle abfolu > que par rapport
-A la contrainte qu'il peut exercer envers les Sujets «,& parce
<ju'il n'y a aucune puiffance capable de forcer le Souverain
^^ui efl indépendant de-toute autorité humaine*
Il en eft du pouvoir abfolu du Souverain dans lesTodétés
<iviles, comme de la liberté abfolue de chaque homme dani
(fl) Voycz-tti la yttoeft 'teis'lc Traité du'Drôic Pul^lîc Chapitre \U
X^) Voyez le SMimaîre jijuiiuit : Ptfviioir iiakÂi
3pA' rCIENCET
L'état de nature. Hors :d«s fociétés civiles , làJiherté^fohîes:
de chaque homme confiûfc- à conduire fes bicœ «i'ies afÊâ—
œs , fans être obligé dé ^onfiUter perfdnne j & fans auaine'
autre obligation que.de fe conformer à la Loi naturelle. Dansr.
les fociétés civiles, le»pouyoir<abfoIu-dù.. Souverain confiftev
dans le droit de gouverner le peuple au gré de fa- prudence i«,
fans ccre obligé à autre ichofe qu'à conformer fes commande-^
mens à là raifon.,.
Les vices prennent fdiivent la teinture & la couleur dès* .
vertus; la profufion reflembJè j par-quelques traits, à lalibé4
ralité; la témérité ^ au: courage; la lenteur, à la prudence.'..
Il en eft de même- dû pouvoir arbitraire par rapport aupou-*
Voir abfolu ; il en imkG Mévatiôn^ Tindcpendcince , laHforce ;v .
mais il n!a riehiié tournée qui 'tempère Je pouvoir abW^^fc le
rend falutaire, en lé fôumettant- alix^Loix & à Téquiréi Le?
quatre marques à ^ quoi Ton' peur- reconnoître lé pouvoir ar-
bitraire, lediftiriguent.d'iveele^peuvoir abfolu. i-^tSoos unr
Gouvernement abfolu "5, les pcrfonnes font libres., 2^. La pro^
priété dés biens 7»eft légitime^ inviolable. On la^faif valoir/
. contre le Souverain même ^ qiri trouve bèn qu'on- ràllîgne -de-» ■
vant fes propres Officiers-, & qui fait dceiderpar fon-Gonfeil/ .
à lapîâralrtédesvoîx, lésprcFéncions-que fes fujets-onrcon-
trelui^ 3^; Lè'SouvcT£iin-ne peur difpofer-^ôla viêdefes fu^i
|et3, quc'.feîbnloFdfe dé la-juftice- qui cft établi-dans rEtatj-
4**< Il'y adës conventions'' dâns*^ lé Gouvernement abfdu erw
tre IcOPrince ôi îë peuplé, & ces ronvenrions fê renouvellenr
paryferm^ïitnu'fecre dé chaque Roi. I^y^adéS'LbiX', & tour-
ce qui 'ffeiàit.contM? kHir-difpofitioniCft nulndè-droit: On peut:
tcsjjours ;-eyenir^ ou dans xi'autrcs. rems, ou en^d.autres .occa--
Aons j/urxcLqui s'èff .faitau-jpi3éjijdice.dbccsLou^ vi*-^
DU GOUVERNEMENT. 507
rgilance & Vaâion contre les injuflices font immortelles*
Telle eft^ pour le dire en .un mot, la différence de TEtat de
liberté où vivent les fi^jets fous» un Gouvernement abfolu., &
de TEtat de fervitudc où les efclaves gémiflent fous un Gou-
vernement defpotiqueyqii'un.Efclave exécute des comman-
demens dont la fin eft Tintérct de fon Maître & non pas le
fien ; au lieu qu*un fujet qui obéit à fon Souverain, le faitpour
le bien public y & par conféquent pour le fien., de la .même
manière quiin enfant agit peur lui en obéiffant à fon perc»
Dans le Defpotifme ^ il n*y a point de Citoyens ; c efl un
onaître qui fait obéir des efclaves. Bans la Monarchie^ il y a
.des Citoyens.; c'cft un Roi qui commande à des fiijets.
Comme il y a des Souverainetés abfolues & qui ne relèvent 4. Towok
<que de Dieu^ ily en a d'autres qui font Souverainetés â Té-
;gard des fujers , mais dépendantes , à certains égards , d'une
puiffance fupérieure, ou -rcflraintes à quelques autres, de la
part des fu jets même. Les peuples fe font quelquefois donné
des Maîtres, fans aucune condition ; mais quelquefois auffi ^
ils ont mis des tempéramensà Tautorité du Souverain, &
xhaque Nation doit être gouvernée félon fcs Loix fondamcn*
.taies*
Le Souverain qui reconnoît, à certains égards , un Supë-
•rieur , n'a de pouvoir que celui qui lui vient par le canal
rmcme par où la Souveraineté a découlé. Il ïie peut exercer
. .que le xiroit qu'il a reçu , & la juflice exige auffi qu'il refpeclc
• les privilèges qu'oane longue poffeflion a colifacrés , autant
<jueles libertés primitives queles pcuplesic font réfcrvccs (4)%
Cette limitation de la puiflance Souveraine ne peut fe trou^
wer que dans les Etats Monarchiques /parce que le Prince
- 4ia) ^oyez le Traitt: durûrcit]ie<.Ge&s , Chapitre IV.' SeAioa V.
5o8: , >C lE N C E^
qui y commande eft une perfonnc; diflférentç^dç cenéS'-quîy^
obciffent , & que leur s^ droits fonç^diftioûj coojflje.lcwrs per-i^
fohnes. I^ pouvoir, d\u«5, République. eft tQujôiirs dbfQlu».^
parce ^qûc/dans* les Eçats pppidaires> le peuplé n'obéît quiaux.
Loix'que lui-mcme il a faitç? ,& que Içs hommes qui Icç font, ,
font les mÇmes qui dpivcntjes exécuter. Xfi peuple ncpeucr
renraindre lui-même fçm aticoritc^.& rien ne Tempêchc de
changer les Loix fondamentales dç TEtaç ^ car fi la Nation a ;
:' établi des ,peines contre ceux qui prapoferoiçnt Urévocatioii î
de ces .Loix ^ ces peines peuvent erre abolies par La mcnaej
PjiiflLiaçe qui leur a dojMié Tctre»,
Section IL.
Ues Oauvtrnfmcns tant réguliers ej^ui'rreguliers. .
-. :î)urércni« Les.Lcgîflateurs.fe font propofcs d éviter. cgalctoent.ies^<
th^^^ltÉl inconvçniens du Defpotifmc.& dç rAt)arçhie,& ils fonr allés, ,
'^^'*'"" par des vçies différentes ^ à la lin qu'ils fc, propofoient. .
Les uns ont penlc que la .Souveraineté eft un dépôt. trop;»
précieuse pour être l^lfïe à la dirpoiîtion de la multitude^ &^'
qu'il falloitle confier à un fcul.. .
Les autres y que les Chefs du peuple en -dévoient erre les .
gardiens ^ & que U Puiflance fuprême devoir être, d^fôrce à^
upSénar*
D'autres , que les foins du.Gôuvenjemenr font tropjimpor—
tan% & trop étendus , pour être rçxnis daos.Ies mains d'uoleul :
ou même à un petit nombre dç performcs y JSc qu'il étoit nér -
ceflaire que le peuple, etjtrât dans réçonomie du^.Gouvenjer
BOênt p\d:>lic.
De cc$ trois dififârcntts idées font venues trois- dîverfcs
D-'U' GO U V E R N E M Ë N T. ^'o^^
fermeS'de^Gouvernement, &. les noms de Monarchique ,
tfAriftoGratique ,& de Démocratique dont on les défigne.
L'Etat Monarchique , le Républicain :, ràlliance de Tun &
de Tàutre^ & le mélange des diverfes formes ont partagé les>
fenchncns des Légiilateurs & le choix -des peuples* -
Le Gouverncmervt Monarchique eu celui où la^puiffahcc g.vnGdaftt*^
ftiprémc Tcfide touie. entière, dans la pecfonne- d'un' feul Shiv^r**'****'*.
homme (4) que la raiifôn doit conduire^ mais qui>n'â que
Dieu au^deflus de. lui i qui commet lies pecfonnesquUl juge
àpr©j>ps pour. exercer les <livej:fcs fondions du Gouverne-i -
ment ^v& qui fait les Loix , ^ les chingef à fon gpé» Teb
font Ics-Gouvememens dé'. France, d'Efpagne , des deux:
Siciles^ dô^Portugal & dé Sardaigne.r
Le Gouvernement . Ariftocratique cft celui où- Tautoritë ^^^xiàiimi-
ibuveraine réfide danslcsPrincipauxde rEtat(^).DUin&queî^ c^iS^
^es pays , les &iuls Nobles gouvernent uniquemenir9;i& pré^
xifément. parce quiils 4bnt de Jiace Fatricierme..- Dans quel- *
ques autres > PadminiUration politique jeâ confiée par la voie
■de réleâion, à des perfonnesqui ^ par la feule confidération ^
• du mérite^ font prifes dans tous les Ordres , ou à des Nobles -
q^i font choifis par égard pour leur iiaiflance > ^u enfin àdes >
hommes qui , à.caufe;de :leur fortune^ font élus parmi les ^
-riches ^e*r£tatj de forte qu'^ett égard àxe qui leur fait cofi»- *
fÎÊr Tautoritc 4)ublique > ils font les premiers citoyens de la ï
République, &que, >par cette autorité confiée , ils font les ^
^ dépofitaires delapuiflance. Se forment un^Confeilfuprême^ x
qui feul remplit' les places que la mon ea d'autres accidens ■>
(a) MofaarcfaSe vjeac 'de deux vott-Gîfcs qfA infpoadçnc aux mots (4ititt't '
Solus j Principatiu , Impêrium*
(i) Ariftocnrir Tient de deux mots GrCM ^ r^poodcnt^tux.BOts Làç||9> '
Oftimus 9 Qfùnmts ^ proçert^ > poteutiéu
Vo se TE NC"E
rjpndent vacantes. Le Gouvernement .de Laçédémonc où Poi^
i]e de voit avoir. égard qu'à la vertu., :avpit .donné de l'Arifto-:.
çratie par élection, un .exemple qu'a imité la ville d'Àfpflcr-;
dam (/f). Nous en avons un de rAriftoçratie des Patri-,
.ciens , dans les GoMyernçoieRS .de V.çnife^ de Gjèjies & de,
. Luques (h).
-^^puctoBre». Le Gouvernement Démocratique eïl .celui pu la fouveraî^
.jwivc. ncté irçfide.dans la foçiété entière du peuple^ dans Taflênv-
bléc générale de tous les citoyens (^). Xds.foQt les Gouver-
ncmens dcs.Proyinçcs-Unies , celui des Cantons Suifles, celia
des Ligues Grifes , celui de .la République de Qenève.
. Jl a*en eft.pas des Démocraties d aujourd'hui comme de
jcclles d'Athènes & de Rome , qù tqut le .peuple qflcmblé
:idécidoit lui-mcme. Nos Démocraties., qù lautoritLé eft cxer-
•céc par des Députés, fans appel au .peuple^ fe rapprochent
Aqs Ariftocraties^ bien pjus que ne faifoient les anciennes.
Jl^es citoyens jciqmment .pour le .gouverner pendant ,un cei>-
stain tems, un nombre jde Magiftrats qu ils.choififfent & qu ife
iChangent à leur gré : jenforte qu après le .tcms pqur lequel
:une éleélion a été faite , le peuple s'afTemhle j, reflailit lauto-
:torité fouveraine., &, en confie P-exercice à de nouveaux Ma-
giftrats.. Dans ces affcmblées^ chaque .citoyen 9 droit de
-Suffrage, ,& tous les membres de la Jbciété, ont pareux-mê-
(a) Vpyezla Setflîon VII du Chapitre VI de cette întroduftîon.
(b) Les Hiftpriens Latins feroblent.marquer ces deux efpèces d*Acifto<rratie , paf
Jes termes de yrirnows & pptimatfs. Primores , ce font lés Nobles , & c'ell en ce
;iens que Tacite ( Annal. 4. ) dit l'CunSas Nuriones (r urbes populus 9 aut primortr^
^ut Jinguli re^if ^r»rMdis pptimates 4it un Gouyernoment compofc de gens qui ne
Xont choills pour remplir lés charges publiques , qu'à caufe de leur mérite , 'Ans
.^ard i leur ej^trad^ipi^. Le Sénat de^Séleu.cie étpit xrorapqfc des uns & dçs auxres »
■félon la jcmarque dé Tacite (Annal. J.") Trecenfi ( dit-îl ) opibus aut fapiemià
jiclt^i UT Senatus*^ Opibus défigne les riches & les Nobles ; & fapientid p les gen»
'^e mérite .8c d*cxpérienoc.
(s) Démocratie vient d*u|i mot Grec ^ui répond aux mots :LatiM yjojputi , Mr>
^ntia, yel Impcriun^
EF0' (ï O'Û'V É R N E JtE N T. jib^
mes, ou par ceux qui les repréféntent , un droic au moins,
aâîf ,. à réfediôn de ceux qui leS gouvêi^nent;
Quarfdjcfthr chaque, citoyen , j^entends chaque citoycrf
diefde famflrc/ J*èn excepte -par conféquent les femmes quf
f6nt fous la puilfehcé de leurs lAaris , les erifaris qui font fous
là puiflancô de leurs pores , les efclàvies qui font fous la puit
fence de leurs maîtres" , les voleurs publics , moins citoyens^
qtf ennemis , les n&ndians- mt)ins utiles qu'a charge à la fo-
cîéré ; enfin les étrangers qui n*én font *pâs membres & qw
appartiennent* à d'autres Etatff. T'en excepte aiifTi lés citoyens
compofaht un peuple fcparc ,> fôumis au corps du peuple -
duminanr.^
Toutes les Nations & toutes les villes du monde policé ', ,. rduta i«
fonp foumifés à Tune de ces trois fqrnîes', ou à une conflftu- ît'rîemili^^.
tion qui 6"j rapporte/ Elles fbm'gpuveméts ou mônarchi- [ST& "î
►.ri" ^ ^-» . 1/ . trois forme» font
quement , ou arntocratiqucmcnt , ou- dcmocratiqueïncnt , réjuuciei.
par unfèal , par pîtifiéurs, ou partous (4). Si fort trouve de?
Nations ou des villes dont le Gouvernement n'éft ni pure- -
ment ' Monarchique ', ni puremtnr Ariftocrâtîquè, ni^ pure-
ment Dcmocratique ; il n'en eft' point où la conflitution de
TEtatnc participe de li Monarchie , de l' Ariftôcratie , ...ou
de la Démocratie (^). Ori nfe conhoît aiï-delà que le Défpo-
cifme foûs lequel vivent la plupart des treis aufres parties du
inomft. GeuX-deces Etats qui ont unc*formë de Gouverne- '
(a) V#yez le partageque je viens de rapporter daits la pénulcîâne Note: ■
m Nhm cunâias hâdonei ^nrbe's pôpùlus y éiut primotes « aut ftngall regunt» « ' ^
Taciu Annal, Libi 4. Ajoutez celui-ci : »Species rerum publicaTum quas très /rire*'
a» vimur » qu£ pcfpulî V ^uif paTucoruïb » qud uniiii foujlate regvtntui^ » QuiniH*
U^i:.. Orcr.'Lib* ^^Qtjf. /€<- -
ib) QuidquiiJçTutert \nec cœftm aKquem focialem Jine ulU karum formârum
weperiés , n€€ }nêo»^akprdttrïftas>^Mifeentu^ mer fi y fatevt y & remittuntur aut
iliteniuatur ; fid ^c uffrooendeat Cf'propçndcr^ifan^tr alig(^lQrs i jui jure ci-'
semn» fi^ Vgf fçUt; Ui. ^r Os^z^^-
.^rt .^ CI E N C2
ment , & tous ceux de notre Europe ( en exceptant toujourî
;là Turquie & peut-être la RuflGe )3 font ou Monarchiques,^
-OU Démocratiques ., ou Ariftocratiques,, :ou bien ont une
coriftitution qui fe rapporte à quelqu'une de ccstrois-làj cat,
^ellcs peuvent recevoir diverlès modifications.
Ces trois formes de Gouvernement font régulières , c'eft^-
^dire que le pouvoir fouveiain eft exercé dans chacune de ce»
^<:onflitutions.9 fur les citoyens en général , & fur chaque ci-;
lïpyen enjparticulier, par une feule volonté jhifique ou mo-
-raie , dans toutes les parties du Gouvernement ; .mais il éfl:
ides Gouvernemens mixtes, que je dëlîgnerai ici par le nom
plus particulier de Gouvernemens compolcs., Se dt Gouvcr^.
nemens irréguUers.
4».omeni«. î-'Etat compofé .eft .un alfemblage d'Etats étroitement mtm
'MPLcoinpof(f. p^j. quelque ,licn^ en forte qu'ils femblent ne faire qu'un fcid
corps ,, quoique chaque Etat«conferve en foi la fouvcrainetc
particulière. Ces Gouvernemens -corapofcs peuvent être jdif-
itingucs en deux efpèces.
La prxîmîere efpèce .de Gouvernemens compofés , eft celle
iâc deux Etats diftinÊls qui, fans être incorporés l'un à l'au-
xrcjy font joints, & n'ont qu'un iciul & même Roi, quoique
h fouveraineté foit exercée par des puiflances différentes*
X-a Grande Bretagne & llrlande , la Pologne & le Granâ
iDiiché deLithuanie^ font des États ^compofés de cette pre-,
îmierc efpcce.
Il n!cn eft :pas des corps moraux comme des corps naturels
xjai ne fçaurdient avoir une tcte -commune à pkifieurs, fanf
îétre des.monftrcs. Une même perfonne peut être le dief d*
3>lulieursfociétés^ fans que cesfociétés ceffent d'circ fépârées^
JUs JticcdEoHs^ ks .mariajges^ les ^guerres produifent de«
D U G O U V E R N E M E N T- 315
îrats compofés. Souvent la femme du Roi eîl Reine de fon
chef, &le droit de fucceffion fcpare quelquefois des Etats
-que ce même droit avoit joints.
Les Etats qui renferment plufieurs corps fubordonnés , &
où Ton voit un peuple dépendre d*un autre peuple,ne doivent
pas être mis au xang des Etats compofés. Il ne faut pas non
pltis y mettre ceux qui ont reculé leurs frontières par la con-
quête d^autres Etats. Les ufages deres corps fiibordonnés&
xie ces Provinces conquifes, peuvent être différents de ceux
du corps de l'Etat dont ils font partie , fans qu'il en réfulte
un Gouvernement compofé. L^unité d'un Etat ne demande
pas nécejflairement que toutes les Provinces foient gouver-
nées par les mêmes Loix pofitives, mais feulement qu'elles
ayent le même Souverain , & qu'elles ne foient pas diftin-
guées endifférens Gouvernemens, comme le font la Grande
Bretagne & l'Irlande , la Pologne & la Lithuanie ; car toute
Province qui n^a plus de fouveraîneté propre j cefTe d'être un
Etat , & devient une fimple dépendance d'un autre Etat.
La féconde efpcce de Gouvernemens compofés ^ eft celle
des Etats qui voulant fe conferver dans la liberté de le gou-
verner chacun par fes propres Loix , & n'étant pas affez fons
pour fe mettre â couvert des infultes de leurs ennemis , fe
font liés par une confédération générale & perpétuelle, pour
trouver dans cette union les forces qui ont paru néceflaires à
la fureté commune^ G eft pour fe procurer cet avantage , que
les Etats confédérés de cette forte , s'engagent à n'exercer
<ju'cn commun certaines fonÊlions du pouvoir fouverain ,
•comme le droit de faire la guerre ou la paix , tandis que les
Traités de Commerce , Tétabliflèment des Impôts , la créa-
tion des Magiftrats ^ le droit de légiflation > celui de vie 8c
Jamc L R r
ji4t scie,n:cb: . .
de mort fur lès citoyens, .demeurent en la dîfj^ofîtiôn dè^
chaque Etat particulier:,; mais avec quelque, dépendance de.:
la. confédération. Il n*àrrivc guère que les intcrêts^ de diverse
Etats foyent ii mêlés., qu'il foit avantageux à tous les- con-
fédérés en général ,,& à chacun en particulier , de n'exçrcexi:
aucune des fonctions de la fouveraineté , que du confeme-
ment de tous» Si.cela étoit, il feroit plus utile à ces jdivers .
Etats, de. fe réunir en un Xeul corps, que de fc lier par une!
ûmplçconfédération..
L'afFocîation dont je parlé ici, cft fondée par une alliance ^
inégale qui diffère des alliances ordinaires en deux points»^
i?.,En ce:que les^^ alliés ordinaires fe déterminent par leun
propre choix , à faire certaines conventions, fans faire dér-
pendre de leur alliance l'exercice du pouvoir fouvcrain , 8c
fans rien relâcher du droit qu'ils ont de gouverner leursEtats^
a^. En ce que les alliances ordinaires nom pour objet que.*
quelqjue. utilité particulière des alliés, & ne fe. font que pour,
un cenain tems , fans que les alliés ayent un Chef 6c un Gon^
vernement commun*. Au contraire,. dans l'aflociation dont
il s'agît;, chaque Confédéré, fe relâche d'une partie de la fou^
veraineté; la .confédération eft générale & perpétuelle ; &
les Confédérés cônfervent chacun fon Gouvernement fous uo^
•Ghef commune-
Tel eft précifëment le Corps Germanique. .Tels font, à:i
différens égards j. leCorps Helvétique & l'union Belgique prist;
coUeaivement^..
,' Gomme tous les ; hâtimens-ine font pas conflruits félon les
É»ewiréguikir%Yçg4ç5 Je rAtchiÉcâure ,,tous-lés Etats ne font pas çonflîtués;
•" félon les principes dé Gouvernement; L'irrégularité délai
conilitution de quelquesJEtaEs.YièQt:ou. da.Yice:de.lcu£:éaLv
DU G O 17 V E H N E M E N T. ^ïj
IKiffcment ., ou des circcnffcances de leur fondation , ou des
agitations que ces Coçps "policiques ont foufFertcs. Les un»
ont écJé formés irrégulièrement^ les autres l'ont été ïélative-»»
ânentà des circonftances qui ont changé ; & la plupart doi-i-
Vent leur établiffement à des^récomcpc ifes 'obtenues ou extor»
tquées des Souverains , flétries du nom d'ufurpation dans le
commencement, & quelquefois honorées dans 4a liiire du titre
de privilèges , ou même de celui de libertés. ^
Les Gouvernemens irréguliers font ceux oà Ton ne voit
-aucune des trois formes régulières ^ & qui ne peuvent pro-*-
y rement être rapportés à un corps compofé de plufieurs Etats
réguliers , en ce que toutes les affaires ne dépendent pas d'une
feule volonté phyfique ou morale, parce que les citoyens en
^énéraljfe chaque citoyen cft particulier ^ne font pas fournis â
4in Empire commun. Us différent des corps compofés de plu-
sieurs Etats, en ce que chacun de ces Etats unis eft un Etat
diftind & parfait. Ils différent enfin des Etats malades , en
<:e que les maladies des Etats proviennent d'un mauvais ufa-
^e d'une bonne forme de Gouvernement, au lieu qu'ici l'ir-
régularité eft elle-même ^ne forme de Gouvernement , for-
me vicieufc , mais conftituœ par le cortfentement public.
Tel eft le Gouvernement du Corps Germamque, tel celui
<3e la Grande Bretagne , tel celui de Pologne. Si , parmi les
formes irrcgulieres de Gouvernement , je place ici des Etats
•que j'ai déjà comptés au nombre de ceux qu^on appelle com-
pofés , c''eft parce que xres Etats participent de la nature des
âins & des autres.
Quelques Ecrivains anciens & modernes ont fuppofé d'au- '»^- ft<«m«tîo«
ïrcs conltitutions d Etat. Ariftote (d) met au nombre des for- î**""" *^'*"^'««
^ ^ toru\es de Gou»
..t«;»I>ansi»PolitJsut»U».j, ^«e«e«.
Ex ij
jj^ s CIE:NCE^
mcs dé Gouvernement le Royaume,.. L'AoffQcratiè , Ta Ké^
publique rJ^r tyrannie oppofcc au Royaume , TOligarchic-
oppofcc àrAriilocratie & la Démocratie oppoféc à- la Répua
bliquc.MaGhiaYel(4;)aputre lea trois formes de Gouvernement, .
compte le dcfpotifme ou la tyrannie oppofée à la Monarchie ^
l'Oligarchieoppoféc à rAriftocratiej.& dans TOligarchie me—
me,,la Dynafticoppofée à la Dchiocratie ; enfin rOcHlocratié
aufli oppofée à la. Démocratie^. Mais tous ces noms là. ne défi--
gnent pas des formes de Gouvernement différentes, des trois*
que. j'ai expliquées.;^ ils na font qu'en indiquer lès abus. Les-
maladies. desCorps politiques ne[doivcnt point être. comptées^.
parmLlesGbuverneraens.,, elles lesaffolbliffcnt ,/ansenmuIi
tiplier les efpèces».
Un Souverain.ne doit rien faire que là raîfon n'àvoue:s'îIne*
confulte pas les LoiXjSÏl prive fcs Sujets de leur bien ou de leur
vie, fanS'aucune.fbrmede juflice,fon Gouvernement devient :
defpotique.Mais-de ces deux différentes manières de régner,,
il ne. réfultepaS'deux formes de Gouvernement. La puiffancc
du Souverain qui regpe juflement ,. n'elï pas inférieure à celle*
du. Monarque dont le Gouvernement dégénère en tyrannie ^
car il ne peut y avoir, une autorit#plus grande que la fouve-.
raine. La différence ne fe trouve que dans l'exercice de cette:
autorité,. & elle vient de. ce que. Tun foumet.Ic pouvoir fur-
prême à. la juflice , & de ce que l'autre s'cleve.au-deffus de la-
raifon. Le premier eftun Roi ; le fécond un tyran j mais la:
tyrannie n'eft pas une forme de Gouvernement. .
Le Gouvernemenr Ariflôcratique devient , .dit - on ,. 01î4
garchique, lorfquau lieu de prendre dans, tous les ordres. de:
tEtat les Magiflrats qui doivent. le gouverner, le. choix ne:
(a) Dawib difcours pplitiquç$ fiiriaiyeiiûçfff JDécadc.dc.Tit^^tife.,iî^r.'.w.
Ch;. !..
D rr GOUVERNEMENT. 517
feut tomber que* fur Ie5 Nobles ou fiir les Riches. CeU eft
vrai,carOligarchie fignifie leGouvernement d'un petit nombre
(i<);'. mais le Gouvernement eft-il moins Ariftocratique ,,pour
être confié à un petit nombre de Sénateurs ? L' Ariilocratie fî-
gnifie-t^elle autre chofe que le Gouvernement des principaux
& des plus gens de bien ? Que fi l'on penfe qu'il fe forme
une Oligarchie dans TOUgarchie même , lorfque les Ma-
giftrats ne font choifis que dans certaines familles qui, entre
les Nobles & les Riches , font réputées les plus nobles & les-
plus riches , la même réponfe que j'ai faite à la première ob^
jcâidn , détruit la feconde. Dire enfin que POligarchie der
vient une Dynaflie, lorfque ceux qui tiennent les rênes du-
Gouvernement, abufent de lautorité fou veraine,efl-ce faire'
autre chofe que marquer Tabus du Gouvernement Arifto--
cratique ? L'Ariflocratie peutfe tourner en Dynaftie ,,comme^
la Monarchie peut dégénérer en: tyrannie , cela n'eft pas
douteux, mais cen'eft pas là une forme de Gouvernement >
c'eiLTun des abus de l'Ariftocratie , & chaque forme a les-
liens..
Si le peuple ne confulte pas les Loix , s'il n'a aucun égard
au bien public , fi enfin il n'a pas de principes fixes de Gou-
vernement, la Démocratie- devient ,. dit - on encore, une*
Ochlocratie (^) ,. c'efl-à-dire un Gouvernement où la vile*
populace conduit tout au gré de fes partions , & où le Gou-
vernement tumultueux & fans règle tombe, dans un defpotif-
me populaire •& dans T Anarchie* Ce n'eft-là encore qye Tabus»
du. Gouvernement Démocratiqiue. Anarchie fignifie défaur
de Chef y & par conféquent confiifion , où chacun vit à fa fan- -
(À) Ongarchie vient de deux mots Grecs qui répondent aux mow Latin*; P4f*-
IWJ , paucus , &• principatus.
(4>/D*ua mot Qjrec q^i réppndaumot Laik P/fix.'-
3i8 se T E N CE
taifie & fans aucun rcfpeft pour les X»oix. Le défaut gucxrô
mot fignifie , exclufif de toute forme de Gouvernement , ri-eft
pas moins oppofc à la Monarchie & à PAriftocratie^ qu'à la
Démocratie. L'Anarchie eft contraire à toute règle , elle dé-
truit toute forme , &*ce qui exclut tout Gouvernement n*ea
peut être une efpèce ; c'eft .âinfi que dans les Républiques ^
la diverfité des Rcglemens ^ne conftituepas diverfes formes
•d'Ariftocratie & de Démocratie proprement dites.
S'il eft évident que les défauts de la Conftitution de l'Etat
ne multiplient pas les formes de Gouvernement , îl ne Teft
pas moir^ que les défauts des perlonnes qui gouvernent ne
les multiplient pas non plus. Les Ecrivains dont je réfuœ ro--
pînion , ont foutenu que l'Etat Monarchique devient une yé^
ritable Oligarchie , Jorfqu'un Roi fuit aveuglement les ins-
pirations d'un petit nombre de pcrfbnnes qui abufent de fa
facilité ; 8c ils ont prétendu que TÊtat Démocratique fetour^
ne en une véritabje Monarchie , lorfque y dans un Gonfeiî
Souverain , un Sénateur donne Je mouvement à toutes les dé-
libérations. Mais toutes ces opinions font vifiblement erro-»
iiées , & Terreur qu'elles renferment eft une fuite de celles
.que }c viens de réfuter. Les dé/auts du Gouvernement ^ foie
,qu'ils fe trouvent dans le Gouvernement , ou dans les liom-
;nes qui gouvernent , ne changent ni k fujet commun , ni le
iujet propre de la Souveraineté. S'il y a quelquefois de U
rdifférence entre la forme de l'Etat , & la maniei^ dont il eft
gouverné ^ ce n'eft que dans les chofes de peu de conféquen-
x:e qui ne conftituent pas la forme du Gouvernement , & quî
jfont fimplemenr des fymptomes infailhblcs de la maladie de
de TEtat : or un Etat malade & dont la difpofitLon eft trou-^
i).lée ^ peut bien périr ou changer de forme^ fi l'on ne remédie
15 tJ G O U V E R N Ê M EN T. jip
aux maux qui Taffligent ; fa forme peut bien produinï des df--
fête contraires à fa nature , parce qu*il n'y a plus de concert
entre les différentes parties ;;mais tant que la forme demeure,^
il faut juger de fà.Conflitution par fcs Loix fondamentales ,
& non pas T-adminiflration aâuelle & momentanée qui s'c--
Ibigne de ces Loix. Penfer autrement ^c'cft juger de Tauto-
rite , non par ce qu'elle eft en foi ,.mais par Tabus qu'on en-
fait-
Ainfî , un Gouvernement Démocratique demeure toujours
Démocratique, quoique cinq ou fix tctes gouvernent ceux ^
qui croyent gouverner , & quoique le peuple charge de quel-
x|ues affaires particulières une ou plufieurs perfonncs. Ceux-
qui exercent un pouvoir précaire, un pouvoir emprunté &
non propre,. peuvent en être, dépouilles , à la volonté^ d^'
ceux dont ils le tiennent. <
Ainfi, ni le changement d'un Miniftre rfopére un intèr--
règne dans un Etat Monarchique , ni Tadminiitration des*
affaires publiques confiée à quelques Minières pendant un ^
certain tcms , ni le nombre de ces Miniftres augmenté ou ^
diminué , ne changent la forme^ du Gouvernement Ariflocra"-
d^ue ou Démocratique. -
Ainfi, la capacité ou Tignorance , Jes vertus ou les vices»
de ceux qui s'emparent de lautorité, par la voie de la per-
fuafion , ou à qui lé Souverain la confie , peuvent bien appor--
ter du changement dans l'exercice du pouvoir Souverain ;;
•mais elles ne changent pjas la nature même- du Gouverne^
iBcnt*^
^1(5 SCIENCE
SectionIIL
DâS défauts de tous les Gouvernemensi
rt3.ceqtt*flT« Cc quHl y a de dcfeckieux dans un Gcaivernement eft aîlë
xAansunGouvcr- a rcmarQuer , on le lent , on en lounre , on en parle tou-
aiféà remarquer jouFs. Ce ouc cc mciTic Cjrouvemement a a avantageux n elt
.que ce que ce'' * ir- ai»
«êmeikHiverne. pas appefçu fi facilement , il ne fait que nous empêcher de
*î^ue wu'our^ fouffrii , CHTi Hc le fent point , on n'en parle point. II en eft >
îîac'^iS'wrmei ^ <^^^ égard , du Gouvernement comme de la famé , le plus
:2oni?e irîSrmc infenfiblc de tous les biens ^ lorfquon en jouit , la privation
^t &"comîi feule de ce grand bonheur en fait connoître tout le prix^
xew qui couver- £)^jx ^ Tinjullicc OU Terreur de la plupart des j^gemens que
les hommes portent , fur les Conftitutions d'Etat & fur ceux
qui gouvernent. L'efprit Républicain exagère les défauts
<ies Monarchies , l'efprit Monarchique exagère ceux des Ré-
publiques ; mais fi Ton comptoit bien les avantages & les in^
convéniens des unes & des autres ^ le calcul feroit à peu prc»
Les hommes ne fe contentent pas toujours d'attacher aux
termes l'idée des chofes mêmes qu'ils fignifient, ils y atta-
<:hent fouvent celle du iDépris qu^ils en font. L'amour , la
haine , le préjugé , toutes les palfions règlent les noms qu'on
-donne aux chofes. Examinons donc , lorfque nous entendons
appliquer des termes odieux aux Souverainetés & aux Sou-
i/erains ^ fi ces termes leur conviennent y ou s'ils portent feu-
jement le caractère de la paflîon de celui qui les employé.
Dans la bouche d'un homme emporté , le terme de tyrannie
fignifie quelquefois fimplement que cet homme eft mécontent
iJesperibnnes ^ui ^ouveinçnr. Un orgueilleux , indigné dç
régalité
DU GOUVERNEMENT. 321
régalîté de PEtat populaire , & fâché du droit de fuflfrage
qu'a chaque Citoyen dans les affemblées de la Republique ,
appelle le Gouvernement une Ochlocratie , c'eft-à-dire félon
lui un Gouvernement où la vile populace domine & où une
perfonne de mérite n'a aucun avantage. Un ambitieux , ex-
clus du Sénat où il fe croyoit auffi digne d'entrer qu'aucun
autre , appelle le Sénat par mépris une Oligarchie , & il en-
tend par-là un Gouvernement où un petit nombre de gens
exerce avec infoknce le pouvoir Souverain fur des peribn-
nes d*un mérite fupérieur au leur. Les hommes nourris<lans
l'égalité du Gouvernement Démocratique , confondent le
pouvoir abfolu avec le pouvoir arbitraire y quelques diftinds
qu'ils foient y & appellent efclaves les fujets foumis à un Etat
Monarchique. L'amour de la liberté qui eft le cri des Répu-
blicains , eft fi efficace ,à les entendre > qu'il force des coeurs^
libres à tout entreprendre , quand il s'agit d'écarter le joug
d'une domination étrangère ; comme fi les peuples qui vivent
fous un Gouvernement Monarchique étoient infenfibles aux
charmes de la liberté, & qu'ils fuflent moins libres que les
Républicains , à caufe que , comme ceux-ci y ils ne multi-
plient pas leurs Maîtres. Ceft ainfi que les Grecs qui avoient
beaucoup fouffert du Gouvernemement Monarchique , ac-
coutumés dans la fuite à mettre la fouveraine félicité des Etats-
dans le Gouvernement populaire , appelloient tyrans les
Monarques, fans confidérer fi l'origine de leur Gouverne-
ment étoit légitime , & s'ils rempliflbient bien ou mal les de-
voirs du rang fuprême {a). C'cft ainfi que les Romains mar-
(a) Dans fon origine , le terme de Tyran ne figniiîoît pas un Ufurpateur >
un Souverain opprefleur de fes peuples. Parmi les fept Sages de la Gré-
ce, il y a eu des Princes appelles par les Grecs & par les Latins Tyranni.
Cléobule ^toit Tyran de Lîndc ; Pittacus , de Lcsbos ; Ihrafybulc , de Milet; Pé-
Tom: /. S f
gouvern^cx.
522 . SCIENCE
quoienc tant d'horreur pour la qualité de Roî , & tant de
mépris pour les peuples qui vivoient fous un Monarque y eux
qui avoient vécu fous la Monarchie , & qui y retournèrent
après ravoir profcrite & déteftée pendant long.tems.
14. Les Défaut» La naturc du Gouvernement, les qualités dô ceux auî
dans le Gouvcr- 111 \^ vv«-n. v|ut
"cnr3iSSu:S^"^^^^^^^'^^"c d^ «"X qui font fCQuvernés; voilà les
d'^'Sc'sqïï ''""'^ ^''"'^^^ ^^ ^^^^ ^^^ ^^*'^^^s ^^•îis le Gouvernement.
L"iX;" Von" ^^ Gouvernement elî; vicieux en foi. i^. Quand les Loîx
Jie conviennent ^pas aux mœurs du peuple , aux intérêts de
la Natiop ^ ^ \^ fitu?tion du pays qu'elle habite. 2*. Quand
elles donnent occafion aux citoyens de caufer des troubles
au-dedans ou de s'attirer des querelles au-dehors , parce que
FEtat eft purement militaire, & que les Sujets ne peuvent vî*
vre que par les armes. 3®. Quand, par les privilèges attar-
chés à un certain ordre de perfonnes , le Légiflateur a favo-
rifé la prévention où elles font que la plus noble des diftinc-*
riandtc , de Corinthe ; & Pîfiftrate d*Athènes. Strabon dit que les Princes du
Bofphorc &deSycione étoïent des homm$s juftesSc néanmoins il les appclleTyrans
de ces Contrées. On trouve même dans Paufanias unAriilodème Tyran d*Arcadie,
fumommé par fa vertu l'homme de bien. Virgile fuppofe que le Roi Latinus te*
garde comme un bonheur de toucher la main d*£née qu'il appelle Tyran :
Pars mîhi pacis erit dextram tetîgîjfe TyrannL
Un autre Poëte, Stiius ïtalicus , parlant de Hieron Roi de Syracuft , bon Ac
& vertueux Prince , l'appelle le Tyran de Sicile ;
Vos etiam Zanclem Siculi contra arma T^rannL
Platon , Ariftote , & Xe'hophon ont traité des devoirs des Tyrans. Eft-ce qu*a$
ont voulu donner des règles de Tyrannie , en prenant ce mot dans le fens qu'il a
aujourd'hui ? Non ; c'eft que la Tyrannie fignifie dans leurs écrits Royauté. Ce font
Les devoirs de la Royauté que ces Philosophes ont expliqués. Le mot de Tjran
ne prcfentoit pas alors à refprît l'idée odieufe que les Romains y ont attachée ;
îl ne (îgnifioit qu'un Roi , qu'un Souverain , foit qu'il fût légitime , foit qu'il fût
ufurpateur , foit qu'il traitât les peuples avec bonté , foit qu'il les gouvernât avec
violence. Ce terme convenoit proprement à ceux qui étoîent revêtus de fauto*
ri té Souveraine , dans un Etat originairement libre 9 comme parloient les Grtçi iÇ
lii Romaiw , ç'cft-à-dirc un Et^t <jui fe gouycrooil lui-mtoç»
DU GOUVERNEMENT. 325
tîonseft celle qui exempte leurs biens de toutes contributions
aux Charges publiques* 4^. Quand le Fondateur d'un Etat y
pour contenir un peuple nouvellement fubjugué & dont la
Religion eft différente , a dépeuple les villes & fait une foli-
tude du plat pays. 5®. Enfin , quand les Loix contiennent, de
quelqu*autre manière que ce foit ^ des difpofitions contraiics
âux principes de la faine politique^
Ce n'eft pas uniquement la fagefle des Loîx qui peut opé-
rer le bonheur d'un Etat, & furtout celle des perfonnes qui
gouvernent* Les défauts de cette efpcce fc trouvent dans la
Monarchie, lorfque le Monarque manque detalensnéceffaircs
pour le Gouvernement , ou que , les polfédant , il gouverne
moins <tn perc , qu'en tyran ; dans les Ariftocraties, lorfque
des voies obliques ouvrent Tentrée du Confeil aux méchans
& aux ignorans , au préjudice des gens de bien & des gens
habiles ; & dans les Démocraties , lorfque les aflemblées du
peuple font corrompues, & que de mauvais fujets font élevés
aux emplois , au préjudice des citoyens plus dignes de les
remplir* On peut encore compter parmi les défauts des per-
fonnes qui gouvernent, la légèreté d'cfprit qui porte les Ma-
giftrats trop frappés des inconvéniens de quelques Loix , à
tifurper la fonction du Légiflateur , eux qui ne doivent faire
que celles de Miniflres de la Loi. Les défauts de ceux qui
gouvernent , rendront toujours chaque conftitution d'Etat
<iéfe6lucufe , ils tfinfeûent pas moins les Républiques que les
Monarchies^
Enfin , les défauts des peifonnes qui font gouvernées ^
viennent en quelques Etats , de ce que le peuple frappé d un
T'iin fafte , obéit moins volontiers aux vrais dépotitaires de
l'autorité fouveraine , qu'aux perfonnes diftinguées par Icor
Sf 4J
324 S C I F N C E
naiffance ; en quelques autres pays , de la pente naturelle cfa
peuple à la fainéantife Se de fort averfion pour Texercice des
arts & des métiers; en tous , de ce que les hommes ne fçavenc
ni obéir ni vivre indépendans. Ils font avides de la liberté, &
ils n'en fçavent pas jouir, ils fouffrent donc Tefclavage. Non,
ils ne peuvent fupporter ni d'être tout à fait efclaves , ni
d'ctre tout à fait libres (a). Eft-ce qu'ils s'accommodent d'un
mélange de liberté & d'efclavage ? Ils ne fçauroicnt encore f
ni le trouver , ni s'y tenir s'ils l'avoient trouvé» C eft le pro*
pre de la multitude ou de fervir lâchement ou de dominer
avec infolence ; elle ne fçait ni fe paffer cette liberté qui tienc
lieu , ni la confervcr (^)*
is. Tomei les Croirc Que les maladies du Corps politique n'ayent qu'une
Ccnlhiutions r r r r ^ i?i
j^Trai^fuicurt fource , ce feroit fe tromper. Comme il n'y a point dnomf-
me qui ne foit fujet à des maladies > il n'y a point de Go»-
vernement qui n'ait quelques défauts ; & il n'y en a jamais en
qui n'ait fouffert de violentes fecoufles , qu'elle qu'ait été fa
conflitution. Les Gouvernemens lont nés de l'injuflice , &
tel eft raffujettiffement de l'humanité, qu onne peut fouvenc
éviter un mal que par un autre. Les chofes humaines font ,
de tous côtés y fujettes à des inconvéniens , & la politique
cfl toujours défedueufe par quelque endroit» Pour rendre
un Gouveruement très-bon , il faudroit un Roi Républicain
& un peuple Royalifte , un Roi qui gouvernât en père tenr-
dre, & un peuple qui obéît en fils foumis ; mais ks pallions
des Princes & celles des Sujets font difficiles à concilier ^
& fi les Princes abufent de leur puiffance , ks peuples abu*
(a) Nec totam fervitutem pâti vqfunt » nec totam lihmatem. Tacït. Hifi. Lit. i.
{b) Hac natura multïtudinis ejt y aut fervit humiliter y autfuperbê dominatur.
Liberratem qm^ midia cjl , nccfpcrncre modki , ace haine fciunu Tiu Liy. Dccad^
3- Lit. I.
DU G ô:U VE tl N Ë MË N r. y^
fcnt autant ou plus de leurs privilèges* La Majcfté lutte fans
ccffe contre la liberté pour la détruire ; &: la liberté veut fe-
couér le joug de la Majefté qui la contraint*
Une forme de Gouvernement parfaite eft un être de raifoft $
parce qu*un bonheur complet, à tous égards, n'cft pasfaic
pour être le partage des hommes , & que la fageffe humaine^
avec fe^us grands efforts , ne peut fe promettre que de di-
minuer la mefure du mal fur la terre. Qu'on fafle, tant qu'on
voudra, des plans pour [trouver une Gonftitution d'Etat quî
n'ait aucun défaut j qu'on cherche avec foin le moyen de gou-»
verner les hommes plus fûrement & de les rendre meilleurs ;
qu'on invente, au gré de l'imagination, une forme de Gouver-*
nement plus parfaite que la Republique de Platon,qUe TAtlan-
tis de Bacon, que l'Utopie de Morus , que la Cité du Soleil de
Campanella , 8t s'il eft poflîble , que le Roman de Fenelon ,
on pourra bien trouver l'idée d'un Gouvernement parfait,
mais il en faudra toujours demeurer à la fpéculation , quoi-*
qu'il Toit utile de préfenter aux hommes l'idée de la perfec-*
tion , pour les encourager à en approcher. Cette idée ^ dèà
qu'on voudra la réduire en pratique , paroîtra ce quVlIe eft^
une vraye chimère. Toutes les fcîences ont la leur* La Chy*
mie , a fa pierre Philofophale ; la Gcomérrie fa quadrature
du cercle ; l'Aflxonomie , fes longitudes j la Méchanique ,
fon mouvement perpétuel ; la morale , fon défintéreflement
total. La chimère de la Science du Gouvernement , cVfl une
conftitution parfaite. Il eft auffi difficile de donner l'être à
une telle fociété , qu'il eft aifé d'en faire le plan j & il fauC
penfer , de la recherche d'une forme excellente de gouver-
nement , ce que les gens fenfés penfent de celle du grand
œuvre j les Chymiftcs croyent toujours tenir la pierre philo-
^iê SCIENCE
fophàlê 9 JRiàis elle leur échappe toujours > elle ils nVn âUtôllIf
jamais la poiTeflion. Il efl ^ dans la Science du gouverne^
ment , un certain ordre de chofes dans lequel les Legiflateurs
ne doivent pas s arrêter au mieux, parce qu'il eft impratica«
ble 8c combattu par dès paflîons dominantes quUIs ne peu«
vent dompter. La politique ne doit pas fuppofer dans les
hommes une perfedion que Thumanité ne comporte pas ;
elle doit proportionner fa conduite, nonà uneefpèce d*Etre^
fupérieurs à Thomme , mais à notre nature corrompue ; elle
doit fçavoir que les hommes font toujours prêts à abufer des
Loix j & elle n*eft fage que quand elle fçait intéreffer les paf-
fions au maintien du bon ordre , & par une combinaifon
adroite & fçavante , les en rertdre les garantes*
Il fe glifle toujours des défauts dansT Tinflitution de quel-
tjue gouvernement que ce foit* Lés Légiflàteurs font hom-
mes & fujets à toutes les illufions des autres hommes , ilsonc
rarement là liberté de fairt un fyftême bien fuivî , ils font
forcés d*acc6mmoder leurs Loix aux circonftances où ils fe
trouvent , 8c ces circonftances changent. Mais quand même
les Loik ne fe fentiroient pas des foiblcffes de ceux qui les
ont faites, & quand les conjondures où elles ont été publiéeSj^
feroient immuables , il ne fçauroit y avoir de gouvernement
parfait , parce que ce font des hommes qui gouvernent. Il y
a de l'injuftice à vouloir que les Princes voyent toujours d'une
manière tûre ce qu*il convient de faire, qu'ils le fàffent , qu'ils
ne fe trompent jamais dans ïa multitude des affairés <jui les
environnent, qu'ils en foûtiehnent toujours & avec une égale
force tout le poids. Si l'on veut que cela foit ainfî ^
"qu'on demande à Dieu » dans im fens plus jufte que les liraë*^
. D U G O U V E R N E M E N T. 347
lites ne le dem^ndoient à Aaron : Fdites-nous des Dieux qui
marchent devant nous. Ajoutons que ce font des hommes qui
font gouvernés , 9c que fi aucune çonftitution d'Etat ne peut
détruire entièrement les paflîons de ceux qui gouvernent y
elle peut encore moins changer les vices de ceux qui font
gouvernés.
Des Loîx bonnes pour fonder l'Etat , ceflent de Têtre pour
maintenir l'Etat fondé. Les liens qui forment les fociétés ci-
ciles , s'affoibliffent par la fucceffion destems, parla variété
des efprits j par le mélange des Nations conquérantes &
conquifes. L'ambition ^ la haine ^ l'antipathie réciproque des
peuples y la domination tyrannique , l'amour d'une faufle li^
berté, mille autres principes de défunion , altèrent les Etats
les plus floridans.
Ce que les maladies font dans le corps humain , les défauts
de Gouvernement le font dans le corps politique. Les Royau«
mes & les Républiques naiffent, fleuriflent, & vieilliflent
comme nous. On apperçoit dans le corps humain y dès qu'il
commence à vieillir, & fouvent même plutôt, quelle eft
celle de fes panies nobles qui pèche davantage , & dont il 9
le plus à craindre ; il n'y a de même aucun corps politique
où l'on ne découvre , dès qu'il a duré quelques (îécles , un
vîcç dç conformation qui eft toujours la principale caufe des
malheurs qui lui arrivent, & qui le menacent fouvent d'une
deftrudlion prochaine. La corruption croît & fe nourrit avec
la forme de Gouvernement , elle ne ceffe de le ronger , & 4
la fin elle le détruit.
L*Etat où il eft permis à un feul de faire tout k fon gré ^ ^^,1^^^^
eft expofé aux inconvénieris des règnes des Princes ou mau? ^^JJJ^'*'*^
328 SCIENCE
vais ou foibles ; à ceux des minorités (a) , Si la Couronne eA
héréditaire ; & aux changemens fréquens des Minières y 8c
par confçquent aux variations qui réfultent des diverfes fa-
çons de penfçr des hommes. Tout cela empêche qu'on ne
fuivc toujours les mêmes principes de Gouvernement. Un
feul homme ne peut ni tout voir ni tout entendre, & une au-
torité fans frein corrompt fouvent Thomme le plus vertueux.
Il eft impofliblç qu'un Monarque puiffe entrer dans tous
Jes détails de fon Etat. Il faut nççcflairement qu'il s'en fie au
rapport d'autrui ; & ce rapport cft rarement fidèle , parce que
~ les gens qui font prépofç? pour Iç faire , confultent bien
moins la vérité y que l'intérêt qu ils trouvent à fervir ou à
nuire. Il eft rare de voir la vérité aimée fur le trône , & c'eft
prefque une merveille de ïy voir connue. L'égarement n'eft
pas fouvent bien loin de l'autorité , dans un homme abfolu*
Son ambition tient prclque toujours fcs fujets & fes voifins
çn armes. Ses conquêtes même font pernicieufes à l'Etat , par
lé. luxe qu'elles y introduifent , fiç parles révolutions dont
elles font fyiviest On peut en général appliquer à l'Etat Mo-
narchique ce que Tite - Live a dit du luxe de Capoue (h).
Valeur, conquête, luxe. Anarchie; voilà le cercle fatal &
les différens périodes de la vie politique de l'Etat Monar-
chique*
17. wfautf ac Si la Monarchie abfolue fait dépendre la fortune du peuple
I2 Monarchie U-
«W«^f (a) ITét tibi terra ^ cujus Rex puer efiy dit dans rEccîéiîafle le plus (kge det
Roit.
(b) Jam nunc minime falubris militari difdplina Capua injlnimentum omnium v%*
' luptatem , dçlinitot militum animos avertit à memorid patria. Tiu LiV, i , Decai^
^ Pejor ferpenrihùs afris
l^UXuriAiflcubuit, yiSumque mifritur^orbem*
Pit Martial parlant de Rom^^
de
DU GOUVERNEMENT. ^25?
«deîa volonté d'un feul homme que la raifon ne conduit pas
toujours, la Monarchie limitée la fait dépendre des vues 8c
•des partions du Prince & de ceux qui partagent avec lui Tau-
toritc Souveraine^, Deux Puiflances qui dcvroient agir de
concert, fe combattent bien plus qu'elles nes'a,ppuyent. Ccft
4in malheur que tout dépende d'un feul^ fujet à fe laifrergouf*
verner aveuglement; & c'en eft -un auflî , par une raifon toute
contraire 9 que tout dépende de plufieurs qu'on ne peut gou-
'verner , parce que chacun a fes idées , fon goût , fes vues ^
•& fes intérêts particuliers. Quefi cette Monarchie tempérée
«ft élcdive ^ elle eft livrée à tous les inconvénient des in-
terrègnes. Qu'on fe Teprélente ces cxhalaifons qui s'élèvent
de la terre & dont fe forment ces foudres qui menacent de
ia confumcr; & Ton aura une jufte idée d'un Prince qui d'une
«condition privée a été élevé fur le trône, A peine y eft - il
affis qu'il voudroit anéantir tout ce qui a contribué à l'y
placer. Le Roi contraint par les privilèges des peuples fe fait
tin honneur de méprifer leurs droits ; & comme l'air à qui la
compreflîon donne plus de force , il éclate contre eux avec
<i'autant plus de violence qu'il eft plus gêné dans l'exercice
des fondions de la Royautés
Les fijjets quiobéiffcnt à un Roi y font moins agîtes de ^^,x>éf^anSk
7alou{îe , que ceux qui vivent dans une Ariftôcratîe hércdi- Î^^^S^
îairc. Le Prince eft à une fi grande diftance de fes fûjets ,
<ju il n'en eft prefquc pas vu; il eft fi élevé au deflus d'eux ^
qu'ils n'imaginent aucun rapport qui les puifle choquer ; mais
les Nobles qui gouvernent, font fous les yeux de tous les con-
citoy cnsç& ils ne font pas fi élevés que des comparaifons odieu%
fes ne fe faflTcnt fans ceffe , aufli a-t-on vu de tout tems le
peuple dctefter les Sénateurs» Cette jaloufic eft un peu moins
J30 S C I E N C E
vive dans, les Républiques où la naiffance ne donne: aucune
part au; Gouvernement , parce que le peuple envie moins, una*
autorité qu il donne à qui il veut , & qu'il reprend lorfqu ili
1è juge à propos..
Aucun bon traitement ne peut adoucir le chagrin d'ctrc^
«exclus dune adrniniftration Arillocratiquc. Ce bon traite-
ment même eft moins ordinaire qu'on ne penfe. Les Grands:
foulent aux pieds les perfonnes qui ne font pas deftinées ài
gouverner ,& ils oublient que leur rang, ell pour eux un enr
gagement de faire du. bien à leurs inférieurs.. L'intérêt par-
ticulier de ceux qui ont part aux délibérations publiques jj,
dicîe ordinairement chaque avis ; & c'ellcet intérêt particu-
lier qui règle Lufage que les Sénateurs puiifans. font de Icuir
crédit*.
Le Gouvernement Ariflocratîquc fomente une rivalité^
Uangereufe entre ceux qui gouvernent.. Jaloux de fon opi-
oion , on devient aifément Tcnnemi de ceux qui cn:ont une;
différente.X'un (4) ne peut fouffrir d'égal , l'autre (/*) na veut:
point de fupérieur; & peu de perfonnes font contentes de lai
fcconde place ,^ quand elles ont vu de près la fplendcur. de lai
première (^).,» En feignant de vouloir nous égaler aux.au—
»»'tres(dit un grand Hillorien) nous nous élevons infenfîble-^
^> ment au^defTusd'eux ; & les précautions que nous prenons-,,
»»pour*empêeher. qu'ils ne nous donnent de la crainte, font;
» que: nous leur^deyenonanousi- mêmes redoutables , & que!
H nous rejettons.fur, eux l'injuftice qu'ils nous préparoient:,,
»>comme fi.c'éioit une néccflité de la fouffrir, o.ude.lafaire(^)^-
(^),Céfar;-.
Cç)k *..,.. y ^.Omnisquep§teJtà4>
Impaims..confçTtis erir».
B XJ G O tJ V E R N E M E N T. 53Ï
On ne remarque en effet , dans un Gouvernement Arifto
cratique^ quejaloufie entre les Citoyens > que faâiions pour
parvenir aux dignités , qu intrigues pour s'enrichir aux dé-
pens les uns des autres ; q[ue confpirations pour s emparer
de la Souveraineté* Un y a rien de f lus mifèrMe {dit l'Ora-
teur Romain) x^ue C ambition (jr les comeftaiiiyns ou rontntre
four Its grandes places. Ce grand homme , qui avoit lui-même
•eu tant de part au Gouvernement fur le premier théâtre de
l'Univers ^ qui avoit vu de près les maux que caufe l'ambi-
tion des Grands , qui en avoit fouffert l'exil , & à qui il en
coûta à la fin la vie , dit 9 d'après Platon , que ceux qui con-
teftent entre eux à qui gouvernera la République ^ font
comme des Pilotes qui , au lieu de fe défendre contre la tem-
pête y fe battroicnt à qui riendroit le gouvernail {a).
Si ceux qui gouvernent font unis , ils confpircnt enfem-
ble contre la liberté de la patrie , & fe prêtent un fecour$
mutuel dans Fabus qu'ils font de l'autorité. S'ils font divifés,
ils déchirent le fein de la patrie , par des guerres inteflines ,
& aucune autorité n eft capable de les contenir {b).
Les délibérations d'un corps nombreux font lentes , & les
dcfleins peu fecrcts* Comment éviter d'ailleurs que les Prin-
ces voifîns ne corrompent quelques membres du Sénat !
De toutes les efpèces de foibleffes ^ de vices ^ de folies t^.Diffiiutjai,
même a quoi un particulier eft lujer, il n y en a aucune dont DémQctm^^
une aflemblée nombreufe ne foit fufceptible* Qu'il fait beau
voir une multitude ignorante décider de la paix & de la
guerre , & difpofer des places au gré de fes caprices & de
ies emportemens !
ia) Cicrr, Off. Lih. f . Cap. 25.
ib) Majoribus Pra/idiis ac €0])iis oppngnaZuT RepulUca ^ quam iefendhur. Ccer^
Ttij
5j» SCIE NCET
Dans les Etats populaires > les efprics bornes qulfenc tour-
jours le plus grand nombre , regardent toute efpèce de fupc^
xiorité. comme contraire à la Conflitution du Gouvernement;^
Ils. ne foufFrent quavce impatience que des particuliers, âfe:
moins encore des familles, entières ^ s'attirent, plus de confi—
dcration que les autres, tls trouvent qu'ils ceffent d'être Itr-
bces y dès qu ils ceffent d'égaler quelqu'un de leurs conci-
toyens. De- là font venues ,^ en quelques Républiques, lea^
Loix qui renfermoiènt dans de. certaines bornes , l'étendue:
des. terres, qu'on pouvoir pofféder y aulli bien que le com---
merce qu iLétoit permis de faire..
Dans une Monarchie, il fuffir de plaire au Prince ;. maî^
dans une République , il faut plaire à la multitude , ce qui eft
finon impoffible, au moins d'autant plus difficile que la nai£-
lance, les biens, les honneuts, & la vertu même attirentr
fouvent. des ennemis (^)^ D'un autre côté , il n'y a point de
joug que les Grands ne veuillent bien porter plutôt que dor
dépendre du peuple , & d^être obligés de lui faire la cour
pour obtenir les emplois,. G'eft par cette raifon que le Gott-
iternement Démocratique eft toujours de peu de. durée dans
les Etats où' il fe trouve beaucoup de Nobles;
De mauvais fujets font fouvent chargés de l'adminiffratio»
des affaires publiques , tandis que des gens de mérite en font:
exclus.. Le peuple élève aux Magiftratures les Citoyens lesu
plusfcmblablesà lui ;& c'efl fouvent une marque de mérite
que- d'en recevoir de mauvais traiteracns. Il veut s'épargner
b mortification de voir plus de talcns en autrui qu'il n'en ».
ki-mcme ; il rallentit lardcur des grands génies & anéantie:
fe mérite, en éloignant les récompenfes qui animent à L'àc—
D^ 0 G OXTV E K N E M E N r. j^^
^érirf,&^n expfofent à. des inlultes qui ïe rendent dange-
«ux.. Un Etat populaire porte fouvent les précautions juf-
qui ^ingratitude & à Finjuftice*- On conferve quelquefois
•^lanS'lafplendeur les hommes d'un mérite diftingué^ pendant:
•out le tems^quïls peuvent fcrvir de reffources pourries be^
.-fcins preffans* La néceflité eeffe-t-elle l J^eur élévation .d?-^
-vienc iufpeéle 8c hue grandeur odieu£^>^9a€heIXIhç>àia&
détruire- •' ^..:•^.
Le gouvernement populaire donne lieu ^^ encore plus qac
te gouvernement Ariflocratique, à des faftipns, à des ca-
bales y à des brigues pour les éle£tions.. L'intérêt particulier
^fl plus cortfultd par ceux qui gouvernent que rintérct pur
J^lic; La lenteur desdélibérationsefl un grand inconyén;^iir
danS' les dangers de l'Etat ,; & personne n'apporte à ces délir-
bératicms- le même efprit , le même; jugement >. la même pn*.
dence que chacun a pour fes affaires particulières-, ibicpiar'-
ce qu'on, ferepofe fur les autresdufoin des aflàires cpramur
iies , foie parce qu'on s'intèrefTe toujous moins^à lachofe pui*r
Jblique qu'à, l'affaire perfonnelle^
Le peuple ne rendjuftice au mérite que par câprîccr^ Tou-*
p)urs amoureux de la nouveauté , il accable à la fin ceux quiï
avoit élevés au commencement. Egalement prodigue de les
feveurs; & de fes difgraces >, il ell capable de donner en un-
moment dans les deux extrémités du bien & du maL Ilfaic
fens cefTe des projets , fans en exécuter aucun. Il ne peur ja-
mais demeurer longtems* dans le parti qu'il a choifî> parccr
qui! ne fijait pas la raifon qui l'y a fait entrer.. Il fait tout
Éins Religion > fans 'ménagement ,.ians bicnfeance-
Phocion , haranguant un jour le peuple^ &fe voyant ap-' '
plaudi de toute rafFcmblce^ demanda froidement à kssxûiSp.
s*il avoît dit quelque extravagmcc^
554 SCIENCE
Ciceron, qui avoir vu une infinité d'aflemblécs du peuple
' &qui étoit obligé de s^exprimer avec quelque circonfpeâion
fur les défauts de la multitude > Ciceron, dis-je , ne nous
donne point d^autre idée des Etats populaires que celle q^e je
préfente ici. Selon lui , les plus dignes d'un emploi, ne font
jpas ceux qui Tobticnnenc ordinairement à la pluralité des
* voîXi II j va de mon honneur ( difoit un Romain ) quon dit
donné U frcfcrena À un autre , pour une Charge que nous de-
mandions tous deux au peuple. Je vous croirois plus flétri ( lui
répond Ciceron ^fi dix hommes fages & jufles vous avoient
trouvé indigne de cette Charge , que Ji toute rajfemblèe du peur
avoit fait de vous $e jugement {a). Le peuple ne juge pas tou-
jours dans fes affemblées , il choific fouvenr par faveur , il cè-
de aux prières , il préfère ceux qui ont le plus brigué* S*il
•juge , ce n'eft point par choix ou par lumière , c eft par im-
pétuoficé & par boutade. Il n*y a en lui ni confeil , ni raifon ,
ïiî dïfcernement , ni application, ni cxaâitude, & les Sages
ont penfé qu'il falloit toujours fouffrir , mais non pas tou-
jours louer ce qu'il faifoit (^). Un peu après, Ciceron com-
pare Taffcmblée du peuple aux flots de la mer excités par des
tempêtes fubites qui les pouffent d'un côté & les éloignent
de Tautre , & il remarque qu'on a très- fou vent vu avec un pa-
reil étonnement , qu'un tel étoit préféré & qu'un tel ne i'étoit
jpas (^). Il dit ailleurs , que le peuple , auteur de la préfé-
rence , s'en étonnoit quelquefois lui - même. Il s'y mocque
de ceux qui s'imaginoient que lorlque ce peuple s'étoit con-
duit une fois d'une certaine manière , c'éroit de fa part un
engagement à fuivre toujours la même lOMlt.Maisou eft Œtê^
(ff) Gcer.proPlanâOf
ib) Ibil
(0 lbi(L
DU GOUVERK KM E N T. Jjy
npe'f^ dit-il , qui foit fi fujct du flux & au reflux l Un délai
dTun jour renverfe toutes les mefures qu'on avoit prifes , un.
feruir répandu: en fait autant; & fouvent , fans que Pon lâche
pourquoi ^ le peuple change du blanc au noir (if)..
Les. Gouvernemens compofés ont tous les inconvé-- 4o.D<&utiaèt
niens des formes dont ils font compafcs. J'ai dit dans la pré- ^^^"^
çcdente Sedion qail y en a de deux fortes > & je donnerai
ici des exemples tirés de Tun & de l'autre..
. Pour la première efpèce ^ qu'on voye ce que c'efl: que Taf-^
femblage du Royaume de Pologne & du grand Duché de
Liihuanie; & celui du Royaume de la grande Bretagne avec:
Ife Royaume d'Irlande;.
Les inconvéniens des Gouvernemens compofés de la fe«-
conde efpëce font extrêmes. Pour le comprendre , il fuflît de^
confidérer quelle feroit la force du Corps Germanique , &
une feule tête le gouvernoit. Il n'efl point d'Etat dans l'Eu-
rope à qui il ne pût infpirer de la terreur , mais la forme de-
Gouvernement qni y eft reçue, l'afîoiblit infiniment, & les:
malheurs qui l'ont accablé à l'occafion de la guerre excitée^
par les diverfes prétentions à la fucceffion de Charles VI y,
guerre où l'Empire fe déclara neutre , & le fut dans fa pro^-
gre caufe , en font une preuve bien récente*.
. On connoitra tous les défauts des Gouvernemens com--
pofés,en s'inftruifant de ceux des Gouvernemens irréguliers. -
A en croire les partifans des Républiques,. les prérogatives si<DéfiD»Mv
dû-Prince > des Grands,. & duPeuplê,iont fi bien tempérées uï^g^Sw..
Ifes unes par les autres, dan s les. Gouvernemens que nous-
avons appelles irréguliers ,. qu'elles fe foutiennent. mutuelle--
ment.. A s^n rapporter au fentiment- des £anifans de-lâi
3315 SCIENCE
Monarchie, ces prérogatives s'entrechoquent &[s'entredé-
cruifent*
Du mélange de deux Bqueurs faïutaîres^ il peut rè<er
un poifon, & il eft aufli des antipathies dans leschofes nuH
xale&p L'union de la Monarchie & de T Ariflocratie produit
hs plus grands maux. Tant qu'on fe formera une idée fauffe
4de$pa(fions du cœur humain^ on pourra trouver dans la théo*
rie quelque point où le Prince & fes fujets n'auront que le
même but ^ & en ne faiiant qu'une même chofe du comman*
dément & de l'obéiflance ^ par le partage de l'autorité fou-
veraine ; mais dans la pratique , tour cet édi£ce fe détruit cfe
lui-même. Cette union qui dcvoit donner à tout l'Etat un
même intérêt & une même fin , fe changera en une divifion
fiinefle ^ à moins qu'on ne luppofc un peuple dont chaque
citoyen foit Philofophe , ou qui (bit gouverné par un Prince
dont la politique foit encore plus habile à donner des vertus
à fes Sujets, que l'éloignement qu'ils ont pour être gouvernés^
fiTefl: capable de les rendre méchans.
Dans ces Gouverncmens irréguliers , la fuprcme puîflànce
cft partagée à deux ou à trois , & fou vent à quatre ou à cinq
ordres de perfonnes. Ils font par conféquent contraires au
premier principe de gouvernement qui eft l'unité (a).
' Quelques Nations fc glorifient d'avoir donné à leur Prince
toute l'autorité néceflaire pour faire le bien, fans lui laiffer le
pouvoir de faire le mal. Elles difent que la Souveraineté étant
partagée entre le Roi , les Nobles , & le peuple , entre un
ieul , plufieurs , & la multitude , le peuple ne gémit pas dans
la fervitude ^ & n'abufe pas non plus de fa liberté ; & qu'une
(a) Voy«2 le Oiapkrc II du Traité du Diok Public, où il cil prouvé que Ib
Souycraioetc ne peut eue panagée*
puilfance
DU G O tJ V 2 H K E"M E N T. ^37
jjjûîflfence écAOt balahtëe^» Pautre, elles demeurent toutes
V dam un jufte équilibre ; mais quand on veut pénétrer lefens
de ces paroles j on eft étortné de n'y en "point ïroirvet. lleft
împoffiblc de conferver Tharmonie d'un tel corps. Le ttïélan-
ge de* qualités contraires détruit prefque toujours le fijjet qui
en eft compofé.
Les différentes puiflâSncCs d*im cofps irriégulier fofit àes
^efforts pour en ufurper le pouvoir abfolu. Le Roi ^ les No-
bles*, fe Jes communes sV)ccupeftt continuellement '<iu foin
de renvcrfer la balance qu'ils paroiffent vouloirétabliiv i.'E-.
tat irrégulier reffemble^ ufi vaiffeau battu de vents xotttrai-^
ires avec uiïe gnmde voile & fans gouvernaik Leis *divcr«
pouvoirs qu'on y voit indépendans les uns des autres^ Yie
^retracent pas mal l'indépendance où les Souverains vivent
«entre eux ; & les mouvemens de l'Etat , les voyes de fak q^e
les Souverains employent les uns contre les autres parce
/^qu'ik n'ont point de fupérieur commun*
Il eft -difficile de trouver le point d'équilibre que chaque
Tuifïance femble chercher j^ 8t encore plus difficile de s'y te*
nir , lorfqu'on l'a trouvé, De-là viennent que *ous cc$ tîoit-
vernemçns irréguliers inclinent toujours phis v«:sXMieïbrme,
♦qu'ils ne tiennent de l'autre. Rome > 3lépubliqufe^^ |5ettchà
«tour à toirr vers FArifk)cralie'&'vers la Dcttodratie^ La Ré-
lïHiblique de Carthage œnoit pkade l'Ariftocratie que de la
Démocratie. L^ Ariflocratie prédomine ^uffi dans le Corp*
<Gerraafiicpie & en Pologne. Le Gouvernement de la Gran*
xie-Bretagne ,T)ar Fautorité de la Chambre des Communes ^
iparoît tendre à Ja Démocratie.
Suppofons que la ^puiffance d'un Etat ïbît de dix degrés ||
'J^^me 1% y V
^^%: $ C l E N G E^
^ue lé Monarque ne foit dépoiitaire que de cinq , que feNbf^
Vleficenair deux , & le peuple trois : il fera moralement: im;-
poffible que les trois ponions de ce pouvoir ne reçoivent
dtçrOfitLvement quelque atteinte. Tantôt un audacieux aura;.
lemoyen.de réunir les Grands & le peuple ^ on répandra du.
fang, &le Monarque^ ou les Grands & lepeuple.ferontopprir.
u\a^s. Quelquefois, le Monaïque s^'attacheraJcsGxands.par'fes-^
faveurs , Se le peuple cntreca enfureur^Dautces^circonflances.
réuniront le. Roi & le peuple , & voilà la Nobleffc dans les:
fers.. Qu'on ne dife point que le. dépofitaiie. de cinq degrés^
D-aquà fcL renfermer dans les bornes, de fon pouvoir : le peu^
pic en wudra. avoir, quatre, & la NobleiTe trois ^ il faudra
jque !e Monarque intervienne avec les cinq degrés ^ &par la-
parti qu'il fera force, de prendre , la chimérique balance, s'ér-
Yanouira..
. E(i un mot , le .partage. dé là Souverainetés eftiuv principe
ncceffàire d'altération Ôc de maladie. Xoin de mettre unéqui^-
libre entte les Puiflances , il en caufe le combat . perpétuel ,,.
jufqu'à. ce que l'une, ait .abattuiks .autres , & qu!elle ait tout
.riduit au Gouvernement Monarchique ou à l'Anarchie. Le
Politique. Romain a ^a raifou-»de dire, qu'il efl plus ailie de-
Ic'uer que. d'établir, une. former de Gouyernemenc compofécr
de ce qu'il y a de. meilleur- dans les- trois formes ,. mais quor
quand elle, feroir poflible , elle ne. £ourroit fubfiiler. longj-
jtems (a):* .
IDV G 0 17 V.Ê R N EvM E N T^ j^jjr
Section I V*
Quelle ejt U meilleure forme de Gouvernemen^t%
Les Etats font moins puiflans par leur dtenàûe, par le «. t)r«ctiiié^
«lombre de leurs troupes , par la force de leurs frontières , ^cacQucftiom
<juc par leur Conftitution : ainfi la ^jueftion de fçavoir quelle
«ft la meilleure forme , e'eft-à-dire quelle efl: la plus propre à
procurer l'avantage des Etats & la- moins fujette à des in*
convéniens ^ eft une queïlion très-importante^
Elle a été traitée par plufieurs Ecrivains (4) , -& le plus
.:grand nombre Tadécidéepour la Monarchie (/>);mais on peut
la regarder comme un problème encore abandonne à la difpu»-
te des hommes. La plupart de ces Ecrivains vivoient dans des
Etats Monarchiques , & on peut les recufer. Lorfqu on efl
trop loin d'un objet , on ne le voit que confufcment & rare-
ment tout entier. Quand on en eft trop près , on ne voit que
Jui , il ofTufque la vue , & Ton ne peut le comparer avec les
•autres. Ce ji efl: que dans une jufle diflance qu'on peut cfpc*
rer d^éviter Tun & Tautre de ces inconvéniens. Ce milieu
raifonnabfe entre deux extrémités également vicicufes , où
Je trouver ? Pour être juge compétent de la queflion propo*
fée, il faudroit être placé entre les différentes formes de
Gouvernement , fans ctreaifujetti à aucune ; mais le fort qui
(a) Hérodote ; Thalie ; Plutarque ; 'Agnppa de vànitate fcîentîirum Cap. yy,
■paffendorfFtfe Jure narurali &• gentium , Ub. 7. Cap. Jr. Denis d'Halicamailè Lib. 4%
Dion CafSus Lib. 5^2. Hobbes de Imperio Cap. 10. de in Leviath, Cap. ip* Bodin ^
.Républ. pag. 71 j. Barclay , Argenis Lib. i. & plufieurs âutreJ.
^b) Homète Iltad. IL Herodoc. Lib. j. Euripid. dans Ardromaque Verf. 470W
.Platon dans fe^ Politiques ; Ariil. Polit. Lib. t. & 4. Xdnophondans la Cyropé*
vdie ; Senec de Benef Ub. ^- Cap. lo, Héfîod. Maxime de Ty r ; S» Jérôme ^ S. Cy%
jftkaiJS. Xhonuu i ^ajlc;.&j^luâeuiiauue««
Vvij
j4* SCIENCE
nous attacLç à Tune ou aux autres, par les Iîënst)u dé la i
naiffance ou de la fortune , ne^nous pcxmet pas de demeurer :
neutres.
On eft cependant obligé de dfre fon opinion- , lorfqu'on a :
entrepris de difcuter toutes les matières de Gouvernement» -
Je vais donc examiner cette grande queftion, &• je penfe
que,. pour le faire. avec . fruit > il eft néceflaire de faifu- dV -
bord quelques idées. .
»s.€c luccvft De tous les attributs delTlomme , iln^eheft point qui luî •
ît«%^urdtVen loit plus précieux ni qui en foi-même Toit plus grand que la :
pï^«k raifon J& liberté. Elle eil Tappanage de la créature raifonnable * les .
^-tft. fc tromper , . , il- J T T 1 r .
^c dr croire ao^maux qui aont pas la Jumiere de la raiion * les fous oui \
«jy'on n'cft. point l *. ' 1
ïO^vçfoui^Gpu- rcjQt perdue , les cnfans.en qui elle ne fé développe pas en- -
core j. n y participent. point». Elle eft Tunique principe du me- -
rite & dUdémérite deS: Jiommcs , la véritable fource de Teftî- -
me qulls prétendent .&; de la honte quils craignent , le feul î
fondement des récompcnfcs quils peuvent efpérer, oudes ..
ch^timens qu'ils ont à redouter.
La liberté proprement dite eft la puiflance dé faire ce. *
quon veut , & de s'ahûenir de ce qu'on ne veut pas* Ceft,
Tafle de la volonté ,. en:. tant quil n'eft gcnc par rien , &
qu il a fon plein effet*. Mais j dans un. fens moins étendu &
Ciwnme on rentend. ordinairement., la liberté eft la faculté de •
choifir ce qui parciHe plus grand bien , ou^de rcjetter ce qui ^
femble mauvais , au moment de la délibération. Il n eft pas ,
nécef&ire: d!examiner en quoi cette faculté , dépend, du juge-
ment,. &•. comment elle fait. partie de la.- volonté., ilfujQSt de,,
montrer que là liberté ne perd rien defes, droits y. & qu'au.,
contiaiicelleacquien: fa plus grande perfeftiony quand nôtre-
choix fuit e^âÊlemenr: le^. lumière, de. la,, railbn , & cck.cifc
ijSi à établie,^
DU GO U V E R N KM E N T. 54^
lies Romains parlant de la libené en général , ont dît que
défl: la faculté de faire tout ce qu'on veut , fi ce n'eft qu'on
en foit empêché par la force ou par la Loi (a). Dans une
fociété oùJl y. a des Loix y la liberté ne peut en effet confif-
ter qu à pouvoir faire ce qu'on doit vouloir , & à n'être point
contraint de faire ce que Ton ne doit pas vouloir. Tout le
jppuvoir effréné d'agir au gré des paffions, ne fe trouve dans '
aucune fociété civile. - Ofer au préjudice de Tordre & en ren-
verfcmient des Loix , ce feroit une licence odieufe ^ . une foi* -
blefTe extrê me , une véritable fervicude (h).-
Lorfque nous fuivons les lumières de la raifon , nous ^
nous procurons ce qui nous cfl véritablement plus avan-
tageux y 8c puifque la liberté confifte dans le pouvoir '
qua notre volonté de fe porter à un-' objet ou de ne
s'y porter pasr , un homme n'efl libre qu'à pirôportion »
que la raifon le conduit. Alors c'eft lui qui fe détermi--
ne j c'efl'lui qui choifit ^ c'cft lui qui eft fon maître , parce *
qu il fait ce qu'il veut & ce qu'il a diflinftement connu être '
fon véritable bien : au lieu que dès que nous vivons fousTEm-
pire des paffions ^ le diicerncment de ce qui nous efl: plus -
avantageux devient impoflible. Leur yvreffe confond toutes
nos idées, & leur violence nous entraîne malgré ce qui
nous relie encore de lumières pour nous retenir. L'ambitieux^^-i
l'avare , le. débauché , font de véritable efclaves^^
Expofés comme ils le font à cet inconvénient , les hom^
mes ont befoin de trouver hors d eux-mêmes un frein qui les --
retienne , & ils le trouvent dans les Loix. Leur aucoritéii'efl'^
pas un joug pour les fujets,^ mais une regk qui les conduit ,..
un fecours qui les protège y une vigilance paternelle qui ne
(a) Lîbercai ex qud étiam lileri vocamut , efl Maatralis facultas ejus quoi cuîquêf
ficert licety nijiji quid vi aux Jure prohibeatur, J. /. Inftit* de Jure perJonATum^
i^T) Jn^cni jçliuiquc & magis Jm dfmino guam ialibnt ^rc« T^çiu-
:54i -S <: I E JJ C E
Vaflurc de la foumifTion des Ibjets, que parce quVIIe VaDûré
leur tcndroflc. C eft un genre de dépendance qui ne doit ja-
mais cefler , c'eft le fondement du repos public & du bon-^
lieur de chaque particulier. Quelque prccieufe que Toit la lU
bertcaux hommes, elle leur devicndroit bientôt nuiiîble, fî
la fociété où ils vivent n en rcgloit Tufage. Us trouvent dans
Jes Loix , des décifions faites par une raifon tranquille , état
où rarement la leur fe trouve. Leur rigueur falutaire redou-*
!ble les forclos de chaque.cîtoyen , aulieu de 3es afFoiblir» On
iOe nous prive pas de notre liberté , quand on fixe les mou-
vemens de notre cœur Çc qu'on donne à la .volonté des règles
fages qui la déterminent au bien général de la fociété, & qui
du bien général font naître le bien particulier. Les Loix éta-
blies pour prévenir & pour punir le vice , laifïent toute la li-
berté à la vertus; elles confervent aux hommes la force de la lî^
berté , 8c les empêchent de tomber.dans la foiblefle de la li-
cence. Ceft conferver la liberté des hommes , c'efl.la défen-
4re & non la détruire^ que de leur prefcrire des règles de
/Conduite. Obéir. aux Loix , cen'efl jpas être efclave des Loix,
c'efl être affranchi despaffions*
Qu'il eft difficile de ne jpas abufer de la liberté ! LTiomme
a.été obligé , pour Tamour même qu'il a pour fçs droits na-
.turels , dt les dépofer en des mains qui les lui confervaflcnt
j8c qui îempechaOent d'pn abufer. Que fcroient devenus nos
Anccçres , fans les focictcs civiles qu ils formèrent ? Ils k
feroient fait la guerre : vainqueurs , ils auroient été des ty---
rans ; vaincus , des jefdaves. Parmi fes droits , ITiom^
me compte celui de fîiire des conventions «xvec d'autres hom^
jnoies , de déroger jufqu'à un certain point à fa liberté natu^-
isfdie, & de s'affujettir à des règles qui lui afliirc;nt la maniéi^
t) rr G O Û V Ê R NE M E N T. 3(45
îJb vivre donr il fait le choix , fujét à faire dû mal, & à en«
fouffrir de la part des autres? , il eonttade avec eux , afin de^
k mettre à^ l'abri dcsr injuftices , & de s'empêcher lui-mcmef
d'en commettre. Cefl: ce qui forme les Loix civiles. Elles;
fbnt fondées fur le droit de la nature , & quoiqu'elles puif-»
fcnt empêcher le particulier d'exeircer tous fes droits natu-*
Tels , elles ne laifïentpas d'être juftcs, parce quon^peùt ref--
tj-aindre les droits de la nature y par k crainte d^ênabufer,.
& pour s^aflurer l'ufage légitime qu'on en veut faire : ainfî les-
tioix civiles ne paroiflentrnous priver du- Droit naturel, qutf
pour nous en faire-jouir. plus fûremenr.>
Dieu & la raifbn^nous obligent. d'obéir aux Souverains , 8i
€'eft à Dieu: & khc raiforr qu'on, obéit plutôt qu'aux hommes
quand on obéit aux Souverains. Qu'y a-t-il de plus conforme
à l'ordre que la Providence a étabK>iju^a-t il de plus raifon-i
nablè,que d'obéir à ceux qui exercent fur nous^ pour notre
propre bien , une autorité légitime & réglée par les Loix ?•
Tout excès de liberté eft licence,. & la licence eft le renvcr-^
fcmentde la liberté. >
Qui pourroit être- appelle libre, fi l'on cefFoit de l'être"
]pour être foumis à l'ordre ! Les Rois eux-mêmes* ne le fe^
roient point (f)..Lesrbons Rois ne reconnoiflcnft-ils pas l'au^
torité des Loix ? Les Rois politiques ne font-ils pas aflujettisw
à l^intérêt' de leur Età5 l Les Rbig les plus abfolus ne font*
ils pas affujettis à l'ordre du Gouvernement? Tous les Princes*
ne doivent-il pas* être fbumis à. la juflice , & ne font-ils pas.^
dans là. dépendance des engagemens qu'ils- prennent & pa5.
leurs Loix & avec leurs alliés ?:Ne dépendent -ils pas de
(€) Vojcz les réflexions que j*ài faites à ce iujct dkni le fécond Chàpître du Droîir
des Gens , au texte à la marge du^i)^l eft ce Sonuxuike ; Manifejcs gue Us PrUta^»
5^ SCIENCE
^ous leurs fujcts , dans le même fens que les maîtres dépoli
;dciit de leurs domeftiques? Jous les hommes., lans en cx-^
/cepter ceux qui gouvernent., ne reccmnôififem-ils pas Tem^
pire des bienleances? Quçleft Je lieu iur la terre, pour le
dire en^un mot, où les hommes ne ticnnem pas à certains
liens^ & où il n*y ait pas.Mi>e fubordination qui efl tout à la
fois Çc nécef&ire & unie , & qui les mçt indifpenlablemem;
dans la dépendance Jes uns desautres?
Il faut donc, rejetter comme une erreur populaire cette opî-
^nion qui n'eft que trop généralement répandue , qu*onrfeft
point libre fous un Gouvernement. Tout ce que certains au^
: teurs débitent . au.fujet de la liberté & .de Tefclavage., ?n*e{l
quune vaine €c téméraire déclam^ioa. Ce font de grands
mots que Tart prjitoire fera toujours vgloir auprès des efpriO
fuperficiek ou de mauvaife humeur , mais doqt les Sages coiv»
.noîtront toujours le prix dansia précifion conven;dble. Laili»
•bertéj dans l'étendue qu'on voudroic lui donna:, eft,unç
fChimère dont les hommes ne peuvent jouir ,-& dont il ferok
pernicieux qu ils pufTent jouir. Les fers font durs à porter,
,dit-on,xeft;Une cxpreffion poétique qu'on emploie d'ordi*
naire en amour , & dont les Citoyens , fous uh fagc Goup
jvernement , ne doivent pas êtreplus effrayés , que leç amans
ne le font, à Cyrhère.
'^.conUéTU ^^^ ^^^^^ opinion qui rfeft ni moins générale rti moins
-ïr£^^^^^^^^^ c'eft celle quVn a des anciennes Républiques , donc
'm^rdxnèé^' on çrok que le Gouvernement étoit fort heureux. X>es Livret
*^^^' font pleins des éloges qu'on leur a prodigués , mais dans les
îSaêmôS endroits , nous trouvons dos faits qui démentent C9$
^éloges. Les diqmmes d'aujourd'hui font trop vivement frap-
jpés 4e ce qui js'eft jpaflc j)açmi les Grecs^ moins libres gii'ir>
^QcUes;
DU GOUVERNEMENT. 345
dociles. La haute opinion que nous avons de cet ancien peu-
ple nous féduit , & nous fait regarder ces anciens gouverne-
mens comme merveilleux. J'ai tâché, dans un aytre endroit
(a) , de détruire cette opinion qui me paroît pleine d'erreurs.
Pour parler devénemens moins éloignés , fixons- nous à
deux Républiques célèbres parmi les Gouvernemens mo-
dernes.
Quel ell le pays de l'Europe où. Ion paye autant. d'impôts
qu'en Hollande ? Le mot feul de liberté fait tant d'impref-
fion fur les habitans des Provinces-Unies , qu'on les dé-
pouille de tout ce qu'ils poffcdent , en leur difant qu'on le
leur demande pour les maintenir libres contre les Puiflances
étrangères. Quel efl le pays de l'Europe où le peuple foit
plus indocile , moins fage ? Quel efl encore le pays où un
Citoyen ofe moins qu'en Hollande avoir quelque difcuffion
d'intérêt avec les chefs des villes ? Nous plaidons en France
contre le Roi, & il le trouve bon. Ofe-t-on plaider en ce
pays-là contre les Magiftrats? La Hollande cft l'afyle com-
mun de la plupart de ceux que la crainte oblige à fe garan-
tir contre l'infortune où ils font dans leur pays. L'indulgence,
à cet égard y pour être trop générale , ne va-t-elle pas trop
loin ? La permidion par exemple de tout imprimer fur la Re«
ligion , fans diflin£lion de ce qui lablefTe ou lafert , efl-elle
bien raifonnable ? La licence dans les opinions efl - elle
moins à craindre que dans les mœurs Se dans les œuvres ?
L'opinion fouvent ne détermine- 1 -elle pas la conduite ?
Si c'ell un défaut de liberté que la défenfe de rien écrire qui
foit contraire à la Religion , au bon ordre, à la police d'un
pays , & s'il fuit de- là que les fujets d une telle domination
(a) Voyez le fécond Chapitre de cette latroduAioat
Tome L X X
34^ SCIENCE
ne foîent pas libres y on pourroit donc conclurre auffi par
ce même principe , qu on cft efclavc partout où il eft défendu
d^empoifonner ! La tolérance de toutes les Religions , dan-
gereufe partout , eft comme ncceffaire en Hollande j mais
cette néceflîtc en ôtc-t-elle le danger ? Les hommes célèbres
jouiflent-ils d'ailleurs bien tranquillement dans les Provin-
ces-Unies , de la confidération qu ils auroient dans un Etat.
Monarchique ? Le grand Barneveld , le fameux Grotius , &
plufieurs autres excellens Citoyens ne furent-ils pas accablés'
(<r) par les brigues ordinaires dans les Républiques ? Les
fept Provinces-Unies pcnferent périr par les faftions de NaC-
fau & de Witt qui cherchoient chacune à fe cohferver Tauto-
rité & à Tcnlevcr à fa rivale. Il en coûta la vie à Jean & à
Corneille de Witt maffacrés dans la Capitale de l'Etat, avec
tant d'impunité , qu'ils fembloient avoir été égorgés par au-
torité publique. Ce fut fur le débris du parti de ces deux
frères que s'éleva la fa6lion de Naffau ; & elle vient encore
de faire violence aux Loix. Le peuple a demandé un Stad-
thouder les armes à la main , & il a fallu lui en doner un(^).
La forme du Gouvernement eft changée , & rétabliflemcnt
d'unStadthouder prépare vraifemblablement à la République
des révolutions qui ne finiront peut-être qu'avec elle, Qu'eft-
ce que ce Gouvernement des Ilollandois ? Ils fe font donnés
un Prince qui n'eft ni maître ni dépendant du Gouverne-
ment de la Nation j & par une fuite néccflaire > l'autorité fe
trouve divifée 8c n'a plus de force par elle-même. De - là ,
double Tribunal , double intérêt : de-là , le befoin du fou-
tien & de l'appui du peuple de part & d'autre , de crainte que
(a) En itfrp.
(b) Voyez dans le fepticrae Chapitre de cette Introdudlion , la Sediondu Gou-
vernement des Provincci-Unics,
DU GOUVERNEMENT. 347
la faveur ne mette un trop grand poids de Tun ou de Tautre
côté de la balance. De-Ià , les ménagemens & les égards
pour la multitude. Dc-là , plus de Magiftrats refpedés y plus
de Juges redoutes , plus de Gouverneurs obéis , plus de Loix
en vigueur , plus d'Ordonnances fuivies, plus d'impôts ni de
charges payés , plus de menaces appréhendées. Dans ce bou-
leverfement obfcur de la République , la populace trouve fa
joie & fon triomphe. Le Stadthouderat héréditaire eft une
Souveraineté de fa façon. Elle regardé le Prince, qui en eft
revêtu, comme fon Patron, fon avoué. Moyennant cet appui,
elle brave les placards émanes de l'ancien Gouvernement ,
& n'honore que d'un refpeû ftérile les Ordonnances rendues
par fon Stadthouder.
S'il en faut croire les Vénitiens , leur Ecat participe des
• trois formes de Gouvernement, & c'eft la meilleure de toutes
les Conftitutions. Le Doge repréfente la Majefté Royale , fa
dignité eft perpétuelle, & l'adminiftration publique fe fait en
fon nom. Le Sénat , le Confeil des Dix , & le Collège y for-
ment une véritable Ariflocratie. Le Grand -Confeil, où en-
trent tous les Citoyens pour créer les Magiftrats & établir les
Loix , y fait voir le gouvernement populaire. Telle eft l'idée
que nous donne de Venife un noble Vénitien (4) , diftingué
par fes Ambaffades & par fes Ouvrages. Mais l'Empire n eft
abfolu nulle part dans aucun Etat comme dans celui de Ve-
nife ; & je ferai voir (b) que les fujets de la République font
de vrais efclavcs. Le joug févére du gouvernement Vénitien
péfe également fur le Noble & fur le Citadin , fur l'habitant
de Venife & fur celui de terre ferme , fur le Magiftrat & fur
(a) Panita , Délia perfetvione délia vita politîca. Lib. 3.
Çb) Voyez daas le fepMéme Chapitre de cette Introduftion , le Gouvernement
de Vcûifc,
Xxij
34» SCIENCE
rhomme privé ; & néanmoins à entendre parler un Républi-
cain , la liberté , chaflee de tout Etat Monarchique , s'eft ré-
fugiée dans le fcin des Républiques.
Les autres Républiques dltalie , qui vantent la perpétuité
de leurs gouvernemens y n'ont fait que perpétuer des abus.
Audi , n'ont-elles pas plus de libené , ni même plus de puif-
fance que Rome n'en eut fous le gouvernement des Décem?*
virs.
*5. On nvft ^3 véritable liberté , toute fondée fur l'ordre , doit toiH
EL'înl^Monar! jours être fubordonnée aux Loix. Elle tient un jufte milieu
une kéîiwiqw! entre la tyrannie & l'anarchie , & eft également éloignée de
toutes les extrémités. Il faut fc perfuader , car cela eft vrai y
qu'on n'cft pas moins libre dans une Monarchie que dans
une République.
Il n'eft peut-être perfonne qui y lorfqu'on a difputé fur la •
meilleure forme de gouvernement , n'ait entendu dire mille
fois : Dans un Eut libre y on ne dépend que des Loixy&pour--
'vâ quon ne les viole pas yon efi en fureté : raifonnemenc des-
titué de fens ! Ne doit-on pas être en lûreté fous les gouveP*
nemens , dès qu'on refpede les Loix ? Et les Républiques
n'ont-elles pas leurs tyrans auflî bien que les Monarchies ?
Ceux qui afpirent aux grandes charges dont le peuple eft
le diftributeur , ne parviennent à lui commander y qu'en fe
rendant fes efclaves. Que ne faut-il pas faire pour gagner
un peuple compofé de tant de têtes où règne une (î grande
diverfité de goûts & de fentimens ! On simpofe une fcrvi-
tude certaine pour courir après une puiflance à laquelle on
parvient rarement.
Dans un gouvernement Ariftocratîque , que nVt-on pas à
effuycr de fes rivaux y de fes envieux , de fes ennemis y des
DU GOUVERNEMENT. 54P
cabales qui remuent le corps entier du Sénat ? Dira-t-on qu'il
n*y a qu'à n être pas ambitieux ? Mais comment eft on gou-
verné par ceux qui le font ! Et que n'a-t on pas à craindre de
fes fupérieurs ^ de fes égaux , de fes inférieurs ?
On ne fçauroit réfléchir fur la fin que les hommes fe font
propofée en fe raffemblant pour vivre en fociété , & fur la
néceffité où ils étoient d'affujettir leurs paflions fous l'Empire
des Loix , fans que ces deux vues réveillent dans l'efprit l'i-
dée^ d'une fubordination exaâe , d'un pouvoir abfolu dans le
Souverain , & d'une obéiflance entière dans les fujets. Tous
les gouvcrnemens tendent à la même fin , qui eft le maintien
des Loix. Ils ont tous le même principe de fubordination ,
c'eft d'obliger les particuliers à obéir. Ils ne différent entre
eux que par les différentes combinaifons dont une même
chofe eft fufceptiblc fans changer de nature , & ils n'appro-
chent du degré de pcrfedUon que la politique fe propofe ,
qu'à proportion qu'ils font plus ou moins propres à afllirer
l'Empire des Loix fur nos pallions. Dans chaque Conftitu-
tion d'Etat , il eft un ordre & une fymétrie dont l'effet eft
de lier toutes les panies entre elles , & de les rappeller par
ce moyen à l'unité* Il y a dans tous les gouvernemens un
premier mobile , une puiffance fuprème. Ce qu'eft le Prince
dans la Monarchie j le plus grand nombre des Citoyens l'eft
dans une Démocratie , & le Corps des Magiftrats dans un
gouvernement Ariftocratique. Que ce foit un ou plufieurs
qui commandent , c'eft toujours une Puiffance abfolue (a) ,
à laquelle tous les fujets font également obligés d'obéir. Les
mots (b) par lefquels les Républicains croyent diftinguer la
(a) Voyez le Traité du Droit Public Chap. II.
\b) Sic voloyJicjubeOfJîcpro rationfvolunus.
350 .SCIENCE
Monarchie d'avec rAriftocratie & la Démocratie, mots qu'ils
ont (î fouvcnt dans la bouche , font tout aulïi propres à dé-
figner la nature du gouvernement Républicain , que celle du
gouvernement d'un feul. Les fujets ne font pas plus libres
fous une forme de gouvernement que fous une autre, parce
que dans toutes ils font forcés de fe foumettre aux Loix 8c
aux volontés du Souverain. Tout le monde eft fujet , fous
quelque forme de gouvernement que ce foit , fi ce n'eft fous
la Monarchie où le Monarque eft le feul qui ne le foit point.
i«. Dansqucj Les Grccs & après eux les Romains plaçoient la fouverai-
qiics font appel, ne félicité d'un Etat dans la liberté.
lecsdes Euu li* ^^ , ^ i , t^ i i
^"- Quelquefois les anciens entendoient par un Etat libre , ce-
lui où le citoyen ne dépend que de la Loi , & où le Magif-
trat eft fans autorité. C'eft ainfi qu a la vue des malheurs qui
affligent le Corps politique , quelques Philofophes ont penfé
que le feul moyen d'éviter les abus de Tautorité fouvcraine ,
c'étoit que chaque peuple eût des Loix écrites , toujours cer-
taines , toujours facrées, & que ceux qui gouverneroient
n'euflent d'autorité que celle des Loix , & autant qu'ils s'y
conformeroient. Le plan eft beau , & les hommes le fuivroient
fans doute , s'ils marchoient toujours dans les voies que la
droite raifon leur montre j mais ils font aveuglés par leurs
paffions , & ennemis d'eux-mêmes. Pour les rendre capables
d'exécuter ce plan , il faudroit les délivrer de tous les affu-
jettifTemens de l'humanité. La Loi ne fçauroit s'interpréter
elle-même , il eft abfolument néceflaire que des hommes l'ex-
pliquent & en faflent l'application ; chacun prétend qu'elle
lui eft favorable , & le droit de l'interpréter confère néceffaî-
rement de l'autorité à l'Interprète. Il ne faut pas confidérer
les hommes dans une abftràclion métaphyfique , mais tels
DU GOUVERNEMENT. 351
qu*ils font : or les hommes tels qu ils lont y tels qu*ils ont
toujours été, tels quils feront toujours , ont befoin d'être-
gouvernés , non .pas feulement par une Loi écrite , règle
muette de la raifon , mais pair une puiflancc fupérieure qui
foit vivante dans l'Etat y l'interprète de l'intention de la
Loi , la difpenfatricc de fes Ordonnances.
Les Grecs regardoient leur liberté comme leur héritage y
comme un bien patrimonial, comme un privilège fînguUcr
qui les diflinguoit de^ Afi^tiques. Occupés du foin d'une
petite République qui n'étendoit fon domaine qu'à quel-
ques lieues des murs de la ville qui laTenfermoît , ils fen-
toicnt que la moindre révolution pouvoir 'leur donner un
Roi^ & cetoit autant par politique que par habitude qu'ils
déclaraoient contre la Royauté & fe la rendoient mutuelle-
ment odieufe. Les fuccès éclatans quUls avoiént eus fur les
Perfes nourriflbient ces idées fàflueufes, & ils aimoient mieux
attribuer tarit de défaites hontélifes pour TAfie, àuGouver-^
nement Monarchique , qu^au Defpotifme qu'ils confondoîent
avec la Monarchie , s^u qu'à ce luxe , à cette moUeffe des
Souverains qui s'eny vroient de leur pouvoir. Les Grecs qui
croioient voir par toute la terre la lâcheté des Afiatiques ,
ne regardoient la Royauté , que telle qu'elle étoit établie -
chez les Perfes > ou par rapport aux effets qu'elle auroit pro-
duits chez ces petits peuples qui compofoient la Grèce. Dans
Tun & dans l'autre cas , ils avoient raifon de la condamner.
Le Defpotifme le plus dur regnoit alors comme il règne au-
jourd'hui dans toute l'Afie , & quelques familles réunies dans
les mêmeJs miirs ne font pas faites pour obéir à un Prince.
De cette manière de pcnfer , fortifiée par les guerres des Per-
fes & des Grecs, vint la haine implacable de ceux-ci» La
352 SCIENCE
Grèce ne pou voit fouffrir que TAfie penfit à là fubjuguen Sî
elle eût été obligée de fubir.le joug des Afiatiqucs, elle eût
crû la vertu aflujettie à la volupté ; refprit y au corps ; & le
véritable courage, à une force infenfée qui ne confifloit que
dans la multitude. Que les Républiques jugent fi ces différen-
ces fe trouvent entre elles & nos Monarchies ? *
Les hommes tombent communément dans le défaut de
faire des règles abfolues , de^ce qui n eft dans le fond qu'un
goût relatif a leur état. Ariftote, malgré le fejour qu'il avoit
fait à la Cour de Macédoine fous Philippe & fous Alexan-
dre dont il étoit né fujet , dit que les Afiatiques & les Afri-
cains étoient efclaves par nature , parce que ces peuples lâ-
ches & efféminés n'avoient pas été foigneux de conferver
leur liberté y & n'avoient pas été capables de fe gouverner
eux-mêmes {d). C'eft dans la manière peu exaâe dont les
peuples le confidérent y qu'il faut chercher Forigine de ces
opinions ahfurdcs des Grecs & de ces noms de Barbares (t)
& d'efclaves par nature y qu'ils donnoient aux Perfes & aux
autres peuples. Voilà la fource decefentiment erroné du Phi-
loibphe Grec. Les Barbares font efclaves par nature y les
Grecs font libres y il eft donc jufte que les Perfes obéiffent
aux Grecs.
(a) Ariil. Polit. Lîb. ). Cap. TO. it» & il. EurSp. IphSg.în Aultd. Vcrf. 1400»
1401. Beaucoup d'autres Philofophes ont parlé comme Ariltote.
(b) Les Grecs appelloient Barbares tous ceux qui nVtoîent pas de leur pays ;
& ce mot ne fîgnifioir dans leur langue qu'Etrani^fr. Les Romains , à peu prèl
dans ce même fens , appelloient Barbares gc^néralement tous les peuples , hormis
les Grecs & ceux qui vivoient félon les Loix Romaines. Cen'étoit pasd*ab6rd
proprement un terme de mépris parmi eux , comme c*en efl un parmi nous ; ipais
on s'accoutuma infenfiblemcnt à attacher à ce mot Tidée de quelque chofe de rude»
de fauvage > de peu poD 9 par une fuite de la prévention favorable où les Grecs 6c
les Romains étoient pour leurs uûiges. Il n'y a pas encore long-tems que les Ita-
liens appelloient Barbares y les François , les Efpagnols , les Allemands, & tout
les peuples qui font en-de^à des Alpes. Voyez Guidiardin y Machiavel , & les au»
très Hiilorieas d'Italie.
Ceft
D U G 0 U V E R N E M E N T. 355
Cell par un femblabic préjuge que les P.omains adorerenr
la libcrré fous î>figure d'une Décfle , après qu'ils eurent fe-
couc le joug des Tarquins. La tyrannie des Tarquins 8c U
politique de Brurus imprimcrcnt cîaqs bur eîprit une haine
invincible pour le nom de Roi. Quoique , dans les plus beaux
rems de la République ^ plufieurs'de fes citoyens euffent joui
d'une autorité prefque aufïî grancic fous le titre de Diftatcur^î
& que dans la fuite Syîla, Marius , Pompée , euffent exercé
un pouvoir arbitraire, on rie put pardonner à Céfar aufïî
puilTant queux , la tentative .cl' Antoine qui liii offrit une cou-
ronne. Dès-îcrs, les Romains le cruçént digne de périr, &
il femble que peu jaloux de rautoritc , ils ne haiffoicnt que
le nom de Roi. L'ignorance où les Romains étoient des prin-
cipes de la Monarchie , peut en quelque forte juflifier la haî-
ne injufle qu'ils avoicnt pour cïle/Sur quelque* pays qu'ils
jettaffent les yeux, ils ne voyoient régner à la place que'-'l^
Dcfpotifme. Ils appelloient peuple libre , celui dont le gou-
vernement étoit populaire & qui n'étoit point fournis à là
puiffancc d'un feul. Cefl dans ce fens que Tite-Livc , après
avoir raconte de quelle manière le pouvoir Monarchique fut
aboli a Rome , dit qu'il va parler de ce que fit le peuple Ro-
main, depuis qu'il fut libre (4). Cefl dans Icmcmé fjnsque
Ciceron rapporte que l'éloquence a toujours dominé dans les
Etats libres (A) , c'efl-à-dire dans les Etats populaires. La
fauffe idée que les Romains avoientou qu'ils vouloient don-
qer du gouvernement Monarchique , les failôic parler ainlî ;
ils étoient bienj aife d'entretenir cette idée dans l'elpric du
peuple , pour l'affeclionner au gouvernement reçu. Les Ro-
O1) Lib, 2»inprîncip. Liberi féun hinc p^puli Romani rcs pace tillo^uege^is p^r*^
ib) Lib, h df Qrau Hdcfimptr in liberis cîritutibut dominât^ efi*
jQmc L Y y -
354. S C I E N CE
■mains appellôient aufli peuples libres y ceux qui n'étoient fou-
rnis à aucun autre peuple, II y eaavoit dc-cetce efpècedans-
prefquc t<»is les pays qu'ils avoient conquis. Bbdin (-«), par-
lant du dénombrement des citoyens Romains , du. tems de
Tibère , ajoute ces mots i/a^s y comprendre les Frovixtc4S
mdtUimcs ni les autres peuples libres aux enclaves de F Emf ire-
qui avoient leur Etat h part en titre de Souveraineté y ccîiÀ^
dire les peuples qui n'avoient point été réduits fous la puif-
fancc Romaine & qui avoient confervc leur liberté , -leurs
jyia^iftrats , leurs Loix, y leur Souveraineté y (bus Taliiance y .,
ou fous la proteéliôn des Romains. Ceft dans cefens.quiine.
Kation jcftappellée libre dans une Loi qui parle .d'une allian-
<çc inégale ..eçitre Rome & ce peuple (^). -
. ..Dans quelque acception qu'on prenne ce mot, la liberté.
:.tant vantée dçs Grecs & des Romains ctoit une vraiexhimè- ^
xe. LWage nous gouverne. avec empire. On fait aujourdlmi
ce qu'on faifoit. hier , & nous parlons comme parloienc .nos
pères , &ns .obferyer h difFcrence des chofes qui auroit xlû
CB mettre dans les mots. .Kous adoptons jufqu'à.un..ccrtain
■-ppint la manière de parler des Grecs & des Rowains^ quoi-
-que nous rejettions leiirsf idées. Nous appelions ordiriaire- •
ment une République un Etat libre , & nous entendons par- ■
là ua .peuple qui s'eft re'ervc le droit de faire luirmcmcJcs
IhpiK Se de fe gouverner ; mais ceux qui vivent feus Ics.Ré--
publiques, en abuftnt & appliquent Je mot de liberté aux
î Kcpublicains pris fépa'cment ., par oppofition aux.Sujmdes .
^(a) RepubL Lib, i. Capta.-
' (i) I.ege non dabîto. Jf de Captivât:'' r-oP^îm. Libfrpopulus eftis qui huUkis ai- -
T^Urius fcpali factjiati.^ji Jubjeâus^^JIye isjœdezatusejly 4temjivt xqiiofitdiri in :
im.iicithim.rtnîtpjivè fx-Jétt com^ithenjum sftyUtis populus. alterius popuHnmtf-
Tn:t^rn.çQmi?tr eoiiferitaretii^hûc soaimj^jiciwr rut imeÙ^^ pofulujf^e^'
D U G O U V E R N E M E N T. 355
\Wfonarchies,> Tnot Ghîmcriquc, mot vuidc de fcm , exprcffion
videufe dans cette acccpt'on. Que veulent dire ceux qui
Temploycnt ? S'ils entendent par ce mot lil^re y que les Ré-
publicains ne font point fournis àun Souverain , c-efl: une
erreur , puifque tout Etat fuppofe d'un côté une Souverai-
neté, 8c. éo Tautre k fujettion de. ceux qui en dépendent.
S'ils veulent dire, que le Gouvernement ell moins dur,-c'cft
encoreune erreur > je Tai montré. S-ils prétendent enfin qu'on
conçoive que FEtateft" gouverné par fcs propres membres ^
Tcxprcffion donron le fert, ne fignifie rien. Un Monarque
n'eïl-il pas membre de rEtar; & un Etat , pour erre gouver-
Jidparplufieurs têtes^en^eft-il plus libre que s'il n'étoir gouver-
né par une Iculc/* L'opinion d'Ariflote (4) , que Tobjct de
la Démocratie eft- la liberté , e(l donc infoutenable. La pro-
-position n'efl pas plus vraye de la Démocratie , que des au-
tres formes dxî -Gouvernement.
Le Gouvernement, quelle qu'en foit laforme , n'cft jamais ty. ta tyrin-
tvrannique^ lorfaucrutilitc publique efl la règle de l'admi- à craindre dam
niftration ; &ni la Jiberté., ni la tyrannie ne font Tappana- ^^/j^^*"***^
:gc d'aucune forte de Gouvernement* Quand radminiflration
eflfagc, la liberté fe trouva, au milieu de la Monarchie, &
lorfque l'adminiilration eft paniale^ la tyranniercgne dans
les Républiques. De-là , il fuit que la.tyrannic éft tout auffi
À craindre dans les Républiques^ que dans Tes Monarchies.
A Sparte, les Ephores uliirpcrent , à différentes -reprifes^.
irautorité abfoluc ^ ne furent-ils pas des Tyrans ?
A Rhod«^., quelque Citoyens sVtant emparés» du gduver^
aiemcnt , exercèrent des violences & des injuftices infuppçr--
ïtables. Ik inventèrent un jeu qui fut nommé le jeu àHHegéfi^
dochusj dont la Loi étoit ^e les Cardans dévoient livrer ^à
35^ SCIENCE
celui c]Uî gagnoît , la femme qu'il fouhaitoit» S'il s'y rencon-
troit quelque obftacle , tous ceux qui gcuvernoienc , étoienc
obliges de prêter main forte (4)» N'étoit-cc pas là la plu»
grande de toutes les tyrannies ?
A Argos , les Orateurs du peuple fouleverent les Com-
munes c^omre les Nobles dont leizc cens furent maflacrés tout
à la fois. Les Orateurs le furent eux-mêmes à leur tour (^).
A Athènes , les quatre cens hommes à qui les Athénien»
confièrent Tadminiftration des affaires , après la malheureufc
expédition de Sicile (r) , ns formerent-ils pas comme un
corps de tyrans ? Les trente hommes que Lyfandre y après
s'être rendus maîtres d'Athènes y établit pour gouverner cet-
te vitlc (d) , ne furent-ils pas auiTi des tyrans ? îls firent plus
de mal auj^ Athéniens, que ne Icurcnavoit fait l'ambition de
Pififtrate. Le peuple Athénien, fi jaloux d'une apparence de
liberté y étoit plus efclave en effet , qu'il ne l'eût été fous tout
autre Gouvernement. Ni la Macédoine ni la Perfe ne four-
niffoient pas , à beaucoup près , tant d'exemples de tyran-
nie , que la feule ville d'Athènes en faifoit voir*
Syracufe, libre, puifque c'cft ainfi qu'on veut appeller les
pays gouvernés en forme de République, ne fut-elle pas pref-
que continuellement abreuvée du fang de fes habitans ?
Dans le tem% de la féconde guerre Punique , la balance du
pouvoir à Carthagc penchoit du côté du peuple, à un tel de-
gré que , félon quelques Auteurs , le Gouvernement Cartha-
ginois éroit alors une domination popuîaire (c) ou une ty-
tànnic des Communes. Qu'étoicnt les fupplices âréquens de
' (à) Athen. Deipnofoplu
ib) Diùdou Lia' 75.
(c) Thcjd. Lib. 8.
(d} XenopfuHifl. Grecque Ut. fb
if^Toljb. Frai Lib. €.
Ï)U GOUVERNEMENT. 357
leurs Généraux qui avorent pafTé en coutume parmi eux,
comme nous Tapprend un ancien Hiftorien (4) , finon une ty-
rannie du peuple ?
Tout le monde fçait la conduite que tinrent les dix Lcgif-
lateurs que la République Romaine choilit fous le nom de
Décemvirs , pour rédiger un corps de Loîx. Leur tyrannie j
fut-elle moins grande que ne Tavoit été celle de Tarquin le
Superbe ? Rome eût-elle jamais tant à fouffrir des Rois que
des Décemvirs, des Triumvirs , des Diôateurs ? Au rapport
de Tite - Live &c de tous les anciens Hiftoriens , le peuple
Romain fut à peine délivré de la crainte des Rois, qu'il com-
mença à être violemment agité par les troubles qu'excitèrent
les Tribuns (h) : le peuple Romain étoît affûrément plus li-
bre fous Tite & fous Trajan, qu'il ne lavoît été fous les Dé-
cemvirs & fous les Tribuns»
J'ajoute qu'il n'y a point de pire tyrannie que celle qui
s'exerce fous le nom de la liberté. Jamais l'Angleterre ne fut
moins libre que fous Cromvel , & jamais le peuple ne parla
avec plus de véhémence de fcs droits & de fes préroga-
tives.
J'ai crû devoir développer ces idées avec quelque étendue , ti.faojunjtf
parce que ces obfer varions étant faites , il eft aifé de voir^^^^J^
quelle eft la meilleure conftitutîon d'Etat. Je croîs que le SjSfpr^^
gouvernement Monarchique , à ne parler quVn général , eft ^m^dcISSS
préférable aux autres formes de Gouvernement.
Il eft le plus naturel & le plus ancien , je l'ai fait voir (c) ;
il eft par conféquent le plus durable , 8c dès-là le plus fort Bc
(a) DiodoK Lib, *.
ib) Plebs^foluta regi9 metu , ^gitciti cmfit Tribunitiis ftoceUis. Ttt. tiv. Lïb*ê\
(s) Pans la fccoade Seâioo du premier ClUfUre de cette iBcroduAioa^
35» S CI EN C E
le plus oppofc à la divifion qui efl le plus grand fl'cau des fo-
cictcs civiles.
Ces grandes & anciennes Monarchies quî> pour parler le
langage de TEcriture , animées par un feul efprit , •marchent
fous les ordres de leurs Rois^ comme un feul homme (a) ,-
ont des reflburces qui manquent aux autres formes de Gou-
vernement. Quel avantage l'Etat Monarchique ne tire-t-il
pas de l'union intime de toutes fcs parties? -On ri'eft jamais
plus. uni & plus fort que fous un chef, parce que tout con-
court, par la volonté d'un feul homme , au but du Gouverne-
menu La Monarchie peut s'aider de la pluralité des bon«
•Confcils ^ autant que les autres formes de Gouvernement ;
jTiais s'ilfaut pluficurs têtes -pour délibérer , il efl bon qu'il
n'y en ait qu'une pour réfoudre & -pour préfider à l'exécu-
tion. L'unité cft la feule fource de plufieurs biens ; Srlaplu*
fralitc , le principe de plufieurs maux. Le Monarque a l'avan-
^tage de pouvoir prévenir toujours & n'ctre jamais prévenu^
Une .République .qui attend tout du tcms , le Taifle perdre f
pendant qu'elle délibère , le Monarque attaque & exécute.
Dieu étant un f^ fimple , dans fon Etre , on ne peut dou-
iter que le Gouvernement qui imite Le fien., nefoit le meil-
leur &. le plus parfait .(^). De toutes les parties de l'Univers ^
.-auflî bien que de toutes les produdions de la terre , quoique
îiiiultipliées & diverfi£écs^n une infinité de manières, U m
•compoféun Quvrage.unique & .un tout parfait-emcnt xégulieiv
.tO Egreffits eft IfrOîl quafi vît unm.
ib) Optima oràînptio çivitatU vei popuU cujufcttmque efi cf guhernetuT per jRç**^
femi quiihujufmodi maxime repréffentae divinum Regnum, S. llicmas /. 2. quétJL-
iO^^ Art. I. Je ne prétends pas donner trop d!éiendiie à cette raifon fur l'aoto-
fi^c de s. Thomas , pircc qu'on peut répondre 5[ue la bonté & la juilicc .fiiiseP-
:icntteUes k Qieu y jk. ne le font pas-,aux Rois } je n'en .veux cirer de con£égiuBBaaflr
.j}ue ^Hr.l!uiûws à U^eiltM fa^c Acce^&iiameac ra^gpeUer.touc ^jouvemcmcai.
. JJJJ vjG O -U V Ë Ji :N É ME :HÎ f. ^^p^
St ron fait réÔéxion que tout dans l!Univers pairoît tendre 4
Itunitd; qu'un feuLDieu fouttent ce Vàfte Univers ; qu'un So-^
4éil fuiEt ;poiH:;iclairer& pour enrichir la terre ; que TariDee
la plus. iwmbreufe-n^aqtf un (général, & qu'une famille n'a
qu'un Chef ; fi 4e plus on porte la vue fur les quatre pa^des
de. la :terre qui, malgré la différence des mœurs , concourent
la plupart;. a ne. dépendre que d'une feule tête ; fi enfin, on
xonûdéreles fréquentes fecouflfes qui ébranlent les Rép^ibli-
ques , les divers troubles qui les agitent ,^^:les'révo]uriQns '
qui caufeni leur ruinig , Ton trouvera que tout parle pour l'É-
tat Monarchique, rinftinâxle la nature, les luniieres ^eja-
.iaifon, & le témoignage de prefque tout l'Onivers.
Toutes les^fociétes doivent être formées , toutes les Loîx
.-doivent être portées, & tous lés établifrepiefls doivent e.trc
.ifaits relativement au' bonheur dû ptuple pris colle^ivémç^nt.
;ILe grand avantage' de la foçiété, ceft le bien' commun <Jc
r-rous. .X^union, des familles* eft leur bien commun , parce
^qu'elle éteint les 'cabales & éloigne les guerres civiles :. pr
l'unité de la Puifllânce fuprême eft^ rtéccflaire pour maintenir
•:là fubordination entre les différens ordres dés grands Etats.
iQuand le Gouvernement efl entre les mains des Nobles, Us -
:Oppriment ie peuple ; & les Nobles eux-mêmes: font expo-
iés aux infultes.du peuple , lorfque çeft le peuple qui gou-
verne. Si l'autorité efl partagée entre le peuple & lçs.Graçid|,
ielle dégénère , ou en abus de la liberté par les féditions du
;paté du peuple comme ççlaétoit ordinaire, à ;>AthèneSj^^
.idans toutes les Républiques Grecques ; pu çja pppreffipn de
Liai. liberté publique du coté;. des vGraqds par jatyranrye^
(^:comme. cela arriva à Athènes , à .Syraçufe , à Çpriathe ^iv
"îaChèbes ,.à JioiBe jnç»^^du jtejns de Sylls^^ie jQçiw:. ^ '
3^o SCIENCE
Dans toutes les formes de gouvernemcnr ^ on trouve Vit^
nicc 9 puifquc la Souveraineté cfl une dans les trois formes ,
& que le poovoir fouverain ne peut ccrc partage (/r) ; mais
c'eft d'une manière îrrégulicre que Tunitc fe trouve dans TA-
riftocratié & dans la Démocratie. Toutes les ConHitutions
font fujcttes prcfque aux mêmes inconvéniens que la Mo-
narchie , & cette forme qui rend les reflbrts de h fociétc plu$
ilmples , â de grands avantages que les autres n*ont pas. La
tyrannie , les paflions , Tabus de Tautorité font des malheurs
communs à tous les gouvcrnemens ; mais les avantages de
Tunité & de l'équilibre entre les Nobles & le peuple , fcnt
propres de la Monarchie feule*
Si Ton en excepte la minorité des Rois , les autres in-
convéniens des Monarchies font plutôt des défauts par-
ticuliers du Prince , que des défauts de la Confiitution de
TEtat ; mais les Ariftocratics & les Démocraties font alfujet-
ties aux défauts du Gouvernement comme aux défauts
des pcrfonnes qui gouvernent. Qu on ic repréfeme un
Royaume & une République réduits aux dernières extré-
mités , par les vices de ceux qui y commandent ; dans lequel
de ces deux Etats le remède fera-t-il plus facile & plus
prompt ? Le mal n'cft que paffager dans une Monarchie; Içs
vices d'un Monarque meurent avec lui , & ordinairement fon
fucceffcur n*a pas les mêmes défauts ; lî un Prince n^embraf-
fe pas à la fois toutes les parties de l'Etat , il eft rare qu U
n'en affe£lionne pas quelqu'une d une manière particulière*
La Religion , la guerre , la jufticc, les finances , le commçr-
ce y les arts , offrent mille objets diffçrens j corriger les abus
( j) J>vertif çncore ^u'il faut yoir U Tmtd4u Proit Public , oi cette Prqpot
£àoD cft démontrée» . '^^
d*une
D U G O Û V E R N E M E N T. ^61
tî'une de ces parties du Gouvernement , c'eft travailler indi-
reélementau progrès des aurres, 8c préparer du moins les
fuccès du règne fuivant; cVft même par le goûc différent des
Princes quife fuccédent , qu'un Etat devient ou continue
d'être floriflant. Un Prince qui aime la paix répare les fautes
<ju un trop grand amour pour h guerre a fait faire à fon Prc*
decefTeur, comme celui-ci avoir corrigé hsabus nés dans la
milice par une trop longue paix. Le mal eft , au contraire ,
prefque incurable fous les autres Gcuvcrnemens ; & un Sénat
une fois corrompu ne laiffe aucune efperancc à ceux qui vi»
vent fous fes Loix. Dès que fes mœurs font dépravées, elles
empirent de jour en jour* Des Sénateurs vicieux ont beau
mourir, ceux qui les remplacent, adoptent les mœurs cor-
rompues de ceux dont ils deviennent les compagnons. Il n'y
a plus de remède quand les parties faines de l'Etat ont été
infeÛées , & la République eft accablée fous fes propres
ruines. Ajoutons que les Etats qu'on appelle libres durent
moins que les autres , parce que les fuccès & les malheurs
contribuent également à leur ravir la liberté , au lieu que les
fuccès & les malheurs d'un Etat Monarchique confirment
également la fujettion du peuple.
L'inconvénient des minorités eft confîdérablc , je Tavouci
c^eft le tems critique des Monarchies ; mais la mort du Prin-
ce fe la minorité de fon fuccefleur ne font pas tomber le
Koyaume dans l'Anarchie. L'Etat eft gouverné par un Ad-
miniftrateur qui eft quelquefois aidé par un Confeil de Ré-
gence , & toujours par les Confeils ordinaires de l'Etat*
-Ceux qui étalent les inconvéniens des minorités , pour en
conclurre que les autres formes de gouvernement font préfé-
rables à la Monarchie , ne raifonnent pas jufte. Le grand
Tûmc L Z z
j^2, S C i E N C E
mal des minorités, c'eft que rautorité du Régent n'èff pas^
lout-à-fait fi abfolue que colle du Roi ,& que les divers'Gorp^v
tempèrent fa puiffance* Le défaut le plus confidcrablè do la:
Monarthic confîile donc à ne pouvoir être tellement conti^
nuclle, que les inœnvéniens qui font attachés au gouverncr-
ment Républicain ne viennent, quelquefois aflfoibJir le. goo»
verncment Monarchiquei.
Enfin^ des hommes confîdércs féparcment, les uns font
Bons & les autres mauvais ; & par conlcquent , un Etarcon*
duit par. un homme feul fera tantôt bien ,^ tantôt mal goaver*
né.. Mais les hommes , confidérés dans cette^totalité quis'àp:.
pelle peuple, n'ont été , ne font , & ne feront- jamais- qu une:
multitude d'cfprits bornés ,. prévenus , foibles , paflîônncs ,.^
craignant & fc raffurant fans fu jet , dépourvus d'expérience:-
&; de. prévoyarrce ,. & pouflcs par inflinél vers le feul bieiu
être aduel ; & par conféquent, un Etat conduit par. la muhf-
ritude fera mal & toujours mal gouverné. ,
Toutes-- ces raifôns reçoivent un grand poids dû. fuflffagc-
dés. Nations.,. Le.peuplé dlfracl fe réduifit de lui-même à Ja.
Monarchie > comme, au gouvernement univerfellement reçu—
Cn-le voitétabli dans rhiftoire faintc ; & fi nous avons re--
,Mftirs à Phiftoire profane,. nous y trouverons que tout.Etati
Républicain afubfifté-prcmîertment fous des Rois...
La Grèce-, tant de- fois. citée dans les exemples des-gou^
vcrncmens- Républicain^ , .fi connue par fon averfion* pourr
rEtat.Monarchique ^. eut dix fépt Rois depuis Cetrops^Roii
d^Athches- jufqua.Cadmus Roi de Thcbes* Elle varia fôm
gouvernement:, & lui donnadiffercmcs formes; mais «lie ne.-*
Ib fut: pas pfùiôt* tom-née: en République , ,qu clic fiitv agjcéè-
dJrmiUcrmj^UYCîiîccsy^&qtt^llèrta^ fous là piallance-dcsi
DU G ^ U y E U N î: M E N T. -^6^
Macédoniens Se cnfuke fous celle des Romains. Ce ne fut
que tard & peu à peu que les Républiques Grecques fe ibr-
mercnt. L*opinion ancienne des -Grecs étoit celle qu'exprime
5>âr cette fentencc FAuteur de Jlliade.: PïurdUté its Princes
fiefl pis 4me benne choft. Qnil ny aif quun Adaître ér quum
JRoi ,(if )♦
Deux Princes qui gouvernent le même Etat ne doivent
pas attendra de fidélité l'un de Tautrç (hy. Ge quona dît
sdans tous les tems , qutin f?ul trône ne peut être r>empli par
deux Maîtres (c) , fe vérifia à Rome* L'Empire des Plébifci-
îtes y fut toujours oppofé à l'autorité des Senatus-Corrfitkes ::
Pluralité de Céfar6 ne vdiét rien , dit-on à Augufte l^d). Ea
«cflfet J'Ètat rfayaBt qu'un Corps,, il ne lui faut qu'un efprit
jpour le gouverner. Les Jbommes ont un penchant naturel à
ie contTedirc & à ufurper toute l'autorité. Gomme la plura-
lité des Dieux feroit qu'il tf y auroit point de Dieu , la plura-
lité des Princes fait qu'il n'y a point de Prince* Auguftc-
trouva l'avis qu'on lui donnoit judicieux ^ & il y conforma
fa conduite*
Rome commença par le gouvernement Monarcïiique , &
:après avoir effayé de toutes les formes de gouvernement ^
Tevint à la domination d'un fcul comme à fon état naturel.
Dans les tems même où Rome ie conferva République , dès
que quelque grand péril le faifoic fentk: , elle fe rcduifoit à
X-i) Homère , Lîv. a* Vcrf. 104. 8c loj^. Homère -met -ce fentimeot dans latoo»
43>e d'Ulyffe.
\h) Eamrem minus étgrè quAm dignum trat , ruliffi Romulum férunt ^feuob in^
Jidamfocietatem regni » ù'c. Th. Liv,
(c) Non capitfulium duos. Sencca. Iftfociàbile rtgnitm^ dh Tadt. ArmaL tj.
{à) L'an 713 de Kome 9 Augufte délibc'rant en Egypte s'il feroit mourir CéHàm
xioa> Arée « PtHlofophe Eeyptien y doinc il recevoic lesconftils , Kii dit : / e monde
Jtroit embarrajfé de dtuH CtJ'ars » il n\n ^tutfcuffrir gu'un. JPlutar, in AriA. Ces
Busts fuient f uacfte« à C^fark»»
5^4 SCIENCE
lunité. Ou elle confioit le Gcuverncirt^nt aux Confufs , oa
cHe^réoit un Diftateur.. Que les Confuh ajent fain ^ difoir le
Sénat ^ ^ue U République ne reçoive ducrtn dommage {£) ; 8c
dans nnftant , les Confuls avoient tautorité fuprême ^ &
kurs décifions croient ablblucs. Le Diûateur droit une efpece-
de Monarque dont le règne n étoit pas long , mais dont
Tautorité étoit abfolue, De-là il efl aifé de conchirre que lés.
Romains eftimoient que le commandement d'un feul avoir
une plus grande autorité y & que les délibérations enctoient:
plus libres , le Confeil plus ferme , FobcilTance plus exaâe*
Non-feulement la République revenoit à 1 unité , en confiant
la puiffance fuprême aux Confuls , ou en créant des Diâa-
teurs , elle s*y attachoit même dans la manière de créer lé:
Didateur , car c etoit aux Confuls qu elle donnoit le pouvoir
de le créer y pour éviter les inconvéniens du choix du peu-
ple peu éclairé, agité de partions, aifé à corrompre* De tous.
}tts Di£Uteurs qui furent nommés par les Confuls dans. Télpa-
cje de trois cens ans, il. n'y en eut jamais, aucun qui eut la:
penfée d'opprimer la liberté ; mais la République fe trouva,
très-mal dé la Diftacurede Sylla & de Céfar qui avoient. étér
éjus par le peuple*.
Que (îgnifient ces Comités fecrets que les dernières Dîet—
tes générales de Suéde ont établis, fi ce n'cft Tinconvé—
ruent du grand nombre dans les délibérations ,,& Tavantager.
du fecret particulier aux Monarchies?
Dans les autres parties du monde , on connoît fi peu TE—
tat Républicain , qu'on n'en a pas même l'idée. Lorfque 1er
Roi de Pégu apprit qu'il n'y avoit point de Roi à Vcnife „
& que c'eft le Sénat qui ea eft le Souverain , il tir un graqd
(fi). Videant ne quid Repihïïca detrimtntï cafereu Tiu Liv* Lib^jm,
D U G O U V E R N E M E N T. ^6s
éclat de rire , comme fi on lui eût parlé d'une chôfe fort ab*
fiirde (if) ; Et les Ambaffadeurs des Hollandoîs , n ayant pu
faire comprendre la nature de leur Gouvernement aux Offi-^
ders de l'Empereur de la Chine , furent obliges d'y négocier
fous le nom de leur Stadthouder , d'employer le nom dif
îrincc d'Orange y& de feindre que les préfens venoientde
fa: part ^ comme fi ces Ambaffadeurs euffent été les fujets (è)^
Dans notre Europe même ,. nous ne voyons point de Ré--
publique qui n'ait été foumife à des Monarques^ Les Suiffes^
ont été fujets ou des Empereurs d'Allemagne ou de l'a mai-
fbn d'Autriche.. Les Provinces-Unies ne font forties que de-^
puis fort peu de tems de la domination d'Efpagne. Quelques;
villes d'Allemagne ont leurs Seigneurs paniculiers outre le'
Chef commun du Corps Germanique. Luques,.Gènes, Bo--
k)gne> Florence y& les autres villes d'Italie y ne fe font af-
franchies du joug Impérial qu'à prix d'argent, fous le règne'
de l'Empereur Rodolphe (r). Venife même qui le vante de*
n'être guères moins ancienne que la Monarchie Françoife te
qui prétend avoir été République dès fon origine , recevoir:
de fon Doge des Loix abfolues y 8r étoit encore fujette des»
Empereurs fous le règne deCharlemagne & longtems après.-
Ellefe forma depuis en Etat populaire, d'où elle efl venueaf-
liez tard à l'état où nous la voyons (^)*-
Tout le monde a donc commencé par des Monarchies , &
prefque tout le monde s'y eft confervé comme dans l'état le
(a) Itinéraire de Gafpard Balbi, fous Tan Jf66y8c Recueil des Voyages quïi
ont fervià rétablifTement de la Compagnie des Indes >. Ton. i» première partie ,>
Bag;3î-
. ib) Neuhoff. in Légat. & Hift. ge'héralê des- Voyages , Tom. y. pag. 2^7;
(c) Ce que je dis ici eft confiant de la plupart de ces Républiques. Voyez, pour
ctlle deLuques , robferyation que j*ai faite dans le feptiéme Chapitre de ce Vo-r
lîime.
i4) Voyez U quatorzième Seâion du feptiéme Ch4j>im de cetic latroduAiôlft.
^6 ' sciî:tî«e
l>Ius natureK Audi a-?t-il foa fondement & fon modèle dans.
Tempire paternel j c*eft-à-dire dans la naturci Les liommes
naiflent dans la dépendance de leurs parens , & J'Empire p«-
cternel qui les accoutume a, obéir, les .accoutume en même rems,
.à n'avoir qu'un Chef • .
Un mot de Lycurgue peut tout feul faire fentîr combiem
vaines font Jes raifons de préférence que les partifans de«;
Républiques oppofent au gouvernement Monarchique. Un
îiomme JoUoit en fa ^préfence la Démocratie* ComwnKccz, ( lut
St ce Légiflateur ) f^r tctAbitr djtns 'votre mai/on ; c'eft a-
idtre par établir ^u'U y ait dans votre maifon autant demaî-
itres que de domeftiques*
Telles font les confidéradons qui paroiflent réfoudre ea
!feveur de la Mcnar-chiela queflion propofce en géndraLMaîs
il faut recormoître un xaerne teqis, que ce gouvernement ,
préférable à tous les autres , toutes chofes d'ailleurs égales ^
efl le plus pernicieux de tous , lorfqu il dégénère (if). Il eft
xle tous les gouverncmens le meilleur , ou le pire; ex<:ellent
fous unbonRoi,.perùicicux/fous un mauvais Prince*
0 t^îiKwri ^^ fôreté publique , le repos , la paix, l'abondance > tous^
l^^t^^^l^^'X ^^^ biens poffedcs doivent être l'objet des Loix ; & piiifque
P^s^ï^l'tcmdt^ c'efl: pour les peuples qu'elles font faites ^ c'eft aux befoins
.îrc* L'r^* '^d^ des pcuphs qu'elles doivent être proportionnées. Lorfqu'oa
* ''**^*''^*"*^"^' demanda à Sbbora , fi les Loix qu'il avok données aux Athc-
jfiens 9 étoient les meilleuries ; je leur donne , répondit-H ,
tes meilleures de celles quits fourr oient fouffrir : réponfe qui
fîippofe que les Loix doivent être relatives aux mœurs des
tiommes. Ce que nous difons des Loix , di!oni le auffi de la
ferme des gouvememens. Il iaut diftinguer deux fçxiçs àc
DU G O U \r Ê R N EM E NT: ^^r
bontés >. l'une <jui lui eft propre, Tautre qu'on. peut nommer'
jBclative &: qjii dépend dès conjonflures dans Icfquelles un
peuple ft rencontre; C*eft' moins, à la* bonté abfolue d'une-
conftitution d'Ëut-qu^lll^ut faire attentions qu'à>fa bomé ré-
lative». La' même forme qui*,* dans .un certain pays , efl la'
Iburce du -bonheur public ,. peut produire ailleurs les plus
grands maux ; 8c il- efl prouvé par Thilloire de toutes les-
Nations ^ qU2 les circonftantes agiflçnt avec affez de pouvoir
fur les différentes formes de gouvernement , pour changer
en quelque forte leur nature , & pour rendre mieux en un-
temsce qui'^ dans un autre,xontribue le plus efficacemcm au-
bonheur & à la gloire dun peuple. Les préjugés de la naif-
fânce,,de Icducation, de l'habitude, font & lesrefTorts de
l!ame & le principfe de toutes nosaûions* Cèft fur les idées
dominantes dans une Nation , c'eft relativement au nombre
du peuplé, à ies inclinations , à fes charges', à la fîtuation
& à lafercilité du pays,. que l'Etat doit être fondé. Chaque
Nation a fès mœurs particulières ,.& les goLv^rnemens ne
{çauroient être plus uniformes que les caradères. Si , pour
fortifier des p laces, il efl nécélFaire deconfidérer la fîtuation
&. lan^urc du terrain , il fauràuffi, pour former le plan d'un-
gouvernement y: confulter les miœurs , le nombre des habi- "
tans qui doivent, le compofer ^.& la fîtuation du pays qu'ils-
doivent occuper;-
La Monarchie convient aux grands Etats. Dès que plu--
fièurs Provinces ne forment qu une feule fociété ,1a politi-
que , qui ne peut établir une égalité réelle dans la fortune de-'
fès citoyens,. n'y fçauroirafrermir le gouvernement populai-
re* Le peuple cefïc bientôt d'être libres parce que les CL--
tDycns pauvres doivent être nccefTairement fournis aux Q^-
3^8 SCIENCE
toyens riches ; & ce peuple, après avoir excité quelques ora-
ges inutiles , cherche lui-même un maître qoi les délivre de
fes propres caprices.
L'Ariflocratie ou la Dcmocraticflroiflcnt propres â un
peuple renfermé dans une petite enceinte. Un Prince ne s*y
fouticnt que par Tintimp confiance de fon peuple , ou par le
Defpotifmelc plus rigoureux. Le premier qui s'élève contre
lui , n'a befoîn ni d'un génie fupérieur, ni d'un courage ex-
traordinaire pour l'abbattre. De tant de paniculiers qui ufur-
perent autrefois Tautorîté dans une feule ville, peuréuffirerit;
& foit que leur politique employât la force ou la douceur ,
aucun ne tranfmit la Couronne ci fon petit-fils. Le gouver-
nement d'un Prince eft mal affuré dans un petit Etat , par-
ce que naturellement les hommes font indociles au joug &
qu'ils peuvent facilement le fecouer , fi celui qui gouverne ,
n'a pour maintenir fon autorité , que le peuple même qui en
eft mécontent : au lieu que , dans les grandes Monarchies oii
le mécontentement ne peut pas être fi général , les forces
des parties faines de TEtat appuyent l'autorité du Souverain
dans les lieux où elle eft attaquée.
Que le gouvernement influe fur le bonheur & fur la gîoîre
des Sujets , agiffe fur toutes les fociétés politiques , & mette
autant de différence entr'elles, que l'éducation en met entre
les diffcrens ordres de citoyens , c'cft une vérité incontefta-
ble. Il faut donc néccffaîrement confulter les mœurs de la
Nation. Il eft des peuples qui ne pourroient être que mal-
heureux fous un feul maître , parce que leur fituation ne leur
permet point de fournir à toutes les dépenfes d'une Cour |
Idns fc réduire à une extrême mifere. Il en eft dont Topulen-
te & l'humeur faôieufe font incompatibles avec la tranquil-
lité
DU GOUVERNEMENT. ^69
lité d*un Etat Républicain , les Romains réprouvèrent, Lorf-
qu^ils fe trouvèrent accablés fous leur propre grandeur. Il en*
cft qui , accoutumés à obéir à un feul , ne fçauroient Te gou*
verncr eux-mêmes. On fçait que la famille qui regnoit fur la
Cappadoce étant venu à s'éteindre , par la mort d'Ariarathe Roî
de Cappadoce ^ vers le milieu du feptiéme fiécle de Rome , la'
République Romaine qui , fous le doux nom d alliance , gou-
vernoit Souverainement prefque toute la terre , permit aux
Cappadociens de fe choifir des Magiftrats pour les gouverner ;
mais bientôt embarraflcs de la liberté que Rome leur avoir ac-
cordée, ils demandèrent à la République d'être gouvernés par
un feul , comme ils avoient accoutumés de Têtre (a) , elle leur
permît de fe choifrr un Roi y & d*affurer le diadème à la pofté*
rite du Prince qu'ils feroient monter fur le thrône (b); & ils
reçurent comme une grâce la liberté de plier fous le joug d'un
feul. L*Angloîs foupçonneux ne confie le Gouvernement qu'à
la Nation aiferablée. Le François , naturellement impétueux,
veut être conduit par l'autorité d'un feul !
Le Gouvernement Monarchique eft ou héréditaire ou élec- hér^îïi?rdok^
tif , & il faut connoîtfe la nature des éleûions pour pouvoir u^Hvef'^'^**^*
les comparer avec les Succeflîons héréditaires.
Plufieurs peuples anciens attachés à ce principe , que laCou^
tonne doit être ta récompenfe de la vertu , ont regardé l'ordre
deSucceffîon établi fur les droits de la naiffance, comme un
ufage groffier & barbare, qui foumet fouvent le peuple à ^es
Princes indignes de régner , Se qui l'expofe aux orages trop
ordinaires pendant les minorités.
(4) MiJ^s legath lihertatem repudîaverunt , ut fuam Jîbi dUerent tjfc ïntoUrabiUnti
Jtegemfihi dari poflulavcrunt, Strab. lib. XII.
Qf) Ce fut Ariobanane qu'ils choiûrçnu
Tome U A a a
370 SCIENCE
Nous apprenons d'Hérodote ( a) , que les Ethiopiens étoîenr
les mieux faits de tous les hommes & de la plus belle taille ;
leur efprit étoit vif & ferme ; mais ils prenoicnt peu de foin
de le cultiver , & mettoient leur confiance dans leurs corps
robuftes & dans leurs bras nerveux. La Couronne étoit élec-
tive , & ces Peuples plaçoient fur le thrône Phomme le plus
grand & le plus fort.
Au rapport d'Ariftote , les Scythes élifoient pour Roi celui
qui bûvoit le mieux*
Les enfans de Mammelus étoient , dès le berceau y con-
damnés à vivre dans un perpétuel efclavage ; leurs pères ne
leur faifoient aucune part de leurs biens y & les empêchoienc
de porter les armes & de monter à cheval ; ils alloient acheter
chèrement des Succeifeurs chez les Nations accoutumées à ven-
dre leurs enfans ; & ceux que la nature leur avoit donnés ^ ils
les réfervoient pour cultiver la terre. Ceft la paflion qu'ils
avoient pour un Gouvernement éleftif qui les avoit mis dans
cette habitude cruelle. Pour pouvoir être élu Sultan parmi eux ,
il falloit être étranger ^ avoir été vendu comme efclave , & avoir
porté les armes en qualité de fimple Soldat.
Le Peuple de Tlflc de Trapohane n'éUfoit pour Roi que des
vieillards qui rfavoient point d'enfans. Si le Roi devenoit père,
il étoit dépouillé de toute autorité y & Ton en mettoit un autre
à fa place, (fe)
Qui ne feroit étonné de la bizarrerie de ces ufages I
Dans un Etat où les Citoyens feront affez vertueux pour
couronner le mérite, & affez redoutables à leurs voifîns , pour
n'en pas recevoir la loi , que la Couronne foit éleilive j mais
'(tf)Liv. III. Chap. XX.
O) Solia , Poly. Hift. Chap. 56;
DU GOUVERNEMENT. ^yt
une pareille Société n*a jamais exifté , tf exifte ^ & n'cxîflera
point. L'ambition & les autres pallions feront toujours plu»
puiflantes fur le cœur des hommes que la vertu , & il fera
toujours infiniment avantageux aux Monarchies, que Dieu le»
fkffe tomber , par le bonheur de la naiflance , à qui il luLpîlaira
de les donner.
Ce rfeft guère que par la force ou par des brigues qu'ofl
monte fur les thrônes des Monarchies qui fc donnent des Maî*
très à la pluralité des voix. Qu'on life ce qu'en écrivent les
Hiftorîens même du pays (a). Un feul peut être élu , combien
afpirent à l'être ! Dans les Monarchies héréditaires , l'inconvé-
nient des minorités cfl confîdérable , mais celui qui réfulte des
troubles , des interrègnes , & des brigues , dans le concours
des éle£lions , Teft mille fois davantage. Il eft auffi plus fré-
quent , parce qu'il fe renouvelle à la mort de chaque Prince
éleflif , & qu'affez communément dans les Etats héréditaires ,
THéritier préfomptif fe trouve majeur à la mort du Prince reg-
nant.
Dans un Royaume éleâif y les projets qui doivent mûrir ^
les deffeins qui ont befoin de beaucoup de tems pour être exé-
cutés y les vues fuivies demeurent ordinairement fans exécu-
tion , parce que d'un Roi à l'autre , le fil des négociations eft
coupé.
Pendant Tinterrégne ', TEtat eft comme dans l'Anarchie ^
privé de fa forme ofdinaire , & demeurant fans celui qui a
accoutumé de le gouverner y ainfi qu'un Vaiffeau fans fon pi-
lote. Les cabales fe forment , les partis s'entrechoquent , les
Loix gardent le filence , & la guerre embrafe les Provinces»
{a) Rtvolvite annales noflros , vix unum cxemplum libéra eUftionls invenietis, où ali^
qua vis aut 4rs immixta nonfuerii* Sanùcky , Aateur Polonois.
Aaaij
57* SCIENCE
Les voteurs ^ dans refpcrance d'avoir leur grâce du nouveair
Roî y commettent raille crimes , comme cela fe voit à Rome ,
lorfquc le Siège PontÛical efl vacant , & comme cela s'eft vu
en Allemagne , où , après que Guillaume , Comte de HoUandcj;
eût été tué , TEmpire vaqua pendant dix-huit ans. L'intervalle
du règne de Charles d'Autriche (a) , à celui d'Albert de Ba-
vière (b) , a vu une guerre fanglante. (c)^ Les brigues , dans
le cours de Téleûion , rendent non- feulement le choix d'un
Roî extrêmement dangereux , mais la pluralité des voix même
ne fait pas toujours recevoir ce choix dans le cœur de tous
les Sujets après l'cledion. Qui ne connoît les troubles que eau-
ia (d) l'éleûion d'Augpfte IL & celle du Prince de Conti ! Qui
ignore que la dernière éleftion de Pologne (e) a été la caufe
d'une guerre qui a coûté plus de deux cens mille hommes à
l'Europe (/).
Il y a des Royaumes où le droit d'éleSion efl: joint à celui
du fang ^ 8c où l'on confîdére l'origine , fans s'arrêter au degré
de proximité. Pendant long-tems , les Dicttes de Pologne choî*
jÇrenr toujours ks Rois dans les &mrlles de Piajjte 8c à^JagtU
Ion. Lorfque ces Familles étoicnt éteintes , les Polonois cher^ .
choient même pour régner fur eux ceux qui en dcfcendoient
par les femmes (g). Ceft ainfi que, pour éviter les Brigues,,
on élit fouvcnt dans d'autres pays , l'héritier du Roi mort, s'ît
fb trouve en état de commander^ & par-là , Ton rifque de vois
20 d*Oftobre 1740»
•Janvier 1742-
i des Alaifons de Brandebourg,, de Bavière & de Saxe, avec la fiUè
a&iie'^ de Charles V.L
Cd) En 1697.
(OEn 1733,
(/) Pour connohre les inconvénicns des éle£Hons dé Pologne , voyez le fîxicme clr#
fb cette Introduftion , Se^. XIX.
{£) ^oycz la XIX^' Seâion du ûxiéme chapitre de cette Introduâion»
DU GOUVERNEMENT. 373
le Gouvernement éle£tif devenir héréditaire : Danger confidé-
rable , puifque tout changement dans la forme primitive &
accoutumée , ébranle les fondemens de TEtat : Danger dont on
trouve un grand exemple dans le Corps Germanique , qui a eu
feizc Empereurs de la Maifon d'Autriche , fans compter celui
qui y régne aujourd'hui , pour avoir époufé la fille du dernier
de ces Empereurs : Voye dangereufe que les cabales encore
font ou réuflfir ou manquer. Ne vaut-il pas mieux être foumîs
une fois pour toutes à une Monarchie héréditaire où Ton n'eft
pas expofé à tant dlnconvéniens ?
Dieu avoit établi pour fon Peuple le Gouvernement hérédi-
taire , il avoit attaché la Royauté par fucceffion à la maifon
de David & de Salomon , & il femble difpofer lui-même plus
immédiatement du Gouvernement auquel il appelle les Princes
par leur naiffance , que de celui qui eft fondé fur un choix
toujours expofé à Terreur, Ce choix dépend y d'une part, d'une
eftimation difficile & fouvent dangereufe , du mérite perfon-
nel ; & de l'autre, d'une éleftion où chacun des Eleveurs con-
fulte bien plus fes intérêts particuliers y que le bien public.
Un Roi qui n'a rien à efpérer pour fes defcendans , n'eft oc-
cupé que de fes vues particulières : Au lieu que le Prince dont
la Couronne eft héréditaire , regarde l'Etat comme un héritage
<ju il doit laifTer à fa poftérité^ En travaillant pour fon Royau-
me j il travaille pour fes enfans ; & l'amour qu'il a pour fon
Royaume , confondu avec celui qu'il a pour fa famille , lui
devient naturel. Les Grands ne s'accoutument pas aifément à
regarder comme leur Souverain un homme avec qui ils avoient
vécu comme avec leur égal ^ ils n'obéiflent qu'avec peine à un
Roi qui eft leur ouvrage. Les Peuples refpefteht bien davan-
tage un Prince que la naiidance a appelle au thrône ^ que celui
374^ SCIENCE
qui ne doit la Couronne qu à réle£tion ; ils attachent leur vé-
nération à une Maifon toujours régnante , & la jaloufie qu*oa
a naturellement contre ceux qu on voit au-deffus de foi , fe
tourne ici en amour & en refpeâ:. Les Grands même obéïffent
fans répugnance à une Maifon perpétuellement-mîiîtreffe , & à
laquelle on fçait que nulle autre ne peut être comparée*
La MonafcWe Ccfl un avantage pour le Peuple , que le Gouvernement fe
inirementhéréai. , i ^ • / l i .
taire doit être pcrpctue par les mêmes voyes qui perpétuent le genre humam ^
oûi'éreftion&ie & qu'il aille pour ainfi dire de pair avec la nature. Toutes
droit au fang doi- \ •*• " *
arent concourir, chofcs d'aillcurs cgalcs , il faut préférer ce qui cft réglé , par
Tordre fixe & confiant de la nature , à ce qui rfeft que Teffet
de la volonté capricieufe & inconftante des hommes.
Ces mêmes raifons fervent à montrer que la Monarchie pu-
rement héréditaire eft prcférabl«i celle où le droit d'éleélion
doit être ajouté à celui de la naiffance y telle que la Monarchie
de Ruflîe où le Prince, les Grands & les Soldats choififlent
fouvcnt quelqu'un de la Famille régnante pour 1 élever à l'Em-
pire y fans s'aftreindre au droit de primogéniture > & fans gar-
der Tordre de la naiffance (a). Il eft ailé de comprendre que
cette manière de donner des Souverains a les mêmes inconvc-
nîens qu'on vient de remarquer dans les Etats purement élec-
tifs y 8c que les cadets qui font élevés au thrône au préjudice
de leurs aînés , ont toujours à craindre les mouvemens d'un
parti favorable au droit d'aîneffe reconnu partout ailleurs.
Li Monarchie On ne fçauroit examiner fi la Monarchie abfolue doit être
préférée a utem. préférée à la tempérée, ou la tempérée à Tabfolue, que Tidée
de la Monarchie Françoife & celle de la Monarchie Angloife
ne fe préfentent à Timagination, Où pourroit^ron trouver un
exemple plus illuftrc du Gouvernement abfolu qu'en France ^
{a) Voyez b XXIV* Seâion du ûxiéme Chapitre de cette latrodaâion.
DU GOUVERNEMENT. 375^
& de tous les Peuples qui vivent fous un Gouvernement Mo-
narchique , quel eft celui qui foit réputé plus libre que T An-
glois ?
L'Hifloîre des deux Nations eft fi connue , qu'avoir pofé h
queftion , c eft l'avoir décidée.
On ne fçauroit choifîr deux plus habiles Ad verfaires du Gou-
vernement abfolu, que ceux dont je vais rapporter les opinions:
Un Secrétaire d'Etat d^ Angleterre , qui a fort exalté le Gou-
vernement auquel il eut part y le met fort au-deffus du Gou-
vernement Républicain de Rome. >> Les trois Puiflances qu on
j> voyoit à Rome , ( les Sénateurs , les Nobles , & les Tribuns )
^ n'étoient , dit-il y ni fi diftindes ni fi naturelles qu'elles le
» paroiffent dans la forme du Gouvernement d'Angleterre. En-
» tre plufieurs objeÛions qu'on peut faire y les principales re-
» gardent le pouvoir des Confuls y qui n'avoient que le dehors
& non la force de la Royauté, Ils manquoient d'un tiers ou
ï> d'une voix décifive y lorfqu'ils n'étoient pas du même avis*
» C'eft pour cela que les affaires du public demeuroient quel-
» quefois fufpendues , à moins que l'un d'eux ne fut abfenr*
M D'ailleurs , je ne trouve pas qu'ils euffent une voix négative;
ï> lorfqu'il s^agiffoit d'une Loi ou d'un Décret du Sénat , enforte
•e qu'ils étoient plutôt les principaux de la Nobleffe ou les pre-
w miers Miniftres de l'Etat , qu'une branche diftinâe de la Sou-
M veraineté dont aucun ne peut faire partie , s'il n'a quelque
»chofe du pouvoir légîflatif. Si les Confuls avoient eu Ja même
» prérogative que nos Monarques , jamais Rome n'auroit eu
•• befoin de créer des Didateurs , qui y m'unîs de tout le pouvoir
5> des trois Etats y renverferent à la fin fon Gouvernement, (a)
Un François , plus Anglois par fon inclination que l'homme
{a) Addiflbn, dans le Sp^âateur j ou le Socrate modemc»
37<î SCIENCE
dont je viens de parler , ne Tctoit par fa naiflfance^ ne trouve
guère dans le monde de liberté fur la terre que dans la Grande-
Bretagne ; & rien n'eft fi fingulier que les deux Chapitres où
il a traite particulièrement du Gouvernement de ce pays-là (a) ;
dont réloge fe trouve d'ailleurs répandu dans prefque toutes
les pages de fon Ouvrage. Jamais Terreur n'emprunta de plus
vives lumières , & n'employa tant d'efprit pour féduire.
J'ai réfuté tous les raifonncmens de ces deux Ecrivains , en
expliquant les défauts des Gouvernemens irréguliers {b). Ils
ont donné Tun & l'autre dans toutes les erreurs de la fpécula-
tion , & n'ont pas voulu voir que les idées riantes qu'ils fe font
faites de la liberté Britannique , font détruites par les exem-
ples que chaque fîécle , chaque année , chaque jour a fournis
dans ce pays-là. Ce qu'il y a de remarquable , c'eft que le plus
récent de ces Auteurs , a réfuté lui-même le merveilleux fyf-
tême de Gouvernement dont il efl idolâtre , par ces feuls mots
qui terminent fon Ouvrage : Ce n'eji point à moi à examiner Ji
les Anglois jouirent a6luellement de cette liberté ou non. Il m&
fuffit de dire qu'elle ejl établie par leurs Loix y (fje rCen chercha
pas davantage, (c) Pourquoi cft-ce que l'Auteur n*en cherche pas
davantage? L'Angleterre n'eut jamais tant de puifTance^ tanc
d'éclat qu'elle en a aujourd'hui ; & même en faififfant ce mo-
ment heureux , l'Auteur n'a pas çfpéré de pouvoir juflifier fes
fpéculaiions, 11 falloir qu'il en cherchât davantage y & il auroic
trouvé que cette liberté tant vantée, n'exifle que dans la théor
rie , & efl nulle dans la pratique.
Les Anglois , d'un côté , louent avec excès la forme de leuf
Gouvernement i & de l'autre , ils fe plaignent avec amertume
ia\ Chap. VI. du Liv. XI, &Chap. XX VII du XIX* de FEfprit des Loix;
b ) Dans ce Chap. de mon Introduôion , Seft, III.
c) Chap, VL du Liv. XI de TEffrit dç$ hm.
dif
DU GOUVERNEMENT. 577
du vîolement continuel de leurs Loix. Ceft ou vanter un Gou-
vernement qui rfexifle que dans leur idée , ou déplorer les mal-
heurs qui n'ont point de réalité. Si l'origine du Gouvernement
de la Grande-Bretagne fe perdoit dans Tobfcurité des tems ;
il un repos confiant pendant une longue fuite de fiécles avoir
fuccédé aux diffenflîons cruelles & aux feénes tragiques aux-
quelles il doit fa naiffance ; fi les noms des partis prefque igno-
rés ne fubfiftoient que dans de vieilles chroniques ; fi le même
efprit animoit la Nation Britannique fans aucune di(lin£lion de
principes j de fentimens , d'intérêts , & de Religion , il feroic
difficile de ne pas foufcrire aux éloges qu'on fait de cette conf-
titution. Mais les chofes en font-elles à ce jJoint , & peut-on •
fe perfuader qu'elles y foient de long-tems ? Qu'on life l'Hifloire
de la Grande-Bretagne , qu'on réfléchiffe fur les maux que cette
Ifle a foufFerts fi fouvent & prefque continuellement , qu'on .
oppofe ce Gouvernement à celui de France > qui fubfifle depuis
treize cens ans, avec t^nt de gloire pour le Souverain 8c tant
de bonheur pour le Peuple ; & qu'après cette comparaifon on
décide, fi on l'ofe, que la Monarchie tempérée doit être pré^
férée à la Monarchie abfoluë (û).
Après avoir difcuté le Gouvernement en foi , fi l'on examine te Gouverne*
Il I ^ tni it »tr. /^/ ment des hommei
auquel des deux fexes il eft plus convenable qu'il loit confie , doitêtrcpréféiéà
* celui des £eizuxMs«
cette queflion qui a partagé les deux plus grands Philofophea
de l'antiquité , paroît facile à décider.
Platon ( b ) foutient que les femmes doivent être admifes
comme les hommes au maniement des affaires publiques , à la
conduite des Guerres , au Gouvernement des Etats. Il veut ^
{a) Il a péH quatre- vingt Princes de mort violente dans les démêlés des deux M^
fons de|Lancaftre & dTorc, pluflcurs millions d'hommes. Hifl. des dçux Rofes^
Le régicide de Charles I fera horreur à la poftéritç*
(J?) llb. K de Reput. . ' '
Tomsix Bbb
378 SCIENCE
par une conféquence néceflaire y qu'on les applique aux mêmes
exercices que les hommes , pour leur former le corps & Tef-
pric; Il n'excepte pas même de ces exercices ceux où les anciens
combattoient tous nuds , & il en donne cette raifon , que les
femmes fur J'arène feront couvertes de Thonnêteté publique^
Cette raifon, que j'ai réfutée ailleurs (a) , eft, à ne rien dif-
iîmuler , plus propre à être employée dans une converfation
badine , qu'à entrer dans une matière fi férieufe.
Le fentiment de Platon , affez réfuté par la pratique conf-
iante de tous les fiécles & de prefque tous les anciens Peuples
de la terre , ( les Chaldéens, les Egyptiens , les Parthes, les
Perfes , les Médcs , les Romains , les Chinois^ les Tartares> les
Turcs ) , n^a pas été fuivi par Ariftote. Ce difciple de Pla-
ton ( 6 ) , a marqué la différente deftination de l'homme & de
la femme , par la différence des qualités du corps & de l'efprit
que l'auteur même de la nature a mife entre eux , en donnant
à l'un une force de corps & une intrépidité d'ame qui le met-
tent en état de fupporter les plus dures fatigues & d'affronter
les plus grands dangers ; & à l'autre , au contraire , une com-
plexion délicate & foible , accompagnée d'une douceur naturelle
& d'une modefte timidité qui la rendent plus propre à une vie
fédentaire , &qui la portent à fe renfermer dans l'intérieur de la
maifon & dans les foins d'une induftrieufe & prudente œconomie*
Ceft en fuivant l'opinion de ce dernier Philofophe , que
j'effayerai de montrer que le Gouvernement des femmes cfl
moins naturel que celui des hommes.
Dieu a fournis les femmes à la domination des hommes (c)
dès la naiffance du monde , & il a menacé les hommes de leur
M Dans mon Examen , au mot PLiton.
ibS De cur,i ràfamiUaris, Lib. I. Cap. III.
yc) $uh v'uipotefiat€ crU, & ïpft dominabitur tWi Genef. Cap. 2»
DU GOUVERNEMENT. si9
donner des femmes pour maîrrefles , comme une marque de ùl
malédiûîon ( ^ ).
Le peuple de Dieu n'admettoit point au Gouvernement le
fexe qui cft né pour obéir , & la loi de Moïfe refufoit aux
femmes le droit de porter témoignage , à caufe de leur incont
tance &de leur légèreté {h).
Les Athéniens ne leur permettoîent point de faire un marché
qui excédât une mefure d'orge (c).
Les Latins voulurent que les femmes vêcuffent fous Tempire
de leurs pcres , de leurs frères , de leurs maris , & fi elles
n'en avoient point , fous Tempire du Préteur {d). Les Loix Ro-
maines tenoient les femmes fous une perpétuelle tutelle ', à .
moins quelles ne fuffent fous Tautorité dun mari. (e). Au-
gufte fut le premier Empereur Romain qui mit hors de tutelle
les femmes qui auroient eu trois enfans , par une loi (/) dont
Tobjet fut d'animer la propagation , en la récompenfant.
Chez les premiers Germains , les femmes étoient auffi dans
une tutelle perpétuelle ( g ).
Une femme qui vouloit fe mêler d'affaires d'Etat , étoit quel-
que chofe de fi extraordinaire parmi les Romains , quelorfqu'A-
mafie fe préfenta pour parler devant le Sénat , la République
envoya confulter l'Oracle , pour fçavoir ce que lui prcfageoit
un Phénomène fi rare. Tibère diibit qu'il falloit modérer les
honneurs des femmes (/i).
{a) Le Prophète Ifaïe (chap, III. verf. 12.) menace les Juifs de la domination des
enfans & de celle des femmes , comme de deux malédi^ons égales.
U?\ Jofeph , 14. Antiq. Jud. Cap, VI IL
hrs Dion Chryfoft. Orat. y$ in crédit.
{a) Majores noflri nullam ne privatam guident rem ,fceminas aztre fine autore voluerunt
in manu parcntum , fratrum, virorum effe jujferunt, AinTi parle Caton dans Tite-Live.
(e) Nifi convenijent in manum viri,
(/) La Loi Papienne.
Cg) Mundeburdium.
Qi) Modcrandos frminarum honores diâiians. Tacit. Annal. Liv. i.
Bbbij
380 SCIENCE
Sparte ne laiflbît pas même le titre deReîoe aux femmes de
fes Rois , & Venife refiife le titre de Duchefle à celle du
Doge.
Dans les Royaumes éledifs , les'Eledleurs s'avifent-ils de
faire tomber leur choix fur les femmes ? Si les Polonois pla-
cèrent fur le thrône la Princefle Hedwige , ce fut par vénéra-'
tion pour Piajle , dont les dcfcendans leur avoient donné des
Ducs & des Rois près de 500 ans de fuite, & dont elle ctoit
Tunique rejetton. Si Marguerite de Waldemar régna fur les
Suédois , ce fut à caufe des avantages que les trois Royaumes
du Nord dévoient trouver dans l'union qui fut faite à Calmar.
. Si enfin laDiette de Suéde élut en j 7 1 8 Ulrique-Elconore , fœur
& héritière de Charles X I !• ce fut pour l'obliger de renoncer
au droit héréditaire.
Les exemples des Monarchies purement mafculines font
abondans ; mais pour en Vbir de purement féminines , ce n'eft
pas ordinairement dans Tcfpcce humaine qu'il en faut chercher ,
on n'en trouve gueresque parmi les autres animaux. ( û ) Je dis
ordinairement , parce qu'il y a quelques petits Royaumes en
A fie , où ce font les femmes qui régnent & qui excluent l'autre
fexe. Tels font les Royaumes d'Anchin & de Bornéo.
Je ne parlerai ici ni du Gouvernement d'Olimpias mère d^A-
lexandre, ni de celui d'Irène , Impératrice d'Orient , ni des Ré-
gences de Brunehaut, de Frcdcgonde, de Catherine de Mc-
dicis ; ce font des exemples particuliers dont on ne peut tirer
aucune conféqucnce générale contre les femmes- Par h même
raifon ^ je ne dois rien conclure pour elles , de plufieurs exem-
ples de femmes qui ont gouverné heureufemcnt des Etats. Celui
(j) Un Auteur A'ngîois nommé Majow, a fait un Traité des Abeilles , intitulé :
Âton^rchid frminina , Jeu apum hijloriiu l! prcteud que le Roi des Abeilles eft en effet
fcmelJe » & qu*il a une marque au front qui lui fert de diadème & de couronne.
DU GOUVERNEMENT. 381
de cette Héroïne , que le monde renaiflant après le déluge a
vue; (a) celui de cette Reine de Carie , également habile Se
courageufe > qui fît la guerre à la Grèce ; ( & ) & tous ceux que
THiftoire ancienne & moderne fournît, ( c) ne prouvent rien,
Jefçais que la plupart des Couronnes de l'Europe peuvent être
portées par des PrincefTes ; qu il cneft aduellement qui honorent
le Sceptre qu'elles manient , & qu il y en a en France qui fe-
roient très-dignes de donner des loix aux peuples, J'çxamineraî
jfimplement la queftion en général , comme mon fujet m'y en-
gage, & je dis que le Gouvernement des hommes eft commu-
nément préférable à celui des femmes.
Les femmes font ordinairement inférieures aux hommes en
foliJité de jugement, en bon fens & en raifon. La délicateffe
qui fe trovuc dans leurs fibres , ne leur donne une grande intel-
ligence que pour ce qui frappe les fens , elles font d'ordinaire
incapables de pénétrer des vérités un peu cachées ; elles ne con-
fîderent que Técorce des chofes , & leur intelligence n'a point
affez d'étendue & de force pour en percer le fond. Parmi les
Livres que nous devons aux perfonnes du fexe , on trouve quel-
ques Romans , quelques jolies Comédies ; mais y trouve-t-on
de grands Ouvrages ? A-t-on vu quelques femmes exceller ,
par exemple , dans la compofition des pièces tragiques ? Cela
ne prouveroit-il pas que le fexe , généralement parlant, eft peu
propreà tout ce qui doit être conçu fortement.
{ai Semlramîs, femme de Ninus, & belle-fille de Nemrocl.
{b) Arthemife, Reine de Carie , & fille de Lycdamis , différente de la Reine de
Carie qui a éternifé fon nom en éternifant fa tendreile pour Maufole Ton mari.
(c) ^cnobie. Reine de Palmire, vaincue par Aurelien, très-brave & très-habile
Fiinccffe; Pulchérie , foeur deThéodofe; Blanche, mcre de Saint Louis; Ifabelle»
fjnime de Ferdinand ; Catherine Paléologue, Duchefle de Mantoue , & Marquife de
Monrtèrrat; Elifabeth , Reine d'Angleterre; Marguerite de Waldemar, & quelque»
autres»
)8i SCIENCE
Telle eft la deftînation du Créateur que , pour Téducation
des enfans y pour la fubfiftance des familles , pour le gouverne-
ment des Etats > il eft ncceflaire que les uns s'appliquent à des
travaux laborieux, tandis que les autres s'occupent des foins
domeftiques. La nature a fait elle-même ce partage. Elle donne
d'un côté aux hommes un tempéramment plus robufte & un ef-
prit plus fort ; & de l'autre, elle afTujettit les femmes à des in-
commodités dont les hommes font exempts. La grofleffe , jointe
à la nourriture des enfans , engage les femmes à une vie féden-
taire; la force eft le partage du fexe mafculin deftiné à des ou-
vrages pénibles : mais comme le corps de l'homme , naturelle-
ment le plus fort , eft le plus redoutable , la nature, pour met-
tre les chofcs dans une égalité qui entretint la tendrefle & la
confiance , a donné aux femmes des armes convenables à leur
ïexc , ce font la douceur , l'agrément , & les autres charmes
■qui les rendent fi dignes de toute notre tendrefle. Par le pouvoir
qu elles ont de fc faire aimer , elles captivent ceux que la force
rendroit redoutables , & elles tempèrent la rudefle que les tra-
vaux pénibles communiquent înfenfiblement aux hommes, La
nature indique aflez par- là quel eft le fexe Icjplus capable dç
gouverner.
Le fexe fémîaîn n'eft pas propre au commandement des Ar-
mées , il n'eft pas élevé dans les connoiffances importantes, &
Ton ne lui apprend ni à connoître ni à defirer le bien de l'Etat.
La plupart des femmes , toujours occupées de leur beauté ,
toujours placées dans un cercle d'occupations frivoles , font
moins capables de fecret que les hommes. Leur inconftance
naturelle , la légèreté de leur efprit , le penchant qu'elles ont
à mettre dans les affaires les paflions de leur état , font fouvent
de leur cœur un théâtre d'incertitudes. Si la Puiflance fuprême
DU GOUVERNEMENT 38J
corrompt quelquefois des hommes donc le cœur étoit fait pour
aimer la vertu , que rfa-t-on pas à craindre des femmes ! ( a )
Les Loix civiles de tous les pays interdifent aux femmes la
liberté decontraâcr j fi elles ne font autorifces par leurs maris.
Ces Loix les éloignent des emplois publics ; elles ne leur per-
mettent ni de régenter , ni de prêcher, nidepoftuler, ni de
juger. Eft-il plus convenable de leur confier la fuprême direc-»
tion des peuples qui, outre le droit de légiflation &Ja force
coadive , comprend éminemment le pouvoir judiciaire.
Ces femmes que la nature n'a pas rendues propres à des fonc-
tions laborieufes , ces femmes qu'on a eftimées incapables des
fondions qui , dans les fociétés , demandent des connoiflan-
ces , de l'application & du travail , ces femmes enfin que les
Loix tiennent fous le joug d'une tutelle aufii longue que leur
vie , les jugera-t-on dignes du plus grand , du plus relevé , du
plus noble , du plus pénible de tous les emplois , de celui de
gouverner le genre humain ?
La dignité des Maifons régnantes ne paroît pas àfiez foute-
nue en la perfonne d'une femme qui fe donne un maître en fe
mariant. Elle quitte fon pays , fes parcns , fon domicile, fon-
nom, comme pour prendre une nouvelle vie & fonder une
autre famille fous les loix de fon mari. Aufli n'eft-il pointa
d'homme , quelque médiocre que foit ia condition j qui nefou*
haite laifler fes biens à un fils plutôt qu'à une ou plufieurs fiUies.
Celles-ci perdent leur nom en entrant dans d'autres familles où
il meurt bientôt avec elles ; mais le nom dé'pcre fe perpétue en
la perfonne du fils , & en fe perpétuant devient plus illuftre ^
(tf) Etji viri interdum, quorum maxime efl propria fonîtudo y quiquc Sapicntiores &
cvrdaiiorcs foUnt effc naturd , impmum adepti , tamcn Ueenùi corrumpuntur , ac deptit* ''
va/itujr; quidà mulieribus , quitus nUiil nature finxit moU'ûis , nequc motUJif , ncqucijt*
/miij, «^dftfW(Awi?Dîonys, Lainbinu^,in ComdîôNcpoté, ' J \
384 SCIENCE
& acquiert 'une çfpèce d'immortalité , dont Pçfpérance feule
fiate un père qui s'imagine devoir vivre en quelque forte dans
yne nombreufe poftérité. Si ce defu: eft dans le cœur de tous
les hommes , il eft propre fur- tout des Princes j & les Peuples
fiâtes de la grandeur de leurs Rois y le partagent avec eux*
pans les Etats où les filles fuccédent y les Couronnes ne fortent
pas feulement de Maifons régnantes } elles fortent quelquefois
4.e toute la Nation: or il eft bien plus convenable que le Souvo*
rain foit né dans le pays où il exerce fon empire , afin qu'il ait
UafFeûion qu on a naturellement pour fa Patrie , & qu'il con^
qoiffe fes mœurs , fes Coutumes y fes Loîx*
i^indîvifibîiité . L'indivifibilité eft infiniment utile aux Monarchies. Tout
eft auffi^'utHca^ pattage aiFoiblit la puiffance partagée. Chaque Prince eft plus
Etats, <iuc la trop ^ ., , ^ „^ « 1 o • • 1 m
«ande inégalité foiblc, & coçttc 1 Etranger , & contre les Sujets indociles , Se
«es fortunes par- r /» 1
ticdicres leur eft ]fis co-partagçans fe font ordinairement la guerre «ç s'entr^dé*
ttuifent, ç .
Les deux enfans qu'Aribert Roi de Lombardie laîfTa en bas
âge , Bertharite & Gundebert > fe partagèrent ce Royaume 5
l'uaeut M.ilaft> 8ç l'autrç Payie pour Capitale y & ils furent d'à*
bord vaincus.
'. La France fournît elle feule plufieurs exemples éclatans des
înconvéniens de la divifibilité,
, Les Gaules étoient un Etat patrimonial dans les mains do
Çhilderic & deClovis fon fils y ils en ctoicnt les Conquérans y
Us pouvoient & ils dévoient déclarer indivifib^c un Royaume
qui étoit leur conquêcet. Mais parmi les Francs , à la mort d'un
Seigneur particulier , fes enfans mâles partageoient également
fes biens ; & malheureufemeut pour le Roi & pour les Peuples y
cette coutume excellente parmi les Sujets , comme je vais Tex-
pliquerj paffa 4ç5 femilles parçiciilieires dans la Maifon ré-
0nante«
DU GOUVERNEMENT. 38^
gnantc. A peine cette Monarchie avoit-ellc étc fondée , qu'elle
fut partagée entre les quatre enfans de Clovis. ( a ) Ce fut la
première fource des guerres civiles qui inondèrent la France
de fang. Ce Royaume réuni fur la tcte de Clotaire , ( 6 ) fut di-
vifé en plufieurs Etats , ( c ) entre fes fils ôc fes petits fils , &
ce fut une nouvelle fource de guerres inteftines. Clotaire IL vit
encore tous les Etats des Carlovingiens réunis fous fon Scep-
tre, (d) Mais le Royaume fut bientôt partagé de nouveau , &
ne ceffaprefque jamais de Tctre pendant cent dix ans que dura
l'autorité des Maires du Palais fous les Rois fainéans. ( e )
Pépin, Chef de la féconde race de nos Rois , partagea aufll
fes Etats à fes enfans , & Charlemagne tomba dans le même in-
convénient. Ce Prince qui rétablit TEmpire d'Occident que les
Barbares du Nord avoient détruit , fit deux grandes fautes.
10. Satisfait queTEmpire fût hériditaire dans fil famille , il dif-
tingua toujours avec foin fa Souveraineté y comme Roi de
France & comme Roi de Lombardie , d'avec celle qu il avoir
comme Empereur des Romains, au lieu d'unir à la Couronne
de France le Royaume de Lombardie & TEmpire. 2^. 11 parta-
gea fes Etats à fes trois enfans , (/) fuivant la coutume pcrni-
cieufe obfervéc fous la première race , à laquelle le Roi fon père
s'étoit exaâement conformé. Deux des enfans de Charlemagne
moururent avant leur père , & Louis le Débonnaire , affocié à
TEmpire , demeura feul maître de toute la Monarchie Fran-
(a) En 511.
hj En 549.
(c) En 562.
r^) Vers Tan 613.
(e) Depuis Tan 638 jufqu'en 748.
(/) En 806. Voyez ce partage dans les Conftîtutîons Impériales de Golftat ; dans les
Capitulaircs de Bafuze ; dans les Annales de Baronnius , dans celles de Pithou ; 6c dans
le Corps nniverfel Diplomatique du Droit dçs GcAs , pag. 4, de h première Partie du
premier Tome.
Tom& I. C c c
386 SCIENCE
çoife. Ce Prince imita fon père , comme fon pereavoît îmîté fes
Prédeceffeurs. ( a )
Si Charlemagne ou quelque autre Roi de France-Empereur
eût déclare fes Etats indivifibles , il auroit évité que FEmpire
d'Allemagne & plufieurs autres Provinces qui tombèrent en des
mains étrangères , n'cuflent été démembrés de la Monarchie
Françoife. Mais ce tf cft qu avec la troifieme Race de nos Rois
qu'a commencé lufage de n'aflfigncr aux puînés que des appa-
nages toujours relevans de la Couronne > & toujours reverfibles
à la Couronne , faute de mâles. ( & )
Le Roi Jean laiffa ( c ) le Duché de Boorgogne à Philippe
fon fils , & forma ainfi , dans la Maifon de France , la branche
de Bourgogne qui au^^menta confidcrablement fes Etats , & qui
ne cefTa prelque de faire la guerre à nos Rois qu^n ceffant d e-
xiftcr , à la mc^ de Charles tue devant Nancy. A cette occa-
fion , Louis XL réunit le Duché de Bourgogne à fa Couronne
dont il relcvoit ; mais le mariage de Marie de Bourgogne avec
Maximilien , fit paflcr dans la Maifon d Autriche tous les autres
Etats de la Maifon de Bourgogne,
On a été enfin défabufc dans ce Royaume , d^un partage dont
l'expérience avoitfait fcntir tant de fois les inconvéniens. Ceft
à la nouvelle Coutume toujours inviolablement obfervée de-
puis , que la France doit l'avantage d'avoir repris une partie de
fon ancien éclat.
Tous les Etats d'Efpagne qui étoient fous la domination^ des
Chrétiens ^ avoient été réunis fous Sanûius. ( ^ ) Le Succeffeur
ta) En 837. Voyez cet autre partage dans Goldaft, dans Baluze, & dans le Corps
Di])lomaiique , p. 8. • *^
(Vi Voyez la première SeÛion du fixieme Chapitre de cette Introduûioiu
tc^En 1363.
(4 Mort en 1055, *
DU GOUVERNEMENT. 387
de ce Prince , s'il n'en avoîc eu qu'un , auroit pu facilement con-
quérir ce que les Maures tenoienten.Efpagne ; mais il partagea
fes Etats entre fcs quatre enfans ; &*ces quatre Princes fe firent
prefque toujours la guerre. Ferdinand , furnommc le Grand (a)y
partagea auffi fes Etats à fes trois fils ; & de ce partage naquit
le même inconvénient que du précédent. Alphonfe (b) eut
deux fils à qui il partagea encore fes Royaumes de Caftille ,
de Léon , & de Galice ; & chacun de ces deux frères voulut
reculer fes frontières au préjudice de Tautre.
Le premier afFoibliffement que reçut la puiflance formida-
ble de la Maifon d'Autriche fous Charles'-Quint (c) , vient du
parcage qu'il fit avec fon frère Ferdinand à qui il céda les Pro-
vinces d'Allemagne j & qu'il fit enfuite élire Roi des Romains.
L'Empire & les Provinces d'Allemagne ayant été ainfi féparés
de la Monarchie d'Efpagne & des Indes & des Provinces d'Ita-
lie, on fçait dans quel état de foiblefle tombèrent les Succef-
feurs de Philippe II (d).
Quels efforts n'a pas fait l'Empereur Charles VI ? Quelles
mcfurcs n'a-t-il pas prifes pour faire , de tous les Etats héré-
ditaires qu'il poffédoit, un corps îndivifible & impartageable (e)?
Les Empires qui ont établi la loi de l'indivifibilité , fe font
confervés dans leur fplcndeur. L'ancienne Allemagne con-
noiflbit peu l'ufage de l'indivifibilité des grands Fiefs ; mais
l'Empereur Charles IV, voulant donner ou préparer un nou-
veau relief au Corps Germanique , établit par la Bulle d'Or
la primogéniture & l'indivifibilité dans les Eledorats. C'eft un
(a) Mort en 1065.
(in Mort en 1157.
fc) Mort en y 58> après avoir abdiqué.
(^) On peut conlulter dir tout cela rintroduftîon à rHlftoîre de PufFendorfî", pp;
90,91,92,93,94, 95 ,96, i}i, 132, 133, & iuivantes de TEdition de 1722.
(e) Voyez le Chapitre VI dq ce Volume,
Cccij
388 SCIENCE
exemple que les autres Princes d'Allemagne îmîtent tous les
jours [a).
L'ufage des partages avoit énervé TEmpîre de la Chine ; la
loi de Pindivifibilitc a fait fa grandeur & fa durée. Jamais les
Empereurs de la Chine ne donnent à leurs enfans cadets nî
à leurs frères un pouce de terre en Souveraineté (6). Ils tien^
nent tous leurs parons dans Tétat de fujettion.
Les Romains fçurent unir les parties d'un grand Etat , &
en faire un tout régulier , & c'ell ce qui fit la grandeur de
TEmpîre , comme la divilibilité fut dans la fuite lune desprinci*
pales caufes de fa décadence ( c )•
L'union de TEcoffc avec F-Angleterre a été le plus grand &
le plus utile événement du règne de la Reine Anne.
En voilà plus qu il ne faut pour prouver que rindîvînbilîté
eft infiniment avaritagcufc aux Monarchies. Il n'en eft pas de
même dans les familles particulières. De tous les ufages , le
droit d'aîiicffc ( J) eft le plus injufte , confidéré par rapport
aux membres d'une même famille, des enfans qui ont une ori-
gine commune, ne devroient-ils pas avoir une égale parr aux
biens de leur père ? Il eft aufti le plus pernicieux , confidéré
par rapport au bien public , en ce qu'il met une trop grande
difproportion dans les fortunes dont l'égalité forme l'opulence
publique , & en ce qu'il nuit a la propagation , parce qu'il porte
l'attention d'un père fur un fcul de fes enfans , & l'engage ,
pour rendre folide la fortune d'un fcul, de s'oppofer à Téta-
bliflement de plufieurs. Le Corps politique ne peut fe bien
(a) Voyez dans la IV Seaion dû fixieme Chapitre de cette Introduaion fommaire.
m Voyez le IV Chapitre de cette liitroduaion , Seaion II.
(c) Voyez le V Chapitre de ce Volume , au fommaire : Cjufes cU la décadence de
r Empire Romain, ^
(^ Voyez, fur le droit d'ainefTe , ce que j'ai dit dans la féconde Seaion du pre-
mer Chapitre de ce Volume , au fommaire : L'empire paternel efi le premier auquel les
hommes oru été fournie, ^ - "^ . rï «=*»^*
DU GOUVERNEMENT. 385^
porter , qu'autant que les richeffes , qui en font comme le fuc
& le fang, font diftribuées dans tçutes fes parties.
Il importe peu aux Citoyens pris féparément , que TEtat foit l, ^^me èi
Monarchique, Ariftocratique , ou Démocratique. Il leur fuffit «^^oT^T^^^^^^
que la forme du Gouvernement , telle qu'elle eft , foit refpec- f/pSnt/ ^Le
tée , & que , puifquils font deflinés à fouf&ir les défauts de aieitT c>ft^ que
M -1 r • • ' J r rs» cette forme, telle
cette forme , ils ne ioient pas prives de les avantages. Si nous qu'elle eft , foit
, n / Ul- . / A I refpe&ée. Sous
vivons dans une République y nous avons intérêt que le peu- quelque couver-
ple ne prétende qu'à des prérogatives fondées fur les Loix ; & vciienfautob-
lorfque nous fommes foumis à une Monarchie , qiie Tautorité
fouveraine foit affermie fans contradiÛion. Autrement , les ré.
gles fondamentales recevant une atteinte , la conflitution du
Gouvernement eft énervée.
Tout Etat eft un établiffement de Société j à certaines con-
ditions dont il exige Tobfervation. Si un Citoyen pouvoit faire
tout ce que les Loix défendent , il n'auroit plus de liberté ,
parce que fes compatriotes auroient le même pouvoir , mais
aucun Gouvernement ne laifle au Citoyen une liberté abfoluë ,
indépendante des Loix. Il y a donc peu de différence entre la
liberté dont on jouit fous un Gouvernement , & celle qu'on a
fous un autre. ^
Sous quelque Gouvernement qu'on vive, il faut en refpeûer
les Loix , & Ion peut établir comme un principe inconteftable ,
que chaque particulier a intérêt & eft obligé en confcience de
fe conformer au Gouvernement reçu dans le pays où la Pro-
vidence l'a fait naître , ou dans lequel elle l'a conduit.
Nous devons préfumer que l'Etat où nous fommes nés y étoît
le plus propre à ceux qui l'ont choifi ; & il nous fera toujours
avantageux de croire qu'il eft auflî celui qui nous convient le
mieux à nous-mêmes. Heureux les hommes , s'ils ne régloient
leurs opinions fur des préjugés > que dans des cas où^ commq
35?d SCIENCE
ici , les préjugés font utiles ! Il rfefl pas queftîon y pour des
fujets , de choifir une forme de Gouvernement , ils n'ont be-
foin que d'être affez fages pour s'accommoder à celle qu'ils trou-
vent établie.
Les Citoyens conçoivent communément de grandes efpéran-
ces d'un nouveau Gouvernement , ils fe flattent que celui qui
commence fera meilleur que celui qui finit ; mais il entre dans
le fentiment qui nous attache à un nouveau Prince , moins
d'amour pour lui 9 que de haine pour celui qui l'a précédé.
Telles font les mœurs du peuple , il loue le paflfé , blâme le
préfent , & fouhaitc Pavenir. Tout changement de maître , qui
qe fe fait pas naturellement , efl pernicieux. Il y aura des vices
tant qu'il y aura des hommes. On doit fouflTrir le luxe ^ l'ava-
rice, & les autres paflîons des Puiffances , comme l'on fupporte
les années de ilérilité j les orages , & les autres calamités aux-
quelles la nature nous a affujettis. Le mal n'cfl pas continuel ,
on en efl dédommagé par le bien que des intervalles heureux
procurent. Ce font des inconvéniens paffagers , auxquels la
juflice d'un fuccefleur , homme de bien , apporte un prompt
remède.
Dieu approuve Dieu nc fe déclarc pas plus pour une forme de Gouverne-
toutes lescohiu- xt 1 .«•/ T / .n
tutions dEtat , ment que pour une autre. Il a lame aux Legiflateurs & aux peu-
âuelle que foit la ^ * ^ O r
ebjgton qu'on pjgs Ja liberté du choix.
profeflc , ôc de *
""ue^irG^vtr! Q"^ ^ ^'^^ demande ce qu'il faudroît penfer d'un Etat où
peinent ait été é- pautorité pubUque ne fe trouveroit établie fur aucune Religion ,
la queftion fera chimérique. De tels Etats ne furent jamais. Les
peuples qui n'ont point de Religion , font en même tems fans
police , fans véritable fubordination , & entièrement fauvages*
Un fyftême de Gouvernement, dont la Religion ne feroit pas
le foutien , pêcheroit par quelque endroit. S'ils ne font liés par
U confcience j les homjBaes jie peuvent s'affurer les uns des au*
DU GOUVERNEMENT. 3^1
1res. Dans les Empires , dont les Hiftoires rapportent que les
Sçavans & les Magiftrats font fans Dieu dans leur cœur , les
Peuples font conduits par d'autres principes , & ont un culte
public. Toutefois , s'il fe trouvoit une Nation qui eût un Gou-
vernement & nulle Religion ^ il y faudroit conferver le bien
de la Société le plus qu'il /eroit poffible. Ce Gouvernement >
le plus imparfait de tous > vaudroit mieux, qu une Anarchie al>
folue y qui efl un état de guerre de tous contre tous.
La Religion du vrai Dieu rend la forme d'un Etat plus folide ;
mais l'idée de la divinité 8c les principes de la Religion , quoi«
qu appliqués à l'idolâtrie ^ fufBfent pour former un Gouver-
nement. Autrement , il n'y auroit point de légitime auto-
rité hors de la vraie Religion : Conféquence abfurde & con-
traire à tous les paflkges de l'Ecriture , où Ton voit que le
Gouvernement des Empires même idolâtres , eft inviolable ^
ordonné de Dieu ^ & obligatoire en confcience.
w Dieu ( dit Saint Auguflin ) fait régner les Tyrans comme les
i> Rois , & f a providence feule leur met entre les mains laFuif-
« fancc fouveraine , lorfqu'il juge que les hommes font dignes
•> d'avoir de tels maîtres, (a) Ceft en parlant de Néron que
ce Père de l'Eglife fait cette réflexion.
Le Sauveur du monde n efl entré dans aucune difcuflîon fur
le Gouvernement Romain , fous lequel il a trouvé le peuple de
Dieu, & où il a voulu naître lui-même. Ilafuppofé, dans tous
fes difcours ^ que ce Gouvernement , tel qu'il le trouvoit , étoît
légitime en foi > & dès-là établi de Dieu , à fa manière. Ceft
ce que Notre Seigneur a expreffément expliqué en deux en^
droits : L'un où j confulté captieufement par les Pharifiens fur
le tribut qu'on devoit à Céfar , en regardant les formes de Gou-
vernement publiquement éublies comme légitimes ^ il pro--
{a) Aug. de Civit^ Dei^ Liv. V« Cbap. XIX,
,5>2 SCIENCE
nonça une décîfion qui oblige de rendre à Céfar ce qui eji à Ce-
far , Cf à Dieu ce qui ejl à Dieu, (a) L'autre , où étant accufé
devant Pilate j Gouverneur de la Judée pour les Romains , il
reconnoît que la puiffance que ce Magiftrat Romain exerçoic
fur Jefus-Chrifl même , lui était donnée d'en haut {b) ; & par
conféquent , qu elle étoit légitime. Ci lesCéfars s'étoient empa*
V rés avec raifon de la fouveraine puiflance ; fi pour Texerccr ,
ils avoient légitimement uni Tautorîté des Tribuns à celle d'Em-
pereur & aux autres dont on avoît formé celle des Célars j fi le .
Sénat & le Peuple Romain avoient été libres pour raflembler
cous ces droits fur une même perfonne ; fi les Céfars les pou-
voient tranfmettre à leurs enfans ; fi enfin Tadoption acquéroit
un droit légitime à la fucceffion de TEmpire de TL/nivers , c*efl
fur quoi le fils de Dieu n a point prononcé , Dieu veut que le
monde foit gouverné , parce qu il veut que les hommes vivent
dans Tordre & dans, la paix ^ & c'efl tout ce qu'il, falloit fça-
voir. On doit refpeûer le Gouvernement publiquement établi ^
& obéir au Prince qui efl aûuellement en poffcffion , qui eq
porte les marques , & qui en exerce Tautorité.
Jcfus-Chrifl a donné l'exemple de la foumiffion qui efl due
même au Gouvernement des Infidèles. Il obéît dès le premier
moment de fa naiffance , aux Edits d un Empereur idolâtre ;
pendant tout le cours de fa vie , aux Loix & aux coutumes des
Juifs î au moment de fa mort , aux Sentences injuftes des Prin^
ces de la Synagogue, & aux Arrêts impics du Gouverneur de la
Judée ; & il n'appéfantit fa main fur fes ennemis > ni loirfqu'il for-
tit du tombeau vidorieux de la mort , ni lorfqu il monta au Ciel
triomphant de l'Enfer, ni lorfqu'il fut affis à la droite dçfon père»
(tf) Matth, Cap. XXII ^verf, jj,
{b) Joan. XIX, tt.
3P3
CHAPITRE TTÎl O I Q I E M E.
Du Gouvernement aUuel de chaque Peuple de CAJie , conjidéri
en particulier.
SECTION PREMIER £•
Gouvernement du Japon.
LE S Annales du Japon font remonterj'orîgîne de cette ^
Nation à plufieurs millions d'années. S'il en falloit croire l'Empi/ aT ja!
ce peuple , il auroit été gouverné par des Dieux , par des efprits ^^"^
céleftes , dont quelques-uns n'auroient point été mariés , dont
les autres auroient eu des femmes de même nature qu'eux , &
dont la poftérité auroit formé une race de demi-Dieux. Les Ja-
ponois comptent trois Dynafties de leurs Empereurs. Les deux
premières font composées de ces Dieux , de ces efprits céleftes ^
de ces demi-Dieux, & font par conféquent fabuleufes. La troi-
fiéme fixe l'époque de l'Empire du Japon à 6^0 ans avant l'Ere
Chrétienne, d'une manière qui paroît inconteftable à l'Ecrivain
qui en a fait PHiftoire (a). Cet Empire, fouvcnt déchiré par
des guerres inteftines , n'a jamais fubi un joug étranger.
Langue, Religion, Mœurs, Loix, tout eft fingulier au Ja- n.
pon. L'ancien & le nouveau monde ne re^nferment rien qui ligion des habi^
le foit autant que là Nation Japonoife. Séparée des autres habi-
tans de la terre par une mer toujours en fureur j & n'entretenant
{a) Charlevoix ^ HifVoire du Japon, Paris i''36, 2 vol. />ï-4®. On peut auffi voir
fur tout ce qui regarde le Japon , Marci Pauli Vcneti de regiunibus Orientaitbus , lïbri
très , de rédition de 1671 ; les voyages de la Compagnie Holiandoife aux Indes
Orientales , 7 vol. //2-12 , AmOerdam ; Lettres de S. Fran^^ois Xavier i/2.8<>. ; THiftoire
^ Kœmpfer, 2 yoXin-foL la Haye 1729, ou 3 voL w-12 , Amfterdam 173a , &c%
Tomeh Ddd
3P4 SCIENCE
prefque aucune communication au dehors, on dîroît qu'elle n'a
rien de commûh tTans fon. origine avec les autres peuples. Il pa<^
uoît au. moins certain que les Japonois ont tiré de leur propre
fonds jufqu'à leurs Dieux dont ils prétendent être defcendus.
lis font atï^itieux', toujours portes à de grands deffeins , ro^
bulles , dégagés , & par conféquent propres aux exercices de
la guerre > dont ils cultivent merveillèufferaent Part. Ils fuppor--
tent, avec une patience admirable , la faim, la foif , le froid ^
le chaud , les veilles , les travaux , & toutes les incommodités
de la vie. Ils font defians , mais Honnêtes , civils , & en géné-
ral gens d'efprit ^ubtils , curieux , & doués d'un bon jugement..
Diflblus , ils ont grand nombre de maifons publiques , même
de ces maifons infâmes où Ton oublie la différence des fexes*
Pleins d'eftime pour eux-mêmes , ils méprîfent les Etrangers ,.
parce qu'ils penfent n'avoir befoin de perfonne , & qu'ils ne
craignent rien, pas même la morr, qu'ils femblent regarder
avec une gay été féroce , 5r qu'ils fe donnent pour le plus léger
fujet; Ils font fuperftîtieux comme toutes les autres Nations de
VAiit; mais il n'en eft aucune dans tout l'Orient, quifoît ni plus
fenfiblê à là gloire , ni plus touchée dii point d'honneur, ni plus
capable de confiance dans les travaux & de fermeté dans les'
malheurSé
Les parenis dés deux côtés marient leurs enfans , fans conful-
ter leur inclination', & fans même que les enfans fe connoi/Tenr,
mais ileft permis aux mariés defe féparer , & les hommes ufenr
glus fbuvent de cette liberté que les femmes , quoiqu'ils puiflenr
avoir autant de concubines qu'ils veulent. L'adultère efl puni'
dèmrort dans Ifes femmes, & une fîmple liberté leur coûte même
quelquefois là vie*. Rien n'efl égal à la contrainte où elles fonti
tenues ,,q^e;lèur. modèûîe. fc leur- fidélité,. Les Jagonoislonti
DU GOUVERNE MENT^ 3p;
peut-être ( continue PHiftorien ) les feuls hommes du monde
qui aient trouvé le fecret de gagner & de fe conferv^er le cœur
àe leurs cpoufcs , en les re en nt dan^. une efpece de captivité ;
on a vu des femmes qui n'avoient pu fe donner la more , pour-
fuivre leurs maris au tombeau , fe lailfer mourir de faim (a).
La fidélité des domeftiqu s n*eft pas inférieure à celle des
femmes , & il ne meurt pas au Jupon un homme de condition ,
qu'un certain nombre de fes ferviteurs ne fe fende le ventre ( c'eft
ia manière ordinaire de fe tuer ) pour l'accompagner en Tautre
monde. Il y en a même qui s'engagent à le faire , ou en entrant
au fcrvîce de leur maître , ou à l'occaÇon de quelque marque de
bonté qu'ils en ont reçue (i)).
L'ufage pjarmet aux percsjd'jétouffar ou d'expofer les enfans
qu'ils ne font point en état d'élever, & les Japonois pauvres
xrroyent faire Ain aûe d'humanité , en délivrant les enfans qui
viennent de naître , d'une vie qui leur feroit à charge (cy
Tous les Hiftoriens nous difent que cet Empire delpotîque
^ft bien policé , mais il faut bien -qu'il le foît mal , puifqufà une
.«ncrevûe du Chef de la Religion^ôc de TEmpereur, il y eut un
il grand nombre dépens étouffés, tués, enlevés^ violés, ^o-î
lés,(i).
Les Japonois font idolâtres , & regardent comme une partie
^ifentielle de leur Religion , la vénération qu'ils ont pour leur
Z>aïru Ils ont reçu , ^n divers tems , des Religions étrangères ^
& ils en profeflbient quatre , il y a peu d'années. La première,
eft Fancien culte des idoles du pays. La féconde , celui des ido*
£a) Hîftoire du Japon, par Cbarlevoix^ Tom. J , j>ag. 6a*
?^) Ibid. ^
jTc) La même.
(d) Le Recueil de3 Voyages qui ont feryi.ji r.établifleinextf id^ la Compag^ 4t|t
indes , Tom. V^ pag. %.
35)(5 SCIENCE
les étrangères portées de la Chine 9 de Sîam , & des Indes au
Japon. La troifiémej la dodrine des Philofophes & des Sages
du pays ^ qui ont enfeigné la morale. Chacune de ces trois Re-
ligions a diverfes branches. Le Chriftianifme faifoit la qua-
trième , mais on Ta aboli ^ comme je le dirai fur la fin de cette
Seûion.
!"• L'Empire du Japon eft vafte , & il confiftc principalement en
Forces de cet- * ^ / i» i r • i
tcMonatchiç, trois grandes Ifles , entourées d un nombre preique mnombra-
ble d autres (a) , dont quelques-unes , pleines de roches & fté-
riles , font petites , & les autres riches , fertiles , & affez grandes
pour avoir befoin d*être gouvernées par des Princes particuliers,
dcpendans de l'Empereur du Japon , dont ils font comme les
Lieutenans.
Tout le Japon , d'abord divifé en 6S. Provinces , fur fubdi-r
vifé en tfo^. diflriûs. Les Gouverneurs qui avoient Tadminî-
flration des 58. Provinces y s'en étoient rendus les maîtres , à la
faveur des guerres civiles , & avoient agi envers le Cubo-Sama ,
comme le Cubo-Sama envers le Daïri , ils avoient ufurpé la Sou-
veraineté. Quelques-uns de ces nouveaux Princes , fe livrant
aux mouvemens de leur tendrefle pour tous leurs enfans , par-
tagèrent entre eux leurs Etats , & les rendirent indépendans les
uns des autres. Les Empereurs du Japon ont fçû profiter de ces
fréquens partages, ils ont tour-à-tour remis fous leur puiffance
tous ces petits ufurpateurs ainfi afFoiblis : enforrc que , fous le
nom de Rois & de Princes , les polièffeurs de ces Gouvernemcns
obciffent comme des fujets.
Cette Monarchie eft bornée par des côtes pleines de rochers
& de montagnes , & entourée d'une mer orageufe , qui n'ayant
{a) Selon Marc-Paul de Venife , les Matelots faifoient monter les petites ifles à
7440, paruHQ exagération outrée. Us y comprenoient fans doute ( dit Charlevoix)
les rochers & les écueils qui s'élèvent un peu au dcffus de la mer.
DU GOUVERNEMENT. 3P7
que très-peu de fond , ne peut recevoir que de petits bâtimens.
Les petits bâtimens même rifquent beaucoup, lorfqu'ils en ap-
prochent , parce que la profondeur de la plupart des golfes &
des havres n'efl pas encore connue. Il femblc , dit-6n , que la na-
ture ait voulu que ces Ifles , qu'elle a pourvues abohdamment de
tout , & qu'elle a rendu d'un accès fi difficile, formaffent comme
un monde fcparé des autres Etats. Ces Infulaires trouvent , dans
la bonté de leur pays & dans leur induftrie , de quoi fournir aux
befoins & même aux délices de la vie.
Le pays cft fi gras & fi fertile, qu'il porte deux fois l'année;
en l'une > du bled ; en l'autre , tiu ris , dont les habîtans vivent ,
ainfi que de venaifon , de poiflbn , de fruits , & de légumes. Il
a les plus belles manufadures du monde , & quantité de mines
de toutes fortes de métaux , même d'or & d'argent ; mais il efl
fujct à de fréquens & terribles tremblemens de terre.
Le climat du Japon eft très-fain. Ses habitans peu fujets aux
maladies , vivent fort longtems. Les chaleurs qui y font grandes
en été , font tempérées par la fraîcheur que renvoyent les mers>
dont les Ifles font environnées , & les rivières qui les coupent.
Le froid y eft plus long & plus grand que le chaud , parce qu'il
y tombe fouvent de la neige en abondance , ce qui vient des
montagnes dont le Japon eft couvert.
L'Empereur du Japon eft très-riche, & fes revenus montent
fi haut qu'ils furpaffent de beaucoup fa dépenfe , qui eft au moins
de 300 millions de notre monnoie, tant pour fa Maifon & les
appointemens des Officiers , que pour la folde des.troupês.Que
fcroit-ce s'ilaccordoità fes Sujets & aux Etrangers la liberté in-
définie du commerce ? Celui du dedans eft très-confidérable ;
celui du dehors , médiocre. j v.
Il n'y a dans tout l'Empire du Japon , qu'un poids &
Son Gouimne»
ment.
3p8 SCIENCE
une mefure > qu'une Loi & un Souverain qui eft très-abfolu;
Les Seigneurs y les maris y & les pères ont droit de vie & de
mort fur leurs vaflaux, leurs femmes , & leurs enfans. Les Maî-
tres n'ont pas tout-à-fait le même droit } mais comme ils répon-
dent des fautes de leurs domeftiques > ils ojit fur eux une très-
grande autorité , & s'ils les tuent dans un mouvement de co^
1ère , ils font abfous , en prouvant la faute pour laquelle ils les
ont tués..
Les Loix du Japon au fujet des crimes ^ font extrêmement
feveres. On les punit prefque tous de mort^ & Tatrocité du ca-
radere de ce peuple femble avoir rendu iodifpenlable ratrocit^
des peines.
Suivant ces Loix , lorfque quelqu'un efl: difgracié ou conp
damné à mort y tous ceux qui lui font unis par les liens du fang
doivent fubir le même fort, û le Prince ne leur fait grâce (a).
Aucup délit tfeU reprimé par des peines péa^niaires , fur ce
principe que,lorfquil s'agit dePintérêt public^ il ne doit point
y avoir de diflinéïion jentre les pauvres & les riches ; mais ceux
qui font chargés dje veiller fur la conduite des autres , font fou*
vent punis pour eux. On voit au Japon des perfonnes condam-
nées^ pour des fautes aifez légères j au banniflement ^ ou à une
prifon perpétuelle , à la confifcation de tout leur patrimoine ^
ou à la privation de leurs emplois , ce qui efl fans doute exceflif
pour ceux qui ne font pas pcrfonnellement coupables. Rien n'eft
cependant plus ordinaire. Les Officiers prépofés à la fureté de$
rues répondçnt pour les Cbefs des familles , les Chefs de fa-
mille^ pour tous ceux qui les compofent ; les Propriétaires ^
pour les Locataires ; les Maîtres , pour les domeftiques ; le?
Compagnies , pour chacun de leurs membres 5 les voifins , le^
j^a) Çharlçvoix , page 8a*
DU GOUVERNEMENT, jpp
uns pour les autres , & quelquefois les enfans pour leurs pères.
Il eft vrai ( dit THiftorien) qu'en les condamnant , on a égard
à tout ce qui peut diminuer la faute , à la condition du crimkiel j
& à la proportion de la peine que chacun doit porter, lorfque
plufieurs font punis pour le crime d'un feul {a).
S'il s'élève dans une rue quelque querelle, les voifins les plus
proches font obligés de féparer d'abord ceux qui fe battent ,
car l'un d'eux venant à être tué , non-feulement l'autre payeroit
ce crime de fa tête , n'eût-il fait que fe défendre , mais les trois
feimilles les plus voifines de Pendroit où le meurtre auroit été
commis , feroient encore obligées de garder leurs maiions pen--
dant plufieurs mois. On ne leur donneroit que la liberté de faire*
des provifions pour ce tems-là, après quoi leurs portes & leurs
fenêtres feroient condamnées. Tous lesautres^habitans de la rue*
auroient aufli leur part au châtiment , on leur impoferoit de rudes
corvées plus ou moins longues , à proportion de ce qu'ils auroient
pu faire, pour prévenir les fuites de la querelle. Les Chefs de
Compagnie font toujours^ plus rigoureufement punis que les au--
très, & lorfque l'un des membres de la Compagnie fe fauve des-
mains de la Juftice , ils en font refponfables (&).
Tout homme qui met le fabre ou le poignard à la main , efl
condamné à mort , s'il eft dénoncé, quand même il n'auroit pas
touché celui à qui il auroit paru en vouloir ( c )•
Le Japon eft foumis à deux Puiffances , dont l'une s'appelle y:
le Daïri , & l'autre le Cvbo-Sama.^ fa„?e ^i:"K'-
Le Dàiri, qui defcend de Syn-Mu , fondateur & légiflateur &afsoumâ-
de la Monarchie , réputé defcendu lui-même des Dieux du pays,- ""*^^'
étoit regardé comme un Dieu , le plus pur lang du foleil , & rer
ld\ CharlevDix,page70^- '
IhS Ibid,page72.
(ç) MêiM pagÇt. I
40O SCIENCE
vêtu d'un droit înconteftable à TApothéofe ; il réuniffoit en fa
perfonne tout ce qui peut fonder dans Tefprit des peuples une
autorité fans bornes ^ reconnue pour légitime. Les fucceffeurs
du fondateur confervcrent pendant plufieurs fiécles le double
empire de la Religion & des affaires temporelles j mais le Dàirt
n'a aujourd'hui qu une puiffance religieufe , & fes honneurs ont
augmenté j s'il étoit poflîble qu'ils augmentaflent , à mefure que
fa puiffance a été anéantie. Les Princes de fon fang qui font
également des perfonnes facrées , compofenr avec lui Ja Cour
Eccléfiaflique ^ qui prononce fur la fucceflion à cette première
dignité de TEmpire ^ lorfque le Daïrl n'a point déclaré fon fuc-
ceffeur , & que le titre pour la fucceffion eft contefté. Cependant
on a vu des Daïris abdiquer la Couronne en faveur d'autres que
de leurs enfans ^ & quelquefois même en faveur de Prînceffes,
qui à la vérité étoient de leur fang , mais dans un degré affez
éloigne i des Impératrices , fucceder immédiatement à leurs
maris , au préjudice des plus proches mâles de ceux-ci j des
fœurs , régner après leurs frères ; des filles , après leurs mères ^
8ç avoir pour fucceffeurs des Princes qui auroient dû ^ ce fcmble^
les précéder dans l'ordre de la fucceffion ; enfin , des collatéraux
monter fur le trône avant les fils de leurs prédéceffeurs ; mais la
Couronne n'eft jamais fortie de la Maifon de Syn-Mu^Sc elle
y eft depuis vingt-quatre fipcles.
Le CubO'Sama du Japon , affez femblable à nos anciens MaU
res du Palais , n'écoic anciennement que le Général des armées;
mais il s'eft infenfiblement approprié la fouveraine puiffance ,
& n'a laiffé au Daïri que les vains honneurs du Pontificat. Cette
ufurpat^on , l'ouvrage de plufieurs guerres civiles , s'eft faite
dans le douzième fiécle de l'Ere Chrétienne (a) , & a donné la
{a) En ii8i.
naiffance
pu GOUVERNEMENT. 401
tiaîiTance à d'autres troubles înteftins , dont la fin a été la ruine
xle la puiflance des Daïris , & rafFermiffement de celle des Cubo-
Marnas.
Le Daïri , pour qui les peuples ont confervé jufqu*à préfent
la plus profonde vénération , a encore aujourd'hui le pouvoir
de faire des grâces , de donner des titres honorables aux Prin-
ces y aux Seigneurs , & aux Nobles du Japon , le lieu du monde
où ces titres font plus recherchés.
Le CubO'Sama eft maître de toutes les forces & de tous les
revenus de TEtat , & même de la perfonne du Daïri. Il a toute
la réalité de la puifTance dont le Daïri n'a que le nom.
Le Daïri tient fa Cour à Miaco , dans un vaile Palais auquel
le Monarque féculier affigne une nombreufe garde , en appa-
rence pour faire honneur au Daïri ^ mais en effet pour s'afliirer
de fa perjfonne.
Les Cufeo-5amflî qui ft voient auffî leur Cour à Afîaco, & qui
t)nt cru n'avoir plus befoin de réfîder auprès du Daïri , ont tranf-
y orté le Siège de TEmpire à Jeào , où ils ont formé une féconde
Capitale bien plus confidérable que la première, & où ils font ré-
iîder les femmes & les filles des Seigneurs dePEmpire, autrefois
Souverains dans leurs Provinces , pour retenir les maris & les
pères dans la foumil|ph. A cette précaution, les Cubo-Samas ajou-
tent celle d'entretenir des efpions auprès de ces Seigneurs , pour
être avertis de tout ce qui peut intéreffer la Puiflance fuprême:
Trois Marchands Pourtugais (a) qui étoient partis d^un port vl
du Royaume de Siam, nommé Doàra, & qui faifoient voile Japon ;Etia)iifle-
vers la Chine , furent jettes par la tempête vers les llles du Jar- ^ <iu chriftia.
j)on (& ) > & prirent port au Royaume de Cangoxima» Cette dé- ^J"pj[«jj ^ ^> i!«
fon ée fermer
(tf) Antoine Mota, François Zeimot ,& Antome Peixot, pt^s'^rJ^ '^^'"'^
^i) Vers l'an 1541. get& ^^"^^
Tpm6 h Eee
402 SCIENCE
couverte donna Heu aux établiffemens que firent au Japon pîu-
fi^urs Nations Européennes; ces établiffemens mirent les Mif-
iîonnaires en état d'y port er la lumière de la Foi. Saint François
Xavier y alla planter la Croix (û) ; & TEglife qu'il y fonda fut
long-tems floriffante. Les Miffionnaires y avoient fait des fruits
admirables , l'entrée du Japon ctoit ouverte aux Etrangers, 8c
les Japonois jouiffoient de la liberté de voyager & dans leur pays
& dans les pays étrangers. Toutes les Nations pouvoient aufli
jerter Tancre dans leurs ports ,& les Portugais y ctoient fur-tout
attirés par tous les petits Princes des Ifles & des Provinces qui
alors n'étoient point foumis à TEmpereur , comme ils le font
aujourd'hui. Les Portugais recherchés de toutes parts , négo-
cîoicnc librement & avantageufement dans tout TEmpire , &
les Miffionnaires tâihoient de faire des Profclytes au Chriflia-
nifmc ; mais le peu de concert entre les Miffionnaires de diffé^
rens Ordres , la mefintelligence des Catholiques & des Proie-
flans Européens , que le commerce y attiroit , & les intrigues
des Bonzes , auxquels les Juponois convertis ne portoient plus
d'offrandes , excitèrent une perfecution qui, en une feule année,
fit périr plus de vingt mille Chrétiens (6). On ferma les EgUfes,
& les Miffionnaires ne laiffcrent pas de faire encore des Profc-
lytes ; mais l'imprudence de quelques PG|ipgais , & le zélé de
quelques Miffionnaires excitèrent de nouvelles perfécutions |
& la Religion Chrétienne fut entièrement profcrite de l'Em-
pire (c). L*Hiftorien du Japon rapporte qu il y avoit déjà 1 8oo
mille Fidèles & 200 Miffionnaires, lorfque le Chriftianifme y
fut aboli. Il fut défendu aux Japonois d'en fortir , les Portugais
en furent bannis à perpétuité , & tous les ports furent fermés aux
W En M49-
(h) En 1590, 20 570 pcrfonnes furent martyrifces pour la foi.
(0 £a 1637.
DU GOUVERNEMENT. ^03
Etrangers , excepte aux Chinois & aux Hollandois , qui ont
confervé la liberté d*avoir un Comptoir dans Tlfle de Défima.
L'année d*aprcs, unfeul jour (a) vit périr 37 mille Chrétiens^
maflacre qui abolit notre Religion dans TEmpire du Japon ^
au point que qu'il n'y étoit refté quelques particuliers qu'on a ex-
terminés , à mefure qu'on lésa découverts. Les Hollandois ne fe
font confervés la liberté de négocier au Japon , qu'en aflliranc
que leur Religion n'eft pas la même que celle des Portugais &
& des Efpagnols , qu'en s'intcrdifant toute pratique extérieure
du Chriftianifme , & f e livrant à beaucoup d'ulages qui font
comme une abdication de la Religion Chrétienne.
Les Chinois gagnent mille pour cent fur le fucre qu'ils por-
tent aux Japonois , & quelquefois autant fur les retours de ce
qu'ils rapportent chez eux ( & ). Les Hollandois font fans doute
des profits à peu près pareils avec les Japonois. C'cft une des
pertes que fait la Chine , pour s'être fequeftrée du refte du genre
humain ; & ceft le fort de tout peuple qui ignore que la con-
currence feule des acheteurs met le prix aux marchandifes ^ âc
établit les vrais rapports entre elles.
Kœmpfer ( c ) examine s'il eft avantageux au Japon d'être
fermé comme il l'eft , au point que les Etrangers n'y fçauroient
entrer , ni les habitans en fortir ; il fe détermine pour l'affirma-
tive , & entreprend de nous inftruire des raifons qui ont déter-
miné les Monarques Japonois à fermer leur Empire , enforte
qu à l'exception de ce peu de commerce qu41s permettent aux
Chinois & aux Hollandois , dans un feul de leurs ports ^ ces
Infulaires font dans 1 Univers comme s'ils y étoient feuls. Char-
le voix trouve que Kœmpfer efl auffi peu jufte dans fesRéfle:(ions
{a) Le II d'Avril 1638.
{b) Duhaldc , Defcription de la Chine , Tom. II , pag. 17O.
(c) Dam le dernier article de ion Uiiloire du Japon.
Eceîj
404 SCIENCE
IPolitîques , & auflî peu exaSt dans Jes faits qu'il rapporte ^ qulï
cft admirable dans fes Obfervations fur THiftoire Naturelle des
pays qu'il a parcourus. Ce Jéfuite s'élève avec force con-
tre un Auteur Chrétien qui > après avoir compté Tabolition du
Chriftianifme parmi les moyens dont les CuhoSamas fe font fer-
vis pour établir leur nouveau plan de Gouvernement , ne craint
point d'avancer que ces Monarques, ont en quelque manière
rcffufcité l'innocence & le bonheur des premiers âges (a). Le
Japon n'eft pas le feul pays dont l'accès ait été défendu (b). Les
cxpreflîons de Kœmpfer renferment fans doute quelque exagéra*
tion y & fes idées ne font pas jufles. Pour traiter la queftion fur
laquelle lui & Charlevoix font partagés , il faudroit difcuter le
ftiit & le droit.. Les Japonois trouvent-ils de l'avantage à s'être
fequeftrés dli genre humain ?. Voilà la>qiieftion de fait : Or quoi-
qu'on nous dife du Japon ^ il eft peu vraifemblable que cet Erax
pire foie inacceflible dans toutes les faifons , dans tous les temsy
dans toutes les circonftances , & que les Nations Etrangères ne
puiffent jamaîs.y. pénétrer. Lafameufe muraille de la Chine a-
t-elle empêché que ce grand Empire n'ait été fournis parles Tar-
tares ?U eft d'ailleurs évident que l'effet de la Loi qui défend'
aux Etrangers d'entrer au Japon , ne peut être que d'arrêter les
progrès dû commerce , d'es arts , & des fciences , & de contri-
buer par-là à. perpétuer dans le pays Pefclavage^ l'ignorance, &
k fuperftition. Nous, adorateurs du vrai Dieu, .ne pouvons
point en particulier n'être pas touchés que les^ Japonois ayent
fermé l'entrée de leur pays aux Etrangers , parce qu'il eft certain
que la PuifTance Eccléfiaftiqucdu Japon , pour laquelle les peu-
(a) Pages 613 ,614, 615 &6i5.du fécond Volwne de THiftoire du Japon, par
Charleyoïx.
i^]y^7^^t ^^,^*^"^V ^" Chap. II de cette Intfoduftîon , au Sommaire : LoL
jptf defcndoit rcntrccdu pays mx itran^rs^
BUGOtJVERNEMENT^ 40J
pies ont tant de vénération , & qui ne fe foutient que par la fu-
perfticion , feroit renverfée auflitôt que.la Religion Chrétienne
y feroit introduite & folidement établie. Les Japonois perdent
affurément beaucoup à fe fequeftrer du genre humain. Le peu-
vent-ils faire légitimement ? Ne font-ils pas injure à la Loi na-
turelle ? Ne blcffent-ils pas les règles de l'humanité & de la fo-
ciété univerfellc des hommes? Ceflla queflion de droit. Je Tai
traitée amplement ailleurs (a).
SECTION II.
Du Gouvernement de la Chine.
o
N nous repréfente cette Monarchie comme la plus an- vu.
j - /- 1. » 11 1 Fondation de
cienne de 1 Univers ^ & comme 11 polie qu elle ne le cède '^™p»f« <*« **
guère aux Etats fes mieux policés de TÈurope. A retrancher les
millions d'années que les Annales Chinoifes donnent à cet Em-
pire y & auxquelles les Sçavans même du pays n'ajoutent pas
foi 9 il fubfifte, dit-on, depuis plus de quatre mille ans. Les
Hiftoriens Chrétiens nous en racontent ainfi la fondation (fe).
Les fils de Noc fe répandirent dans TAfie Orientale. Leurs
defcendans pénétrèrent dans la Chine , environ deux fiécles
après le déluge. Les Chefs de plufieurs familles confidérables
en habitèrent quelques terres ^ y multiplièrent beaucoup ,- & y
formèrent peu à peu une Monarchie. D'autres Colonies s^établî-
rent dans d'autres Cantons , s'inftrufircnt dans les arts les plus
néceffaires, & s'adonnèrent principalement à l'agriculture. C'ell
ainfi que s'élevèrent plufieurs petits Etats , lefquels ne reconnu-^
(j) Dans mon Traité de Politique, Idée de la Politique , au Sommaire : De la morr
raie des Princes , &c.
{b) Duhalde , Defcription de U Chine , IV! Volume in-foL Paris , 173.5 •
Chine.
40(5 SCIENCE
rcnt pas d*abord le Souverain qui a voie fait le premier & le plu9
conlîdérable ccabliflement dans le pays; mais l'es l'ucccfTcurs fe
mirent infenfiblement en fituation de dUpoUr de fes Souverai-
netés particulières , qui devinrent comme des fîefs de la Souve-
raineté principale. Apres avoir affuré leur Couronne à leurs fils
aînés , ils abandonnoient ces autres régions à leurs autres enfans
ou à leurs neveux, & quelquefois ils en difpofoient en faveur de
perfonnes de mérite. Ce partage de puiflance toujours pernî--
cieux, fut, fous des règnes foibles , la fource des guerres intef-
tînes qui déchirèrent la Chine. Ceux qui avoient reçu de l'Em-
pereur le titre de Prince , voulurent être appelles Rois , & en
exercer Tautoritc. Les invafions mutuelles rcduifirent l'Empire
à fept grands Royaumes. A la fin, ces divers Etats, réunis ou
par la force ou par la fageffe , formèrent cette vafte Monar-^i
chie , telle qu elle eft aujourd'hui fous un feul Souverain.
Neuf Empereurs font regardés comme les premiers Maîtres
qu ait eu la Chine ; mais. les Chinois ignorent quelle a été la du-
rée du règne de ces Princes. Ils comptent enfuite#par une dé-
duâion Chronologique bien fuivie , vingt-deux Dynafties ou
familles Impériales qui ont occupé fucceffivement le trône , &
qui toutes enfemble ont donné 231 Empereurs. Le Prince quî
règne aujourd'hui à la Chine , eft le cinquéme Empereur de la
famille d'un Tartare qui en a fait la conquête.
C'eft , ajoute-t-on , depuis un Empereur nommé Yao , quî
commença à régner 2557 ^^^ avant J. C. que la Chronologie
de TEmpire Chinois eft bien éclaircîe , & que le nom des Em-
pereurff , la durée de leur règne , les divifions , les révolutions,
les interrègnes , tout eft marqué dans une grande exaditude. On
peut voir , dans THiftorien que j'ai cité (a) y les railbns qu'il a
d'ajouter foi à cette Chronologie.
W Duhaldc , page 164 & fuivantes du premier Volume;
Ferma t:eGou%
veruemeuu
DU G O U V E R NE M E N T. 407
L'autorité de TEnipercur eft abfolue , & les Chinois font cle- vin.
vés dans un refpe£l pour le Souverain , qui tient de l'adoration ,
& qui rejaillit fur les Mandarins. Ccft de ce nom que les Por-
tugais , imites par toutes les Nations Européennes , ont appelle
les Officiers de l'Empereur.
Ce Prince eft le fcul arbitre de la fortune & de la vie de fes
Sujets. Ni les Vicerois , ni les Cours Supérieures de Juftice ne
peuvent faire^xécuter à mort un criminel , fî la Seftence qui
le condamne n'a été confirmée par le Souverain ; mais les Arrêts
qui émanent immédiatement de la Puiffance Impériale , font
irrévocablement exécutés. Aucun Gouverneur de Province ,
aucun Tribunal rfofcroic diffirer d'un moment de les publier &
de s'y conformer.
Les Princes du Sang Impérial j quelque élevés qu'ils foîent
au deflus des autres Sujets > n'ont ni puiflance ni crédit. On
leur alfigne une Cour , un Palais , des Officiers , des revenus
proportionnés à leur rang y mais ils n'ont pas la moindre autorité
fur le peuple , qui a néanmoins le plus grand refpe£l pour eux.
Autrefois , ils é oient difperfés dans les Provinces^ & les Offi-
ciers de l'Empereur leur en voy oient leurs revenus tous les trois
mois , afin que les dépenfant à mefurc qu'ils les recevoient , ils
ne fiffcnt pas des épargnes , dont ils auroient pu fe fervir pour
^citer des troubles. Il leur étoit même défendu, fous peine de
la vie, defortir du lieu marqué pour leur féjouri mais depuis
que les Tartares font maîtres de laChine,les chofes ont changé,
& TEmpereur a cru , avec raifon, qu'il étoit plus à propos que
tous les Princes demeuraffent à la Cour fous les yeux du Souve-
rain. Au refte , un Prince de la Maifon Impériale ne peut, ni
en prendre la qualité , ni en recevoir les honneurs , fi l'Empe-
reur ne les lui fait décerner. Lorfque ia conduite ne répond pas
4o8 SCIENCE
à Tattente publique , il perd fon rang & fes revenus par Tordre
de TEmpereur , & n*eft plus 'diftingué que par la ceinture
jaune que portent les hommes & les femmes de la famille ré-
gnante. Il ne jouit alors que d'un revenu aflcz modique fur le
Tréfor Royal.
Aucune place rfeft vénale, l'Empereur difpofe de toutes
celles di^rStat. Il établit les Vicerois & les Gouverneurs,
élevé & abaiffe les Officiers félon Topinion qu'iliftn a , donne &
ôte les emplois à fon gré. C'eft fur la préfentation des Tribu-
naux que l'Empereur donne les charges ; il n'eft point obligé
de les accorder à ceux que ces Compagnies ont propofés, &
qui ont précédemment tiré au fort ; mais pour l'ordinaire , il
les confirme après les avoir examinés. Les premières places y
telles que celles de Vicerois & quelques autres , font données
par l'Empereur , fans que les Tribunaux en préfentent les
Sujets.
Le rang eft attaché au mérite perfonnel,c'efl: le mérite qui
acquiert les emplois , & la Nobleffe n'eft autre chofe à la Chine
que la poffeffion adluelle des charges. Le fils d'un Mandarin
du premier rang eft un homme du peuple , s'il n'eft lui-même
Mandarin.
Toute l'autorité & tout l'éclat réfident dans les Charges
qu^en France nous appelions de Robe. Avant la domination des
Tartares , les Officiers de guerre n'étoicnt dans cet Empire que
des malheureux y qui ne s'étoient pas fenti affez de mérite pour
s'avancer par les lettres. Depuis même que la Chine eft devenue
la conquête des Tartares , les Mandarins de lettres font infinî-
jnent plus confidérables que les Mandarins d'armes. On ne par-
vient aux emplois que par le fçavoir , & TEtat eft toujours gou-
yprné par des Mandarins de lettres. Ce font encore des Gens de
Lettrçç
DU GOUVERNEMENT. 40^
Lettres cjui font chargés de Téducation du Prince héritier de
TEmpire y & qui doivent lui enfeigner la vertu , les fciences 8c
Fart de gouverner.
Dans le choix d*un Maître ^ les Orientaux s'attachent tout au.
plus à la famille Royale ^ & non au Chef de cette famille ^ in-
certains dans la feule chofe où les Européans ne le font point y
car dans tout le refle nous varions & ils ne varient jamais. A la
Chine ^ c'eft l'Empereur qui choifit parmi fes enfans celui qu il
croit le plus prope à lui fuccéder. Lorfqu il ne trouve pas dans
fa famille des Princes capables de gouverner , il lui eft libre de
fixer fon choix fur celui de fes Sujets qu'il en juge le plus di-
gne. L'on en a vu des exemples dans les tems les plus reculés ^
& les Empereurs qui les ont donnés , ces exemples y font en-
core aujourd'hui l'objet de la vénération des Peuples , pour
avoir préféré le bien public de l'Etat , à la fplendeur particu-
lière de leur Maifon. Si celui qui a été déclaré fuccefleur de l'Em-
pire , s'écarte de la foumiflîon qu'il doit au Souverain , ou tombe
dans quelque faute confidérable y l'Empereur efl le maître de
l'exclure de fa fucceffion & de nommer un autre héritier à fa
place. Cang'hi ( a ) , Empereur^fi connu en Europe, pour avoir
protégé les Miffionnaires Chrétiens j ufa de ce droit y en dépo-
fant d'une manière éclatante un de fes fils , le feul qu'il eût de
fa femme légitime , lequel il avoit nommé Prince héritier , mais
dont la fidélité lui étoît devenue fufpeûe. On vit chargé de chaî-
nes celui qui peu auparavant marchoit prefque de pair avec
l'Empereur. Ses enfaas & fes principaux OflSciers furent enve-
loppés dans fa difgrace.
Pour récompcnfer le mérite des morts , l'Empereur leur
donne des titres d'honneur qui fe communiquent à toute leur
[a) Il eft mort le to de Décembre ij^Zp
TomL Fff
410 SCIENCE
poftérîté. Il donne auflî aux vivans de ces titres d'honneur qui
rej^UilTent fur leurs ancêtres.
Les Chinois ont fait , du premier fentiment de la nature y le
premier principe de Tadminiflration publique. Le Gouverne-
ment de la Chine a fon modèle dans TEmpire paternel , porté
fj loin dans ce pays-là j^que les pères peuvent vendre leurs en-
fans à des Etrangers. C'eft un principe né avec la Monarchie ;
que TEtat eft une grande famille ; qu'un Prince doit être à Té-
gard de fcs Sujets ^ ce qu'un père de famille eft à l'égard de Ces
enfans , & qu'il doit les gouverner avec la même affeflion. Cette:
idée eft gravée naturellement dans l'efprit de tous les Chinois y
& tous leurs livres en font pleins. Ils ne jugent du mérite du;
Prince & de fes talens , que par les marques qu'il leur donne de
fa tendreffe & par le foin qu'il prend d'eux. Il doit être le
père & la mère du Peuple , & il ne mérite d'être eftimé des Q^
toyens > qu'autant qu'il les rend heureux. Tous les Sujets de
PEmpire lui doivent une obéiffance abfolue , comme les enfans
la doivent à leur pcre. De la même manière que PEmpereur eft
le père de tout TEmpire , le Viceroi eft le père de la Province
qui lui eft foumife , & le Mandarin , celui de la Ville qu'il gou-
verne. De-là y ce profond refpeft & cette prompte obéiflance
que les Chinois rendent aux Officiers qui aident l'Empereur à
porter le faix du Gouverncmenr*
Un Empereur de la Chine s'applique continuellement à con-
ferver cette réputation de père. Si quelque Province eft affligée
de calamités ^ il s'enferme dans fon Palais ^ il jeûne , il s'interdit
tout plaifir ,. il décharge la Province du tribut ordinaire , il
donne lès ordres pour lui procurer des fecours abondans. Ses
Edits publient jufqu à quel point il eft touché des miferes de foiï
Peuple. 7e le porte dans mon coeur , y ^^'^^ dit ^ je gémis nuit
DU GOUVERNEMENT. 411
Sfjour fur/es malheurs ,je penfe fans cejfe aux moyens de le
rendre heureux. C'eft ainfi qu'en parle l'Auteur de la Defcrîp-
tion de la Chine.
Un Miflîonnaîre de la même Compagnie ( a ) croit ^que ces
expreflîons éroîent finceres , du tems que la Chine étoit gou-
vernée par des Empereurs de fa nation ^ qui regardoient leurs
5ujets comme leurs propres enfans ; mais il avoue que , fi le lan-
gage efl encore le même aujourd'hui ^ la pratique n'y repond
qu'à demi , faute de prendre des voyes efficaces pour l'exécu-
tion des ordres du Prince. Il auroit dû dire que la pratique n*y
répond point du tout , s'il eft vrai ^ comme le difent la plûparc
des Comraerçans ^ des Voyageurs , des Marins , que tous les
Mandarins de la Chine font des brigands (&).
Il n'y a point de grâce à attendre pour un Gouverneur donc
le Peuple fe révolte. Quelque innocent que ce Mandarin puiffe
être y il efl regardé au moins comme un homme fans talens , &
la moindre peine qui lui foir rçfervée , c*efl d être deflitué. Si
Ton commet , dans un département , des crimes d^une certaine
efpece j le Mandarin en eflrefponfable. Un Officier efl puni des
fautes d'un autre Officier qui efl fous fes ordres , parce que l'Of-^
ficier fupérieur a dû veiller fur celui qui dépend de lui , &
qu'ayant le pouvoir de le corriger , il doit répondre de fa con-
duite^i Lorfqu'il s'efl commis un vol ou un afFaffinat > il faut que
le Mandarin découvre les voleurs ouïes afTaflîns ^ autrement il
efl dépofé. S'il fe commettoit un icrime énorme y un parricide ^
par exemple j le délit neferoit pas plutôt déféré aux Tribunaux
de la Cour , qu'on dépouilleroit de leurs emplois tous lc$ Man-
darins du Département. Cçit leur faute j diroit-on , ce mal*
(tf) Parennîn. Voyez fa Lettre du 28 de Septembre 1735 , dans le XVllI* Recueil
des Lettres édifiantes & curieufes , aux pages 71 &:72.
(Jf) Relastion de Langç, & voyage autour -du mondp^ d^AûTon»
Fffij
412 SCIENCE
heur ne feroit point arrivé > fi les Mandarins avoîent veillé avec
plu$ de foin furies mœurs. Audi , le perea*t-il quelquefois part
à la punition du fils ^comme devant répondre de Péducation qu'il
lui a dpnnée.
Le Souverain de la Chine n^îftpas feulement Empereur pour
gouverner & Pontife pour facrifier , il eft encore Maître pour
cnfeîgner. Il affcmble de tems en tems à Peking , tous les Grands
de fa Cour & tous les premiers Mandarins des Tribunaux ^
pour leur donner une inftruûion dont le fujet eft toujours tiré
des Kings^ livres dont je parlerai plus bas« De même y le pre-
mier & le quinze de chaque mois ^ les Mandarins s'affemblent
en cérémonie dans un lieu où Ton fait une ample inftruâion au
Peuple^ Cette pratique eft ordonnée par un des Statuts deTEm-
pire y & c'eft TEmpereur lui-même qui > par fes Ordonnances ,
fixe les matières qui doivent être le fujet de ces fortes de dif*
cours»
La Puiflance Impériale y toute abfolue qu'elle eft , trouve un
frein dans les mêmes Loixqui l'ont établie. Ces Loîx donnent
le pouvoir à des Cenfeurs publics de repréfenter à l'Empereur
par de'très-humbles & de très-rcfpeâueufes Requêtes ,les fautes
qu'il fait dans l'adminiftration de fon Etat# Chaque Mandaria
peut ufer de la même liberté que les Officiers qui font expreffé-
ment établis dans cette vue. Si l'Empereur n'avoit aucun égard
à de juftes remontrances , ou s'il faifoit fentir les effets de fon
indignation à celui qui a eu & le zèle & le courage de les faire ^
ilfe décrieroit abfolument dans l'efprit de fes Peuples j la fer-
meté de la perfonne qui fe feroit ainfi (acrifiée au bien public ,
pafferoit pour héroïque , & devîendroit le fujet d'un éloge qui
immortaliferoît à jamais fa mémoire. On a vu à la Chine plus
d'un exemple de ces martyrs du bien public ^ que ni les peines^
D U G O U V E R N E M E N T. 415
ni la mort même j n'ont pu tenir dans le filence , lorfque le Prince
Vécartoit des règles d'une fage adminiftiration.
A la Chine encore plus qu^ailleurs ^ la tranquillité de TEm-
pîre dépend abfolument de l'application du Prince à faire ob-
fervcr fes Loîx. Si l'Empereur & fonConfeil étoient peu atten-
tifs à la conduite de ceux qui ont de l'autorité fur les Peuples ,
les Vîcerois & les Mandarins éloignés gouverneroient les Sujets
au gré de leurs caprices ^ ils deviendroient autant de tyrans
dans les Provinces , l'équité feroit bientôt bannie des Tribu*
naux , &tout refpeû pour le pouvoir fouverain difparoîtroît.
Alors 9 le Peuple qui eft fi nombreux à la Chine y fe voyant op-
primé , s'attrouperoit ; le premier mouvement feroit bientôt
fuivi d'une révolte générale dans la Province ; le foulevement
d*un canton fe communiqueroit en peu de tems aux autres y 8c
l'Empire feroit tout-à-coup en combuftion. Dans tout l'Orient ^
fi l'autorité n'étouffe d'abord les premières femences de rébel-
lion y elles produifent en peu de tems les plus dangereufes révo-
lutions. La Chine en fournit divers exemples , qui ont appris
aux Empereurs . que leur autorité n'eft à couvert de toute at-
teinte y qu'autant qu'ils marchent fur les traces des bonsPrinces.r
Outre la pofleffion de ce vafte Empire y l'Empereur a pour viii.
tributaire le Roi de Corée , & poffede encore une partie de pif^''*'"*'^^
l'Isle de Formofe & toute la grande Tartarie , médiatemenf ou
immédiatement. La Tartarie immédiatement foumife aux Chi-
nois , eft divifée en fix grandes Provinces , que les Mandarins
gouvernent comme des Provinces Chinoifes. Le refte de la
grande Tartarie eft partagé en diverfes Souverainetés qui re-
lèvent toutes de l'Empire de la Chine ^ & qui lui payent un
tribut,
La Chine eft fituée très^heureufement pour n'avoir point de
414 SCIENCE
guerre étrangère à craindre i elle n'a d'autre voîfin que la Tar-
tarie au Nord , & le Tonquin au couchant d'hiver ; la nature a^
pris foin de la fortifier par tout ailleurs. La mer qui borde fix
de fes quinze Provinces , eft fi baffe vers les côtes , qu'il n^y a
point de grand vaiffeau qui puiffe les approcher fans fe brifer,
& les tempêtes y font fi fréquentes , qu il n'eft point d^armée
navale qui puiffe s'y tenir en fureté. Un défert de plufieurs jour-
nées de chemin , des forêts & des montagnes prefqu'impratica-
bles défendent la Chine du côté de TOccident. Le Tonquin eft
un fort petit Etat , fi on le compare à la Chine ^ & il eft fitué
fous les climats chauds y d'où il n'eft jamais forti de Conquéi-
rant. Pour le Tartare y plus accoutumé à faire des courfes que
des conquêtes y Tinduftrie humaine lui avoii fermé le chemin de
la Chine ^ ôc tout le monde a* entendu parler de cette muraille
fameufe qui défendoit cet Empire contre TinvaHon des Tar-
tares avant leur union avec les Chinois.
La grande muraille de laChinea cînqcens lieues de longueur,
6c fa largeur eft telle que fix Cavaliers y peuvent marcher de
front. Deux chofes y font dignes d'admiration* L'une , c'eft
que dans cçtte longue étendue de l'Orient à l'Occident , elle
paffe en plufieurs endroits , non-feulement par de vaftes cam-
pagnes , mais encore par deffqs des montagnes très-hautes y
fur lefquelles elle s'élève peu à peu. Elle eft fortifiée par inter*-
valle de groffes tours qui ne font éloignées que de deux traits
d'arbalète. L'autre > c'eft que cette muraille n'eft pas continuée
fur une même ligne , elle eft recourbée er) divers lieux , félon I4
difpofition des montagnes , de telle pianiere qu'au lieu d'un
mur , Ton peut dire qu'il y en a trofc qui entourent cette
grande partie de la Chine. Un Miflîonnaire moderne trouve
cet ouvrage d'architecture fort fupérievir , dp tout point >
DU GOUVERNEMENT. 41/^
à tous* ceux que les voyageurs admirent en Egypte (a).
Les troupes que TEmpereur entretient & qui font répandues
à Pekingy dans les Places de guerre , dans les Villes murées ^
dans toutes les Provinces y & le long de la grande muraille ,
montoient autrefois à 770 mille foldats. Ce nombre fubfîfte
toujours y car à la Chine on ne fait point de réforme , & il a été
même augmenté. Les foldats efcortent les grands Mandarins ^
les Gouverneurs ^ les Officiers , les Magiftrats dans leurs voya-
ges ; & pendant la nuit y ils font la garde autour de leur barque '
ou de leur hôtel. Ils ne font qu*un jour en fondion , parce que
les troupes de chaque lieu où' arrive le Mandarin , fe fuccedent
les unes aux autres , & retournent à leur pofte après leur jour de
fervice. L'Empereur nourrit pareillement environ 5^5 mille
chevaux pour monter la Cavalerie & pour le fervice des Poftes
& des Couriers qui portent fes ordres & ceux des Tribunaux
dans les Provinces ; mais ces troupes fi nombreufes font peu ag-
guerries. La foibleffe des armées eft une fuite néceffairc d'une
longue paix & du défaut d'exercice militaire.
Si l'Empereur de la Chine eft fi puiflant par la vafïe étendue
des Etats qtf il poffede , il ne Teft pas moins parles revenus qu'il
en tire. Quel moyen de les fixer '.'Le tribut annuel fe paye partie
en argent , panie en denrées. On le tire de toutes les terres ^
même des montagnes , du fel, des foyes y des étoffes de chanvre
& de coton , des diverfes. denrées , des ports y des douanes ,
des barques y des forêts y des Jardins Royaux y, des confifca-r
tions y &c«
Le tribut perfonnel de tous ceux qui ont depuis vingt juiqu'à
foixante ans y monte à des fommes immenfes y à caufe du grand
Parennin , Voyez depuis la page 38 iufqu*à la page 43 du XXVI^ Recueil des Lettref '
édifiantes Stcurieufes.
^1^ SCIENCE
nombre des Habîtans. On nous afTure qu'autrefois il y avoit
plus de cinquante-huit millions de perfonnes qui le payoient.
Dans le dénombrement qui fe fit dans le commencement du ré-
gne de Canghi ^ on trouva 1 1 millions $2 mille 872 familles ^ 8c
55> millions 788 mille 364 hommes capables de porter les armes,
fans compter les Princes y les Officiers de la Cour , les Manda-
rins , les Soldats qui avoient fervi & obtenu leur congé , les Ba-
cheliers y les Licentiés , les Doâeurs y les Bonzes y les enfans
qui rfa voient pas encore atteint Page de vingt ans , & la multi-
tude de ceux qui demeurent fur les rivières ou fur la mer dans
des barques. Le nombre des Bonzes monte au-delà d'un mil-
lion. Il y en a dans Peking au moins deux mille qui ne font pas
mariés i & dans les Temples des Idoles en divers endroits ^
350 mille établis par des Patentes de P Empereur. Le nombre
des feuls Bacheliers eft d'environ 90 mille. Les guerres civiles
& Finvafion des Tartares avoient ùàt périr une grande quantité
d'hommes ; mais la Chine s'efl extrêmement repeuplée depuis
qu'elle jouit d^une paix profonde s & il y a apparence que cet
Empire renferme aujourd'hui plus de cent millions d'ames.
Dix mille barques font entretenues aux frais de l'Empereur ^
6c elles font deflinées à porter annuellement à la Cour le tribuc
qui fe paye en ris y en étoffes y en foyes y 8cc. Si le calcul qu'on
a fait dans la defcriptîon de la Chine eft jufte, les revenus ordi-
naires de l'Empereur montoient à 200 millions de taëls. Un
taël eft une once d'argent qui vaut cinq^e nos livres numéraires;
aînfi le revenu de ce Prince eft de mille millions de notre mon«
noyé.
L'Empereur peut imppfer de nouveaux tributs y lorfque les
befoins de TEtat le demandent , mais c'eft'un pouvoir dont il
n'ufe prefque jamais j les tributs ordinaires étant fuffifans pour
les
DU GOUVERNEMENT. 417
les dépcnfes qu'il eft obligé de faire. Loin d'avoir recours aux
fubfides extraordinaires y il n'y a guère d'années qu'il ne fafle
une remife aux Provinces qui ont été affligées de quelque ca--
Jamité.
Comme les terres font mefurées y & qu'on fçait le nombre
des familles ôc ce qui efl dû au Souverain y on n'a aucune peine
à déterminer ce qu'une Ville doit payer chaque année. Ce font
les Officiers des Villes qui lèvent ces contributions. Il ne leur
eft pas permis d'inquiéter les redevables depuis qu'on a com-
mencé à labourer les terres , ce qui fe fait vers le milieu du
Printems , jufqu^au tems de la récolte ; mais dans les autres
faifons ^ on punit de la prifon ou de la baftonnade ceux qui
cherchent à éluder le payement ou qui font lents à payer ; &
comme il y a dans chaque Ville un nombre de pauvres & de
vieillards qui font nourris des charités de l'Empereur ^ les
Officiers leur donnent des billets de contrainte pour fe faire
payer j & ces gens-là vont auffitôt dans les maifons recevoir le
tribut.
Ces Officiers rendent compte au Tréforier général delà Pro-
vince qui eft le premier Officier après le Viceroi* Ils font obligés
de lui faire tenir , dans un certain tems , tous les deniers de leur
recette. Le Tréforier général rend fes comptes à celui des Tri-
bunaux de la Cour qui eft chargé de tout ce qui concerne l'admi-
niftration des finances y 6c qui eft comptable à |bn tour à l'Em-
pereur.
Une grande partie des deniers impériaux fe confomme dans
les Provinces , & eft employée à payer les penfîons y Pentretien
des pauvres , des vieillards , & des invalides qui font en grand
nombre , les appointemens des Mandarins , la foldèdes troupes ,
les ouvrages publics > 6cc. le furplus eft porté à Peking^ pour
Tomel. Ggg
4i8 SCIENCE
être employé aux dépenfes ordinaires du Palais & à celles de
cette Capitale où le Prince réfide.
Dans les premiers tems de la Monarchie Françoife ^ il fe
faifoit à la Cour de nos Rois des diftributions de pain , de vin ,
de viandes y de chandelles y & autres chofes qu'on nommoit
livrées , & c'cfl de cet ufage que vient celui de donner aujour-
d'hui à chaque Officier à la Cour une cenaine fomme en argent
pour tenir lieu de ces livrées. Ce qui fe faifoit alors en France
fc fait encore aujourd'hui à la Chine. L'Empereur nourrir plus
de cent foixante mille hommes de troupes qu'il entretient à
Peking y & aufquels il paye d'ailleurs une fomme en argent. Il
fait encore diflribuer tous les jours à cinq mille Mandarins qui
compofent la Cour > une certaine quantité de viande ^ de poifTon ^
dé fel y de légumes y &c» &c tous les mois du ris y des fèves y du
boisj du charbon y 8c de h paille. La même chofe s'obferve
envers ceux qui font appelles des Provinces à Pemr^ y ou que
la Cour envoyé dans les Provinces y ils font fervis & défrayés
fur la route y eux 8^ leur fuite ; on leur fournit des barques y des
chevaux^ des voitures, & des hôtelleries entretenues aux dépens
de l'Empereur. Tout cela (e fait avec une grande exaâitude &
dans un grand ordres
IX. Les Chinois font fï anciens , qu'on doit préfumer qu'ils ont
chiw^"^" au commencement connu le vrai Dieu y la diftinâion des œuvres
bonnes ou mauvaifes y & les récompenses ou les peines à attendre
de ce Juge tout puiffant y fir que peu à peu ils ont obfcurci &
corrompu ces idées. Dieu, cet Etre fi pur & fi parfait , eft devenu
tout au plus pour les Chinois , l'ame matérielle du monde entier
ou de la plus belle partie qui eft le CieL Sa Providence & fa
Puiffance y n'ont plus été qu'une Puiflance & une Providence
bornées, quoique pourtant beaucoup plus étendues que la force
& la prudence des homme&r
DU GOUVERNEMENT. 41^
Comme Tame de riiommeétoic , félon eux ^ la fourcc/de tou-
tes les avions vitales de Thomme , ils donnoîcnt une ame au
foleil , pour être la fource de fes qualités & de fcs mouvemens ;
& fur ce principe, lésâmes répandues par-tout, caufant dans
tous les corps les avions qui paroiffent naturelles à ces corps , il
n'en falloir pasdavantage pour expliquer , fuivant ce fyflême ji
toute Técononjîe de la nature , & pour fuppléer la Toute-Puif-
fance & la Providence infinies qu'ils n'admettoient en aucun ef-
prit y non pas même en celui du Qel.
A la vérité , comme il femble que l'homme ufant des chofes
naturelles pour fa nourriture ou pour fa commodité , a quelque
pouvoir fur ces chofes , l'ancienne opinion des Chinois , don-
nant un femblable pouvoir à toutes les âmes ,fuppofoit que celle
<lu Ciel pouvoît agir fur la nature avec, une prudence & une
force incomparablement plus grandes que la prudence & la force
humaines ; mais en même-tems , elle reconnoiflbît dans l'ame de
chaque chqfe, une forcé intérieure indépendante par fa nature ^
du pouvoir du Ciel , & qui agiffoit quelquefois contre fes def-
feins. Le Ciel gouvernoit la nature comme un Roi Puiflant ; les
autres âmes lui devpierjt obéiffance^ il les y forçolt prefque tou-
jours ; mais il y en avoir qui fe difpenfoient quelquefois de lui
obéir.
La Puiffance & la Providence divines étant aînfî diftribuées
comme par morceaux à une multitude infinie d'ames y les an*
eiens Chinois fe trouvèrent obligés d'adreffer à cette infinité
d'ames ou d'efprits y les vœux & le culte qu'ils ne dévoient ren-
dre qu'à unfeuU
Ils firent de la Nature une Monarchie învlfîb4e , dont ils for*
merent l'idée fur la leur , & dont ils croyoîent que les membres
InvifibW s avoient une continuelle correfpondance avec les.
420 SCIENCE
membres de la Monarchie Chinoife, qu*ils croyoîent occuper à
peu près toute la terre^ Us donnèrent à Tefprit du Ciel fix prin-
cipaux Minières , comme le Roi de la Chine en a fix , qui font
les Préfidens des fix premiers Tribunaux où eux feulement ont
voix déliberative. Ils croyoient que TEmpereur du Ciel ( car ils
donnoient ce titre à Tefprit célefte ) ne fe mêloit que de la per-
fonne & des mœurs de TEmpereur de la Chine » que tous les
hommes dévoient honorer ce fuprême efprit , mais qu'il n'y avoit
que TEmpereur de la Chine qui fût digne de lui of&ir des làcri-
fices y 8c ils n'avoient pour ces facrifices aucun autre Prêtre. Les
Miniflres de la Chine ofTroient des facrifices aux Miniflres du
Ciel , & chaque Officier Chinois honoroit ainfi un Officier pa-
reil à lui auprès du Ciel. Le peuple facrifioit à la foule des^fprits
répandus par-tout , & chacun étoit Prêtre en cette forte de culte,
fans qu'il y eû& aucun Ordre ou Corp$ Religieux pour le fervice
des Tçmples & pour les facrifices.
^ Que n les anciens Chinois avoient^ pour ainfi dire 9 mis en
pièces h Providence & la Toute-PuilTance de Dieu , ils n'a*
voient pas mo'ns divifé fa Juftice. Ils affuroient que les efprits ^
comme des Magiflrats cachés j étoient principalement occupés
i punir les fautes cachées des hommes ; que l'efprit du Ciel pi)«
niffoit les fautes du Roi ; les efprits Miniflres du Ciel , les fautes
des Miniflres du Roii & ainfi des autres efprits , à l'égard des
autres hommes.
Sur ce fondement ils difoient à leur Empereur , qu'encore
qu'il fut le fils adpptif du Ciel , le Ciel néanmoins ne fe laiffejroii
conduire à fon égard par aucune forte d'afFedipn , mais feule-
metit jparla confidération du bien ou du coal qu'il feroit dans le
Gouvernement de foh Royaume. Ils appelaient l'Empire Chi*
nois le Commandement célefle ^ parce que f difoiem-ils ^. un Roi
DU GOUVERNEMENT. 421
de la Chine devoir gouverner fon Etat comme le Ciel gouver-
noit la nature , & que c ëcoic au Ciel qu il devoir demander la
fcience de gouverner. Ils reconnoiffoient que non-feulement
l'art de régner étoit un présent du Ciel ; mais que la Royauté
même étoic donnée par le Ciel,& qu'elle étoit un préfent diffi-
cile àconferver, parce qu ils fuppofoient que les Rois nefe pou-
voient maintenir fur le trône fans la faveur du Ciel, ni plaire au
Ciel que par la vertu.
Ils portoîent cette doûrine fi loin, qu'ils prétendoient que
la feule vertu des Rois pouvoir rendre tous leurs Sujets ver-
tueux y 8c que les Rois étoient les premiers refponlables envers
le Ciel des mauvaifes mœurs de leur Peuple. La vertu des Rois ^
c'efl-à-dire , Vart de régner félon les Loix de la Chine , étoit 9
à leur avis , un don du Ciel qu'ils appelloient raifon célefie y ou
raifon donnée par le Ciel & pareille à celle du Ciel : la vertu des
Sujets y c'eft-à-dire , félon eux , les égards des Citoyens , tant
des uns envers les autres , que de tous envers leur Prince , félon
les Loix de la Chine , étoit Touvrage des bons Rois. C'eft peu ^
difoient-ils , de punir les crimes > il faut qu'un Roi les empêche
par fa vertu.
Ils louent un de leurs Rois d*avoîr régné vingt-deux ans fans
que le Peuple s'en apperçût , c'eft-à-dire fans qu'il fentît non
plus le poids de l'autorité Royale , que la force qui meut la na-
ture & qu'ils attribuent au Ciel. Ils difent donc que , pendant
ces vingt-deux ans , il n'y eut pas un feul Procès dans toute la
Chine , ni une feule exécution de Juflice : merveille qu'ils ap-
pellent gouverner imperceptiblement comme le Ciel , ce qui feul
peut faire douter de la fidélité de leur Hiftoîrc. Un autre de
leurs Rois rencontrant y difent-ils , un malheureux que l'on
menoit au fupplice , s'en prenoit à foi-même de ce que ^ fous
422 SCIENCE
fon régne ^ il fe commettoit des crimes dignes de mort. Un troî-
fieme voyant la Chine affligée d*une ftérilité de fept ans , fe
condamna , s^l en faut croire leur Hiftoire , à porter les crimes
de fon Peuple ^ comme s*en eftimant feul coupable , & voulut
fe dévouer à la mort & fe facrifier lui-même à Tefprit du Ciel
vengeur des crimes des Rois. Mais leur Hiftoire ajoute que le
Ciel j content de la piété de ce Roi , l'exempta de ce facrifice ,
& rendit la fertilité aux terres par une pluye fubite & abondante»
Comme le Ciel donc ne fait juftice que du Roi & quil ne s^en
prend qu au Roi de ce qu'il voit de puniffable dans le Peuple ,
les Miniftres du Ciel font juftice des fautes fecretes que font les
Miniftres du Roi & tous les Officiers qui dépendent d'eux ; &
de la même manière ^ les autres efprics veillent fur les aélions
. des hommes qui ont dans le Royaume de la Chine un rang pa-
reil à celui que ces efprits occupent dans la Monarchie invifible
de la nature ^ dontTefprit du Ciel eft le Roi.
Outre cela , Thorreur naturelle que la plupart des hommes
ont des morts qu'ils ont fort connus vivans , & Topinion que
plufieurs ont de les avoir vus s'apparoître à eux , foît par un
effet de cet horreur naturelle qui les leur repréfente , foit par des
fonges fi vifs qu'ils reffemblent à la vérité , portèrent les anciens
Chinois à croire que les âmes de leurs ancêtres qu'ils eftimoient
être d'une matière fort fubtile , fe plaifoient à demeurer auprès
de leur poftérité , & qu'elles pouvoient encore après leur mort ^
châtier les fautes de leurs enfans. Le Peuple Chinois eft encore
aujourd'hui dans cette même penfée , des peines & des récom-
penfes temporelles qui viennent de l'ame , du Ciel éc de toutes
les autres âmes , quoique d'ailleurs , pour la plus grande par-
tie , ils ayent embraflë l'opinion de la Metempficofe incon;}ue À
leurs ancêtrest
DU GOUVERNEMENT. 42 j
Maïs peu à peu les Gens de Lettres étant devenus tout à fait
impies , & n'ayant pourtant rien changé au langage de leurs
prédecefleurs ^ ont fait de Tame du Ciel & de toutes les autres
âmes je ne fçais quelles fubflances aériennes & dépourvues d'in-
telligence ; & pour tout juge de nos œuvres, ils ont établi une
^talité aveugle qui fait , à leur avis , ce que pourroit faire une
Juflice toute puifTante & éclairée.
Les Chinois font donc idolâtres. Fo & d'autres Idoles font
révérées dans l'Empire. Les Tartares qui ont conquis la Chine ,
peuvent auffi paffer pour Gentils , quoiqu'ils n'ayent ni Tem-
ples^ni Idoles. Ils rendent à leurs ancêtres un culte fuperftitieux.
De ces conquérans de la Chine , quelques-uns adorent les Idoles
du pays , les autres demeurent attachés à leur ancienne Reli-
gion , qu'ils regardent comme le fondement de leur Empire 8c
la fource de leurs profpérités.
Les Miffionnaires Européansqui avoîent pénétré à la Chine ^
à la faveur des Mathématiques , avoient converti beaucoup de
Chinois à la Religion Qiretienne. Les Miflionnaires & les
nouveaux Chrétiens effuyerent en divers tems des perfécu-
tions ( ^ ) ; mais ils étoient parvenus à obtenir ( 6) de Cang^hi
un Edit qui permettoit à fes Sujets d'embraifer le Chriftianifme
dont il s'étoit déclaré le Proteâeur. L'Eglife de la Chine comp-
toir déjà plus de trois cens mille Chrétiens , lorfque la méfîntel-
ligehce fe mit parmi les Ouvriers qui travailloient à la vigne du
Seigneur. Yong-Tehing , fils & fucceffeur immédiat de Cang-hi ^
dont le Prince qui régne aujourd'hui à la Chine efl: le fécond
fucceffeur, détruifît ( c ) les Temples qu'on avoit élevés au vrai
Dieu , & profcrivit la Religion Chrétienne de fes Etats» Le»
<tf) En i664,& x665«
(^5 En 1601.
le) En 168
X.
424 SCIENCE
Miflionnaîres ne font plus tolérés qu'à Peking &k Canton , &
tous les Chrétiens de la Chine ont effuyé en dernier lieu ( a )
une des plus rudes perfécutions qui aie encore été exercée dans
cet Empire*
' Il refte à parler de Confucîus , ce Philofophe dont nos Mif-
S^^t^'l fionnaires nous ont donné une fi grande idée , & dont les ou-
chmc.&famo. ^^^^^^ ç^^^ ^^ poffeffion de la vénération des Chinois.
Confucius naquit 551 ans avant J. C. Sa mémoire n'efl: pas
dans une moindre vénération au Japon qu'à la Chine. Il n'y a
pas long-tems que le Cubo Sama du Japon lui fit bâtir deux
Temples à Jedo , & lorfqu il les vifita pour la première fois , il
fit à ceux qui Taccompagnoient un très*beau difcours y fur le
mérite de ce père de la Philofophic Chinoife & Japonoife , Se
fur les excellentes maximes de Gouvernement dont on prétend
que fes Ouvrages font remplis.
La famille de Confucius palfe aujourd'hui pour la plus noble
de la Chine ^ & Ton peut la regarder comme. la plus noble de
toutes les familles particulières du monde, fi Ton admet fon
ancienneté. Il n'y a proprement dans cet Empire que la nohkffè
de cette famille qui foit héréditaire y qui fe foit maintenue en
ligne direde depuis plus de deux mille ans ^ 8c qui fubfiile au-
jourd*huien la perfonne de Punde fes defcendans ^ qu'on ap«
pelle le neveu du grand homme ou du fage. C'efi ainfi que les
Chinois nomment par excellence le Reftaurateur de leur Thilc^
fophie morale ; & c'eft en confidération de cette origine , que
tous les Empereurs ont conftamment honoré un des defccndans
du Philofophe ^ de la dignité de Cong qui répond à celle de
nos anciens Ducs ou Comtes. Celui qui en eft revêtu aujour-
d'hui 9 jouit des honneurs attachés à ce rang ^ enmarchant dans
(tf) Au mois de Septembre 1748.
les
DU GOUVERNEMENT. 42c
les rues de Peking , lorfqu'il s'y rend de Kio-feou^ Ville de la
Province de Chantong 8c lieu de la naiflancede Confucius. Un
Lettré de cette famille eft toujours Gouverneur de cette même
Ville de Kio-feou.
Dans chaque Ville ^ on a élevé un Palais qui fert aux affem-
blées des i'çavans. Les Lettrés lui ont donné divers noms , Salle
Royale , Salle de fageffe ou de perfe6Hon y le grand Collège , le
Collège de i Empire. On y voit diverfes petites planches dorées
€c vernies j fufpendues à la muraille , ou Ton écrit les noms de
ceux qui fe font diftingués dans les fciences. Confucius y tient
le premier rang y 8c tous les Lettrés font obligés d'honorer ce
Prince des Philofophes Chinois. On fait en ce pays-là plus de
cérémonies pour créer un Bachelier , qu'on n'en fait en Suéde
& en Pologne pour élire un Roi*
Les Ouvrages de Confucius furent imprimés en France fur
la fin du dernier fiécle ( û )• Confucius ne les a pas faits lui-
même ^ on les doit à un de fes difciples qui a eu foin de recueillir
6c de faire paffer à la poflérité fes Difcours & fes Sentences y en
quoi il a eu le même fort que Socrate , dont les di£cours furent
recueillis par Platon & par Xenophon. Voici quelques mor-
ceaux de la morale de Confucius.
Les défauts du père y la dignité du rang du fils , rien ne doit
altérer le refped du fils pour fon père. Qu'un père accufe fon
fils de quelque faute devant le Mandarin, il n-abefoin d'aucune
preuve. Si celui qui le connoît parfaitement & qui Paime avec
tendrefle , ne Lûife pas de le condamner , comment pouvons-
nous le difculper & Pabfoudre, difent les Chinois ? Le fils doit
être ( c'eft Confucius qui parle ) dans une perpétuelle appréhen-i
(a) A Paris en 1687 en un feul volume in-foL oui a pour tître : Confucius , Sina^
rum Philo fôphus^ fivefiieniia Situnfis Latine txpojka ^ éc.
Tome I. H h h
426 s C I E N C E
fion de faire quelque chofe qui déplaifeà fon père. Un MagiT-
trat ne doit jamais fe relâcher dece jufte devoir , fon exemple
doit inftruire le Peuple. L*Einpereur lai-même doit avoicpour
fes parens toutes fortes d'égards , c'eft un moyen infaillible pour
lui concilier le refpeâ dès Peuples ; ils lui obéiront comme à leur
père commun j on verra.par tout régner la paix ; TEmpereur &
£es Sujets» ne feront plus quune même famille y & TEmpire
qu'une feule maifon y où. les Sujets obéiront à leur Empereur
comme à leur pere> & où l'Empereur aimera fes Sujets comme
les enfans. Cette fage inilruâioneft fortifiée dansConfucius^par
un exemple qui donne une grande idée de Tamour que les en«
fans doivent à leurs pères. Un Magiflrat, diD-on dans cet Ou^
wage i mérita là' mort pour avoir prévariqué dans fa charge*
Son fils qui n'a voit pas quinze ans ^ alla fe jetteraux pieds de
l'Empereur ^.& lui offrit fa vie pour confervcr celle de fon père*
L'Empereur,, touché de cette marque de tendreffe, donna au
fils la gracedu peré , & voulut récompenfer lavertu de ce gé-
néreux enfant , en lui accordant des àiflinûions ; mais il refufa
des marques d'honneur, qui auroient perpétué le. fouvenir de la
faute de fon père..
Les idées de Confucius fur la raifon ne font pas moins faines;
Ccft d'elle que nous devons prendre des règles'' de vertu. Elle
ofl de l'elTence de l'homme ,, & n'en peut être féparée- Elle eft
le principe de cette attention continuelle que le fage a fur lui-
même y de. cet. examen fcrupuleux avec lequel il confidere les
moindres^ mouvemens qui s'élèvent dans fon cœur , de cette
drconfpeâion 8c de cette refervequ'il obferve , même dans les»
chofes qui ne font ni. vûes^ ni fçues de perfonne y & de l'unifor-
mité qui doit toujours régner entre fes paroles & fes aûions. Le*
%e efl 4 lui-même un Çenfeur rigide >,il nefait rien fans coût
D U G O U V E R N E M E N T. 427
fulter fa vertu ^ il fc cite au tribunal de fa confcience , il eft fon
témoin , fon accufateur & fon Juge^ il veut bien qu'on fçache
tout ce qu'il fait.
Telles écoient les maximes de ce Phîiofophe for la recherche
de la vérité. Celui qui veut travailler à devenir fage , doit avant
tout fe défaire de fes préjugés ^ enfui te méditer , raifonner , tâ-
cher de fe former , de toutes chofes , des idées claires & diftinc-
tes ^ pefer tout , examiner tout. Ceft s'être iemployé utile-
ment que de s'être appliqué à connoître la vérité. Il doit fe dé-
fier des difcours trop rechercfhés , fe fixer , foit par des réfle-
xions, foit par des expériences, & agir conflamment ^ lorit-
qu'il a reconnu ce qu'il doit faire*
Confucius étoit trop vertueux pour ne pas bien peindre la
vertu. Lecaradcre de la véritable vertu, dit^il, eft fimple;&
fi les exemples n'^n font pas communs , c'eft xjue les fages dit
fiécle s'imaginent qu'elle eft au-deffous de leurs^rands deffeins
& 4le leurs projets ambitieux. Plu (leurs fe laiifent entraîner à
l'exemple de ces prétendus fages ; d'autres ne connoiffent pas ce
que c^eft que vertu ; quelques-uns affedent des vertus extraor-
dinaires. Us veulent qu'il y ait du merveilleux dans leurs aâions;
afin que la poftérité les loue. Ce n'eft que par vanité & par
amour propre qu'ils font le bien ; mais la vertu veutitre pratî-»
quée pour l'amour d'elle-même , elle eft ennemie de la feinte ,
de l'impofture , de l'oftentation , elle fe renferme dans le cœur
de ceux qui la pofledent , elle eft pleine d'attraits pour eux. Le
caraâere de la vertu fait connoître celui du fage. Il ne fe donne
point en fpeâacle ; mais comme la terre ^ ilfaitronnoître fa
vertu par fes effets. Ses allions font fimples , fans bruit , ians
éclat. Il agit fur les efprits par une douce violence ^ fes mouve-
jxitns font aufli uniformes & aufti tranquilles que ceux des aftres«
»hhij
4^8 SCIENCE
Il paroîc ne rien faire , mais réellement il fait beaucoup. Il td
aûif , dans fon inaâion même. Il ne fe détermine pas légère*
ment à parler , 8c encore moins à décider. Il eflfî occupé de fà
vprtu y que lors même qu*il efl dans famaifon ^ il ne recherche
ni fes commodités ^ ni fes plaifirs. Il eft celui à qui il fe fie le
moins & à qui il plaît le moins. Il fe conduit félon fon état pré-
fent i & ne fouhaitèrien au-delà. Riche fans luxe & pauvre fans
baffeffe ^ il jouit des honneurs & des dignités fans orgueil. Il eft
humble & refpeûuéux > fans être lâche ni flatteur. Il ne craint
rien > parce que rien n'efl capable de lui nuire. Il ne s'af&ige
point y parce que la triflefTe efl inutile y 6c que ce qui efl une fois
arrivé ne peut point n'être pas arrivé.
Ce Philofophe dit que le fage n'ambitionne pas les dignités ;
mais qu'il tâche de s'en rendre digne ; qu'il efl des gens qui affec-
tent d'être les maîtres par tout , & qui toujours remplis d'eux-
mêmes y font , à chaque infiant , le récit de leurs aâions ; que le
fage au contraire ne parle de lui qu'avec modeflie y 6c que le fi*,
lence efl fa vertu.
Il ajoute fur la connoiffance du cœur humain : « Le cœur de
w l'homme efl ce que le fage doit s'appliquer le plus à connoître y
» & c'efl par l'expérience que s'acquiert cette connoiffance. Je
M m'imaginois ( c'efl toujours Confucius qui parle ) lorfque j'é-
M tois jeune , que tous les hommes étoient fmceres ; qu'ilsmet-
» toient en pratique ce qu'ils difoient ; en un mot y que leur
w bouche étoit l'interprète de leur cœur. Aujourd'hui y j'écoute
» les hommes ; mais j'examine avec foin leurs avions , & ce
M n'efl que par leurs aûions que je juge de la vérité de leurs pà-
M rôles. »
Selon Confucius , la vertu efllabafe des Empires & la fource
d'où découle tout ce qui peut les rendre floriffans. Il rapporte la
D U G O U V E R N E M E N T. 419
belle réponfe d'un Amb^iTadeur du Royaume de Cû à quiî Ton
avoit demandé fi ^ dans les Etats de fon Maître y il y avoit de
grandes richefles & beaucoup de pierres précieufes. Il n'y arien ^
dit ce Miniftre y qu on eflime précieux dans le Royaume de Cû ^
que la vertu.
Ce fage Chinois s'étend beaucoup fur les obligations des Sou«
verains* Un Roi doit agir avec circonfpedîon , il doit avoir de
la bonté pour fon Peuple ^ aimer fes Sujets comme fes enfans 9
& faire refTentir les effets de fon^ amour au moindre comme au
plus grand. Par cette conduite ^ il remplira fon Peuple d'amour
& de vénération pour lui. Que fi au contraire ^ il abandonne la
vertu pour fe plonger dans le vice , il s'attirera Taverfion de
fes Peuples, ce Ah ( s'écrie ce Légiflateur ) que les Rois ont un
» grand intérêt de pratiquer la vertu 1 ils doivent s'en faire une.
)3 habitude. Leur mouvement détermine celui de leurs Sujets >
» comparable à celui d'un grand tourbillon qui entraîne avec
»> lui tous les globes inférieurs. Leurs défauts font comme les
» éclipfes du foleil ^ ils viennent à la connoiffance de tout le
» monde y & leurs crimes font toujours plus grands que ceux
M des autres hommes. » Cheu , le dernier Empereur de la famille
de Xam y eut une fort mauvaife conduite ; fes défordres étoient
ceux de fon fîécle ; & néanmoins , lorfqu on parle à la Chine
de quelque a£lion lâche ^ criminelle ou infâme y on dit c'ejl le
crime de Xarriy parce que Xam étoit Empereur & méchant, & que
les mauvaifes allions des Princes font contagieufes. Un Roi qui
veut infpirer l'amour de la vertu à fes Sujets , doit la pratiquer ,
& n'élever aux dignités que des gens -véritablement vertueux.
Les grandeurs font des biens que tous les hommes défirent natu-
rellement ; pour les pofféder , chacun tâchera de s'en rendre
digne. L'Etat en retirera encore une autre utilité. Le Peuple fe
430 S C I E N C E
foumec fans peine aux impofîtions ^ k>rfque le Prince sVft fait
une grande réputation de bonne foi ^ fans quoi il croit qu^on
ropprimc. Un Roi qui veut être fervî fidèlement , doit mani-
fefter à fes Sujets par fa conduite y qu'il ne penfe qu'à les ren-
dre heureux. Jamais la crainte toute feule n'a fait de bons' Su-
jets. Il faudroît , s'il étoit poflîble , qu'ils ne s'apperçuffent point
qu ils ont un maître. Le Prince doit principalement travailler à
gagner leur confiance > il doit leur demander quelquefois con-
feil ^ & les accoutumer par-là à lui donner de tems en tems des
avertiffemens avec liberté. Le moyen le plus sûr de s'attirer Ta^
mour des Sujets 9 cfefl de diminuer les impôts & le nombre des
perfonnes qui vivent aux dépens du Public. Le Prince xjui les
furcharge, Ipio d'en devenir plus riche ^ s'appauvrit tous les
jours.
XL. La diftance qui nous fépare des Chinois leur eft favorable ^
uToîrduGoww- ils gagnent à être confidérés de fi loin. L'éloignement des lieux
««• opère la même chofe que Féloignement des tems. Pourquoi
cinq ou fix mille lieues ne produiroient-elles pas fur nous le
même effet qu'y produit une fuite d'Archontes & de Confuls
pendant cinq ou fix fiécles ?
On doit louer dans le Gouvernement de la Chine , l'ordre
qui s*pbferve dans les Tribunaux de Peking & qui donne le"
mouvement aux autres Villes ^ les Loîx des Empereurs qui ex-
hortent les Sujets à cenfurer ce qu'il y a de répréhen/îble dans
la conduite du Souverain , les courageux avis qu'on nous die
que les Cenfeur$ publics donnent ^ la docilité qu'on nous aifure
que les Empereurs ont àfe conformer à ces avis , lorfqu'ils les
croyent utiles au bien public , le modèle du Gouvernement civil
pris dans le Gouvernement paternel ^ le loin que les Loix ont
^e former les mœurs ^ quelques autres Réglemens & quelque^
D U G a U V E R N E M E N T. 431
autres ufages. Mais il y a lieu de croire que les portraits des
Miflionnaires font flattés ; & combien n'y a-t-il pas plus à ré-
prendre qu*à louer dans ce Gouvernement ! Que n'y ^-t-il pas à
rabattre des éloges qu'on en fait l
Le pouvoir paternel efl fans bornes à la Chine j & les pères
y expofent ou même y tuent leurs enfans» Les Chinois font , à
cet égard , tombés dans l'erreur où tomba Rome naiiTante. Les
Romains ^ à mefure que leurs moeurs s'adoucirent y cefferent de
donner ces exemples de fénocité ^ & les Chinois font encore
dans cet ufage barbare , eux qui ont une averfion invincible pour
la difleâion des cadavres !
L'Auteur de la Defcription de la Chine en parle comme d'un
jpays très-fertile ^ très-abondant ^ &c qui efl habité par un Peu-
ple laborieux y fobre & induflrieux ; & cependant il dit que le
grand nombre d'Habitans y caufe beaucoup de mifere , Se qu'il
y en a de fi pauvres y que ne pouvant fournir à leurs enfans les
alimens néceffaires , ils les expofent dans les rues ou les noyene
dans un bafCn plein d'eau. Cela fuppofe néceffairement que
l'Empire de la Chine efl mal gouverné. Un autre Ecrivain (a )y
pour fauver cette conféquence ^ dit que dans un tems de di«
fette > la Chine ne peut tirer aucun fecours de fes voifins ^ 8c
raconte au long les voies que le Prince prend pour foulager fe^
Peuples > &.comment fesordres demeurent fans exécution. Mais
quelle différence y ayt-il entre ne pardonner de bons ordres^ ou;
ne les pas faire exécuter ? entre ne pas faire de bons Réglemens^
ou les laiffèr enfreindre ? Quand le Peuple efl mal gouverné ,,
c'efl toujours ou par le vice de la forme du Gouvernement, ou;
par la faute de ceux qui gouvernent ;.& dans l'un 8c dans Pau--
{a) Parennin. Voyez ùl Lettre dans le XXlV* Recueil des Lettres édifiantes & cm»*
sieuTes , depuis la pagiç 63 )uiqu*à la pagp 84%
4Î2 SCIENCE
tre cas y Téloge qu^on nous fait des Chinois 8c de leur Gouver«
nement , porte à faux. Si la Chine eft fi peupïée que, coûte fer*
tile qu'elle ed , elle ne puiâfe nourriras habitans , comment ns
s'eft-îl pas trouvé , dans toute Té tendue de cet ancien & vafte
Empire, unfeul génie afièz profond pour imaginer la reflburce
des Colonies ? La Chine trop peuplée , auroit trouvé dans fon
voifinage , des Ifles où les Européens qui en font éloignés de
cinq ou fix mille lieues , ont fait de grands établifTemens. La
Nation Chinoife fait un étrange cf)ntrafte avec la HoJIandoife
qui , dans un petit coin de terre ingrat , eft dans l'abondance
de toutes chofes , & augmente fans cefTe le nombre de fes Ha-
bitans.
La polygamie eft permife aux hommes à la Chine , quoiqu'il
y naiffe toutes les années à peu près autant de filles que de gar-
çons , moyennant quoi il refte bien des hommes fans femmes*
Comment accorder ce célibat involontaire avec le tempéram-
ment des Chinois qui , félon les Miifionnaires , tf eft pas fort
porté à la continence ! Cette objeâion faite par un Académi-
ei,en de Paris à un Miffionnaire , Se par le Miffionnaire à queU
ques Chinois , qu'ont-ils répondu ? Qu'il y avoit parmi eux
quantité d'Eunuques & de pauvres qui renonçoient au mariage,
faute d'avoir les moyens d^entretenir une femme ( a ). Eft-ce
avoir réfuté l'objeftion ? N'eft-ce pas plutôt nous avoir fourni
la preuve de la multitude des débuts du .Gouvernement que
nous examinons ?
Nos Mifiionnaires Mathématiciens ont trouvé les Chinois
bien inférieurs aux Européens dans les Sciencesqui ont toujours
été à h Chine un objet d'application „la Géométrie & l'Aftro-
npmie. Les Chinois , dans le commencement du fiécle pafle , ne
{a) Parcnnin , depuis la page 9 jufqu*à la page 13 du XXVI* Recueil.
fçavoîent
D U G O U V E R N E M E N T. 433
fçavoicnt pas même les éicmens de la Géographie 8c de la Cof-
mographie, prefque infcparables de rAftronomie. Ils ont de la
poudre à canon depuis un tems immémorial , & ils n'ont pas fçu
imaginer le canon. Ils ont Part de TEftampe , fans avoir celui
de rimprimerie qui Ta fuivien Europe de fi près. On dit ^u^iis
ne peuvent avoir Tart de llmprimerie , à caufe de la multitude
de leurs caraûeres ; mais par-là , on fait remarquer Fimperfee-
tîcn de leur langue ou de leur méthode*
Les Chinois font gens fuperficiels > indolens , ennemis de
toute application (a) , & ils appellent Barbares tous les hommes
qui ne font pas Chinois.
Ils n'ont point de marine , & n'auroîent aucun commerce avec
l'Etranger , fi les Européens ne trouvoient quelque avantage
à négocier avec eux, Très-ignorans dans le commerce, ils y font
infidèles par principe. Comment la police fe feroit-elle perfe-^
âionnée chez les Chinois , qui fe vantent de voir avec deux
yeux , pendant que les autres peuples de la terre ne voyent
qu^avec un ! Chez une Nation qui a une fi haute eftime de fes
ufages , qu'elle fait gloire d'ignorer & de méprifer ceux des au*
très Nations !
L'ufage d'envoyer des pauvres en garnifon chez les redeva-
bles lents à payer , répond à nos exécutions militaires. Quelle
ûianiere de lever les dehiers publics 1
Les Chinois n'ont* pas aflez compris que , pour s'aflurer la
paix , il faut toujours être en état de faire la guerre.j.& que les
Trônes n'ont pas moins befoin d'être foutenus par la valeur
que par la fagefle. Leurs troupes ne vallent rien. Si leur Em-
pire a peu à craindre du dedans , que ne doit-il pas appréhender
{a) Ce font les propres termes de la Lettre de Parennin , rapportée dans le Xjpv?
Recueil,
Tome /t li*
4Î4 SCIENCE
du dehors 9 quelque foin que la nature St Tinduflrie humaine
aient pris de fortifier la Chine contre les invafions étrangères!
Au commencement du dixième fiécle , les Tartares qui étoienc
au Nord de la Chine y en conquirent les Provinces Septentrion
nalos 9 & y fondèrent une Monarchie qui dura environ 300 ans^
6c qui força même l'Empereur de la Chine à fe rendre fon tri-
butaire. Dans le treizième iiécle ^ toute la Chine devint la con-
quête du fameux Gingiskam , ou de fon petit-fils» Ce joug ètianr
ger fut fecoué au bout d'environ cent ans y foit que les mceurs^
Chinoifes euflent amolli le courage des conquérans^ foit que le
Gouvernement eût été afFoibli par la négligence des derniers
Empereurs Tartares ; mais il n'y a guère plus d'un fiécle qu'un
petit Roi Tartare a encore fubjugué la Chine (a). Combien le
Japon, qui a beaucoup moins d'étendue que la Chine ^ luia-t«il
donné d'allarmes ! La paix dont les Chinois jouiffentn'eft donc
point le fruit de leur Politique , c'eft l'effet de leur fituation 8c
de celle des peuples voiiîns. Ce vafte Empire ^ je l'ai déjà ob-
fervé j n'a pour voifins que des peuples peu nombreux , à demi
barbares , 8c incapables de rien entreprendre de grand.
Les Chinois ont pour les cadavres un refpeû religieux q\û
ne leur permet pas d'en faire Touverture. Par- là , font per-
dus tous les fruits précieux que Ton peut tirer de i'Anatomie^
qui fait connoître les parties du corps humain» Cette fcience a
toujours été ignorée des Chinois jufqu'à ces derniers tems ,
qu'ils en opt oui parler aux Européens ; mais quelque utile que
foit aux vivans la difFedion des mons ^ elle n'a jamais pu être
du goût des Chinois ^ & ils fe révoltent à la feule propofition de
faire l'ouverture d'un cadavre humain.
Les Médecins de ce pays-là font infiniment plus charlatans
DU G O U V E R NE M E N T. 435
<jue par-tout ailleurs. On ne peut lire ce qu'on nous dît de {9,
Doûrine Chînoife fur le poulx y fans être indigné de la fourbe-
rie des Médecins Chinois, & touché de la fimplieité des peu-
ples^ Ceft des Médecins de la Chine que Ton peut donner vé-
ritablement la définition que le Comique François a donné des
nôtres : Une forte d'hommes payés pour conter des fariboles auprès
d'un malade , jufqu'à ce que la nature Vait guéri , ou quefes rei
medes Valent tué (a).
Uefprit de minucie paroît être le partage de la Nation Chî-»
noife. Tout eft réglé à la Chine jufqu'aux devoirs les pluscom-^;
muns de la fociété ^ 8c tout eft réglé dans un fi grand détail ^ 8c
fournis à des cérémonies fi frivoles & fi gênantes , qu'on y perd
la plus grande partie d'un tems précieux ; c'eft peu d'attacher
le refpeâ dû au Souverain à des poftures & à des profterne-»
mens tout à fait incommodes. Les principaux Magiftrats ont des
fuppôts qui les précédent dans leur marche, & qui châtîroient
à coup de bâton ceux qui ne donneroient pas les marques de
vénération qu'on en exige. Le cérémonial inventé pour honorer
les morts y & pour inculquer aux enfans un refpeâ religieux
po«r leurs pârens , eft porté à un excès intolérable. Un deuil
de trois ans , accompagné d'un extrême auftérité & féparé de
toute fonâion publique > que les Loix Chinoifes ordonnent aux
enfans , à la mort de leur père 8c de leur mère , 8c dont elles ne
difpenfent pas même les Rois, eft un ufage bien peu fenfé &
bien nuifible à l'Etat. Qui le pourroit croire ! Un Officier ne
peut exercer aucune charge publique; un Miniftre eft obligé
d'abandonner le Gouvernement ; un Mandarin , le foin de fa
Province ; un Roi , celui de tout l'Etat , pendant les trois ans du
deuil qu'il doit porter de la mort de fon père. « Les Chinoia
(a) Molière,
Ulj
43^ S C I E N CE
» ( nous dit THiftorien (a) ) confervenc prccieufement le fbu-
» venir de la piété de f^en Kong Roi de Cm. Ce Prince avok
» été chaffé des Etats de fon pcre Hieu Cong , par les adreffe^
>3 & les violences de Liki fa marâtre ; il voyageoit en divers
» pays pour di(fiper fon chagrin^ & pour éviier les pièges que
» cette femme ambitieufe ne ceffoit de lui tendre , lorfqu il fut
M averti de la mort de fon père ^ & appelle par Mokong , qui
a> lui offroit des foldats , des armes , & de largent , pour fc
a> mettre en pofleffion de fes Etats. Sa rcponfe fut qu étant un
>> homme mort depuis fa retraite y il n'ellimoit rien plus que la
» vertu & la piété envers fes parens , que c'ctoit-là fon tréfor ,
>3 & qu'il aimoit mieux perdre fon Royaume , dont il étoit déjà
» dépouillé , que de manquer aux derniers devoirs de piété y
» qui ne lui permettoient pas de prendre les armes en un tems
>3 deftiné à la douleur & aux honneurs funèbres qu'il devoir à
» la mort de fon père >». C'eft fans doute porter la piété filiale
fort loin ; mais c'ell fe manquer à foi-même y c'efl manquer à
ia famille y c'eft manquer à tout TEtat.
Les Kings font des livres qui renferment THîfïoire du com-
mencement du monde & de ce qui doit fuivre y celle des Chi-
nois & leur morale. C*efl: par Tétude de ces livres myfterieux y
dont perfonne n'a la clef, qu'on s'élève aux dignités de Dodeur
& de Mandarin, auxquelles les jeunes gens parviennent, lorf-
qu'ils ont le degré de capacité néceffaire. L'étude de ces livres
conduit aux honneurs & aux richeffes , les Chinois les regar-
dent comme les feuls utiles au Gouvernement , & c'eft l'idée
qu'en a auffi l'Auteur de la Defcription de la Chine ; mais ce ne
font en effet , outre ce qui s'y trouve de myfterieux , que des li-
vres d'Hiftoire & de Morale qui exhortent à la paix, à la jullir
• WDuhaldc.
DU GOUVERNEMENT. 437^
ce , à réquité , à fe bien conduire , & à bien gouverner les au-
tres, ils ne contiennent pas une feule règle de Gouvernement*
La morale du Prince cft la même que celle des Mandarins 6c
des autres Sujets , & il n'y a rien en tout cela que de fort trivial.
Quelle Nation n'a pas un Légiflateur Religieux ou Philofo-
phe d'une morale aufli faine que celle de Confucius 1 Quelle Na-
tion fe conduit en conféquence de cette morale ! La morale efl-
elle d'ailleurs la feule vertu néceflaire à un Souverain ?
Les fciences & les arts fe font perfeftionncs , l'efprit de juf-
teffe & de critique a fait des progrès , le tems amené d'ailleurs
des changemens néceffaires y & l'intérêt des peuples demande
que les Loix foient changées quand elles font nuifibles à ce mê-
me peuple pour lequel elles ont été faites. Il faut qu'on fublli-
tue à d'anciennes coutumes abufives des ufages plus raifonna-
bles ; mais les Chinois ne changent jamais rien aux leurs , tou-
jours mêmes Loix , toujours mêmes mœurs. Ils ont cru pour-
voir à la durée de leurs Loix ^ par la crainte des morts qu'ils
fuppofent devoir s'irriter en l'autre vie , des fautes que leurs pa-
ïens vivans commettent en celle-ci ^ & principalement du grand
manque de refpeû queceferoit aux Chinois envers leurs ancê-
tres , de changer les Loix qu'ils leur ont laiffées. « Si la Chine
» ( dit un homme bien inftruit ) avoit dans fon voifinage un
» peuple indépendant de l'Empire , où il y eût des Sçavans qui
» fuffent en état de relever les erreurs aftronomîques , peut-être
» quilsfortiroient de leur aflbupiffement , & que les Empereurs
»* feroient plus attentifs à avancer le progrès de cette fcience.
» Encore ne fçais-jc ( ajoute l'Auteur ) fi Pon ne prendroit pas
» plutôt le parti d'aller fubjuguer ce Royaume, pour lui impo-
>3 fer fîlence & le forcer à recevoir humblement le Calendrier
V Chinois» Ce ne feroit pas la première fois qu'on auroit vu
4î8 SCIE NC E
9 les Chinois faire la guerre pour un Almanach (a) «• Cet at-^
tachemenc aux anciennes Coutumes efl la fource d*une infinité
d'erreurs pernîcieufes , auffi anciennes à la Chine que le Gou->
vernement même.
La Nation Chinoife eft Philofophe ^ mais fuperftitieufe; grave
& fimple dans fa morale y mais obfcure & guindée dans fa Md«
taphyfique ; féconde en bonnes Lioix^ dirigées vers le bien de
TEtat , mais qui demeurent fans exécution ; modérée fur le Trî-.
bunal , mais cruelle 8c fourbe dans les procédés particuliers ;
ingenieufe dans le détail & Texaélitude de la Police y mais ufu^
riere 8c trompeufe dans le commerce 8c dans les affaires. Elle
eft enfin remplie de contradi£Uons entre les mœurs publiques
8c les mœurs particulières > qui forment le génie de la Nation,
& qui par conféquent prévalent toujours fur les mœurs publia
ques.
Le Commandant d'une Efcadre Angloifequi vient de faire le
tour du monde y homme de tête 8c de main , porte y de la Chine ,
en divers endroits de la relation de fon voyage^des Jugemens que
je tranfcrirai ici y parce qu'ils achèveront de nous faire connortre
ce Gouvernement célèbre. « Les Mandarins fe fervent de l'auto^,
i> rite que leur donnent les Loix, non pour empêcher le crime ,
u mais pour s'enrichir des dépouilles de ceux qui le commet-*^
*> tent Les peines capitales font rares à la Chine ^ la pol-
m tronerie naturelle à la Nation , 8c fon attachement à l'intérêt
» y réduifent prefque toutes les punitions à des amandes y &
m c'eft fur cet ufàge que font fondés les revenus les plus clairs
•> des perfonnes qui compofent les Tribunaux. Auffi y rien n'eft*
1^ il plus ordinaire j dans ce pays-là ^ que des prohibitions de
{a) Parennin dans une Lenre du XXl« RecueÛdes Lettres édifiantes & curieufi»^
Voyez auffi la Lettre du même Parennin dans le XXIV; RecueiL
DU GOUVERNEMENT. 43^
• toute efpecci mais fur tout dans les cas où la vue d'un grand
• profit peut tenter les particuliers d'enfreindre les Ordonnan-
» ces Le grand nombre de belles manufaâures établies à
• la Chine y & que les -Nations les plus éloignées recherchent
• avec tant d'empreffemcnt , prouve fuififamment que les Chî-
>3 nois font induflrieux ; cependant cette adreffe dans les arts
• méchaniques , qui paroît être leur. talent favori, n'eft pas
» pouffée au plus haut point , les Japonois les furpaffent de
>• beaucoup dans les arts qu'ils cultivent également les uns &
M les autres ; & en plufîeurs chofes> il ne leur efl pas poflible
» d'égaler la dextérité 8c le génie des Européens. Ils font pro-
» prement d'habiles imitateurs de ce qu'ils voyent , mais d'une
» manière fervile & qui marque médiocrement de génie. C'eft
» ce qui paroît fur-tout dans les ouvrages qui exigent beau^
>3 coup de juflefTe & d'exaâitude , tels que les horloges y les
•> montres , les armes à feu , &c. Ils en copient bien chaque
a pièce à part , 6c fçavent donner au tout affez de reffemblance
m avec l'original , mais ils ne peuvent arriver à cette juftefTe
» dans la fabrique , qui produit l'effet auquel la machine efl de«
a> flinée. Si de leurs manufaâuriers nous paffons à des Artifles
»> d'un ordre plus relevé , tels que les Peintres , Statuaires , &c.
M nous les trouverons encore plus imparfaits. Ils ont des Pein-
» très en grand nombre , & ils en font beaucoup de cas y ce-
i» pendant ils réufliflent rarement dans le deifein 6c dans le co-
» loris pour les figures humaines , & entendent aufll peu l'art
m de former des groupes ; il efl vrai qu'ils réuffiffent mieux à
i> peindre les fleurs 8c les oifeaux , ce qu'ils doivent même plu*
n tôt à la beauté & à l'éclat de leurs couleurs qu'à leur habileté ,
» car on y trouve ordinairement fort peu d'intelligence dans
» la manière de diflribuer les jours 6c les ombres , & encore
440 SCIENCE
>> plus rarement cette grâce & cette facilité qu'on voit dans les
» Ouvrages de nos bons Peintres Européens. Il y a dans toutes
» les produdlions du pinceau des Chinois quelque chofe deroide
» & de mefquin qui déplaît , & tous ces défauts dans leurs arts
» peuvent fort bien être attribués au caraflere particulier de leur
» génie qui manque absolument de feu & d'élévation A
iy l'égard des fciences , même à ne confulter que les Auteurs
j> qui nous ont repréfenté cette Nation dans lé jour le plus fa-
is vorable , il faut convenir que fort obftination & Tabfurdité de
» fes opinions font inconcevables; depuis bien des fiécles, tous
» leurs voifins ont Tufage de l'écriture par lettres , les Chinois
» ont négligé jufqu'à préfent de fe procurer les avantages de
M cette invention divine , & font reftés attachés à la méthode
M grofliere de repréfenter les mots par des carafteres arbitraî-
i> res. Cette méthode rend inceflamment le nombre des cara-
» ûeres trop grand pour quelque mémoire que ce foit ; elle fait
i> de récriture un art qui exige une application infinie, & où un
V homme ne peut jamais être que médiocrement habile. Tout
w ce qui a jamais été ainfi écrit ne peut qu'être enveloppé d'obf-
»> curité & de confufion ; car les liaîfons entre tous ces caraûeres
« & les mots qu'ils repréfentent , ne peuvent être tranfmis par
M les livres , il faut de toute néceflîté qu'ils aient pafTé d'âge eii
•> âge parla voie de la Tradition; & cela feul fuffitpourrépan*
» dre une très-grande incertitude fur des matières compliquées
»3 & fur des fujets d'une grande étendue. Il ne faut pour lé
M fentir , que faire attention aux changemens que fouflfre un fait
t> qui paffe par trois ou quatre bouches. Il s'enfuit de-là, que le
» grand fçavoir & la haute antiquité de la Nation Chinoife ne
» peuvent, à plufieurs égards, qu'être très-problemariques
?> A la vérité , quelques-uns des Miflionnaîres Catholiques Ro-
mains
DU GOUVERNEMENT. 441
•> mains avouent que les Chinois font fore inférieurs aux Euro-
^» péens 9 jen fait de fciences ; mais en même-tems | ils les'don-
» nenr en exemple en juflice & de morale y tant dans la théorie
» que dans la pratique. A les entendre , le vafte Empire de la
» Chine rfeft qu'une famille bien gouvernée , unie par les liens
i> de Tamitié la plus tendre , & où Ton ne difpute jamais que de
H bohté & de prévenance. Ce que j^ai rapporté ci-devant de la
*> conduite des Magiftrats , des Marchands , & du peuple de
i^ Canton , eft plus que fuffifant pour réfuter toutes ces fixions ;
n 6c pour ce qui regarde la morale théorique des Chinois y on
M en peut juger par les échantillons que ces Miflionnaires eux-
M mêmes nous en ont donnés. Il paroît que ces prétendus fages
w nes'amufent qu'à recommander un attachement affez ridicule
» à quelques points de morale peu importans y au lieu d'établir
» des principes qui puiffent fervir à juger des aûions humaines,
» & donner des règles générales de conduite y d'homme à hom*
» me , fondées fur la raifon & fur Téquité. Tout bien confîderé j
M les Chinois font fondés à fe croire fupérieurs à leurs voifîns
o en fait de morale , non fur leur droiture ni fur leur bonté ^
n mais uniquement fur Tégalité affeâée de leur extérieur & fur
M leur attention extrême à réprimer les marques extérieures de
•> paillon & de violence. Mais Thypocrifie & la fraude ne font
^ pas moins nuifibles au genre humain y que Timpétuolîté & la
» violence du caradere. Ces dernières difpofîtions peuvent à la
M vérité être fujettes à beaucoup d'imprudence j mais elles n'ex-
» duent pas la fîncérité y la bonté de cœur y le courage y & bien
» d'autres vertus des plus eftimables. Peut-être qu'à bien exa-
j> miner la chofe y il fe trou veroit que le fens froid & la patience
•• dont les Chinois fe glorifient tant^ & qui les diftingue des au«
» très Nations y font dans le fond la fource de leurs qualités les
TomJ. Kkk
441 SCIENCE
» moins excufables ; car il a fouvent été obfervé par ceux qui
i> ont approfondi le c^Ëur humain , qu'il e(l bien difficile d*af<*
M foiblir dans un homme les paffions les plus vives & les plus
>9 violentes y farïsaUgtnenter en même-ten;is la force de celles qui
n font plus étroitement liées avec Tamour propre. La timidité ^
» ladifllmulation, & la friponnerie des Chinois , viennent peut*
i^ être en grande partie de la gravité affeâée & de Textrêine
» attachement aux bienféances extérieures y qui font des devoirs
» indifpenfables dans leur pays. • • » • Du caraâere de la Nsh
» tion > pafTons à fon Gouvernement y qui n'a pas moins été un
>3 fujet de panégyriques outrés. Je puis renvoyer au récit de ce
» qui eft arrivé à M. Anfon dans ce pays-là> & c'eft réfuter fuf-
» fifàmment les belles chofes qu'on nous a débitées touchant
t> leur économie politique. Nous avons vu que les Magîflrars y
•• font corrompus , le peuple voleur y les Tribunaux dominés
)j par l'intrigue & la vénalité. La conftitution de l'Empire en
» général ne mérite pas plus d'éloges que le refte , puifqu'un
» Gouvernement dont le premier but n'efl: pas d'aflurer la tran*
j» quillité du peuple qui lui eft confié y contre les entreprifes de
M quelque Puiffance Etrangère que ce foit y eft certainement
w très-défedueux. Or cet Empire fi grand y fi riche , fi peuplé,
»9 dont la SagefTe 6c la Politique font relevées jufqu'aux nues ,
n a été conquis , il y a un fiécle y par une poignée de Tartares ;
•» à préfent même , par la poltronerie de fes habîtans , Se par la
» négligence de tout ce qui concerne la guerre , il eft expofé
» non-feulement aux attaques d'un ennemi puiflant y mais mê-
V: me aux infultes d'un forban ou d'un chef de voleurs. J'ai déjà
•» remarqué y à Toccafion des difputes de M . Anfon avec les
» Chinois , que le Centurion feul , qu'il montoit y étoit fupérieur
» à toutes les forces navales de la Chine ( a ) w.
(tf) Voyage d* Anfon écrit en Anglois , & traduit en François en 1745^
DU GOUVERNEMENT. 445
SECTION III.
Gouvernement du Mogol^ principale Monarchie des Indes
Orientales.
BRrama eft unLéffiflateur fi vénérable aux Indiens , qu'ils ^ xir.
• A 111 Brama, U^î-'
lui rendent un culte • en meme-tems qu'ils adorent des !««« des in-
' ^ dicns » partagée
Dieux particuliers , fclon les contrées où ils habitent. Ceft Bra-t ^^IJ^I'^^q^^^
ma qui le premier poliça toutes les Indes (a). ; principale*.
Ce Légiflateur partagea les peuples en quatre Caftes ou Trl^
bus principales.
La première des Brahmanes^ qui feule donne des Prêtres aux
Dieux y des Maîtres aux Ecoles ^ & des Juges à la Nation. Us
font les feuls dépofitaires des fciences dans Tlnde.
La féconde des Rageputes, dont Tunique emploi eft de faire
la guerre ^ de défendre ou de reculer les frontières de TEtat.
La troifiéme des Banianes y deftinés au négoce y à faire tra-
vailler les Ârtifans , & à débiter leurs ouvrages en gros ôc en
détail.
La quatrième des Artifans y dont la Tribu fe fubdivife en
plufîeurs autres y félon les divers métiers.
Une loi générale pour toutes les Caftes ^ c'eft qu'une Tribu ne x i n.
• • 9 11* « t Loi e^nérala
peut jamais s allier avec une autre y qu un homme ne peut exer* pour tomei le^
cer deux profeflions , nipaffer de Tune à l'autre. Un Laboureui^,
un Tifferan y un Orfèvre ne fait jamais apprendre à fon fils un
métier différent du fien^ & ne marie jamais les enfans à des per«
(d) Voyez Lord, Bemier , & lUiftoire générale du Mogol par Catrou ; la Lettre
de Saignes dans le XXIV* Recueil des Lettres édifiantes & curieufes , & celle de
PonsdaasleXXVK
Kkkij
444 SCIENCE
fonnes d*une autre profeiïion que la Tienne. Nous avons dëja vu
un pareil règlement en Egypte.
Les autres Loix que Brama a portées pour toutes les Tribus ^
regardent la Religion & la morale (a).
Il défend Tadultere 8c la (impie fornication. Le plus grand
de tous les crimes , c'eft de répandre le fang humain y ou d'ôter
la vie aux animaux que les anciens Indiens croy oient doués d'une
ame humaine. On doit profcrire de la fociété le vol & le men*
fonge. U faut nourrir les vaches avec fo:n ^ fe donner de garde
d'en manger, les conferver., les révérer comme les mères des
hommes. Cette dernière Loi eft plutôt politique que religieufe ^
parce que les bœufs font de tous les animaux les plus utiles
aux Indes 9 qu'ils, y tiennent lieu de chevaux i 8c qu'on s*en
fert dans tous les voyages 8c pour toutes les voitures,
A ces Loix générales pour toutes les Caftes 9. le Légiflateur
en ajouta de particulières pour chaque Tribu-
ne iv. . Les Brahmanes doivent pafTer leur vie à étudier la Loi, à
^res^pour les contempler les aftres , à deffervir les Temples , à brûler des
parfums , 8c à faire des facrifices. Ils font obligés de vivre dans
une grande auflérité. Cefl de leur part un crime de manger du
poiflbn y des oifeaux y des animaux à quatre pieds , ou même de
ces fones de légumes qui font tachetées de rouge , 8c quij^epré-
fentent du (ang. Il leur eft défendu d'avoir plus d'une femme à
la fois ; il eft défendu à leurs femmes de fe remarier après la mort
de leurs maris , & il eft prefcrit aux femmes de fe brûler dans
le même bûcher où l'on confume le corps de leurs maris. Les
X Indiennes , lafles de leurs époux > les empoifonnoient fouvent ;
& le moyen que Brama inventa pour arrêter un dérèglement
(tf) D y a un Livre cofnpofé fous les Han Orientaux intitulé : Sikisnpchoutn , qui
renferme toutes les traditions ûir les Nations étrangères.
DUGOUV'ERNEMENT^ 44J
devenu commun 9 fut d'attacher de l'honneur pour les femmes /
à fe brûler fur le corps de leurs maris , ou du moins à fe réduire
à un éternel veuvage après leur mort. De-là ^ la tendreffe des
femmes pour ceux à qui elles font unies.
Cette Cafte eft la plus noble comme la première des Indes ,
€c la nôbleffe de ceux qui la compofent eft la plus fûre du monde^
car jamais un homme de cette claife ne s'eft méfallié. L'idée
que les Brahmanes ont de Texcellence de leurs qualités & de
leurs perfonnes , eft fondée fur ce qu'ils font fortis , à ce qu'ils
difent , de la tête du Dieu Brama ; il y en a qui fe prétendent
Brama eux-mêmes. Ils difent que la féconde Cafte eft compofée
d'hommes nés des épaules de Brama ; la troiiîéme de fes cuifles >
& la quatrième de fes pieds.
Les Rc^eputes ne font pas obligés à une auftérité fi gênante ^^^^
que les Brahmanes. Comme ils font deftinés au métier des ar- ^ ^ ^
mes y le Legiflateur n'a pas exigé d'eux une abftinence fi rigou-
reufe. Ils feroient mal de tuer des animaux ^ mais on leur per-
met d'en manger la chair , lorfqu'ils les trouvent morts. Brama
ne leur a point fait de fcrupule fur la pluralité des femmes. On ne
peut affez augmenter , difoit-il y la race des guerriers qui s'ex-
pofe à périr dans les combats. C'eft de cette race feulement que
les Rois font tirés.
Les Banianes font les plus rigides obfervateurs des Loix , & ub!ht6c^
les plus fcrupuleux à s'abftenir de chair & de poiffon. Comme S^^u^ ^^
ils habitent les villes & qu'ils en font tout le commerce, c'eft à
eux de donner l'exemple aux Etrangers & aux Artifans y dont
Us font en quelque forte les Chefs. La charité pour les hommes
n'alla jamais fi loin que parmi eux , ils Tont étendue jufques fur
les bêtes. Outre les hôpitaux qu'ils ont fondés pour les malades
& pour les orphelins , ils en ont établi pour les vaches y pour
les finges y pour les oifeaux.
44<î SCIE N C É
XVII. ^ Les Artïfans font difpenfés d'obferver les Loîx aufteres^
ueres"p^rus LcuFS tfavaux font pénibles , & le Lcgiflateur leur permet d'u-
fer d'alimcns folides. Cette exemption augmente & diminue , à
proportion de la fatigue des divers métiers. Ceux à qui tout
cil permis , font eflimés les moins nobles & regardés avec mé-
pris.
XVIII. Telles font les Loix que Brama donna aux peuples de Tlnde^
^Morale dcsin. ^^^^ j^^ dcfcendatts confervenc encore , fous des Rajas y quel-
ques portions de Tlndouftan , au milieu de TEmpire que le Mo-
gol & d'autres Puiflances y ont établi. Je parlerai de ces Rajas y
en expliquant le Gouvernement du Mogol, qui eft le plus puif-
fant Souverain de Tlndouftan , & dont ils font tributaires. Ce
qu'on raconte de la manière de vivre des Philofophes Indiens (û),
& de leurs auftérités fuperftitieufes , en quoi les Brahmanes
d'aujourd'hui n'ont fait qu'enchérir fur leurs prédéceffeurs (6) ,
fombre,fauvage, eft un violent préjugé contre leur morale. Des
Miffionnaires , dans des Lettres récentes (c) , nous affurent que
ces Brahmanes , qui fe font femblables à leurs fauffes Divinités,
leur reflemblent parfaitement par leurs fourberies & par leurs
déréglemens.
^ x] ^- . Timur-Bcc , plus connu fous le nom de Tamerlan « de la race
Fondation de ' * '
TEnipire du Mo- ^ç Gcng-hiz-can , a été le fondateur de l'Empire des Mogols
dans les Indes. Il pafTa l'Indus i vainquit plulieurs Souverains
qui partageoient TEmpire de Tlndouftan , & fe rendit maître
de Ddiy capitale des Indes ^ & panagea en mourant (d) fes
vaftes Etats entre fes enfans. C'eft un de fes dêfcendans , Ma*
(a) Strab. Georg. Ub. XV; & Philoftrate , de vîta ApoU. Tyan, jpaffim.
{y) Lettres de Bemier à Chapelain fur les Gentils de l'Indouitan , dans la fuite de
îs Mémoires fur TEmpire du Orand Mogol, pag. 119. édît. de la Haye 1671.
(c) Voyez la pag. 204 du XXIV* Recuàl desliéttres édifiantes 6c cuneuies , &la
paee22i (
oyez la pag. :
aee22i duXXV^.
(<(/) En 140}.
DU GOUVERNEMENT. 447
hometans dé Religion y qui tient aujourd'hui TEmpire que nous
appelions du grand MogoL
Cet Empereur entretient un nombre prodigieux de troupes.
On dit qu'elles ne manquent point .de valeur ; mais Koulikan
apprit àrUnivers , il n'y a que huit ans (a) , qu'elles manquent
au moins de difcipline y & qu'elles ignorent l'art de faire la
guerre. Ce fameux ufurparteur de la Ferfe battit 8c détrôna le
Mogol y le rétablit , & le rendit fon tributaire > après l'avoir
dépouillé d'un tréfor qu'on a évalué à dix-fept mille millions.
Une armée entière forme la Garde de l'Empereur, & les deux
Capitales de l'Empire Dell & y^gra font toi^ours pleines de
troupes. Les Rajas y tributaires de l'Empereur y lui en fournif-
fent aufli un grand nombre.
Vingt-trois Royaumes compofent l'Empire du Mogol. I. Delij
dont la Capitale qui porte le même nom y eft fouvent la demeure
de l'Empereur. II. y^gra y dont la Capitale porte encore le mê-
me nom , & efl alternativement avec Dell la réfidence du Sou-
verain. III. Lalîor , où l'Empereur fait aufli quelquefois fa réfi-
dence. IV. ^fmir. V. Mallua. VI. Patana. VII. Multan.
VIII. Cahul. IX.Tata. X. Bocar. XI. Urccha. XII. Cachemire.
XIII. Decan. XIV. Barar. XV. Brompour. XVI. Baglana.
XVIL Ragemal. XVIII. Nandé. XIX. Bengale, connu par
le commerce qu'y font les Européens. XX. Ugen. XXI. ^-
fapour. XXII. Gokonde y où eft une mine de diamans.. XXIII.
Cornât.
Le Mogol eft le Propriétaire de toutes les terres de fon Em-
pire , & plufieurs Rajas qui defcendent des anciens Rois des
Indes , ne font , dans leurs propres Etats, que comme les Fer-
miers & les Receveurs du Mogol. Ils lui payent un tribut y Se
{a) En I743«
448 SCIENCE
mènent leurs croupes à fon fervice. On compte dans ITndouftaii
jufqu'à 84 de ces Princes Indiens , dont trois font fort diftingués
des autres. I. Le Rana qui efl Souvemin du Royaume de «Se-
duffié. Cefl le plus confîdérable de tous , & on dit qu'il a tou-
jours fur pied 50 mille chevaux & 2co mille hommes d'In-
fanterie. IL Le Raja de Rator y qui pofTede neuf Provinces ^■
& qui égale prefque le Rana en richéffe & en puiffance. IIL Le
Raja de Chagué y moins confîdérable que les deux premiers^
mais plus puiflant que les Rajas que je ne nomme point ici.
Les revenus du Mogol font immenfes. Connoître ce que les
terres de ce vaftc Empire produifent , ce feroit fçavoir ce que
le Mogol a de revenu , puifqu'il efl le Propriétaire de toutes les
terres y & Phériticr de fes efclaves. L'Indouftan efl une région
fort fertile ; le pays n'efl pas fort peuplé, & les terres y font
mal cultivées ; mais Tor & largent que le commerce y apporte
reparent les défauts de la culture. L'Indouflan efl un abîme de
tous les tréfors qu'on tranfporte de l'Amérique dans le nouveau
.monde, ci Tout Targent du Mexique ( dit un voyageur exaû )
» & tout For du Pérou y après avoir circulé quelque teras en
i> Europe & en Afie y vient aboutir enfin dans TEmpire du
n Mogol, pour n'en plus fortir. On fçait ( continue- t-il) qu'une
» partie s'en tranfporte en Turquie , pour payer les marchan-
» difes qu'on en tire. De la Turquie , l'argent paffe dans la
» Perfe par Smirnc, pour les foyes qu'on y va prendre. De la
» Perfe , il entre dans llndouflan par le commerce de Moka ,
*> de Babelmandel, de BalTora, & de Bander- Abaflî. D'ailleurs,
» il en vient immédiatement d'Europe aux Indes , fur- tout par
» le commerce des HoUandois & des Portugais. Prefque tout
» l'argent que les premiers tirent du Japon , refle fur les terres
» du Mogol. On trouve fon compte à en rapponcr des m^r-
chandifei
DU GOUVERNEMENT. 449
ii chandifes & à y laiffer fon argent. II cft vrai que Tlndouftan;
u tout fertile qu'il eft ^ tire quelques denrées des autres Nations
» d'Europe & d'Afie. On y tranfporte du cuivre qu'on prend
» au Japon , du plomb qui vient d'Angleterre^ de la canelle,
M de la mufcade , & des élephans qu'on y fait venir de Ceylan ;
» des chevaux qu'on y tranfporte d'Arabie, ou qu'on y conduit
V de Pcrfe & de Tartarie. Mais d'ordinaire , les Négocians fe
» payent en marchandifes dont ils chargent aux Indes les vaif-
V féaux fur lefquels ils ont apporté leurs denrées. Ainfî, laplus
w grande partie de l'or & de l'argent du monde trouve mille
» voies pour entrer dans l'Indouftan , & n'a prefque aucune
f^ iffue pour en fortir (a) ».
Comme le Mogol règne defpotîquement , il tfy a dans cet xxl
Empire d'autre Loi que fa volonté ; & fa Jurifdidlion n'cft pas nem^^'''^''*^
plus partagée que fon Domaine. lia un premier Miniflrc qu'on
appelle Etmadoulet , qui efl dans l'Indouftan ce que le Grand
Vifir eft en Turquie , & deux Secrétaires d'Etat, dont l'un raf-
femble , & l'autre diftribue les tréfors de l'Empire. Le Mogol
rend la juftice dans fa réfidence } les Vicerois , les Gouver-
neurs y les Chefs des villes la rendent dans la leur ^ au nom &
dans la dépendance de l'Empereun
SECTION IV,
Gouvernement de Perfe,
LE Gouvernement de l'ancienne Perfe étoît non-feulement x x 1 1.
Monarchique mais defpotique. La Couronne quiétoit hé- de^'^^dïïTîSÎ
jéditaire , paffoit fur la têre de faîne des fils légitimes du Roi ^*''
{à) Bernier , Voyez à ce fujet , dans cette même IntrodufHon , la V^ Seâion de ce
(3iap. au Sommaire ; Comment ftfaifok ancicançmgat en Ei^rofi U commerce £Omntfyc^
Tomel, - ■ ' Ul
4;o SCIENCE
défunt* Ce Souverain étoic révéré par Tes Sujets^ au point
qu'aucun d'eux n'ofoit paroître devant fon trône fans fe prof-
terner. Ils dévoient fe mettre dans cette humble attitude^ à
quelque diilance qu'ils apperçufTent le Monarque > & iis ne
pouvoient lui adrefTer la parole , fans lui donner le titre de «Sef*
gneiur , de grand Roi , ou de Roi des Rois. Perfonne , pas même
fes enfans , n'étoic difpenfé de rendre cet hommage au Souve-
rain > 8c il Texigeoit même des AmbafTadeurs Etrangers. Le
Capitaine de la Garde avoit ordre de demander à ceux qui fou-
haicoient d'être admis à Taudience du Roi , s'ils étoient difpofés
à Tadorer. Lorfqu'ils re&ifoient de fe foumettre à cette cérémo-
nie humiliante , on leur difoit que les oreilles du Roi n'étoient
ouvertes qu'à ceux qui lui rendoient cet hommage , & ils étoient
obligés de régler, avec fes Serviteurs ou fes Eunuques , les a£^
jfaires qui les a voient attirés dans fa Cour (a).
En Perfe comme en Egypte , il y avoit des Loix particulières
contre Tingratitude , Se tout homnne qui avoit rendu un bon
office à quelqu'un , avoit le droit d'intenter une aûion en Jus-
tice contre l'ingrat qu'on puniflbit avec beaucoup de féverité ^
dès que le crime étoit avéré ( &).
Les enfans des Rois étoient élevés avec un grand foin chear
les Perfes* A l'âge de quatorze ans on mettent le Prince qui de*
voit fuccéder à la Couronne entre les mains des Précepteurs du
Roi. Ccft ainfi qu on appelloit ceux qui étoient chargés d'éle^
ver l'héritier préfomptif de la Couronne. G'étoient les quatre
plus grands Seigneurs choiHs dans la vigueur de l'âge y les plus
fçavans , les plus juftes , les plus fages ,, & ks plus vaillaos de
toute la Perfe. Le premier lui enfeignoit la magie de Zoroaftre ,
{a) Plutar. in Themifthoc,
{t) Xcnophon Cyrêped, Z. /; Ammian, Marctlt, X. ///; Thcmifiod. Orat. IIL
D U G O U V E R N E M E N T. 4^1
c'efl-à-dire , dans le langage des Pcrfcs , la fcience du Gouver^
nement 8c celle de la Religion, Ceft dans ce fens que Cyrus le
jeune , fils de Darius Nothus y écrivoit aux Lacedémoniens ^
qu'il éroit plus exercé dans la Philofophie & mieux inftruit dans
la Magie que fon frère Arcaxerxés. Le fécond lui apprenoit à
dire toujours la vérité , fut-ce contre lui-même. Le troifiéme
l'inftruifoit à ne jamais fe laiffer vaincre par fes paJQfions y afin
qu'il fe maintînt toujours libre & toujours Roi, & qu'il eût en
tout tems un empire fur lui-même comme fur fes peuples. Le
quatrième le drefibit à ne craindre ni les dangers ni la mort j
parce que s'il la craignoit , de Roi il deviendroit efclave (a)«
Les Rois de Perfes faifoient fouvent plaider en leur préfence
les Caufes tant civiles que criminelles , ôc avoient grand foin
que la Juftice fut bien adminiftréc. Après avoir écouté avec
beaucoup d'attention les Plaidoyers j ils employoient quelques
jours à confulter ceux qui étoient verfés dans la connoiffance
des Loix , & rendoient enfuîte le jugement (&). Il y avoit plu-
fieurs Juges choîfis avec foin parmi les pcrfonnes de probité &
les gens habiles -> on les appelloit les Juges Royaux j ils admi-
niftroient la Juftice dans des tems marqués en différentes Pro-
vinces ; & quelques-uns d'entre eux accompagnoientleRoi par-
tout. Le Monarque leur demandoit fouvent leur avis j & dans
les affaires qui le regardoient lui-même ^ il ne manquoit jamais
de s'en rapporter à eux (c).
Xenophon fait un grand éloge des Loix dés Perfes ^ qu'il pré-
fère à celles de tous les autres peuples. Il remarque, à cette oc-
cafion , que les autres Lé^iflateurs n'ont décerné des châtimens
que pour des crimes commis , fans prendre foin d^empêcher
Îa) Dialogue de Platon dans fon premier Alcibiade ; & Xenoph. liv. L Cbap, 11^
bj Philoftrat. Lié. I.defkd Ap4^ Efipkan. Ub. Il dt MamchœU.
c) Hérodote L. III.
' LUij
45^ SCIENCE
qu'on ne fut tenté de les commettre y au lieu que le but des Loisf.
de Perfes éroit d'iofpirer aux hommes Tamour de la vertu &
rhorreur du vice y indépendamment des châtimens & des ré-
compenfes. C'eft pour parvenir à cette fin , que les parens étoienc
obligés d'envoyer les enfans à des écoles publiques y où Ton
avoit un- grand foin de leur éducation , & d'où ilsne pouvoienc
retourner dans la raaifon paternelle , que lorfqu'ils avoient at*
teint l'âge de dix-fcpt ans (a).
Les anciens Perfes étoient dans Tufage , à la mort de kur
Roi, de paffer cinq jours dans l'Anarchie > afin que l'expé-
rience qu'ils auroient faite des meurtres ydes rapines, & de tous
fes malheurs que TAnarchie entraîne néccffairement après foi ^
les engageât à être plus fidèles à fon.Succefl'eur (fc)^
XXI IL Zoroaftre, fils d'Oromaze, fiirle LégHlateur des anciens
rwftrejwrLé- Perfcs, & l'Auteut ou le Réformateur de leur Religion. Sa
Mémoire eft encore aujourd'hui en grande vénération dans le
pays auquel il donna des Loix. Ses livres , qu'on appelle le
Zoniy fubfiflrent. L'on y trouva , parmi quelques préceptes de
morale , mille fuperflitions & mille fauflfes idées , & Ton y peut
apprendre que fi^ les anciens font grands , ce n'eft pas d'une
grandeur abfolue , mais d'une grandeur relative à leurs contera*
porains. Voici» quelques maximes de morale qu'on voit dans
une Verfion Latine d'une Ouvrage en Vers ^ qui n'eftlui-mème
qu'une Verfion* en langage moderne, d'une partie des livres de
Zoroaftre : abrégé qu'on nomme 5fld-der ( c.)t.
« Si vous voulez être Saint & vous fauve;? , vous avez deux:
«réglés à pratiquer. L'une , c'eft queTt vous aimez mieux lePa-
CaS Xenopfi. Cyropedi liv. E
h) Sextus Empyricus adverfus MkthtmaU Lih. //. §• 3^> edk: Pairie»
(ç) Cette verfion Latine eft de H/d(e , dans fon Juvre. l>i Meligiotu vittnm Ptf^
fjirum^ imprimé à Oxfort en x^Op.. ,
DU GOUVERNEMENT. 453
i> radis que toute autre chofe, vous ne vous empariez pas du
j> bien d'autrui , car le Paradis vaut mieux que les chofcs de ce
» monde 9 puifque ce monde n'efl que comme une elpace de cinq
w jours 9 au lieu que le Paradis eft comme une durée infinie. Si
ï> la pofleffion du Paradis vous eft plus agréable , n'attachez pas
» votre cœur à des chofes miférables. Penfez à faire du bien à
» chacun , car les aStcs de bonté font des œuvres excellentes
w dans cette vie. Faites donc aux hommes la même chofe que
» vous feriez bien aife qu'ils pratiquaflent avec vous. L'autre
» règle , c'eft de n'ofFenfer perfonne de la langue, mais d'entre»
w tenir par votre bonté la fociété avec les hommes (a).
» Propofez-vous de fuivre la vérité fans aucune altération»
,w Recherchez-la avec foin, car elle perfedionnera votre ame.
» De tout ce que Dieu a créé, rien n'eft meilleur que la vé-
»nté(by
>3 N'ayez point de commerce avec une femme proftituée. Ne
9» féduifez pas la femme d'autrui, quoiqu'elle plaife à votre cœur'
» & qu'elle vous dreffe des pièges ( c ).
» N'ofFenfez pas votre père qui vous a élevé , ni votre mère'
>3 qui vous^ a porté neuf mois dans fon fein , ni le Prêtre quî
a> vous a inftruitdes maximes de la bonté & de la vertu. Lorf-
» que vos parens vous auront commandé quelque chpfe , levez-
» V'Ous gayement pour leur obéir (d).
7> Inftruifez les enfans, & alors fçachez que toutes les bonnes-
» œuvres qu'ils feront , ce fera comme fi leurs parens les a voient"
• faites eux-mêmes. . . . . Celui qui vit dans l'ignorance necoa«r
» noît ni Dieu ni la Religion (e) »•
(a) Sad-der Port. LXXV.
h) Port. LXVIII
x) Port. LXIX.
I
J) Port. XUV.
OPort. LV..
454 SCIENCE
Les raîfofis fur lefquellcs on fonde quelques unes de ces maxi-
mes ^ font déplorables. On y dit qu'il ne faurpas débaucher la
femme de fon prochain ^ parce que fi après cela le mari venait à
s'approcher de fa femme , il commettrait un péché, tout comme s'il
avait affaire aune Courtifane (a). Quiconque ( dit-on encore)
cura eu commerce avec une femme de joie j perdra pendant qm^
rante jours fon entendement , fa fcience y ^ fa pénétration , il nz
pourra point fe conduire ( 6 ) &c. On confeille ailleurs de fc ma-
rier de bonne heure , parce que les enf ans font comme le pont du
dernier jugement : de farte que ceux qui ri auront point £ enf ans en
ce jour-là ne pourront pas paffer dans leféjour de F immortalité ^
If demeureront en deçà de Vabtme qui lefépare du monde. Il faut
0 vouer cependant, que T Auteur ne Hjanque pas d*alleguer fou-;
•vent le motif général des peines & des récompenfes d'une autre
vie. Zoroaftre Tenfeignoit avec une efpéce de réfurredîon , &
il debitoit fur cela mille imaginations groffieres & abfurdes.
G^^rnïment ^^ ConquéraM Tartare Tamerlan foumit la Perfe , aufli bien
dts^Perfans mo- que le Mogol. Les Perfens d'aujourd'hiri font MaTiométans de
Religion, de la feÔe de Hall, gendre de Mahomet. De tous
les Sophis ou Rois de Perfe , Schach Abas (c) eft celui qm a
régné le plus glorieufement. Jufqu*à lui , les nouveaux Rois de
Perfe n'avoient exercé qu^une autorité affez modérée ; mais il
établit un Gouvernement abfolument defpotîque qui fubfiftè
encore aujourd'hui , & diminua Tautorîté des Courtches , qui
compofoient le Corps de Milice le plus redoutable aux Rois.
Depuis fon règne , la Perfe avoir été floriffantc ( d) , mais les dî-
verfes révolutions qui y font arrivées depuis quarante ans , par
(a) Port. LXIX.
m Ibid.
le) Mort en 1619.
la) Chardin.
DU GOUVERNEMENT. 455
le maffacre de la famille régnante , par rufurpation de Merî-
veïs ^ de fon frère , de fon neteu , & de fon fils , & les Traités
qu elle avoit été obligée de foire dans ces circonftances ora-
geufes avec le Czar & avec le Grand Seigneur , Ta voient extrê-
mement afFoiblie. Un nouvel ufurpateur j Koulikan , avbit en-
trepris de lui rendre toute fa gloire , mais il n'a pas plus trouvé
de fidélité dansfes Miniftres , qu'il n'en avoit eu lui*-même pouf
fon Maître. On peut voir ce que j'en dis ailleurs ( a ).
SECTION V.
Gouvernement de divers autres Etats de tAJie.
LE Royaume de Corée , qui paye un tribut à l'Empereur xxv.
de la Chine , comme je lai dit en parlant de cet Empire , ^^ ^ ^^^'^*'
eft à l'extrémité de l'A fie. Ses bornes au Nord & à l'Eft font le
pays des Tartares Mancheous ; à l'Oueft il eft bordé par une
Province Chinoife , & féparé de la Tartarie Orientale par une
paliflTade de bois ; à PEft & au Sud , il eft environné de la mer,
La longueur de la Corée eft d'environ 1 50 lieues du Nord aii
Sud ; & fa largeur de 75 lieues de l'Eft à l'Oueft (6).
Cette Peninfule eft arrofée par plufieurs rivières , & divifé«
en huit Provinces qui contiennent 40 Cités ou Diftrifts, 33
Villes du premier rang ; 58 du fécond , 8c jo du troifiéme. Ces
Provinces font fort bien cultivées , & on y fuit la méthode dci
Provinces Méridionales de la Chine. Le pays produit toutes
les néceffités de la vie ; & quoiqu'il foit rempli de montagnes ^
il eft d'une fertilité extraordinaire. Les principales marchan-*
(a) Dans la XXIV« Seaion du Chap. VII« de cette Introduaion.
\b) Hiftoire générale des Voyages , Tom* VI, pag, 500 & fuivantef.
455 SCIENCE
difes de ce Royaume font le papier de coton qui eft fort & à
meilleur marché qu aucun papier de la Chine , une fameufe
plante , Tor , l'argent , le fer , la gomme d'un arbre qui ref-
femble au palmier , & qui donne un air de dorure au vernis ^
des poules dont la queue a trois pieds de long , des chevaus
qui n'ont que trois pieds de hauteur , du fel minerai , des peaux
de martre & de Caflor , du vin qu'on fait avec une efpéce de
grain. Les habitans de la Corée n'ont guère d'autre commerce
qu'avec les Japonois & quelques autres Infulaires.
Les Coréens font de leur pays une Hifloire toute aufll an-
cienne 6c toute aufli fabuleule que celle que les Chinois font du
leur« Les Chinois & les Japonois fe font difputés plufieurs fois
la Corée y & elle eft demeurée tributaire des Chinois.
La grande muraille que les Coréens avoient élevée pour leur
défenfe contre les Tartares , eft fort inférieure à celle de la
Chine.
On'nous dit qu'un des Princes des Coréens avoît établi patrmf
eux de fi bonnes Loix , que l'adultère & le vol y étoient inconfp
nus ; que les portes de leur maifon ne fe ferment jamais pendant
la nuit } que leç révolutions de leur Gouvernement leur ont fait
perdre quelque chofe de cette ancienne innocence ; mais qu'on
peut encore propofer les Coréens pour modèle aux autres Peu-
ples. Les mêmes Auteurs ( a ) qui nous en donnent cette idée
avantageufe ^ rapportent en même-tems que le pays eft rempli
de femmes de débauches ; que les jeunes gens des deux fexes y
font trop libres ; que les Coréens ont tant de penchant pour le
larcin & tant de difpofitions naturelles à tromper , qu'on ne
peut prendre aucune confiance en leurx:aradere ; qu'enfin ils rcr
gardent fi peu la fraude comme une infamie , qu'ils fe font une
{4) Hill» gén^. des Voyages , ubi fupra.
gloirç
DU GOUVERNEMENT, 45^7
gloire d*avoir trompé quelqu'un. Cela fuppofé , que devient
cette innocence des Coréens y qu on croit pouvoir propofer
pour modèle aux autres Nations ?
Les châtimens ont peu de rigueur à la Corée. Des crimes qui
pafTentpour capitaux dans d'autres pays y ne font punis chez les
Coréens que du banniflement dans une Ifle voifine ; mais un
fils qui maltraite de paroles fon père ou fa mère ^ eft condamné
à perdre la tête.
Le mariage entre les Coréens eft défendu jufqu'au quatrième
degré. Il exige peu de foins de la part des hommes , parce qu on
fe marie dès Tâge de huit ou dix ans. Les jeunes femmes , à
moins qu elles ne foient filles uniques-ihabitent dans le moment
la maifon de leurs beaux-peres , jufqu à ce qu'elles ayent appris
à gagner leur vie & l'art de gouverner leur famille. Le jour du
mariage , Thomme monte à cheval , accompagné de fes amis ^
fe promené dans tous les quartiers de la Ville ^ & s'arrête enfin
à la porte de fa maîtrefle. Elle eft reçue par fes parens qui la
Gonduifent chez lui , & le mariage eft confommé fans autre cé-
rémonie. Les hommes peuvent avoir hors de leurs maifons au-
tant de femmes qu'ils font capables d'en nourrir & les voir li-
brement ; mais ils ne peuvent recevoir chez eux que leurs véri-
tables femmes. Si les gens de qualité en ont deux ou trois dans
leurs propres demeures ^ elles n'y prennent aucune part à la
conduite de leur famille. Les mariages fe font fans aucun préfent
nuptial. Les Princes & les Princeffes du Sang fe marient entre
eux 9 & le même ufage eft établi parmi les Grands.
La Coutume de la Corée eft de conferver les morts fans fé-
pulture pendant Tefpace de trois ans. Le deuil dure auffi cet ef-
pace de tems pour un père & une mère , & trois mois feulement
pour un frçrç. Lorfqu on enterre les morts .> on place à côté du
Tomcl. M mm
45» SCIENCE
tombeau les habits & les chevaux de celui qui reçoit ce dernier
joffice avec tout ce qu'il aimoit beaucoup ; & chacun de cewt
qui compofent le cortège , porte quelque partie de ces lugubres-
ornemens. Les Coréens ne peuvent exercer aucun eaiploi pen-
dant Te tems du deuil , & s'ils occupoient quelque poile ^ ils font
obligés de le quitter. La Loi ne leur permet pas même de cou«^
cher avec leurs femmes^ ôc les enfans qui leur naîtroienc ne£>
roient pas mis au rang des légitimes*
La doârine de Confucius eft fort eflimée des Coréens; mais
ils n'ont pas le même refpeâ pour les Bonzes. Us font idolâtres ^
&:croyentque lebienefl récompenfé & le vice puni dans une
autre vie.. L'emploi de leurs Prêtres efl d'offrir aux Idoles deux
fois le jour des parfums. Les jours de Fêtes ^ tous les Religieux
de chaque maifon font beaucoup de bruit avec des tambours ^
des. bafîins & des chaudrons. Cefl aux contrîbudons du Peuple
qu'ils doivent leurs Monaileres ôc leurs Temples y dont la plu^
part font fîtués fur des montagnes. Quelques-uns contiennent
cinq ou (îx cens Religieux , & le nombre de cette efpece de
Prêtres eft fi grand > qu'on en voit julqu'à trois ou quatre mille
dans le difbriâdeplufieurs Villes ; ils font divifés comme en eC-
couades de dix , de vingt 3^ & quelquefois de trente. Ceft le
plus vieux qui gouverne , âc ces gens-là ne font pas plus ref-
peûés que des efclaves» Le Gouvernement les accable de taxes ,,
& les afliijettit à divers travaux ; mais leurs Supérieurs jouilTent
d*une grande coniidération, portent, fur leurs habits la marque*
de leur Ordre ^ & vont de pair a^vec les. Grands du Royaume».
On les nomme les Religieux du RoL
Sior> Capitale du Royaume^ contient deux Monaiiere» de
femmes ; dans l'un y on ne reçoit que de jeunes allés de qualité j:
tmxxc en admet d'i^ rang inférieur £UeS: font coûtes ralées ^
D U G O U V E R N E M E N T. ^S9
& leurs devoirs ne font pas difFérens de ceux des hommes*
Les Ambafladeurs du Roi de Corée font peu refpeâés à la
Chine , à caufe de la dépendance où ce Prince efl de TEmpe-
reun Lorfque le Roi des Coréens meurt ou qu^il abdique la
Couronne , l'Empereur de la Chine confie à deux Grands de
TEmpire U commiflîon d'aller donner au Prince héréditaire le
titre de Roi, Si le Roi mourant appréhende qu'il n'y ait quelque
différend pour la fucceflion après fa mort , il fe choifit un héri-
tier dont il demande la confirmation à l'Empereur. Le Prince
qui fuccede , reçoit la Couronne à genoux y 8c fait aux Corn-
miflaires Chinois des préfens réglés par l'ufage. Il envoyé en-
fuite fon tribut à TEmpereur , par un Âmbaffadeur qui baifle le
front jufqu'à terre devant ce grand Monarque , & fa femme en
attend auffi la permiffion pour prendre la qualité de Reine*
Quoique le Roi de Corée reconnoiffe fa dépendance de PEm-
pereur de la Chine par un tribut , fon pouvoir n'en eft pas
moins abfolu fur fes propres fu jets. Aucun d'eux,{ans en excep-
ter les Grands , n'a la propriété de fes terres } ils n'en tirent le
revenu & celui qui leur revient de la multitude de leurs efclaves,
que fous le bon plaifir du Roi ^ & pour le tems qu'il lui plaît*
Quelques-uns d'entre ces Grands , ont jufqu à deux ou trois
cens efclaves. Lorfque le Roi fon de fon Palais , il eft accom^
pagné de toute la Nobleffe de fa Cour , & porté fous un dais
fort riche. Chacun garde un profond filence , & la plupart des
(bldats mettent à leur bouche un petit bâton , afin qu'on ne
puiffe pas les accufer d^avoir fait le moindre bruit. Tous ceux
qui fe trouvent fur le paffage du Roi , Officiers ou Soldats ^
font obligés de tourner le dos ,fans ofer jetter fur lui le moindre
regard , ni même touffer. Ce Prince entretient dans fa Capitale
|in j^rand ootobre de troupes ^ dont Tunique occupation efl: de
M ro m i j
460 SCIENCE
veiller à la garde de fa perfonne & de Tefcorter dans fes mar-
ches. Les Provinces font obligées tour à tour d'envoyer une
fois tous les fept ans , leurs Habitans de condition libre , poirr
le garder Tefpace de deux mois. Chaque Province a fon Géné-
ral , & quatre ou cinq Colonels dont chacun a le même nom-
bre de Capitaines. Chaque Capitaine eft Gouverneur d'une
Ville ou de quelque Fort. Il n^ a pas de Village qui ne foie
commandé du moins par un Caporal , qui a fous lui une forte
d'Officiers dont le commandement s'étend fur dix hommes.
Ces Caporaux doivent préfcnter une fois Tannée à leur Ca-
pitaine , la Lifte du Peuple qu'ils ont fous leur Jurifdidion.
Les revenus du Roi de Corée pour l'entretien de fa maifon
& de fes forces , confiftent dans les droits qui fe lèvent fur toi>-
tes les produûions du pays , & fur les marchandifes qu'on y ap-
porte par mer. On trouve dans toutes les Villes & dans tous
les Villages des magazins pour la dixme , que les Fermiers
Royaux , gens de Tordre commun , recueillent au tems de la
moiffon , avant que les biens de la terre foient fortis du champ.
Les Officiers publics font payés de leurs appointemens fur les
productions des lieux de leur réfidencc. Ce qui fe levé dans les
Provinces eft affigné pour le payement des forces de mer & de
terre. Outre cette dixme , tous ceux qui ne font point enrollés
dans la milice , doivent employer trois jours de Tannée , au
travail que leur pays leur impofe. Chaque Soldat , Fantaffin ,
ou Cavalier , reçoit tous les ans j pour fe vêtir , trois pièces
d'étoffe de valeur de 4J0 liv. de notre moraioye. C'eft une
partie .de leur paye dans la Capitale. On ne connoît point dans
la Corée d'autres droits ni d'autres taxes.
De h^Vancîc Lcs Contrées d'Afie& d'Europe que les anciens oncnqm-
TartaricfSumife ga^es la Scythic , nous les nommons la Tartarie^ Aucun Peuple
U Chine.
D U G cru VE R N E M E I^ T. 461
ne s'eft rendu plus célèbre que lesTartares.Us ont conquis Tin- à rEmpereur dt
douftan , la Chine , la Perfe , & des Peuples* Tartares poffe-
dent encore des Etats en Afie & dans notre Europe. Gingif-
kam y Capitaine Tartare, cft Tun des plus fameux conquérans
• que la terre ait porté (a).
La grande Tartarie efl toute entière fous la domination de
l'Empereur de la Chine , Tartare lui-même d*origine. Il enpof-
fede une partie immédiatement , & il efl le Seigneur fuzerain
de Tautre partie , occupée par divers Princes Tartares fes Vaf-
ikux & fes Tributaires.
Le pays qui porte en général le nom de Tartarie, eft d'une
vafte étendue. Ses bornes à TEflfont l'Océan Oriental ou la
mer de Tartarie ; à TOueft , il eft bordé par la mer Cafpienne
& par des rivières qui le féparent de la Ruflîe ; au Nord , par
la Sibérie Ruflienne ; au Sud , par le Royaume de Karazin ,
les deux Bulgaries , la Chine & la Corée. Il occupe auffi la
moitié de TAfie , de FOucft à TEft , fa fituation étant entre ^5
Se 166 degrés de longitude, & entre le 37 & le y o degré de
latitude. Il contient par conféquent 86 degrés de longitude^
c>ft-à-dire 3^00 milles de longueur , de TOueft à TEft , & 18
degrés de latitude j qui font du Nord au Sud ^60 milles dans fa
plus grande largeur , quoique dans d'autres endroits il n'en ait
pas plus de 330,
Malgré cette vafte étendue , la Tartarie n'approche pas de
la grandeur qu'elle avoir fous l'Empire de Gingijham & de fes.
fuccefleurs , qui la réduifirent entièrement fous leur domination,
avec coûte l'Afie méridionale ; mais lorfqu'elle fut démembrée
par les divifions qui s'élevèrent entre les Chefs des Hordes ou
{a) II naquit en 1 164 > & mourut en 1227 , après avoir règne 25 ans en qualité de
Grand Kanw
é^U • SCIENCE
des Tribus I toutes les PuifTances voifines en uTurperenc quet
que partie 9 furnut les Ruflesqui conquirent du côté de TCXieft
prefque tout cet efpace dont TËmpire de Kapchak ou Kipjak
étoic compofé ; & qui ^ s'étendant à TOueft du Don ^ forinoic
prefque Un quart du monde connu* Au Nord ^ ils reculèrent
fort loin les bornes de la Sibérie , en fe faififTant du pays des
Kalmulks que d'autres écrivent Calmoucks ,8c de cthû desKaU
kas > particulièrement vers les fources de la rivière drirtiche ;
où ils ont reflerré ces Peuples dans des bornes plus étroites.
D'une (i grande région , plus de la moitié appartient aujour«
d'hui immédiatement à r£mpereur de la Chine ^ en tirant à
TEIl vers la fameufe montagne d'Altaye , dans un efpace d'en-
viron I {o degrés de longitude. Toute cette grande Tartarie eft
occupée par doux (brtes de Peuples y dont les branches onc
formé piufieurs Nations ou plufieurs Tr^us y aulli différentes
par leurs ufages & leurs moeurs , que par leur langage.
JU première eft celle qu'on connoît aujourd'hui fous le nom
de Mancheons ou de Tartares Orientaux ^ comme on connoît
leur pays fous le nom de Tartarie Orientale. La féconde ed
compofée des Mongols , nommés communément Tartares Oc^p
cidentaux , donc le pays y qui fe nomme Tartarie Occidentale^
s'étend jufqu'à la mer Çaipienne# Chacun de ces deux Peuples
eft divifé en plufieurs autres Nations , fiirtout les Mongols quf
font (ans comparailbn les plus nombreux. Pendant plufieurç
iiécles ^ ils n'ont été connus de nous que fous le nom de Turcs ;
& les Ecrivains du Levant les ont diftingués fous le nom de
Turcs Orientaux & Occidentaux. Au treizième fiécle , étanr
conduits par Gingiskam y ils fe rendirent célèbres fous le nom
de Mongols Çc de Tartares qui étoient ceux de leurs princi-^-
pales Hordes ; mais dans la fuite y ce grand Empire étant tomb^
DU GOUVERNE ME NT. 4<Jj
•en ruine > la plus grande partie du pays n'eft plus qu'un defert
continuel , fens Villes 8c fans habitations. Cette contrée eft di-
vifée en trois grands Gouvernemens. Depuis que les Tartares
font maîtres de la Chine , ils ont établi daos la Tartarie les mê-
mes Tribunaux Souverains qu'à Peking , à l'exception de celui
qui fe nomme Llpu. Ces Tribunaux ne font compofés que
4'Habitans naturels du Pays ^ & tous les aâes font écrits en lan-
gue & en caraderes Manchéons. Quantité de Chinois s'y étant
retirés , le commerce de la Tartarie eft prefque entièrement entre
leurs mains»
Le Pays des Mongols qui forme la partie Occidentale > paffe
j>our avoir été le théâtre des plus grandes avions que l'Hiftoire
attribue aux Tartares de l'Orient & de l'Occident. Ceft-là que
le grand Empire de Gingiskam 8c de fes focceiTeurs prit naif-
Êmce & eut fon fiége principal. Là y furent fondés plufieurs
Empires. De-là, comme de fon origine'^ vient le préfent Em-
pire des Tartares Orientaux des Manchéons. Là , pendant plu-^
fieurs (îécles , on vit dès guerres fanglantes 8c quantité de ba-
tailles qui décidèrent du deftin d^Monarchies. Là y toutes les
richeffes de TAfie méridionale forent plufieurs fois réunies &
Aiffipées. Enfin , c'eft dans ces deferts que les Arts & les
Sciences forent long-tems cultivés , 8c que fleurirent quantité
de puiflantes Villes dont on a peine aujourd'hui à diftinguer
les traceSk
Les Mongols errent de place en place avec leurs troupeaux ^^
s'arrêtant dans les lieux où ils trouvent le plus de fourage ; en
été , près de quelque rivière ou de quelque lac ; en hyver> du^
coté méridional de quelque «montagne^ où la neige fondue leur
fournit de l'eau* Leurs alimens font fort fimples. Pendant l'été >?
ils it nourrUfent de laitage ^ fans mettre aucune différence entxe^
4^4 SCIENCE
le laie de leurs vaches i de leurs jumens ^ de leurs brebis 8c de
leurs chèvres. Ils boivent de l'eau bouillie avec le plus mauvais
thé de la Chine , & y mêlent de la* crème , du beurre ou du lait.
Ils font audi une liqueur fpiritueufe avec du lait aigre ^ furcout
avec du lait de jument qu'ils diftillent après l'avoir fait fer-
menter.
Quoique la Polygamie leur foit permife, ils n'ont pas ordi-
nairement plus d'une femme.
. Leur ufage eft de brûler leurs morts & d'enterrer les cendres
dans quelque lieu élevé , où ils forment un amas de pierres fur
lequel ils placent de petites bannières.
Les Mongols habitent fous des tentes ou dans des cabanes
mobiles y & vivent enfemble des produâions de leurs befliaux.
Leur Religion confifte dans le ^culte de l'Idole Fp. Ils
croyent à la tranfmigration des âmes. Ils rendent une obéif-
fance aveugle aux Lamas qui font leurs Prêtres & à qui ils don-
nent ce qu'ils ont de meilleur 8c de plus précieux. Tous ces .
prêtres dépendent du grand Lama qui habite à l'Ouefl de la
Chine , fur la rivière de la Jly. Ce Souverain Pontife du Pa-
ganifme dans les régions Orientales y confère à (es Lamas divers
degrés de pouvoir 8c de dignité y dont celui de Fo vivant eft le
plus éminent. Un titre fi diftingué n'eft le partage que d'un petit
nombre d'entr^çux.
Les contrées où les bannières des Mongols entretiennent un
grand nombre de Princes diftingués par difFérens titres. Le
nombre n'en eft pas fixé , parce qu'il dépend toujours de la vo-
lonté de l'Empereur de la Chine qui eft leur grand Kam y 8c
qui les élevé ou les dégrade , félon leur bonne ou leur mau-
vaife conduite.
iJVJ'etitf ^^ petite Tartarie ou Crimée eft poffédéepar un des defcen-
dans
DU GOUVERNEMENT. ^6^
idans de Gîngîskam ^ tributaire du Grand Seigneur. Il y a des Tartarîe , tribu-
Tàrtares de Budziack , il y en a de Nogaï , il y en a qu'on ap- sd|neur.
pelle Uibecs Rois du Mawaralnaliar ^ qui ont chacun fa Souve-
raineté particulière dans ce Royaume. L'un ell Kam de Bocara^
Taurre de Samarcandej un troifieme de Balkhe , & ainfî dequel-
ijues autres. Des Tàrtares qu'on appelle Kalmoucks ^[ont tribu-
taires delà Ruflîc. Il eft enfin des Tàrtares dont le nom eft à
peine connu. Chacun de ces Tàrtares a fon Kam particulier , &
tous cesKams font indépendans du ^rand Kam des Tàrtares
qui a conquis la Chine.
Tous les Tàrtares , tant de Mue que de l'Europe^ reflem-
blent encore ^x &ythes leurs ancêtres. Us mènent communé-
ment une vie vagabonde ^ fi Ton en excepte quelques Villes
maritimes cju^on trouve dans la petite Tartarie , dans la Bûcha-
rie & ailleurs , dont les Habitans profeiTent Ja Religion Maho*-
métane ^ & font gouvernés defpotiquement comme les Turcs ^
les Perfans & les autres Orientaux. Un voyageur récent (a)
rend un témoignage honorable à Thofpitalité des divers peuples
Tàrtares dont il a parcouru les terres , quoiqu'ils fe foient ren-
dus redoutjibles par leurs brigandages furies Chrétiens de Po-^
logne Se de Ruflîe , d'où ils ont anciennement enlevé un grand
Jiombre d'efclaves qu'ils ont vendus aux Turcs & aux Perfans.
Le Royaume dç Tonquin , autrefois poffédé par l'Empereur x^viil
de la Chine , & démembré de cet Empire , il y a neuf fiéçhs ,
«ft grand à peu près comme la Francp. Il cpmmepcç audix-hui-
tieme degré d'élévation & va jufquau vingt-quatrième^ Quoi*,
qu'il foit fitué fous la Zone torridç , il ne laifle jpas d'être beau
jk fertile ; tl eft entrecoupé de plus 4e cinquante rivières & ar-
irofé de la mer des deijjj: côtés ^ S^ 1^ température dp Tairy eft
^a) La Motraye^
De S'iaau
j^66 SCIENCE
très-bonne. Tous les Mandarins civils & militaires tbnt Etinn-»
ques 9 & on nous dit que dans ce pays-là les Eunuques nç peu*
vent fe pafler de femmes & qu'ifs fe marient ( ^ )• •
XXIX. La Cochinchine quifaifoit une partie du Tonquîn , forme un
«hinc/* ^'^^*^" Royaume feparé depuis qu'elle en a été détachée ( 6 ). La Co--'
chinchine a en étendue environ le quart de la France»
XXX. Le Royaume de Laos eil fitué entre deux hautes montagnes
qui , à l'Orient , le féparent du Tonquin & de la Cochinchine ^
au couchant du Royaume deSiam & de celui d'Ava* lia au nord
la Chine, & au midi le Royaume de Camboye. Le Souverain de
cet Etatefl defpotique y tant dans les affaires civiles que dans
celles de la Reli^on , & il eftle Propriétaire de tous les biens de
fon Royaume , qui eft diviféen fept Provinces.
xxxL Siam eft un Royaume féparé par de hautes montagnes y au
Nord-Eft & à l'Eft des Royaumes de Laos & de la Cochiii-
chine ; il a un grand golfe au midi ^ & une autre chaîne de mon-
tagnes le fépare des Royaumes d'Ava & de Pegu* Cette double
chaîne de montagnes , habitées par des peuples peu nombreux^
fauvages & pauvres , mais libres & dont la vie eft innocence ^
laiffe entr'elles une grande vallée large en quelques endroits de
80 à 100 lieues , & arrofée par une grande rivière , depuis l'ex-
trémité feptentrionale jufqu à la mer.
Ce pays , qui eft fous la Zone torride y feroît inhabitable , R
les ardeurs exceflîves du foleil n'étoient modérées , & par let
nombre des rivières qui Tarrofent y & par de longues pluyes
qui le rafraîchiffent. Il y pleut ordinairement depuis la fin de
Mars jufqu'au comoçiencement d'Oûobre^
Ce Royaume a près de 300 lieqcs de long^ du Septentrion ai»
(4) Datnpiere , Tom. M. pag, 9.«» - ^
Ci>) En 1575.
DU GOUVERNEMENT. .4(^7
Midi y eftplus étroit de TOrient à TOccident , & renferme beau-
coup plus d'Etrangers que de naturels du Pays. Des Maures,
des Feguans^ des Laos y des Cochinchinois y des Tonquinois,
des Malais , des Macaflars y font établis*
Le Prince ne compte que des efclaves parmi fes fujets y 8c
comme les hommes font prefque toujours occupés pour le fer-
vice du Souverain , on ne voit gueres , dans ce Pays-là , que
des femmes travailler pour la fubfîftance des familles. Quand le
Roi paffe quelque part , les Siamois qui n'oferoient jetter les
yeux fur lui , font ventre à terre & les mains jointes contre le
front. Les Sacrificateurs des Idoles^ qu'on appelle TûZopoi/z^ &
qui font fort refpeftés , font les feuls qui ne foientpas obligés de
fe profterner^
Cette Monarchie eft d'autant plus connue en France , que les
François y a voient établi leur commerce & leur Religion , & y
avoient acquis des Places (a) par la prote6Uon d'un Européen
Catholique , devenu le principal Miniflxe du Prince qui y ré*
gnoit alors ( 6 )• Mais la même révolution qui fit defcçndre le
Roi du trône & qui y plaça un de fes favoris y coûta la vie au
premier Miniftre , mit fin à notre commerce , & extirpa de Siam.
notre Religion ( c ).
Le Souverain qui régne da:ns cet Etat y a pour tributaires le
Roi de Camboye y &ceux d^Ihor y d'Iambi , de Queia & de Pa-
tant y beaucoup moins puifTans que celui de Camboye. On dit
des Habitans de Patane y que dans le dernier fiécle y ils fe fou-*
(d\ Merguy » Bancok , & quelques autres.
yb) Conltantin Phaulk , né en Grèce , élevé pj^rmi les Anelois , & qui avoit «mbraC-
fé la Religion Catholiqiie dans le Sén^iaire des Jéfottes Pdrtugds de Siam le % dç
Mai 1682. On Tappelloit Confiance.
(c) Dans le mms die Mai i688. Voyez la Relation dé l'Ambaflade de Chaumont à
S\ani en 1685 , Paris 1686 i/2-12 ; les Ménioires du Comte de Forbin ; & tHidoire du
reçue de Louis XIV, Avignon ij^^^^y^ pages 333 , 334, 335* 410, 4ii»4U fc
413»
Nnjiij
4(î8- S Cl E N^C E
levèrent ^ détrônèrent leur Roi , & formèrent une République^
ilsélifenc néanmoins une FrincefTe à laquelle ils donnent le titrt-
de Reine ^ & aux plaifirs de laquelle ils fournifTent abondant'
ment , fans lui laiffer aucune forte d'autorité.
x^xiL Le Pegu eftun grand Empire qui avoit des Rois pourvalTauz;
& tributaires, qui a été fort dépeuplé par les guerres civiles- fie
étrangères > qui a eu de grands différends avec les Portugais y
mais qui eft encore fur pied* Par la Loi du Pays , l'Empereur
hérite de tous les biens de fes Sujets ^s'ils n'ont point d^enfans ;
& des deux tiers ,, s'ils en ont (a )•
xxxiiT. L'Ifle de Java ,. fituée au Sud^Eftde Sumatra 8c au midi de
YtodeftiêffaDd Bornéo , à 28b lieues de longueur , d'Occident en Orient « 8c
I» R<pubi(me de elle ferme d un côté le détroit de la Sonde. Bantam & Jacatra^
'font les deux Royaumes voifins dans la même Ifle.
Le Roi de Bantam recueille toute la fucceflion d'un homme
qui vient àmourir^même ùl femme & fes enfans; Aufll y marie-
t^on lès enfans à-8 y.p ou loans ^ afin qu'ils nefe trouventpoint^
feiire partie de la fucceffîon de leur père ( 6 ). •
Sur la fin du dernier fiécle ( c^ ) , lé Roi de Bantam y qui avoir
dans fa Capitale des Comptoirs François , Anglois fie Hollan*
\, dois 9 après être defcendu volontairement du Trône, voulut y
remonter. Mécontent de laconduito de fon fils , il l'aflîégea dans
fâ Capitale;, le fils implora le fecours des Hollandois , & les'
Hollandois forcèrent le père de lever le fiége. Ils ont fait payer
chèrement ce fecours à ce Prince , ils lui ont laifle fon Royaume; ,
mais ils ont gardé le Château de Bantam ,011 ils ont mis g#rni-
(a) Retueil dés voyages qm ont fervi à rétabliffcment dé la Compagnie des Indes ; •
Tbm. III , pag. I.
(*) Recueil dés voyages qui ont fervi à l'établiffement de U Compagnie de« lâ*
des, Tom. I.
(ç) Vers ran i68p.
D U 6 0 U V E R N E M E N T. j^6^
ion (a)^ & où ils ne donnent point d'entrée aux Etran*
gers(&>
Les Hollandois fe font rendus maîtres du Royaume de /a-
catra. Ils en ont détruit la Ville capitale qui portoit le même
nom ,. & fur les débris de cette Capitale , ils ont élevé la Ville
de Batavia ) dont ils ont fait le fiége principal du commerce de
leur Compagnie aux Indes (c). Ce qui portoit le nom de
Royaume de Jacatra y s'appelle préfentement les terres de la
Compagnie.
La côte du Nord de Tlsle de Java eft fous la doniination de
la CompagnieHollandoife qui y a établi des forts & y entretient
des garnifons. La cote méridionale eft prefque. entièrement oc«^
cupée par des Princes qui n'ont pas été foumis ^ & qui fe font
retirés entre une longue chaîne de montagnes , de l'Occident
en Orient , & le rivage qui eft bordé de dangers & de roches.;
L'intérieur du pays eft fous la domination d'un Empereur que
l'on appelle le Maîaram-, qui a quelques Princes tributaire^ dans
fon voifinage.
La Compagnie Hollandoife eft infiniment refpeélée dans
toute rétendue de l'Isle de Java; Le Roi de Bantam eft dans
fa dépendance , & ce Prince à qui' on donne le titre d'Empe-
reur y ne régne que par la proteâion qu'il reçoit de la Compa-
gnie Hollandoife ^ dans une contrée où 300 Européens battent,
cinq ou fix mille Afiatiques^ ( ^ )•
Jean I. Roi de Portugal, conquit eriperfonne Ceuta eft xxxiv.
Afrique , & fit reconnoître la côte de cette partie du monde EtSuifcme^T
(a) Voyez le Chap, Vil de cette Introduftion , Seô. VI du Gouvernement des Pro-
>^nces-Unies.
(h^ Relation de l'Ambaflade de Chaumont à Siam eft 1685 , Paris 1686 i/i-12;
CcS Vovezle Chap. VII de cette Introduction, Seâion VI«
la) Relation de TAmbaflade de Chaumont. -
XXXV.
470 SCI E N C E ^
les PortuMb & par les Prinœs fes enfans (a). Barthelemi Dias ayant décou^
^ropéenne^ont vert le Cap de Bonne Efpérance fous Jean if^ Don Emma-
lits Ori^es^ nuel h conquit ( & ) par fes Lieûtenans^Goa ^ & fît des établifle-
mens cohfîdérables dans les Indes Orientales , 8c tout de fuite
conquit le Brefil en Amérique.
Les Navigateurs qui ne font pas toujours d'accord avec les
Géographes ^ appellent Inde toute la partie de la terre comprife
depuis le Cap de.de Bonne Efpérance julqu'au Japon.
Dans ce vafte continent , qui comprend 7 à 8000 lieues de
cotes le long de là mer occupées par une multitude de Souve*
rains ^ plufieurs Nations de l'Europe ont des Colonies. Sans
parler de celles des Hollandois & des Portugais ^ les Anglois y
ont huit ou cUx établilTemens diftribués fous trois Gouverne-
mens généraux , diftans ks uns des autres de 5 ou ^00 lieues.
Ces Gouvernemens généraux font Madras ^ Bombaye & Gol-
gota.
La France y aauffi quelques établiflbmens dont elle a fbrm^
deux Gouvernemens indépendans Pun de l'autre , fçavoîr le
Gouvernement de Pondkhery & lé Gouvernement des Ides.
Le Gouvernement de Pondîchery a fous fa dépendance la Ville
de Pondîchery où réfîde unConfeil fupérieur , dont le Gouver-
neur eft Préfident , & trois Comptoirs particuliers , qui font le
Comptoir de Mahé fitaé à la côte Malahare ^ le Comptoir
de Karikal , fitué à la côte Coromandel ^ 8c le Comptoir de
Chanderhagor , fitaé fur le fleuve de Bengale. LeOouver-^
liement des Mes comprend Tlfle de Franct, qui a environ 60
lieues de tour ^ ôc Tlfle de Bourbon qui a à peu près la mêmç
étendue.
XXXVI.
François.
(a) En 141 J.
{b) Pn ÏJOJ,
conaui»
DU G OU VER NB ME NT. 471
Je parlerai enowe de tous ces Etabliiïemens (a).
Nous ne çonnoifrQns,pQiot tous Içs Souverain^ y xxxvn.
en â une multitude dans la feule prefqulfle dellndé ^ en deçà auiS!fiid^\fl^
du Gange 9 & il efl d'autant plus impolTiblp de parler de tous
ces petits Rois , difperfés dans ce nombre prefque infini dlsles
dont la merdes Indes Ôc TOcéan Oriental font remplis, qu'une
tsle cft fouvent partagée entre plufieurs Etats*
{a) Chapitre VIL
*f r>}c
Oê Tripoli.
47» SCIENCE
. ■ '. ■ I ■ J \ I ■'■ ■' ggg
GHAPITRJE QyÂfTRiPMja-
Du Gouvernement aBuel de chaque Peuple de C Afrique ^
conjîdiré en particulier.
SECTION PREMIERE.
Gouvernement des Côtes Orientales £ Afrique.
i. T -^ Ville & le Canton de Tripoli, fournis pendant longr
t j tenjs au Roi de Tunis , furent envahis par des Seigneurs
particuliers qui prirent le titre de Rois. Les Turcs cjui gouverr
lièrent depuis ce pays par des Bâchas , lui laiflerent le tjtre de
Royaume ^ afin que leur Souverain pût en enfler fes titres. Cet
Etat fe gouver;ie aujourd'Jhiui en République ^ & a pour Chef u^
Dey qui efl comnç^e leGénéreil de fia Nation , fous la proteâion
du Grand Seigneur à qui il paye de tetns en tems un tribut. Le
Bâcha que le Grand Seigneur y envoyoit^ceflë d'y réfiden
Cet Etat ) qui tipïk pas , à beaucoup près , fi confidérable
xju' Alger ni même que Tunis j fubfifte par un commerce d'é.^
jofFes & de fafFrah, mais fur-tput paf fes pirateries^.
L'Ifle de Malthe-appartenoit à Tripoli avant que les Eipa-
gnols, qui Font cédée aux Chevaliers de Saint Jean de Jerufa?*
lem , s'en fuflent rendus les maîtres,
ïi. Tunis eft une Ville ancienne , & le pays qui en dépend ré-
pond à FAfriquc Proconfulaire des Romains. Elle fut pofledée
fucceffivement par les Carthaginois > par les Romains , par les
Vandales qui la faccagerent du tems de Saint Auguflin. Les
^ffbes s'en emjparerentà leur tour^ & ce fut à Tunis & aux
environs «
P t Tuois.
DU GOUVERNEMENT- 473
environs ^ qu'une partie des Maures d'Efpagnc fe fauva , lorf-
que Ferdinand & Ifabclle les eurent chaffés.- Les Efpagnols
conquirent enfuite une partie de ce pays. Barberoufle le reprît
fur eux , & les Turcs qui s'en rendirent les maîtres j il y aura
bientôt deux fiécles (a), jetterent dès^lôrs les fondemens du
Gouvernement qui y fubfifte aujourd'hui.
Ce Gouvernement eft entre les mains d%n Divan ( 6) , d'un
Dey, d'un Bey, & d'un Bâcha que la Porte y envoie jp mais
c'eft le Bey qui en a toute l'autorité , le Divan & le Dey ont été
abaifles. Le Bâcha , qui n'a prefque plus aucun pouvoir , de-
meure néanmoins à Tunis ^ comme pour faire fou venir les Tuni-
Tiens qu'ils s'étoient mis autrefois fous la protection du GrandSei«
gneur ; & le Gouvernement lui paye une penfîon très-modique*
Le Divan a la voie de repréfentation ^ {nais le Bey décide en
fon Confeil toutes les affaires d'Etat , indépendamment du fen-^
riment de ce Sénat qui n'a plus de Jurifdiûion , que dans les
affaires contentieufes de la Milice ou des Sujets de la Républi--
que. Les ordres du Graife Seigneur font toujours adreffés au
Divan & à la Milice , mais ils ne font exécutés qu'autant que
le Bey le permet. S'illes défapprouve, cesr ordres font mis dans
les Archives du Divan , & l'exécutioii en eft renvoyée à des
tems plus favorables. *
L'Etat de Tunis eft divifé en huit Provinces , dont chacune
porte le nom de fa Capitale , & en quatre Ifles.
Le Royaume d'Alger , dont la Ville Capitale , de mcme nom ; m.
« . i,\-, • D'Alger.
eft connue dans toute 1 Europe commerçante , a un port qui
fert de retraite à un grand nombre de Corfaires', lefquels in-
feftent fur-tout U mer Méditerranée. Ce pays répond à l'an-
(tf)Eni574, •
(M Sénat. .
ToïïiqL Ooo
474 SCIENCE
cienne Numidie &à deux des Mauritanies des anciens (a)» Il
eft fitué entre la Méditerranée au Nord > TEtat de Tunis à TO-
rient j l'Empire de Maroc & de Fez au Couchant , 8c des peu-
ples Arabes au Midi. Ces peuples Arabes habitent fous des ten-
tes à la manière des anciens Numides.
Ce pays qui eut fes Rois jÉrticuliers j fut conquis fucceflive-
ment par les RomiÉftis, par les Vandales^ 8c par les Arabes.
L'expédition malheureufc que Charlequint y fit (6) , a rendu
Alger célèbre. Le Grand Seigneur qui y envoyoit un Bâcha ,
en a été long-tems le maître ; mais fur lés plaintes que les ha-
bitans firent contre ce Miniftre de la Porte ^ le Gouvernement
fut changé ^ & le Dey a été regardé depuis comme le feiil Sou-
verain d*Alger , 8c comme allié du Grand Seigneur ^ dont il
reçoit & entretient les Envoyés Extraordinaires , lorfqu'il eft
queftion de négocier quelque /ifi&ire. Il les renvi^ye le plutôt
qu'il peut , tant pour éviter 1^ dépenfe , que parce qu'il eft im-
portuné de la préfence du Miniftre d'un Monarque autrefois
Souverain du pays. ^
Ce Royaume a peu de Villes fermées 8c peu d'habitations ba^
tîes. Un peuple nombreux loge fous des tentes^à la campagne ;
& chaque nation compofe un village ou campement qui change
de lieu fclon les faifons.
Il eft divifé en trois Gouvernemens i dans chacun eft un Bey
qui commande les armées ^ qui reçoit les ordres de la Cour
d'Alger , àc qui eft diftingué par le nom de fa Province ^ le
Bey du Levant , le Bey du Ponant, 8c le Bey du Midi.
Le Dey n'eft point abfolu. La Milice, compofée de Janif-
laîrcs , forme un Corps dont la licence eft efiréaée , & un Sénat
(a) CafarUn/îs & Sitlfenfa Aiaurhania,
(b) En 154U
DU GOUVERNEMENT. 475
redoutable au Dey même , quMl fait fouvent defcendi'e du trône*
Le mélange de Turcs ^ d'Arabes j de Maures ^ de Juifs ^ de
Chrétiens & de Renégats qui compofent cette République , for-
me un tout monflrueux j^âe la plus grande partie de la puifTance
publique demeure aux Turcs qui forment le Corps Militaire de ^
TEtat.
L'Empire de Maroc renferme non-feulement tcait ce que les i v. ,
Romains comprenoient fous le nom de Mauritanie Tingitane ^ Mv^
mais encore les Royaumes de Fez , Maroc , Taffilet, Darha ,
Suz , Tremeffen & Ségelmeflfe. Il eft borné à TOrient par le
Royaume d'Alger 6c une partie du Biledulgerid ; à TOccident ^
par la mer Océane; & au Septentrion > par la Méditerranée ; & il
s'étend depuis la bouche du Détroit de Gibraltar au Midi ^ juf-
qu'au Cap Blanc fur les confins de la Guinée. Ceft*là que les
Maures 9 pour la commodité de leur commerce > ont bâti un
petit Château qui eft le rendez-vous de toutes les Caravanes
qu'on envoyé tous les ans de Fez & d'autres Villes de i'Em^ ^
pire.
Cet Empire fi étendu , compofé de Maures > qui font les na*
turels du pays y de Juifs , de Renégats Chrétiens & de Nègres ^
eft un des plus pauvres &. des plus miférables pays de la terre ^
parce qu'il y a très-peu de Villes fermées, & qu'il ne s'y trouve
aucun port pafTable* Là règne le defpotiûne le plus dur avec
les mœurs les plus corrompues. •
La fertilité du pays eft différente félon la diverfité des con-
trées , mais en général les parties Septentrionales , bien culti*
vées & fous un Gouvernement doux & réglé produiroient tout
ce que nous recueillons en Europe fous de pareils climats j d|||
cuirs > du bled , de l'huile , du vin , de la -cire , du miel , de la
foye y de la gomme , & de la laine la plus fine. Il feroit facile ^
Oooij
47(5 SCIENCE
dans les Provinces Méridionales , de cultiver tout ce qu'on tire
des Indes Occidentales, du coton, des épices, du fucre, de
Tindigo, On trouve dans ce pays-là quantité de mines de cui-
vre , que les Africains nous envoyent en Europe. Il y a même
des mines d^or & d'argent- Les vallées ont des frufts de toutes
les efpéces & en abondance. Les plaines produifent d'excel-
lens fromens , du lin , du chanvre , &c. Ce pays a toujours été
renommé pour fes chevaux ; & les chameaux y ont infiniment
plus de force que ceux de TAfie ; mais il manque de bois de char-
pente d'une hauteur convenable.
Les Maures n'entendent point le commerce du dehors , &
n'ont point de vaiffeau. Ce commerce pafle par. les mains des
Juifs & des Chrétiens qui le font avec les Européens , & fur-tout
avec les François & avec les Anglois , qui y portent des draps y
de la toile , du fer en barrer & travaillé , du foufFre , de k pou-
dre à canon , des armes & du plomb , 8c qui en retirent des
amandes, des dattes, de la gommé .d'Arabie, du maroquin ,
des cuirs cruds , du cuivre , de la cire & du miel. Quant au
commerce du dedans , ce font les Maures qui le font par Je
moyen de leurs Caravanes. Ils en envoyent une tous les fix
mois à la Meque &-à Medine, & y portent des étoffes de draps
fabriqués , beaucoup de maroquin , d'indigo , de cochenille ,
des plumes d'autruche, qu'ils échangent contre des foyes , des
mouffelines, & des drogues tnipdicinaleSr
Salé eft le havre principal de tout PEmpire. Il eft très-fpa-
cieux ,mais il a le défaut irréparable d'être quelquefois fec dans
lestmarées baffes, où il n'a tout au plus qu'un pied & demi d'eau;
llfuis les marées pleines , il ne s'y en trouve qu'onze à douze. Il
fort quelques CorfaiFes de Salé , auffi bien que de Tanger & de
Tetuan ; mais un ou deux vaiffeaux Européens répandent l'ai-
larme fur toute la côte de Barbarie,
DU G O U V E R N E M E N T. 477
L'Empire de Maroc eft prefque perpétuellement en guerre-
avec toutes les Nation» Chrétiennes j mais il permet que leurs
Confuls , leurs Marchands , & tous leurs autres Sujets réfident
dans fes ports pendant la guerre , avec la même fureté & les
mêmes franchifes'que pendant la paix; il laiflele commerce
ouvert & libre avec toutes les Natioos ennemies, pour quelque
efpéce de marchandifes que cefoît. La piraterie que* les Maro-
quins exercent contre toutes les Nations, rapporté des revends ^ ,
corifidérables à TEmpereur. Tous lej frais des aEmemens font
fur le compté des particuliers; &. le Prince, outre. le dixième
des cargaifons , s'approprie tous lés captifs , dont il tire de
fortes rançons. Tant qu'ils reftent dans l^fclayage, ils fpnt em^s
ployés comme ouvriers, ôc leur, tràvatf ne coûte au Prince qu'un
peu de pain. . .: L : .. . : :
Un Voyageur, qui a pàffé quelque tems;à Mequîncz^ où il
ûvoit accompagné un Conful Ai^tois , nous affure que , Jorfqu^îl
y étoit , les Maures n'avoient que deuX; petits vaiffeaux qu'ils
Qommoient vaiffeaux de vingt pièces de icanon^ mais de la moitié
iplus fbibles que les nôtres de cette portée*? qu'ils avoient un
troificme navire, qui avoir été un brigantln François armé eft
courfe ; enfin un petit nombre de barques à voiles & à iramfes ,
& que c'étoit-là tout ce qui compofoit la flotte redoutable de
l'Empire de Maroc ( û )• . . ' ' . ::.!::
^ Dell* Princes liortmés Mtilô^ Abdala 8c Muley Muflaïaî ,
fe dîïputênt a£hidlement cet? Etat les armes à la mairi^ & iéii
peuplés font partagés entré ces deux ptétendans à la'Cou^
ronne.
Je ne parle point ici de l'Egf p»',' parce que cettq Pi*ovînc4 lt^Ju
{a) Qbftrvatfons naturelle^ , "mbfàTe^ &pdifîqircs for îe'pays & ïs^ habïtatis de
Maroc , imprimées à la fuite de tHiJloire des révolutions de P Empire de Maroc. Am-
ôerdam,chezP.Mortî^ii"1^5i;-f/i-lli ' .--*■-:..,.. :/., ■ . '0
47» S C ï E N € E
appartient au Grand Seigneur, dont les poiTeiÏÏMis former-
roht un long article dans le Gouvernement de l'Europe (a).
SECTION IL
r"
Gouvernement de^Cotfis Occidentales d^ Afrique» .
•
RoyJLes «c T T ^H rivîcrc , Hommée Gambra ^ fe jette dans POcéan fur
teS* IfcSi, VJ ^ côte Occidentalçd'Afrique , entre le Cap Sainte Ma-
tfAf^î^for u rie au Sud , & les Ifles des Oifeaux.au Nord 9 qui font à trente
G««h«* ji^^ ^g Gorée. Le Nord & le Sud de la Gambra font divifés
entre plufieurs petits Princes Nègres , qui prennenrtous le titre
de Rois ^ quoique plufieurs de ces Etats aient fi peu d'étendue
qu on peut les traverfer dans un jour.
Le premier Royaume du côté duNordeft celui de Bara^qui
s^étend vingt lieues au long deia rivière* Le Prince de ce pays-
là eft tributaire du Roi de Barfali.
' Après le Royaume de Bara, on entre à TEft dans celui de
Baàthi 9 qui eft vi^à-vis de Tankroval ^ Ville du Royaume de
Kaen fur la rivière du Sud.
Le Royaume fui vant eft Sanjally qui ^ tout petit qu'il eft , con«
ferve fon indépendance. Cet £tat n'a que quatorze lieues d'é«
tendue fur la rivière.
Plus loin ^ on entre dans une partie du Royaume de Barfalî^
qui commence à la mer où la rivière du même nom vient fe
décharger. Il s'étend derrière les Royaumes de Bara^ de Kolar
& de Badelu 9 d'où s'avançant fur la Gambra y il occupe fes
bords Tefpace de quinze lieues.
Le Royaume de Barlali eft fuivi de celui de Yani ^ grande
(tf) Voyez kXXV«Seâioa du Chap.VU^dQc^btroduffioiu ^
DU GOUVERNEMENT. 47^
région, qui fcdîvife en deux parties ,' Pune nommée le haut,
Taucre le bas Yani. Elles ont chacune fon Roi. Ces deux
itoyaumes s'étendent l'efpace de 80 lieues au long de la ri«
viere.
Ils font fuivis immédiatement de celui de Woolla , qui a beau«
coup d étendue fur cette même rivière.
En retournant à l'embouchure de la Gambra , pour fuivre la
rive du Sud , on trouve d'abord , vers la mer j le Royaume de
Çumbo j qui s*étend Tefpace d'onze lieues depuis le Cap Sainte
JMarie jufqu*à la rivière & au village de Kabata.
Le pays qui vient après , &,qui fe nomme Fonia , commence
à Tendroit où la rivière de Kabata tombe dans la Gambra , &
s'-ctend jufqu'à celle de Bintain ou de Vintain , ce qui fait un
^fpac^de fept lieues au long de la Gambra ; mais dans Tinté-
rieur des terres, il devient fi grand, qu'il eft gouverné par
deux Empereurs. Ces deux Princes auxquels des Rois voifins
payent tribut, ont chacun fes bornes > âc Ibrfque ce pays fut
•découvert > il n'étoit pas indigne des titres qu*ils portent , mais
l'avidité du gain leur a £dt vendre un fi grand nombre de
leurs Sujets pour Tefclavage , que leurs Etats font fort dé-
peuplés.
Après le pays de Fonia , on entre dans celui de Kaen , qui
n'en eft féparé que par la rivière *de «Vintain , qui eft gouverné
par un Empereur 6c par un Roi, & qui a vingt*trois lieues d'é-
tendue le long de la Gambra.
A YEft de Kaen , on trouve Jagra , canton çâebre par le
naturel laborieux de fes habitans ; & par cette raifon , riche en
ris 6c en bled.
Vient enfuite le Royaume dcYMiiiMy qui s'écend quatorze
lieues fur la Gambra.
480 SCIENCE
On entre après cela "dans le Royaume d'Eropina ^ qui a la
même étendue jufqu'à JemarroNC^.
• Le Royaume 'de Jemarrow s'étend trente-deux lieues fur Ik
Gambra.
- On trouve le Royaume de Tomani , grande contrée plus rem-
plie de Villes que jousles autres pays qui bordent la rivière ,
& qui s'étend Tefpace d'environ vingt-fîx lieues fur fes bords.
Au*delà dé Tomani , commence le Royaume de Kantor.
Les Peuples qui habitent entre la Gambra 6c le Sénégal /font
gouvernés par plufîeurs petits Princes.
Ro Tûmes & ^^ Royaumc de Sénégal , dont la grande rivière de ce nom
j^^« J'^^ mê- b^^^e les côtes , étoit autrefois fort confidérable , mais des ré-
Sd^ntatcTfufîè^^^^^^^P^ ont diminué fes forces & Tont rendu tributaire d'un
séjiégai. ^y^j.g Royaume. Il s'étend Tefpace de quarante lieues fur la ri-
vière de Sénégal 9 & de dix ou douze lieues dans les terres.
Après le Royaume de Sénégal^ on trouve celui d'un Prince
qu'on appelle hSiraîicky titre qui jfïgnifie le plus puiffant de
l'Empire. Ce Prince a plus de dix petits Rois pour fes tribu-
taires. Ses Etats ont joo lieues d'étendue fur les<leux rives du
Sénégal.
VI II. ^^ premier pays qui foit habité par des Negres,eft le Royaume
né^^ou côu'"'<le Sénégal. Les François & les Portugais fedifputent l'hon-
neur d'avoir fait la découverte de la Guinée , découverte qui ap-
partient au quatorzième fiécle.. Depuis ce tems-là, les HoiJan-
dçis & les autres Nations commerçantes de l'Europe fà font
aufli établies dans la Guinée.
Cette côte qui commence à la rivière de Mancha , va jufqu'â
la rivière f^olta, 9 ce qui fait environ iio de nos lieues. Les
' Portugais l'ont nommée la côte d'Or y à caufe de l'ipataenfe
quantité d'or qu'ils en ont tirée ^ & tous les Européens ont
adopté cette dénominatioOt Avi
DU GOUVERNEMENT. 481
Au long du rivage , la côte d*Or contient quinze Royaumes j
qui font Adomir ( nommé auflî Sakû 8c Àvina ) Axim^ Anko^
bar y Adom ( nommé auflî périr Inkaffan ou IP^arshes ) Jahi ( ou
Jabs ) Commendo ( ou Guaffo ) Fétu , Sabo , Fantin , Ackron ,
Agonna ( ou Anguirra ) Akra ( ou Aquambus ) Labbade ,
Nîngo ( ou Lampi ). On doit placer le commencement de la
côte d'Or à Rio de Sueiro da Cojla ^ près d^lffîni , parce que
c'eft le premier endroit où Ton acheté de Tor ; & la fin à Lqy ;
dans le pays de Lampi , à treize ou quatorze lieues d^Akra ^
parce qu'on n'y reçoit plus d'or que par hazard , d'un Peuple
nommé Amaho , qui habite plus loin dans les terres*
Toutes ces régions contiennent une 9 deux^ ou plufîeurs
Villes & Villages fur le bord de la mer , entre ou fous les Forts
& les Châteaux Européens ; mais les principales Villes des Nè-
gres font dans les terres & beaucoup plus peuplées. Neuf de ces
Royaumes font gouvernés par leurs propres Roi» ( ^ ) > c'eft-à
dire par des Princes quineprenoient , à l'arrivée des Européens^
que le nom de Capitaines. Les fix autres font des Républiques
indépendantes y fous la direâion de leurs Magiftrats. Les pays
intérieurs. ont aufli leurs Rois ou leurs Princes ( & )•
On trouve enfuite fur cette même côte d'Or les Royaumes
d'Anta , de Commendo j de Fétu , 'de Sabu , de Fantin , d'yf r
gouna 6c d'Akron.
Ces deux derniers pays étoient gouvernés ^ fur la fin du der-*
nier fiécle ( c ) par une femme d'un courage & d'une prudence
extraordinaires ^ qui prenoit le nom de Reine. A l'âge de 38
{a) Bofinan compte fept Ro3raumes & quatre Républiques. Hiftoire générale des
voyages , pag. x 5 du IV« Tome.
• (b) Barbet , page 45 ; & Hiûoire générale des voyages , page 15 du quatrième
Tome.
(c) En i68a.
Tome h Ppp
48z SCIENCE
fms , ceçte îïinc«fife vivoit encore fansk «wri ( a ) pour confef ver
{qq autQfiiié. ]y^a»elk foppliéokà eecte pmatk>o par un jeune
C^Iay^ (b) à qui elle défendok > fous-peine-de mort » toute force
de commerce aveq d'auires £eovne$ » & iÀ le goût qu'elle avoit
pour cekK qu'eU»&ifc)k kwv à &s plaifirs venoi(à s*éceiodre ,
file \fi chdogeoic pour un autre. Smith obferve que c'efl Tuni-
que pays. 4e k Guinée où le pouvoir fupiêaie ( c ) puiffe tomber
çntre les mains d'une femme. Enfuite > copiant avec beaucoup
de fidélité cour ce qu'on vienc de lire , d'après un autre voyageur
BMomé Bo&vtn » il ajoute que la Couronne paiTe en droite li-
gne à l'aînée des fiUes , Se que les en&ns mâles font vendus
pour l'eiclavage , dans la crainte qu'ils ne troublât le droit de
ifticceflion. La jeune Princefle , qui eft deftinée à hérit;^ du
Trône , jouit au(&tôt qu'elle le fouhaite , du privil<^e d'avoir,
«n enclave favori. Les Anglois ont eu, pendant quelque tems %
un petip Fort.près d'Âgouna ( d).
Suivent les Royaumes ^Akra y de Lahbûdc i.de Ningo & de
. Je ne trouve, dans ce que nous difent les voyageurs « que
les quatre articles fuivans y concernant la fucceffion des Negre&
de la côte d'Or , qui méritent d'être remarqués.
Bofman., qui. paroîc s'être informé avec foin de tout ce qui
regarde la fuccefeon des biens parmi les Nègres , obferve.
qu'Akxa efl. le feul canton de toute la côte d'Or , où les enfans
légitimes,, c'eâyà-dire , ceux qui viennent des femmes décla<^
lées , héritent du bien de leur père. Dans tous les. autres lieux »
{a) Bsdbot , pag. i8o ; âç Hifloire eéaénle des voyages , pgig. 71 duIV* Tome.
(*) Bofinan , p. 6 1 & fuiv. & Hifloire génér. des voyages , p. 7.1 du.IV« Tome.
(e) Voyez quelque détail fur cette Reine dans le voyage de, Hiillips ; & Hifloite g^
aérale des voyages , pae. 71 du IV« Tome.
(<0 Smith , p. ao9 i & Hift. gêner, des voyages, pag. 71. duIV*To»fi.
DU GOUVERNEMENT. 185
Paîné , s'U eft fils du Roi ou de quelque Chef de Ville , fuccedc
à remploi que fon père rempliffoît ; maïs il n'a d'autre héritage
à prétendre que fon fabre & fon bouclier. Auffi , les Nègres ne
regardeht^ils pas comme un grand bonheur d'être nés d'un
père & d'une mère riches ^ à moins que le père ne fe trouve dif-
pofé à faire , de fon vivant , quelque avantage à fon fils , ce
qui n'arrive pas fouvent , & cfii doit être caché avec beaucoup
de précaution > fans quoi y après la ratort du père j fes parehs fc
font tout reftkuer.
Autant que le même Auteur Ta pu découvrir j les enfans des
frères & des fœurs participent à la fuccellion dans Tordre fui-
vant. Ils n'héritent pas conjoîritement ; rtiaîs l'aîné des fils eft
^héritier du frère defâ ritêrê; & l'aînée des filles hérité dt fà
lante maternelle. Cette Loi eft irivioliBle , fans que les Nègres
puiffent en expliquer l'origine ; mais Bofman juge qu'elle a ùl
fource dans la mauvaife conduite des femmes , comtne dans
plufîeurs pays de l'Inde Orientale où les Rois adoptent le fils
aîné de leur fœur , & les nomment pour leur fuccéder , parce
qu'ils for* plus fûrs de la tranfmiffion du fahg par cette voie.-
Une femme qui n'a aucune relation de parerité avec eux,pour-
roic les tromper , difent*ils , 6c leur donner un héritier qui ne
^roit pas de leur fang. Au défaut des aînés , ce font les autres
enfans de la même mefe qui fuccedent à leur tour. S'il rfen refte
aucun , c'eft le plus proche parent de la niere du mort qui eft
appelle à la fucceffion.
Artus affure expreffément que fur la côte d'Or , il n'y a point
d'Efats héréditaires > c'eft-à-dîre de pays où les enfans, & aa
défaut des énfahs, lefs parçns les plus proches fuccedent atf
Trône de leur père ; mais qifiprès la mort d'un Roi , les Nobles
en élifent un autre qui prend poffefiion du Palais & de tou-
Pppij
484 SCIENCE
tes les rîcheffes de fon Prédécefleur (a). Le même voyageur
ajoute, que fi les premiers exclus font les enfans 8c les parens
du mort , on rejette aufli du nombre des Candidats ceux qui
Font ofTenfé ou qui font encrés pendant fa vie dans des intérêts
oppofésau fien. Le nouveau Roi j dit*il> efl immédiatement
conduit au Palais , & mis en poITeflion du tréfo^& des effets
royaux , comme s'ils lui venoientf ar voie d'héritage. 11 ne refle
aux enfans du mort que le bien dont leur père jouifToit avant
fon éleâion , 6c ce'b^en leur efl fidèlement reflitué ou efl divifé
entr'eux fuivant Tufage établi chez la Nation {b).
Barbot , qui repréfente quelques Monarchies comme hérédi*
taires , obferve que , dans les Royaumes éleûifs , le frère ou le
plus proche parent mâle efl choifi pour fuccéder au trône ^ ex-
cepté, dit- il, à Sabu^ où Ton appelle toujours à la fucceffion
quelque Prince étranger. Dans le Royaume de Fétu , on viole
quelquefois cette règle pour élire un Sujet qui ne touche point
auKoipar le fang , pourvu qu'il foit affez puiffant pour faire y
difent les Nègres , tout ce qu'il juge à propos , & qu'ils n'ayent
rien à faire eux-mêmes pour fon fervice. Dans les pays âiAkra
6c de Fétu y c'efl le Fatqyra ou le Capitaine des Gardes du der-
nier Roi , qui efl choifi pour lui fuccéder.
I X. Les Navigateurs Européens appellent Côte des Efclaves , celle
cUves, & autres qui s'étend depuis Kîo da f^olta où finit la côte d'Or, jufqu'à*
Rio Lagos dans le Royaume de Bénin. La côte fuîyante prepd
le nom de Grand Bénin. Celle d'après porte celui de Douare >
6c s'étend vers le Sud jufqu'au Cap Formofe. De-Ià elle tourne à
l'Efl jufqu'à Rio del Rcjy , d'où elle reprend au Sud jufqu'au
Cap Confalvo au de-là de l'Equateur, 6c forme le Golfe de
{a) Artus , dans la Colleâioa de Bry , Part. VI, pag. 56; & Hiftoire générale des
voyages , pag. 181 du IV* Tome.
U) Artus^ps^. 59i&Hi{l. génér. des voyages, pag. 181 duIV? Tome.
DU GOUVERNEME lyr 485
Guinée. Dans cette étendue, qui eft de 3 50 lieues, MMt prefque
partout la traite des Nègres par les Européens qui y ont fait des
«tabliflemens. «*
Là ^ fe trouvent les Royaumes de Juida , .à^Arira , de Be^
nin , & autres pays depuis le vieux Kalabar jufqu'au Cap Con-
falvo.
Sur cette même côte Occidentale d*^rique , eft une Monar- x.
chietrès-confidérablcquon appelle Congo. La Religion Chré- con^r""^ ^*
tienne y a pénétré dans Iç feiziéme iiécle , & le Roi reçoit les
MifTionnaires que le Pape y envoyé* Ce Prince a feul la pro-
priété des terres & de tous les biens , & en difpofe avec une au-
torité aufli entière que dans la diftribution des charges , digni-
tés & emplois. Les enfans même du Roi , font af&ijettis à cette
Loi fondamentale de TEtat*
L'empire abfolu que ce Prince exerce fur fes Sujets , rend fa
puiûance fort redoutable à fes voidns. Au moindre ilgne , il levQ
de nombreufes armées , & les voyageurs parlent d'un Roi de
Congo , qui marcha contre les Portugais > à la tête de poo mille
hommes. On auroit cru qu il fe propofoit la conquête de FUnî- .
vers , mais il n'a voit à combattre que trois ou quatre cens Mouf*
quetaires Portugais qui n'a voient ^ avec leurs fufils , que deux
pièces de canon de campagne» Les Portugais les chargèrent à
cartouche, & cette armée fut mife en déroute. Les Habitansde
Congo n'ont ni difcipline militaire , ni efprit , ni courage {a).
Autrefois 3 cet Empire étoit encore plus confidérable ; mais
quelques pays , 6ç nommément Angola , s'en font détachés , 6c
vivent aujourd'hui fous des Princes qui n'enétoient que lesGou*
verneurs & qui s^en font rendus les maîtres»
Lafucceffion au Trône n'a point d'ordre r^lé« Elle n'en a
(a) Hifloire générale des voyages , pa^es 4 & { du Y* TiNne«
^ë6 m s C I E N ce
point dutfflns ^ qui ne puifle être renverfé par la volonté des
Grands jfans^ard pour le droit tl'aînefle ou pour la légitî-«
mitédelanaMance. Us choififlent , entre les fils du Roi , celui
pour lequel ils ont conçu plus derefpeâ ouqu*ils croient le plus
capable de les gouverner. Quelquefois , ils rejettent les enfans
pour donner la Couronne aux frères ou aux neveux.
Les cérémonies de {^inauguration du Roi ont été changées
depuis que la Religion Chrétienne a étéintroduite dans le pays.
Un des Nobles fait , à hauteVoix , la proclamation fuivante :
« Vous qui devez être Roi ^ ne foyez ni voleur , ni avare ^ nî
>s vindicatif 5 foyëz Tami des pauvres , faîtes des aumônes pour
^> la rançon des prifonnicrs& des efclaves;aflîftezles malheu-
» reux ; foyez -charitcrf^le pour TEglife, efforcez-vous d*entre-
n tenir la paix & la tranquillité dans ce Royaume ; & confervez
>» avec une fidélité inviolable^le Traité d^alliance avec votre frère
m le Roi de Portugal ( a ). » On lui met la Couronne fur la
tête i des bracelets d*or aux poignets , & fur le dos un mah-
teau noir qui fert depuis long-tems à cette cérémonie. On lui
préfente un livre d'Evangiles foutcnu par un Prêtre en furplis;
il y porte la main , & jure d'obferver tout ce que le Héraut a
prononcé. Huit jours fe paffent eo complimens, hommages &
divertiffemens. Le neuvième jour, le nouveau Monarque paroît
dans la Place publique , confirme les engagemens qu'ila pris en
recevant la Couronne , & afïiire tous ks Sujets , qu'il n'aura
rien de plus à cœur que le bien de fon Royaume ôc le progrès de
k Religion Catholique. On lui répond par des acclamations
fuîvies d'un, ferment d^obéiffance & de fidélité , toujours mal
obfervé ; carfes Sujets fe foulevent contre lui & le ruent même à
h première oc«airotr.'S*if arrive quelque chofe qui les choque^
(a) Les Portugais cbmttlércenf âvtc les halritisis àa Congo ,Sty font étaUîs.
DU GOUVERNEMENT. 487
s'il tombe trop ou trop peu de pluye^ enfin fi le Ciel & là na-
tiHre ne les favofifenc point à leur gré^cfefl à leurRoiqu'ils enfonc
poner la. peine.
Ce Prince entretient un grand nombre de concubines ^ dans
un pays où Ton ne refuferien à dés inclinations déréglées.
Autrefois , Tufage étoit d'enterrer avec les Rois de Congo
douze jeunes filles ^ pour les fervir dans l'autre monde. Elles at-
tachoient tant d'honneur à ce funefte emploi 9 qu'elles (autoient
gayement dans le tombeau y 8c députant entr'elles la première
place auprès du corps qu'on plaçoit allîs y elles s'entretuoient
ians avoir pu s'accorder. Leurs parens & leurs amis les ornoient
des plus riches parures y & jettoient après elles toutes fortes de
marchandifes à leur ufage y mais cette coutume efl entièrement
abandonnée. Le deuil pour la mort du Roi fe céltbre pendant
huit jours y non par des pleurs y mais par des excès de boire &
de manger. Cette fête bizarre qui fe nomme Malala y eft renou-
vellée tous les ans y & s'obferve auffi pour les Nobles , en pro-
portionnant fa durée à leur rang ou à leurs richefies y fans que
le Chriftianifme y ait apporté de changement ( a )•
La Juftice efl: aflez bien adminiftrée dans les diverfes Pro-
vinces de Congo. Elle n'a point de Loix écrites , & les Juges
n'ont d'autre règle que l'ufage. Leurs Juffemens ne vont jamais
au-delà de l'emprifonnement & de l'amende. Dans les matières
importantes > les accufés appellent au Roi y feul Juge des ma-^
tieres criminelles. Lorfque le cas eft douteux y il eft au Congo
diverfes fortes d'épreuves qui font auffi bizarres que diverfes ,
qui ne reviennent pas mal à cette ancienne pratique fuperfti^
tieufe que nous appellions Us Jugemcns Je Dieu y 6c qui ne font
pas plus fûres.
{d) Hiftoîre générale des voyages , Tom. V , pag. 7.
488 SCIENCE
XL Le Royaume de Dongo a été nommé par les Portugais qui (e
gou?^*""* "' le font rendu tributaire , ai Angola , du nom d un Prince qui Tu-
furpa fur la Couronnne de Congo. Ce Royaume eft borné au
Nord par celui de Congo ; à PEft , par le Royaume de Matamba ;
au Sud ^ par Benguala j à TOùefl^ par TOcéan. Il a 5 10 milles
de longueur , de TOueft à TEft ^ fur jpo de largeur du Nord
au Sud. Il contient pluHeurs grandes Provinces fubdivifées en
divers cantons gouvernés par des Chefs particuliers. De ces
Provinces ^ Loanda eft la plus confidérable. La Religion Chré-
tienne n^a pas été introduite dans ce Royaume comme au Congo >
& il n'y a de Catholiques que les Portugais dans leurs établifle-
mens.On y voit beaucoup de blancs parmi une multitude infinie
de Nègres. Ceft fur cette côte là principalement que s*en fait
la traite parJes Européens. Auprès de Loanda eft une Ifle aflez
confidérable qui porte le même nom. Les Portugais n*ont pas
feulement des établiftemens fur les côtes de ce Royaume y ils
poffedent même Majfangano ^ 8c quelques autres Places dans
Tintérieur du pays.
La polygamie eft Tufage dominant dans les mariages d'An--
gola , & la première femme y jouit de la fupériorité fur toutes
les autres. Une femme qui eft devenue mère , demeure féparée
de fon mari , jufqu'à ce que la nature ait donné quelques dents à
fon enfant. Alors > tous les parens & les amis des deux fexes. le
portent de maifoh en maifon y au bruit de leurs chants & de
leurs inftrumens de mufique , pour demander des préfens qui
leur font rarement refufés;
L^OfEce des femmes eft d'acheter , dé vendre , & de faire au
dehors tout ce qui eft le partage des hommes dans la plupart des
autres pays , tandis que leurs maris gardant la maifon , font oc-
cupés à filer , à fabriquer leurs étoffes ^ & 4 d autres ouvrages de
la même nature. Cet
D U G O U V E R N E M E N T. 48(>
Cet ufage de la polygamie rend le Royaume d'Angola plus
peuplé qu on ne peut fe Timaginer , au lieu que depuis Tétablif-
fement du Chçiftianifme dans le Royaume de Congo , le nombre
des Habitans y eft beaucoup diminué. Cefl ce qu obfervc un
voyageur (a).
Le même voyageur ajoute que , fuîvant Pufage du pays qui
oblige tous les Sujets de fuivre le Monarque à la guerre , il peut
mettre en campagne un million d'hommes ; & que dans une oc«
cafionpreffante ^ il peut lever promptement cent milles volon^
taîres : Puiflance redoutable , fiU conduite & Je courage répon^
doient au nombre»
Le Royaume de Benguela a jio milles de longueur , de xn.
rOuefl; à TEft , & 3^0 de largeur , du Nord au Sud. Ses bornes hen^u^Z^
font au Nord , le Royaume d'Angola ; à TEft , le pays de Joggi
Kajjanji ; au Sud , celui de Mataman ; 8t la mer à TOueft. L'air
du pays efl: H dangereux^fic communique aux alimens des qua**
lités fi pernicieufes , que les étrangers qpi en ufent à leur arrivée >
n'évitent point ou la mort ou de facheufes maladies. Les Por?»
tugais qui font un grand commerce dans ce pays-U y ont des
établiiTemens confidérables , & y ont bâti enti'autres une Ville
qu'ils ont nommée Saint Philippe de Benguela ^ & qu'ils appelr
lent auffi le Neuf Benguela , pour la diflinguer d'unie ancienne
Ville du même nom qu'il y a dans ce pays. Ils y ont un Gouver^
neyr & une garnifon de leur nation. Le Peuple dç ce Royaumç
mené une vie brutale , & eft livré à toutes fortes de vices & de
mauvais commerces.
Les Royaumes de Congo , â^ Angola & de Benguela font en- xïil
vîronnés de Nations qui ont formé plufieurs Royaumes indér ««sVay^
pendans , tels que Bokka Meala , Àn\ikOy Matamba &. Kq^
(tf) Hiftoire générde d«s voyages , Tom. V, pag. }8.
4pô SCIENCE
laiîji. Les Aniikos & les Jaggas font les plus célèbres d*entre
ces Peuples. Le Royaume àiAniiko a 630 milles de long fur
540 de large ; & le Royaume de Matamha qui eft le pays des
Jagga^, 450 milles de long & 240 de large. Ces Jaggas font
Antropophages ; ils préfèrent la chair humaine aux bœufs Se
aux chevreaux , & ils facrifient au démon des viûimes humai-
nes. Leurs femmes font fécondes ; mais dans leurs marches ,
ils ne fouffrent pas qu elles multiplient , & leurs enfans fonten-
fevelis au moment qu ils voient le jour ; ainfî ^ ces guerriers
errans meurent ordinairement fans poflérité. Le motif qu'ils
donnent de cette conduite ^ c'eft qu'ils ne veulent pas être trou-
blés par le foin d'élever des enfans , ni retardés dans leurs mar-
ches ; mais lorfqu'ils prennent quelques Villes , ils confervenc
les garçons & les filles de douze à treize ans j comme s'ils
étoient nés d'eux, tandis qu'ils tuent les pères & les mères pour
les manger. Ils traînent cette jeunefle dans leurs courfes , après
leur avoir mis un collier qui eft la marque de leur difgrace. Les
garçons doivent la porter jufqu'à ce qu'ils ayent fait preuve de
leur courage , en offrant la tête d'un ennemi au Général. Ceft ,
difent les voyageurs , la plus barbare Nation de l'Univers (a)*
SECTION I I L
Gouvernement des Pays qui bordent la Côte Orientale et Afrique^
depuis le Cap de Bonne Efpérance*yjufquà celui de Guardafu^
XIV. I E Cap de Bonne Efpérance eft fort connu en Europe f
ueEfp/wnfiç, 1 j parce que nos vaiffeaux n'ayant point d'autre route pour
ferendre aux Indes Orientales , y touchent fort fouvent# Il eH
{a) Hiftoire générale des voyages , Tome V. pag. loo te loa.
DU GOUVERNEMENT. 491
k pointe la plus m<5ridionaIe de TAfrique y & Tendroit le plus
remarquable duy ys des Hottentots. Il fut découvert pour la
première fois fur la fin du quinzième fiécle (a) par Barthelemî
Diaz^ Amiral Portugais*
Les HoUandois qui en ont chaffé les Portugais , y ont fait un
ëtabliffement qui de la côte s'étend fort au loin dans l'intérieur
du pays. Ils y ont bâti ( b ) une Ville , dont une affez belle Ci-
tadelle & quelques batteries de canon font toute la force. Ce
qui affure davantage^ ce pays aux HoUandois > c'cfl qu il n'y a
guère qu'eux qui veuillent s'expofer aux pertes qu'ils y font de
tems en tems. Les vents du Nord-Ouefl: venant à fouffler y agi-
tent la mer de telle forte, que la lame feule pouffe les vaiffeaux
fur terre & les y fait périr. En deux fois feulement , les HoUan-
dois y ont perdu 32 vaiffeaux ( c ). Il y a dans la Ville du Cap
de Bonne Efpérance autant pour le moins d'efclaves que de
HoUandois. Ceux-ci ont étendu leur établiffement jufqu^à 150
lieues dans les terres , & les Hottentots qui en habitent le mi-
lieu y font forcés de fe retirer , à mefureque les HoUandois éten-
dent leur Colonie. Les Hottentots font une race d^hommes li-
vrés à beaucoup de vices y & jamais aucun peuple ne fut ni plus
pareffeux ni plus y vrogne. Il efl dans un ufage qui bleffe la na-
ture & qui femble appartenir plus particulièrement aux Hotten*
tots ; après la cérémonie qui les conflitue dans la qualité d'hom^
mes , ils peuvent fans fcandale maltraiter & battre leurs mères*
C'efl un honneur pour eux de ne les pas ménager j & loin de
s'en plaindre , les femmes approuvent elles-mêmes cette info-
lence. Si Ton entreprend de faire fentir aux anciens l'abfurdité
d'une fi odieufe pratique y ils croient réfoudre la difficulté en
. r^ri^n 1493.
(^) EiT 1650.
(c) Vingt-cinq y firent naufrage en 1722 , & fcpt en 1736.
45)2 SCIENCE
répondant que c'cft Tufage des Hottentots. La coutume rfex- »
. pofer leurs enfans & leurs vieillards , doit paHjj^tre encore plus
barbare j mais elle n'efl pas plus propre des Hocteotots , que
d^autres Nations de l'Afrique ; Tantiquité en offre auiïï des
exemples dans les Nations les plus policées. Sur la première de
ces deux barbaries , les Hottentots n'allèguent encore que Pu-
fage pour leur juftification ; mais s'il eft queflion de leurs vieil-
lards ; ils prétendent que c'eft un aûe d'humanité , & qu'à cet
âge , il vaut mieux fortir desmiferes de la vie , par la main de
fes amis & de fes parens , que de mourir de faim dans une hutte
ou de devenir la proie des bêtes farouches ( a )•
XV. Il eft plufîeurs Ifles fur lesmer^ d'Ethiopie* Celle de Mada-
Cap àt Bonne gafcaT ouc les Portugais nomment Saint Laurent • eft une des
Cap de Guuda- plus grandes du monde connu. Madagaicar elle-même eu en-
vironnée d'Ifle , de rochers & de bancs de fable qui forment
des écueils dangereux : Ifle de Sainte Apolline ^ Ifte de Bour-
bon , &c.
xvr. L'Empire du Monomotapa ^ vafte pays dont les Habitans
«oi^pa/ font innombrables , eft féparé par une rivière au Nord Se vers
une partie de l'Oueft , de divers Royaumes qui appartiennent
à l'Empire de Monemuji ^ & du Royaume maritime de Maruka.
A la fuite de l'Oueft & du côté du Sud ^ il eft bordé par le pays
des Hottentots & par certains Cafres. A l'Eft , il eft baigné par
la mer de l'Inde»
Cet Empire eft dîvifé en vingt-cinq Royaumes , & il a des
mines très-riches d'or que les Portugais fe procurent par des
échanges avec des étoffes , des colliers de yerre , & d'autres
marchandifes de peu de valeur. Ils ont à Maffapa un Oflîciet
de leur nation , nommé par le Gouverneur de Mozambique ^
{a) Hiftgirt générale dw voyages , Tome V , pag. 14$ & 147;,
DU GOUVERNEMENT.4P3
du confentement de l'Empereur de Monomotapa y mais avec
défSnfe , fous peine de mort f de pénétrer plus loin dans le pays
fans fa permiflion.
L'Empereur a un grand nombre de femmes , mais il n'y en a
que neuf qui foient honorées du titre de grandes Reines. Il en-
tretient plufieurs armées dans différentes Provinces , pour con-
tenir dans le refpeâ & dans la foumiflion des Rois fes vaflaux ^
que leur inclination porte fouvent à la révolte»
SECTION IV.
Gouvernement de C intérieur de P Afrique.
LA F R ï Q u E , peu inférieure à l'Afie & à T Amérique pour xy„.
la variété & le mérite de fes produftions, n'eft pas^ à ri£i^„^pt;
beaucoup près , auffi connue que ces deux autres parties Mu ^J^*'*'^"^
monde. La connoiffance que nous en avons , fe réduit prefque
uniquement aux côtes & à quelques rivières > telles que le Se-
négal & la Gambra. La partie connue par ces deux rivières , eft
plus fréquentée par les Européens y qu'aucune de celles qui font
au-deffus de la Barbarie & de TEgypte ; mais les blancs n'ont
" pas la hardieffe de pénétrer dans l'intérieur de l'Afrique ; ils y
périroient infailliblement par la jaloufie des Nègres qui lesfoup-
çonneroient de quelques deffeins pernicieux à leur Nation. Ces
Nègres , qui ont intérêt que les blancs ne pénètrent point dans
le fein du pays , leur en font de fauffes relations* Perfonnc ne
peut par conféquent parler avec certitude de la (îtuation , de
rétendue , du commerce y & des forces des Etats qui font dans
l'intérieur des terres*
Les Royaumes de Congo ^ d'Angola y de Benguala y quel*
494 . SCIENCE
ques autres dont j'ai parlé , 6c les Etats dont ils font envi-
ronnés, & dont nous fçavons à -peine les noms , compofênc
prefque la moitié de TAfrique. Loango eft un de ces Etats. Je
lui donnerai ici un article , & je rapporterai le peu que nous fça-
vons de rAbiffînie*
XVIII. Après la mort du Roi de Loango y la Couronne ne pafle pbînt
àtUin^ir^^ à fes enfans , mais à Taîné de fes frères ; & s'il rfa point de
frères , aux enfans de fes fœurs* Ceux qui ont des juftes préten-
tions à la fucceflion Royale , ont leur demeure fixée dans dif-
férentes Villes 9 plus ou moins éloignées de la Cour, fuivant
le degré où ils font dans la famille régnante. L'héritier préfom-
ptif fait fa réfldence à Kay , grande Ville à cinq milles de
Loango , au Nord-Nord-Oueft , & porte le titre de Manikay.
Le fécond fe nomme Mani-Bocke y du nom de la Ville qu'il
habite , à quatorze ou quinze milles dans l'intérieur des terres.
Mani'Sallaga ôm Sallage , qui eft le troifiéme , demeure à 5izZ-
lage j Ville d'affez bonne grandeur , à 3 y milles de Loango ,
du côté du Nord. Mani-Kat , le quatrième , habite le village
de Kat , à 50 milles de Loango. Le cinquième , nommé Mani*
Ingami y eft fixé dans le village de fon nom , au Sud du Royau-
me vers Kalongo. A la moft du Roi, Mani-Kay étant appelle
au trône par le droit de fa naiffance , Mani-Bocke prend fon
titre & fa demeure, comme Mani-Sallage fuccede à la demeure
& au titre de Mani-Bocke , & les autres fuivant Tordre de leurs
degrés. Mais quoique Mani-Kay entre auflitôt en poffeflion du
Gouvernement, il attend que le deuil foit fini pour quitter fa
Ville '& fe rendre à la Cour (û ).
XIX. L'Empereur des Abiffins prend la qualité de Prince des If-
tfAbafinif. raëlites , parce qu'il prétend defcendre de Salomon. Nous l'ap-
"^ii)Jïiftoîregénéralc-dc«^oyagc^pag.598 duIV^Tom». -
D U G Onj V E R N E M Ë N T. 4py
pelions le Grand Negus ; & il n'écoit connu autrefois en Eu-*
rope que fous le nom de Préte-Jan. Nous n'avons de relation
de fon pays que depuis le règne de Jean II Roi de Portugal ,
qui ^ dans le quinzième fiécle (a) , envoya deux Capitaines de
vaiiTeaux ^ pour le découvrir dans TAfie & dans les Indes où
il n'eft point. On le trouva enfin en Afrique , où fon Etat eft
fitué y entre le feptiéme & le dix-feptiéme degré de latitucfc.
On rfa pu déterminer fa longitude* En hiver comme en été ,
les habitans fe retirent dans les montagnes j où ils font àcou-«-
vert de la chaleur extrême de leur climat ôc des inonda-
.tions.
Sur la fin du neuvième fiécle , une femme nommée EJfa\ fie
périr toute la famille régnante , à la réferve d'un feul Prince.
La fienne tint TEmpire pendant quatre fiécles. Les defcendans
du Prince fauve du mafiacre , fe partagèrent l'Etat vers la fin
du treizième fiécle* Il fut enfuite réuni fur la tête d'un feul ^
dont la poftérité gouverne encore rAbiffinie.
L'Empereur des Abiffins efl: Chrétien. Les Miffionnaires
Européens avoienc même introduit (&) la Religion Catholique
dans fes Etats ; mais les Catholiques en ont été chafiës (c) ^
aufli bien que les Miflionnaires. Les Abifiins ont un Carême de
cinquante jours, qui les afFoiblit tellement, que de long*tems ils
ne peuvent agir. Les Turcs ne manquent pas de les attaquer
après ce très -rude Carême (d), & les Abifiins ne changent
rien à une pratique pieufe qui les expofe à être maflacrés par
leurs ennemis , aufii fiupides en ce point que les Juifs , qui ne
(d\ En 1487.
m Vers le milieu du XVI« fiécle.
le) En 1632.
\d) Recueil des voyages qui ont fervi à rEtablilTement de la Compagnie des la*
4es , Tom. IV , Part. I. pages 3 5 & X03 •,
49^ ' SCIENCE
fe défendoient pas contre les ennemis qui les attaquoient le jour
du Sabbat , parce que le Sabbat leur avoit été ordonné. Ceft
ainfi que les foldats de k garnifon de Feluze affîégée par Cam^
bife , n'oferent tirer , parce que Cambife avoit mis au premier
rang un grand nombre d'animaux que les Egyptiens tenoient
pour (acres 9 comme fi la défenfe naturelle n'étoit pas d'un ordre
wpérieur à tous les préceptes !
Cet Empire d'Abiffinie ou d'Ethiopie a eu une très-grande
étendue & ne laifle pas d'être encore très-puifTant, malgré les
pertes que lui a caufé la nation barbare des Galles. On y compte
plus de vingt Royaumes. Le plus beau efl yimhara y qui eft
comme le centre de l'Empire. C'eftrlà que le Roi tient fa Cour,
& que les Seigneurs font leur féjour ordinaire. Celui d^Endrrea
eft recommandable par la richeife des mines d'or qui y font
abondantes. Celui de Goyan efl célèbre par les fources du Nil
qu'on y a trouvées 9 & dont ce fleuve qui l'entoure fait une belle
prefqu'ifle.
Les Abiflins ont de Tefprit , mais ils ne le cultivent point»
Ils font dans une ignorance profonde des fciences & dts arts
Hbéraux y & ils efliment néanmoins ceux qui les poffedent. Ils
n'ont point de Médecins y & fuivent Tufage des anciens Babî-
Ioniens qui confultoient les premiers venus fur leurs mafadies»
Ils ont de l'éloignement pour les procès , & n'ont pas plus de
Jurifcdnfultes que de Médecins ; chaque particulier plaide fa
caufe comme il peut devant les Gouverneurs du pays ^ qui jugent
également les affaires civiles & criminelles j il efl rare qu'on ap^t
pelle de leurs Jugemens à l'Empereur»
CHAPITRE V,
D U G O U V E R N E M E N T. 4py
^CœÂMAMji^
CHAPITRE G I N Q U I E ME.
Du Gouvernement aSuel de ckaqtu Peuple de F Amérique^
conjidiré en particulier.
SECTION PREMIER K
Gouvernement des Indes Occidentales , avant la conquête
que les Européens en ont faite.
L
E Mexique écoit TEmpire de l'Amérique Septentrionale. t
Nous n'avons aucune connoiflance du Gouvernement qui
y avoit été établi y foit parce qu'il étoit defpotique y foit à caufe
que ces peuples idolâtres n'avoient aucune connoifTance des
Lettres. Nous apprenons feulement , dans THiftoire de la con-
quête que les Européens ont faîte de cet Empire & qui eft un
très-bon Ouvrage (a) , que Motefuma , dernier Souverain In-*
dien , régnoit fur cette vafle contrée ; qu'il y avoit dans l'éten-
due de cet Empire un Royaume qu'on appelloit Mechoacan ^ 8c
une République qui portoit le nom de Tlafcala 6c qui avoit un
Sénat; que le refte de FAmérique Septentrionale étoit gou-
verné par des Caciques , c'eft-à-dire , par des Chefs particuliers y
par de petits Princes tributaires , ou par des Gouverneurs qui
dépendoient du Souverain de Mexico , Capitale de l'Empire ;
& qu'enfin les hâbitans du Mexique faifoient des facrifîces
d'hommes aux Dieux du pays : ulage barbare que déteiloien(
ks peuples de PAmérique Méridionale ^ plus humains.
f^a) Par Antoine de SoUs qui a écrit en ETpagnol , & dont le Livre a M traduit çq
François par l'Auteur de lUiftoire du Triumvirat, (C^rtri. )
Tomcl. Rrr
LeUexi<|u4
Xe Pérou*
498 SCIENCE
îi. Le Pérou étoît TEmpire de T Amérique Méridionale J gou^
verné par un Ynca ou Roi. Les mêmes raifons qui nous ont privé
de la coraîoiflance de l'ancien Gouvernement du.Mexique ,
nous auroient ôté celle du gouvernement du Pérou , fi après la
conquête que les Européens en ont faite , & qui a été encore
écrite par un Auteur Efpagnol ( a) > Garcilaflb de la Vegja ,
Sont' la mère defcendue des Yncas , anciens Rois du pays ^
avoit été mariée à un Efpagnol,tfavoît compofé f Hiftoire de ces
Yncas (6) , & ne nous avoit expliqué leur établiffement , leur
Religion , leurs Loix , & tout ce qui a rapport au IÇferou. Ceft
d'après cet Hiftorien y le feul national que nous ayons , que je
donnerai ici l'idée de cet Empire,
Les Péruviens , qui n'a voient aucune connoiflance des Let-
tres y ne pouvoient fçavoir leur hiftoire que par la Tradition ^
par quelques chanfons qui ^ comme autrefois chez divers peu-
ples de l'ancien monde , faifoient paffer de bouche en bouche
les événemens remarquables , & confervoient la mémoire de la
vertu des grands hommes y Se enfin par des nœuds appelles
Quippos y qui , par la différente manière de les faire y & par leurs
différentes couleurs ; fervoient d'alphabet aux Péruviens , &
formoient ce qu'on peut appeller leurs annales» Avec des^
moyens fi foibles , il n'a pas été poflfîble d'étendre fort loin
tHiftoire de la Monarchie y Se nous n'y devons prendre que
peu de confiance»
L'Empire des Yncas avoit 1 300 lieues de long, & étoit dans
fon étendue coupé par la ligne Equinoâiale. Ceft un pays au-r
quel la nature a prodigué fes ricKefles» *
Les habitans qui n'opt pu fixer Tépoque de la fondation de
{a) Aiiguftin de Zarate , dont THiftoire eft traduite en François.
{h) Eîle fut compofée en Eipa'ghol en 1604, 5c traduite en François. Anifterdam^
xîiez J. Frédéric Bernard, 1737* - ^ •
DU GOUVERNEMENT. 49,
l'Empire auquel ils étoient fournis , fçavoient feulement en gé*
néral, que leurs ancêtres, plongés dans une grande ignorance^
dans une idolâtrie grofTiere > étoient dépourvus de toutes les
douceurs de la vie ^ lorfqu un Indien qui avoir plus d'efprit ^
de génie & d'adreffe que les autres, entreprît de les policcr. Il
accrédita fa miflion en fe donnant pour fils du Soleil. Après
s'être affuré de leur foi > il leur propola la pratique toute fimple
des Loix naturelles ; 8c lorfqu il vit qu une origine fi didinguée
lui attiroit la confiance , 8c que la fupériorité de fon efpric
pouvoir la juftifier , il leur déclara que le Soleil étoit Dieu 9 qu^il
devoir être le leur ; qu'il méritoit un refpeâ: 8c un culte tout
particulier ; que fon nom ne devoit être prononcé que par des
perfonnes facrées; 8c que déformais tout homme qui le pro-
nonceroit , à moins qu il ne fut Ynca , feroit lapidé.
Manio-Capac, c'efl le nom de cet Indien , fut donc le pre-
mier Ynca 8c le fondateur de cette Monarchie. Les Sauvages
Méridionaux de l'Amérique croy oient devoir leur origine à des
lacs, à des fontaines» 9 à des montagnes , à des oifeaux, à des
reptiles, aux animau3( les plus vils , aux bêtes les plus féroces ,
a toi)t ce qi)i fe préfentoit à leur imagination ; 8c ils avoient
par conféquentun nombre prefque infini de faufles divinités: ob-
jets méprifables & par leur baffefTe & par leurs fondions. Jugeant »
de Textraâion de TYnca par la leur propre 8c par les grands
biens qu'il leur avoir faits , ils le regardèrent comme le vérita-
ble fils du Spleil, l'adorèrent comme tel , 8c promirent d'obéir
€xa£lement à fes ordres. Tous proteflerent , lorfqu on les affem-
bla , qu'un homme mortel ne pouvoit avoir mis en évidence les chofes
qu^ilkur avoit témoignées, tf qu'ils liiQroyoient un homme divin:
Cet Ynca peut être comparé ( fi ce'qu'on nous en dit efl vrai )
aux Legiflateurs les plus célèbres de l'antiquité. Il fit de bonnes
Rrrij
50O SCIENCE
Loix & d'excellens Reglemens ^ pour des peuples fauvâges qu'il
fçut raflembler en fociété, & qu'il engagea à labourer la terre ^
à cultiver les arts y 6c à élever des bâtimens.^ Il apprenoit aux
hommes ce qu'ils dévoient faire ; & la Reine ^ Cc^a mania Oella
huaco y fa fœur & (a femme y afTociée à fes vues y inftruifoit leâ
perfonnes de ion fexe à filer la laine ^ à ciftre lecoton^&à
faire les autres ouvrages convenables à leur étstu
Il fît bâtir un grand nombre de Villes ^ y introduifit les arts^
8c y établit le culte à rendre au Soleil auquel il fit élever des Tem-
ples magnifiques dans^tous les lieux qui devinrent fa conquête r
Temples dont les refies font encore Tobjet de Tadmiration^ des
Européens qut tes ont vu$#
Ce Legiflateur donna à chaque Nation qui fc fournira fa puîf-
fance , un Curaca , Prince vafïal ou Gouverneur y qu-*it choifîft
parmi ceux qui Tavoîent le- plus aidé à policer Ie!s fauvages.
Sa morale fut très-pure* Il établit deux principes fondamen-^
taux de la< Religion naturelle : Tun f la juftice mutuelle qui" or-
donne à chaque homme c^rè équitable ertvers le$ autres , afi*
que les autres le foient envers lui : Tautre y le mariage qui boN
Roit chaque mari à la pofTeffiôn d^unefeiile femme; L'adulterfe
fut traité de larcin , la fornication rendit méprifable y le pécHé
contre nature fut châtié exemplairement: le concubinage même^
qui efl une efpéce de polygamie^ devint odieux ; mais parée que
k tempéramment de^ MancaCapac yeraportoit fur la juôice de
fes Loix , il cacha Tèxcèis de fa paffion pour les femmes y fous
ce beau prétexte qu'il étoit important à tEtat qu*il y eût beau**
coup d'enfans du Soleil»
• Il voulut qu^'on fe mariât de bonne hëUHe ^ poui^ multiplier les
Citoyens, & pour empêcher les débauches; mais il défendit
<^ ce fût avant vingt ans, parce quUl fs^loit que les gçns^mafr
DU GOUVERNEMENT; 501
tiés fuffent en âge de prendre foin de leur femme , de leurs en-
fans y de leur fortune. L'intérêt & Tavarice ne fof moient pas
l'union, LTnca marioit lui-même ceux de fon fang ; 6c les Gou-
verneurs des Villes & des Provinces marioîent les perfonnes
foumifes à leur autorité.
Il leur donna des préceptes fur le culte à rendre & les facrî*
fices à faire au Soleil. Il leur difoit qu'il devoit à cet allre & à la
lune fa femme & fa fœur , une adoration particulière, pour leur
avoir envoyé deux de leurs enfans ( MancoCapac & ùl femme)
qui leur avoient fait quitter leur façon de vivre brutale & fau-
vage. Il ordonna que , lorfqu'il y auroit autant de femmes du
Sang Royal qu'il en falïoit pour le fer vice du Soleil, on bâtit
une maîfon où elles feroient logées & enfermées , & il leur pro-
mit de nouveaux bienfaits de la part du Solei) fon père , au cas
qu'ils fiflent ce qu'il difoit, les affurant que c'étoit le Soleil même
qui lui infpiroit tout ce qu'ils apprenoient de lui, & que ce grand
Dieu , Comme un bon père , lui fervoit de guide dans fes allions
comme dans fes paroles^
• La nianiere'de punir les attentats à Phonneuf , ou des femmes
de l'Ynca, ou de certaines filles qui avoient fait vœu de virgi-*
Tiité perpétuelle, & qui s'étoient mifes aufervice du Soleil, dont
elles fe difoient les femmes , eût été bien injufte , Ct elfe eût été
fuivie à la lettre, puifqu'elle eût confondu les innocens avec le
coupable. On devoit , fuivant la Loi , non-feulement enterrer
Vifs ces adultères, mais encore détruire toute» lés familles dcf
ces criminels avec tous les habîtans des lieux de leur naîfTance^
& femer, fur les ruines de ces lieux, ou des pierres ou du fel,
afin^qa'on y vît des marques éternelles de ftérilité & d'infamie.
Four fauver h rigueur de la Loi , on nous aflure qu'elle n'a jd«
gaaisr été exécutée , parce qu'il n'y a ^mais eu de criminel , que
502 ^ SCIENCE
le refpeâ des Loix 8c un amour namrel de ta vertu retenoient
les uns , pendant que les menaces effrayoient les autres & les
forçoient à garder les apparences de la vertu. Voilà œ que nous
donne à entendre lliifloire des Yncas ; mais il eil impoffible que
dans un Etat il n'y ait ni infraûcursdes Loix , ni criminels. Les
conféquences de cette feverité utile en apparence & néceffaire à
l'Etat , pouvoient être dangereufes. Tout ce qu'ont pu faire de
mieux les Yncas a été de punir le crime en fecret , pendant qu'on
maintenoit en public la fainteté des Loix de TEtat y & qu'on en
faifoit valoir j par cette rigueur, l'autorité à tout le peuple. lia
pu d'ailleurs y avoir au Pérou , comme il y en a eu dans d'autres
Etats , des moyens de cacher certains défordres , & tout ce que
THifloire efl en droit d'exiger de nous, c'eft de croire que la
Loi les y a rendus plus rares.
La dignité facerdotale réfidoit dans la famille des Yncas ^
avec cette diftinûion que les Prêtres du Soleil étoient pris du
Sang Royal, au lieu que les autres étoient pris entre les Yncas
titulaires, car la qualité d'Ynca étoit accordée à ceux quife ren-
doient néceffaires. à l'Etat , & fervoit de témoignage Se de ré-
compenfe à leur mérite. Cétoit le plus haut degré de fayeur au*
quel un Sujet pût parvenir. Manco Capac accordoit aufli à quel*
ques-uns de fes Sujets les mêmes marques d honneur qu'il por-
toit fur fa tête. Il n'avoît ordinairement que l'épaiffeur d'un
doigt de cheveux coupés par degrés ; fes dekendans les portè-
rent de même que lui , fe les çoupoiçnt avec des.rafoirs faits de
pierre à feu , & fe perçoient les oreilles , principalement les fem*
mes qui y attachoient des pendans. Le privilège que l'Ynca
donna à fes vafTaux, fut de leur permettre à tous déporter la
trcffe , à fon imitation , pourvu qu elle fût feulement noire Se
non de diverfes couleurs comme la iienae^illeur permit enfuitç
DU. .G O U V E R N E M E N T. fe^
•de portctj^.çheyeiix coupés par échelons , avec quelque diffé-
rence ^J8(p^;4fes autres , félon qu'ils Croient plus ou moins affu-
jettis^ tç-bjùt de rVnca étoit de diftingucr par la coëfliu-echâH
que Nattoh & chaque Province , pour éviter la confufion dans
le partagé qu'il en avoit fait. Il leur défendit pourtant à tous de
porter lesxheveux auffi courts que lui.
La ^gçïTe des Loix du premier Ynca fit toute feule ce que
des années redoutables n'ont pu faire ailleurs que par la terreur.
Une prudence finjguliereliii fournit le moyen de s'affujettir des
peuples barbares qui Tenvironnoient de tous côtés , il les rendît
capables de docilité ; & en ne s'attachant proprement qu'à la
conquête des âmes & à corriger les mœurs de tous ces fauva-
ges ) il fçut perfuader y fans contrainte & fans violence y qu'il
ne falloit qu'une feule Loi & un feul Maître dans un Etat bien
réglé.
Les Rois y outre les femmes légitimes y avoient plufieurs Maî-
treffcs dont les unes éroient étrangères , & les autres leurs pa-
rentes 9 au quatrième degré ou dans un degré plus éloigné. Ils
cenoient pour légitimes les enfans qu'ils avoient de leurs paren-
tes , parce qu'ils n'étoient point d'un fang étranger ; mais ceux
qu'ils avoient des Maîcrefles étrangères , ne paflbient que pour
bâtards. On les refpedloit , parce que leur naiflance étoit Royale ,
jnais on n'avoit pas pour eux la même vénération que pour ceux
du Sang Royal. On honoroit ceux-là comme des hommes y &
on adoroit ceux-ci comme des Dieux. L'Ynca Roi avoit donc
trois fortes d'enfans y ceux de fa femme qui y comme légitimes y
dévoient fùeçédcr à l'Empire i ceux de fes parentes qui étoienc
réputés légitimas i ceux des étrangères, qui étoient cenfés bâ-i
tards. r
Une Loi àufli ancienne que la Monarchie des Yncas y vouloi|
D U' G O U V EJK N E M E N T. yoj
voie de la perfuafion étoic inipuiffante,pour foumetrreà leur
Empire les Nations voifînes*
On voit dans la fuite de Tbiftoire des fuccefleurs du premier
Ynca , qu'on avoir eu grand foin de leur éducation j & qu'pn
leur avoir infpiré de bons principes, pour corriger les mauvaifes
& criminelles habitudes des Indiens. LTnca , fixiéme Roi du
Pérou 9 trouva deux Provinces dont les habitans facrifioient des
enfans à leurs Dieux , dans leurs fêtes principales j il leur perfua-
da d'adorer le Soleil & de ccflër d'être inhumains j les affurant
que s'il leur arrivoit à l'avenir de facrifier unfeul enfant , illes fe*
roit tous paffer au fil de Tépée. Ce même Ynca établit de très-bon-
nes Loix, fonda des écoles pour inftruire les Princes Yncas & les
Seigneurs de fon Empire , non par le moyen des lettres dont
ils n'a voient point Tufage, mais par la pratique journalière des
fciences^ des cérémonies, & des préceptes de leur Religion. Ils
étoient chargés de les inftruire dans la Politique 8c dans la mi-
lice , de polir leurs mœurs, de leur apprendre THiftoire & la
Chronologie , par le moyen des nœuds dont ils fe fervoient
pour compter les années.
L'or j l'argent & les pierreries abondoîent , comme tout le
monde fçait , au Pérou , & les Rois du Pérou en pofledoienc
plus que les Souverains les plus puiflans n'en pçfFeddrent ja-
mais. Les Indiens en préfentoîent aux Yncas , non à titre de
tribut , car les Yncas ne Texigeoient point , mais pour fuivre ht
coutume que les anciens Indiens obfervent encore aujourd'hui
au Pérou , qui eft de ne jamais vifiter leurs Supérieurs , fans leur
faire quelque préfent , ne fut-ce que d'un petit panier de fruit»
L'or & l'argent ne pouvoient fervir aux Yncas , ni pour la
guerre ni pour la paix , puifqu'on ne vendoit ni n'achetoit rien
avec ces métaux, & qu'on n'en payoit point les troupes. Les
Tome I. S f f
yotf SCIENCE
Indiens regardoienc ces richefTes comme fuperâues y parce
qu'elles n'étoient ni bonnes à manger , ni propres a rechange
des denrées. S'ils en faifoient quelque eftime , ce n^étoit qu'à
caufe de leur beauté & de leur éclat , & ils les employoient uni*
quement, par cette raifon j à rembellilTement des Palais du Roi
& des maifons de leurs Religieufes.
SE G T I O N. I I.
Gpuvernement des Indes Occidentales fous les Princes
Européens qui les ont conquifes.
D(Jcoiivirtede ^^^'EsT Chriftophe Colomb ^ Génois de Nation , qui, fur
n«iue. ^^^^ la fin du quinzième fiécle , découvrit les Indes Occiden-
tales j que nous appelions le nouveau monde. Il obtint (a) de
Ferdinand & Ifabelle , Rois d'Efpagne , des Patentes d'Ami-
ral & de Viccroi des pays qu'il découvriroit , & il partit en con-
féquencc des ports d'Efpagne (6). Ils'étoit appliqué à lire les
livres de voyages & à étudier l'Aflronomie & la navigation , 4fc
avoit joint la pratique de la navigation à la Théorie. En vain ,
Americ Vefpuce , Florentin , compagnon de quelques voyages,
a trouvéje moyen de donner fon nom au nouveau monde, à la
faveur d'une carte qu'il en à compofé , c'eft à Colomb qu'ap-
partient la gloire de la découverte ^ comme la gloire de la con-
quête du Mexique faite dans le commencement du feiziéme fié-
cle ( c) , appartient à Fernand Certes y 8c celle du Pérou faite
prefque dans le même-teras ( d ) , appartient à François Pizarc^
Ca) En 1493*
\F\ Le 20 de Mai 1499.
(c) Mexico, Capitale du Mexique , fut pris en 1 521 , & les Efpagnols s'empa^
Tcrent tout de fuite du reftc de TEmpire.
¥) En 1535-
DU GOUVERNEMENT. 507
Le nouveau monde fut donc découvert fous le rcgne de Fer- iv.
dinand & dlfabelle% Al conquis fous celui de Charles L Roi deuxE^îrespar
' les Efpaflnols*
d'Efpagne , appelle Charlequint , depuis fon éleûion à l'Em-
pire d'Allemagne. La conquête de deux des plus vaftes Empî--
res de la terre , rfa coûté originairement aux Efpagnols que
l'expédition de deux Capitaines y dont le plus fort h'avoit pas
600 fpldats fous fes drapeaux. Cortés fut favorifé dans la con-
quête du Mexique par les armes à feu> dont Tufage n'étoit pas
alors connu aux Indes , par la République de Tlanala y 6c par
pluOeurs Caciques qui étoient mécontens de Motefuma ^ lequel
regnoit tyranniquement. Fizare fut auŒ favorifé dans la con-
quête du Pérou ^ & par l'avantage des armes à feu inconnues au
inidi comme au feptentrion de l'Amérique ^ & par le méconten-
tement où les peuples étoient du Gouvernement tyrannique
^Atahualpa , dernier Ynca, qui avoir commis des barbaries
horribles, en exterminant prefque toute la* Race Royale. Les
Efpagnols , conquérans du nouveau monde , enchérirent encîbrc
beaucoup fur ces barbaries. Las Cafas^ Préfident de Y/4udience
Royale j Evçque que Dieu avoit fufcité pour la défenfe des In-
diens que faifoit. périr l'avarice de leurs vainqueurs , repréfentc
Içs Efpagnols fes compatriotes , comme des bêtes féroces dé-
chaînées par le ToutrPuiffant dans fa colère^ pour exterminer
ces malheureux peuples. Ils ravagèrent 500 lieues du plus beau
& du plus riche pays qu'on pût voir ; & (ans diftinftion d'al-
liés & d'enpemis y ils exercèrent des cruautés qui feroient in-
croyables , fi les preuves n'en avoient été dépofées au Grfeffe
du Fifc Royal , auquel fMs Cafas ne craint point de renvoyer
fes Leâeurs.
La découverte du nouveau monde enrichît alors PEfpagne ,
ijili 4 fait travailler les riches mines d*or 8c d'argent de Cufco
^oS S C I E N C E , &c,
& du Potofî > ce qui a rendu ces précieux métaux bien plus com^
muns qu ils n'étoient ; mais cette complète qui a augmenté la
quantité d'or & d'argent, a coûté à TEurope beaucoup de cri-
mes , & la prive encore tous les jours de bien des hommes
qui font les principales richeffes d'un Etat. Ceft un grand bien
que les Européens ayeht porté la lumière de TEvangilc en Amé-
tique ; mais on peut juftement douter fi la découverte du nou-
veau monde , fource de biens & de maux, qui a enrichi & dé-
peuplé TEurope , a été utile ou pernicieufe à la partie du monde
que nous habitons,
y J'expliquerai le Gouvernement moderne de ces deux Empw
«Sf?unSSl ^^ y ^^ expliquant le Gouvernement d'Efpagne (a).
fc/pranS',^ Les Efpagnols ne conquirent dans le continent du nouveau
•S^h/eIÎÎo^wI monde , que les deux Empires que je viens de dire y mais Té-
tendue de ce continent , & le nombre des Ifles qui le bordent ,
& dont quelques-unes font très-confidérables & fituées fous un
dimat heureux , attirèrent bientôt l'attention de prefque toute»
les Puffances (Je l'Europe ^ François , Portugais ^ Angloîs ,
Hollandois y tous les Etats commerçans y ont fait à^ l'envie des
conquêtes. Ils y ont établi des Colonies qui font gouvernée»^
fclon les Loix de leurs Souverains , & en foivent la Religion^
dans laquelle ils tâchent d'inftruire les habi tans naturels du paysr
Ceft ce que je dirai > en expliquant le Gouvernement de char
que Nation de l'Europe (&).
(a) Voyez la féconde Seftion du feptîéme Chapitre de cette Introdudfioiw
(h) Voyez tout le feptiéme Chapitre de cette Introduâîon*^
Fm duTome premUr^
très
ACS»
******^**imminn***^m*^^$u
TABLE
DES MATIERES
DE LA PREMIERE PARTIE DE LINTRODUCTION.
E Pages
MpIRE m Abiffink. 494
Achitns , leur confédération, 1 9 1
Adam , fuite de fa défobéifTance. 81
Agricultun^i^s ccmmencemens. ib.
Agouna , ufage fingulier pour. la
fucceflîon à la couronne. 481
Droit iHAtntjft. 46
Alger ^ fes révolutions.
Ambition , fes effets.
Amérique^ fa découverte.
Le Confeil des Amphryclions.
Angola , Royaume.
Annibal.
Commerce des Anglois dans les In-
des 9 ^ 470
ArchiteSure , comment inventée :
fes progrès. 84
Tribunal de YArtapa^. %i 9
Arijlocratit ^ fon origine. 509
Arts qui ont précédé le Goirverne-
ment civil. Leurs avantages. 175
Athènes^ fon Gouvernement- 217
Vicieux. 218
Autonomie 9 ce qUe c'eft* 246
Autorité ^ d*oii émanée» 8
474
57
506
488
260
B
B
Alde 9 Gloffateur. 108
Royaume de Bantem. 468
Bàrthole , Gloffateur. 1 08
Bajiliques fubflituées au Dtoit de
^ Jttftinien en Orienta 103
Royaume de Benguela , 489
Bornes^ ce que c'eft, leur origine. 50
Brama , Légiilateur des Indes , par-
tagea les Peuples en guatre Ca-
ftes , 443. Ses loix générales &
particulières. 444
Brahmanes , leur genre de vie : fort
de leurs femmes , 444 : rigides
obfervateurs des loix , en quel
point ils exercent la charité. 445
Ang-hi^ dépofe un de fes
(i\s* 409
Du Cap de Bonne Efpérance. 492
Carthage , fa fondation , 248 : con-
vertie en Républione ,235: fon
Sénat y fa police militaire ,252:
ik guerre avec Rome , 260 : cau-
fes de fa deftruôion. 26 x
Charondas , fes Loix , 23 5 : fa hiort.
3.37
Chine ^ fon Gouvernement , 40 j :
fon ancienneté , idem. Sa popula-
tion , idem. Sa fucceflîon , 406.
De la manière dont la Juftice
eftadminiftrée, 407. Traitement
des Princes du fang, ibid. le méri-
•te y eft diftingué & récompenfé
m&ne après la mort , 408. L'Em-
pereur choifit parmi fes enfens
celui qu'il croit le plus propre à
lui fuccédér, même parmi \ts fu«
jets y 409. Son Cottvernement a
Çio ' \ . 'TA
fon modèle dans Tempire pater-
nel, 410 : l'Empereur eft afFeûé
iingulierement des malheurs pa-
blics , 41 1 • Les Gouverneurs des
Provinces ipnt pour ainfî dire
refponfables des crimes (jai s'y
- commettent.4 1 i.Frein que trou-
• ve à la Chine la PuidknceRoyale,
41 2. Attention de la part de TEm-
pereur à rendre le peuple heu-
reux, 41 3 : forces de cet Empire,
fa grande muraille, 414 : le nom-
bre de fes habitants , &c (es reve-
nus immenfes, 415 : l'attention
I>our la culture des terres , 417 :
eur religion, 4 18. Quel de voit
être leur Roi , & à quel point ta
vertu étoit honorée', 41 1, Let-
trés , honneiu* qu'ils rendent à
Confucius , 415 : refpeft des en-
fens pour leurs Pères , 416 : foh
Gouvernement a bien dçs dé-
fauts , 434 : fes révolutions, ibid:
fes ufages outrés à l'égard des
morts, 43 6. Ca'raûere de la Na-
tion , 438 : leur prévention à l'é-
gard de beaucoup de chofes,44o.
Relation qu'en font Us Hifto-
riens. 442
Ciceron , le cas qu'il faifoit de la Phi-
lofophie , 9 : fon fentiment fur la
formation des Sociétés. 56
De là Cochinchine, j^66
Code d'Alaric ôcDigefte, 10 1 : Gré-
gorien , Hermegenien & Theo-
doûen , 100 : de Juflinien , 107.
Le Commerce , comment fe faifoit
& fe fait aâuellement 1 45
Confucius , Philofophe & Légifla-
teur , 414: fes maximes admira-
blçs. 418
Çonjp , Royaume , fes progrès con-
mérables » 485 : ferment du
BLE
Roi^ 4S'5
Convenmn^ fon origtoe, & de com-
bien d'efpeces. 50
Corée , fon étendue , (on commerce,
tributaire de la Chine , leurs
mœurs, 4^6
Royaume de la Céte £0r. 48X
Couronne , ufage admirable desPer-
fes pour l'éducation de l'héritier
de la Couronne, 451
Coutume y fa différence d'avec les
Loi;e. 10
Avantages du Crédit. 79
Crotone. 13 ^
D
D
Elateurs ^ leur punition;
Démocratie , fon origine. 4
Diftinâion des Domaines. 46
Des Donations. 130
Dracon , Légiflateur. 211
Droit , ce que c'eft : fa diviûon ,
fon caraûere , fa différence, io«
Primitif, 44, Naturel , ce que
c'eft, 16. Fondement de toutes
les loix, fes préceptes, 18. Pu-
blic , ce que c'eft , 18 : (ur cmoi
fondé : fes maximes générales »
30. Eccléûaftiaque : ce que c'eft^
ai : d'oii il tire ion origine , fon
objet ^35. Des Gens , ce quQ
c'eft, 11 : là fource, fon éten-
due. 3 %
Droit Romain, 91, François, 106%
Sur les perfonnes & fur les cho-
(es. 1 13
E
£•<
Change , facilité par l'or &
l'argent. ^ 79
Egypte , Royaume : fon établiffe-
ment: fes çpnquêtes : divifé ^
D E s M A
détruit, 179. Quel en étoit le
gouvernement , 181. Jugement
que lUbiffoient les morts. 183
Mmpcrcur^rcumt tous les titres, 117.
Sa puiflfance. 1 20
Empires , leur origine ; j6. Quatre
grands Empires divifés en plu-
fieurs autres. 77
Engagement , ce que c'eft : il y en
a de deux fortes. 1 14
Ztat^ faute de l'homme d'Etat, 1 1 1 .
Dieu approuve toutes les Con-
ftitutions d*Etat , quelle que foit
la religion qu'on profefle , & de
quelque manière que le Gou-
vernement ait été établi. 390
Evénemens des deux derniers fie-
cles , & de celui où nous vivons.
F
X OuvoiR des Pères de Famille ,
61 : leur autorité. 63
France , fon commerce en Orient ,
I jo: dans les Indes. 470
T I E R E S. yii
à cinq différentes fituations de
l'homme,i4 ; fon afiemblage for«
me cinq fciences diftinâes : fa
divifion , 28 : fon autorité , fes
avantages , 51 : fes diverfes for-
mes 9 197 : Monarchique ., A-
riftocratique , Démocratique ,
Compofé, & Irrégulier, 310.
Réflitation de Topinion qui ad-
met d'autre forme de Gouver-
nement, 315. Défauts de tous
les Gouvernemcns , 310. Du
Monarchique , 317. De TArifto-
cratique, 319. Du Démocrati-
que, 3 } I. Du Compofé , de Tir-
régulier , 335. De la meilleure
forme de gouvernement , 339.
Celui des nommes doit être pré-
féré à celui des femmes , 377 :
fon indivifibilité eft auflî utile
aux Etats que la trop grande iné-
galité des fortunes particulières
leur eft nuifible. 314
Grèce , République : caufes de fon
élévation & de fa décadence,
184
Guinée. 481
'Jmbra^ rivière fameufe : fur
fes rives font plufieurs Royau-
mes. 478
Gingiskam , Conquérant. 464
De Goa , & des Etabliffemens que
les Portugais & les autres Na-
tions Européennes ont fait dans
les Indes Orientales. 470
Ccuvernemtnt , ce que c'eft, i : ion
objet : fa fin : tems oit il a été
formé ^ 61. Sa fcience , princi-
pale branche de la Philofophie ,
9 : l'objet des réflexions des plus
célèbres Philofophes, 1 3 : fes re-
gles ont leur application propre
H
J E U de Hegejîlocus. 35c
Hijioire des Etats : fon utilité. 174
Hollandois , ne commerçoient d'a-
bord en Turquie que fous pavil-
lon François. i ço
Homme , fon origine^ fa propaga-
tion , 41 , 44 : né pour la locié*
té, I : origine de fes devoirs ,
^ , 7 : la hn , 7 : fes différens
ctats, 135» Difperfion des hom-
mes , 55 : libres & égaux , 3.
Avantages de l'harmonie entre
les hommes. 6
411 TA
J
J Apon ^ fondation de fon Em-
. pire, niœurs. Religion, fes ha-
. pitans , leur mariage. 193 • 394.
. Forces de cette. Monarchie. 396.
Son Gouvernement. 397. Du
Dàiri , Puiflance de Religion, &
du Cubo-Sama ^ Souverain tem-
porel. '^^^, Cubù'Sama eilm^-
tre de toutes les forces & de
tous les revenus de l'Etat. L'Em-
pire transféré à Jedo. 401. Pré-
caution du CubO'Sama pour s'af-
furer des Seigneurs. 401. La di-
vifion des Miffionnaires met ob-
flacle à la propagation de la Foi.
Ibid. La Religion Chrétienne y
eft profçrite en 1590 & 1657.
Ibid. S'il eft avantageux au Ja-
pon d'être fermé comme il eft
pour le commerce. 403 .
De rifle de Java oii eft le grand
établifTement de la République
de Hollande. 468
Jûux^ Olympiques. 1 9 1
Indiens , leur morale. 44 6
InfiUutes. 102
Introduction , Son objet. 37
Jurifprudcncc , ce que c'eft. i x
Jujliu , ce que c'eft. 11. Quel en
eft le fondement. 3 1
K
K
OuLiRAM , ufurpateur delà
Perfe , Vainqueur du Mogol ,
qu'il rend fon tributaire. 447. Sa
mort. 45^5
AcspEMONM y fesLoix, 101
Du Laos. 46Ô
BLE
Ugijlauurs , anciens , facrés , pro-r
fanes. 165
Liberté , ce que c'eft , 340. Relative
au Gouvernement. 348
X,ivre5 Saints. 175 6* 177. Inftruc-
tions falutaires qu'ils renfer^
ment. 171. Les plus anciens. Ib.
Loi Royale, ce que c'eft. m. Dif-
férente de celle de l'Etat. i li
Définition desJLdû:, elles contien-
nent les rcgles de notre condui*
te, 8 : leur diverfité, ibid. leurdi-
ftinftion, 27. Comment fe déter-
miner dans l'oppofition ÔC le li-
lence des Loix , 26. Les plus cé-
lèbres , 88. Leur diverfité occa-
fionnée par les différentes incli-
nations 6c révolutions. 90. Hts
douze Tables. 89
Lycurgue. 10 1
M
M.
j4i NOTES. 117
Mandarins , leur diftin^on. 408
Marc-jéntonin , fa Philofophie. 9
Empire de Maroc , fingulierement
compofé & agité. Ibid.
Mien : diftinâion du mien & du
tien ,475. néceflaire pour ré-
change des denrées, 78
Mexique. 40 j
Mogol , fa fondation. 446. De
quelle race ies Rois font ti-
rés. Les Rageputes &c les Bania-
nesî 445. Son Empire eft com-
pofé de vingt-trois Royaumes.
447. Ses richefles. 448. Son
Gouvernement. 449
Moyfcj fa Loi forme le droit privé
4c public de la Nation. 171
Monarchie^ fon origine. 4 Le pre-
mier des Gouvernemens , 73 :
préférable à tous les autres, 3 57 :
l'héréditaire
DES MA
lliér^dîtaire à Péleaive , 369 :
rabfolue à la tempérée. 374
Nouveau Monde ^ (a, conqaètc. 508
Monomotapa. 492
Morale , fa divifion, 1 2
D
N
ISPERSION des Nations. 43
Ifavîgaiion , comment perfeâion-
née , Tes avantages. 8 5
Ntmrod^ le premier qui a fournis les
hommes par les armes. 7 2
Les NovêlUs. io>
O
T I E R E S. '413
fous les RoiSy 168 : fous les Pon-
tifes. 170
Philo fophU , fon objet. 9
Politique , maîtreffe de toutes les
Sciences. 13. Situation aâuelle
du monde Politique. 1 4 1
Pouvoir , de combien de fortes ,
298 : l'arbitraire y Tabfolu , le
tempéré. iBid.
Promtjft , ce que c^eft , de com-
bien de fortes.- 1 27
Puijfancc , fes avantages. 6 1
Pytagorc. 23 2
R
o
BttGATiONSy cequed*efl,
de combien de fortes. 125
Occupation , ce que c'efl ^ fa divi-
lion. 47
Orientaux y leur ufage fur leurs
Chefs. 409
Ofiraàfmt y ce que c'eft y 240
D
VPegu. 468
lies Pères. 62
Perfe , refpeô qu'on rendoît à fes
Rois. 450.L01X furTingratitude.
Idem, l/faee admirable pour l'é-
ducation de rhéritier de la Cou-
ronne. 45.1. Le Roi devoit avoir
la bravoure en partage, 451.
Leur (àgefle dans tes Jugemens,
Idem.
Le Pérou , Maniocapac fon fonda-
teur. 499. Son gouvernement,
504
Petalifmty ce que c'eft. 62
Peuple de Dieu , -fon Etat , 244 ;
fous la Loi naturelle des Patriar-
ches ,165: fous les Juges > 167 :
Tomeï.
R
Al SON ^ fondement de toute
forte de droit. 10
Religion , changemens qui y arri-
vent, 15/
République^ fonori^ne, 75 ; for-
mée par l'abus des Monarchies.
Rjchejfe : il y en a de deux fortes. 80
Origme des Rois. 60. Juges & Dé-
fenfcurs du Peuple. 4. Dans quel
fens Abraham a été appelîé Roi>
par quel droit on parvient à l'ê-
tre. 7Gr
Royaume de Rome\ République;
Empirfe ; "forme de Ion Gou-
vernement. 268. Sa Politique.
274. Caufe de fa décadence.
284. Ses avantages fur Cartha^
ge. 264
Romulus. 269
S
k3 jtGEyfdnczT^iâerey 427
Les fept Sages. 230
SancHon , ce que c'eft* 1 20
Royaume de ^«/2«^tf/, fon étendue
480
Science y fes progrès. 1 5 6^
Ttt
414 TABLEDES
Scipion. 16 1
Scipion Emilien , ù\iV africain. 163
De Siam^ 466-467
Socictc , formation & néceflité des
Sociétés. 141. 5Ci-56. L'ordre
des .... fe manifefte de toutes
parts. 7. Diverfité dans les... 4.
Communication univerfelle des
caufes de la Société. 5 3
Souverain , Tes fonôion. 4. Il doit
être Philofophe. 9. Ses vertus.
430
Sparte^ fon Gouvernement. 202
Amerlan y fondateur de
l'Empire des Mogols. 446
Tanaric , Tributaire du Grand Sei-
gneur. 465. RefTemblance des
Tartares avec les Scythes leurs
ancêtres. 465
Tefiamtnt , ancien & nouveau. 171
Ttflamtnt , des teftamens. 1 3 2
Théocratie , ce que c'eft. 167
Thurium , fon Gouvernement. 23 5
J^ii Tonquin. 465
Traiu entre les Carthaginois & les
Romains. ik6
Tribonien , fameux par fon Cocie.
102
MATIERES.
De Tripoli fous la proteâion éa
Grand Seigneur. 472
De Tunis , fon Gouvernement. Di-
vifîon de cet Etat. 475
Tyrannie eft aufli à craindre dans
les Républiques que dans les
Monarchies. 3 3 j
V.
Jrnier ou Indcr , Auteur
du Droit en France. 108
Kenife j Maxtrefle du Commerce*
X ""
3 AiNT François Xavier , arW
nonce l'Evangile au Japon , & il
fonde une Eglife Aoriuante, 41 z
Xenophon , fait un grand éloge des
Rois de Perfe. ia<
y
Ne AS j leur Empire. 499
Eleucus , fes Loix ^àmm^
blés. 237
Zoroafire , Légiflateur des Pcrfes ,
fes Livres, 45 2
Fin de la Table des Matières du premier Tomep
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